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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marianne Hardy-Dussault et Denise HELLY, “Le mahr devant les tribunaux civils canadiens.” Un article publié dans la revue, Canadian Journal of Law and Society / Revue canadienne de droit et société, vol. 28, no 3, décembre 2013, pp. 387-402.. [Autorisation accordée par l'auteur le 13 mars 2013 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

[387]

Marianne Hardy-Dussault et Denise HELLY *

Le mahr devant
les tribunaux civils canadiens
.

Un article publié dans la revue, Canadian Journal of Law and Society / Revue canadienne de droit et société, vol. 28, no 3, décembre 2013, pp. 387-402.

Résumé / Abstract
Introduction

I.  Le mahr et la dissolution du lien matrimonial
II.  L'effacement de la différence de norme : application par défaut du droit interne
III. Respect de la différence de norme

A. Application d'une norme étrangère
B. Abstention fondée sur l'origine religieuse de l'obligation

IV. Une obligation contractuelle particulière : respect de la volonté des parties ?

Conclusion
Les auteures


RÉSUMÉ

Les minorités issues de l'immigration s'adaptent à nombre de pratiques et de valeurs de leur société d'accueil. Cette adaptation est à double sens. L'État et les tribunaux peuvent être appelés à tenir compte de l'impact que peuvent avoir certaines pratiques qui ont un fondement religieux ou culturel. Ainsi, comme nous l'a enseigné l'arrêt Bruker c. Marcovitz, une obligation de nature religieuse peut être qualifiée de civile lorsque celle-ci est intégrée dans un contrat conclu au Canada. Il en est de même lorsque qu'elle a été contractée par des parties qui, à l'époque, résidaient à l'étranger. Quoiqu'elle puisse alors être considérée justiciable, il n'est pas toujours aisé pour les tribunaux canadiens de respecter la spécificité de la norme concernée. Les juges doivent en effet comprendre la portée de normes, le fonctionnement de certaines institutions ou l'importance de pratiques avec lesquelles ils ne sont pas a priori familiers. En ce qui concerne le mahr ou la dot, l'étude de la jurisprudence montre que la spécificité de cette pratique est parfois ignorée et que, lorsqu'elle est reconnue, l'exécution de l'obligation qu'elle suppose ne peut toujours être assurée.

Mots clés : mahr, dot, droit musulman, contrat de mariage, divorce, droit international privé

ABSTRACT

Immigrant minorities adapt to many of the practices and values of their host society This adaptation is a two-way street. The state and the courts can be called upon to take into account the impact that some of thèse practices with a religious or cultural basis might hâve. Thus, as we learned from the Bruker v. Marcovitz décision, an obligation of a religious nature can be characterized as civil in nature when it is part of a contract signed in Canada. The same is true when a contract is entered into while the parties resided abroad. Although such [388] an obligation can be considered justiciable, it is not always easy for Canadian courts to respect the specific nature of the standard in question. Indeed, judges must understand the scope of the standards involved, the function of certain institutions, or the importance of practices with which they are not necessarily familiar. When it comes to the mahr, or dowry, an examination of jurisprudence shows that the specific nature of this practice is not always understood, and in cases where it is recognized, the execution of the obligation it entails cannot always be ensured.

Keywords : mahr, dowry, Islamic law, marriage contract, divorce, private international law


INTRODUCTION

En contexte migratoire, le droit international privé favorise la stabilité du statut personnel. Il peut conduire les tribunaux à assurer l'application d'une norme étrangère. Or, bien qu'issues de l'État, ces normes, comme les nôtres d'ailleurs, peuvent intégrer des valeurs morales, religieuses ou culturelles. Elles peuvent en outre exiger que le droit religieux soit appliqué, en particulier pour combler des lacunes législatives. Ainsi, le Code de la famille du Maroc prévoit :

Pour tout ce qui n'a pas été expressément énoncé dans le présent Code, il y a lieu de se référer aux prescriptions du Rite Malékite et/ou aux conclusions de l'effort jurisprudentiel (Ijtihad), aux fins de donner leur expression concrète aux valeurs de justice, d'égalité et de coexistence harmonieuse dans la vie commune, que prône l'Islam[1]

Comme nous l'a enseigné l'arrêt Bruker c. Marcovitz [2], une obligation religieuse intégrée dans un contrat conclu au Canada peut être justiciable. Cependant, en ce qui concerne le mahr ou la dot [3], le portrait que nous avons dressé de la situation montre deux principaux cas de figure : (1) la spécificité de cette pratique est parfois ignorée et (2) lorsqu'elle est reconnue, l'exécution de l'obligation qu'elle suppose n'est pas toujours assurée.

La présente analyse s'inscrit dans le cadre d'une recherche bi-disciplinaire (droit et anthropologie) qui s'intéresse au traitement réservé par les tribunaux aux normes musulmanes invoquées dans le cadre de litiges familiaux [4]. L’objectif consiste à mettre en relief les difficultés auxquelles sont confrontés ceux qui s'adressent aux tribunaux et les défis que les juges peuvent rencontrer. Il s'agit, plus particulièrement, de mieux saisir la manière dont les juges appréhendent, décrivent et tiennent compte de normes et de pratiques religieuses ou culturelles étrangères. Pour ce faire, une grille de lecture a été créée. Celle-ci nous a permis de classer les jugements d'après [389] les différentes méthodes employées par la législation ou les tribunaux pour reconnaître ou, selon le cas, nier ou effacer la différence de norme [5]. Les décisions répertoriées au Québec (soixante-cinq) et en Ontario (trente) portent sur le mahr, la kafálah [6], diverses formes de divorce, la nullité du mariage, le partage des biens ainsi que la garde et l'éducation des enfants [7]. Considérant toutefois que, en ce qui concerne le mahr, des jugements significatifs ont été rendus en Colombie-Britannique, nous avons choisi d'élargir la recherche afin de les ajouter à l'étude des onze décisions issues du Québec et de l'Ontario.

I. Le mahr et la dissolution
du lien matrimonial


Le mahr est un présent que le futur époux s'engage à offrir à celle qui deviendra son épouse [8]. Il peut s'agir d'une somme d'argent ou de biens. Selon les communautés, il est versé en entier avant le mariage ou en deux temps [9]. En ce dernier cas, une portion est remise avant la consommation du mariage et le paiement du reliquat est différé, celui-ci pouvant être réclamé lors du divorce ou du décès de l'époux [10].

Le mahr est conçu et encadré différemment selon les écoles de droit et les juridictions au sein desquelles la législation en matière familiale est fondée sur le droit musulman. Par exemple, selon les prescriptions du rite malékite qui prédominent en Afrique du Nord, le mahr constitue une condition de validité du mariage et la législation fondée sur cette école de droit intègre cette exigence [11]. D'après les autres écoles sunnites et les écoles de droit chiite, il est plutôt considéré comme un effet du mariage [12]. Considérant ce pluralisme, la courte description qui suit n'a nullement pour ambition de présenter un portrait détaillé des diverses manières d'appréhender le mahr. Il s'agit, plus modestement, de présenter quelques [390] éléments généraux susceptibles de nous renseigner sur ses fonctions et ses conditions d'exigibilité [13].

Quelle que soit l'école de droit privilégiée, le mahr a d'abord une fonction religieuse et morale [14]. Il souligne l'importance que revêt le mariage, symbolise le respect et l'affection de l'époux et témoigne du sérieux de ses intentions [15]. L'article 26 du Code de la famille du Maroc rend compte de ce caractère symbolique :

Le Sadaq (la dot) consiste en tout bien donné par l'époux à son épouse, impliquant de sa part la ferme volonté de créer un foyer et de vivre dans les liens d'une affection mutuelle. Le fondement légal du Sadaq consiste en sa valeur morale et symbolique et non en sa valeur matérielle[16]

Cependant, lorsqu'il est substantiel, il permet d'assurer la protection économique de celles qui sont divorcées ou veuves [17]. Le paiement d'un mahr différé élevé peut pallier la pension alimentaire de courte durée ou les droits successoraux plus limités dont les femmes disposent. Si, pour ces raisons, certaines personnes perçoivent le mahr de manière positive, d'autres déplorent son usage qu'ils associent à une contrepartie offerte en échange de la virginité de l'épouse ou de services sexuels [18].

Comme l'illustre le jugement rendu dans l'affaire Droit de la famille081820, l'exigibilité du mahr est tributaire des circonstances ayant conduit à la rupture du lien matrimonial [19]. Dans cette décision, le juge s'est appuyé sur la preuve d'expert pour conclure qu'en vertu du droit étranger applicable au litige, l'épouse n'avait pas droit au mahr puisqu'elle était à l'origine de la demande de divorce. Plusieurs formes de dissolution du lien matrimonial sont en effet admises en droit musulman. Leurs modalités et conditions varient selon les époques, les écoles de droits et les juridictions concernées. Nous ferons brièvement état des principaux types de dissolution reconnus par le droit religieux tout en fournissant quelques exemples de leur encadrement législatif actuel [20].

[391]

Un époux peut divorcer par l'expression de sa seule volonté (talaq), mais il sera alors tenu de verser à son épouse le mahr différé [21]. Le fait que celui-ci soit élevé peut éventuellement mettre l'épouse à l'abri d'une rupture intempestive [22]. En Tunisie toutefois, le talaq est exclu puisque la dissolution du lien matrimonial doit nécessairement être prononcée par la Cour [23]. Bien que la procédure suivie en Egypte soit extrajudiciaire, l'intervention d'un notaire est requise [24].

Moyennant une compensation financière, qui peut comprendre le mahr déjà versé ou exiger de l'épouse qu'elle renonce au mahr différé, l'époux peut consentir au divorce demandé par sa femme (khul) [25]. Selon l'opinion majoritairement partagée par les différentes écoles de droit, l'époux ne devrait pas réclamer davantage que ce qu'il a offert à sa conjointe [26]. Au Maroc, le consentement de l'époux est encore requis pour obtenir ce type de divorce alors qu'en Algérie, tel n'est plus le cas [27]. Lorsqu'il y a désaccord sur la contrepartie, il revient aux juges marocains et algériens de fixer la somme à verser en fonction de critères prévus par la loi, lesquels permettent de limiter le montant octroyé [28].

Lorsque, d'un commun accord, les époux expriment le désir de rompre leur union, une autre forme de divorce peut être obtenu (mubarat) [29]. Les parties peuvent négocier les termes de leur séparation et, selon les interprétations, l'épouse doit ou non renoncer au mahr différé [30]. Tandis qu'en Algérie et au Maroc, ce type de divorce requiert l'intervention de la Cour [31], en Inde et au Nigeria, les époux peuvent s'adresser à une autorité ou simplement déclarer oralement ou par écrit leur intention mutuelle de divorcer [32].

Enfin, s'il appert que l'un des époux a commis une faute, que le mari est sexuellement impotent ou pour d'autres motifs susceptibles de varier selon les écoles de droit et la législation adoptée par les États, l'union des parties peut être dissoute (faskh ou tafriq) [33]. Par exemple, en Algérie, l'épouse peut demander le divorce lorsque son conjoint est condamné « pour une infraction de nature à déshonorer la famille et rendre impossibles la vie en commun et la reprise de la vie [392] conjugale » [34]. À moins que la faute reprochée n'ait été commise par l'épouse, elle peut réclamer le mahr différé [35].

II. L'effacement de la différence de norme :
application par défaut du droit interne


Au Canada, la liberté de religion et le droit à l'égalité servent d'assises à la neutralité de l'État et requièrent que les lois et les institutions respectent les diverses croyances et ne favorisent pas une religion particulière [36]. Le respect de la sphère d'autonomie personnelle des croyants et de la différence de norme peut se manifester lorsqu'un tribunal est confronté à une obligation qui demeure teintée par la religion ou la culture. Souvent appelés à comprendre la portée de normes étrangères, le fonctionnement de certaines institutions ou l'importance de pratiques avec lesquelles ils ne sont pas familiers, les juges peuvent, comme dans le cas du mahr, rendre des décisions apparemment contradictoires.

Un premier type de décision repose sur une preuve fragmentaire du droit étranger qui conduit certains juges à ne pas appréhender et respecter la différence de norme. Il va sans dire que cette différence est inévitablement ignorée lorsque les parties s'abstiennent d'alléguer et de prouver le droit étranger. Dans ce dernier cas, l'article 2809 al. 2 C.c.Q. conduit les tribunaux à appliquer par défaut le droit en vigueur au Québec. Des institutions ou des obligations étrangères peuvent alors être comparées à celles que les juges estiment remplir des fonctions équivalentes en droit interne [37]. Dans plusieurs décisions étudiées, le mahr est assimilé à une donation entre vifs [38]. Les juges n'indiquent toutefois pas explicitement les motifs qui les conduisent à faire cette analogie. Le fait que, à l'instar du mahr, la donation puisse être consentie en considération du mariage est sans doute un facteur pertinent. Enfin, si le droit étranger est allégué sans être prouvé, le juge peut en prendre connaissance d'office [39]. Malgré la discrétion qui leur est accordée, les tribunaux canadiens n'effectuent généralement pas leur propre recherche [40]. Puisqu'ils ne disposent pas toujours des connaissances ni de la documentation requises pour saisir la portée du droit étranger, leurs réticences paraissent justifiées [41].

[393]

L'application par défaut du droit du for occulte nécessairement la spécificité du mahr. L'une de ses fonctions, qui consiste à assurer la protection économique de l'épouse, peut d'ailleurs être éclipsée par les mesures de protection qui bénéficient à toute personne qui réside au Québec. Après avoir assimilé le mahr à une donation entre vifs consentie en considération du mariage, le tribunal peut, pour des raisons d'équité, s'appuyer sur l'article 520 C.c.Q. afin de la déclarer caduque, de la réduire ou d'en différer le paiement [42]. Par exemple, un couple marié à l'étranger et assujetti à la séparation de biens peut avoir convenu d'un mahr élevé qui pourra assurer la sécurité économique de l'épouse. S'il immigre au Québec, y réside pendant un an et se sépare, le couple se verra imposer le partage du patrimoine familial alors que, lors de leur union, les parties n'avaient pas prévu être assujetties à cette seconde forme de protection. Considérant que cela peut être onéreux, voire inéquitable pour l'époux de diviser le patrimoine familial et de maintenir la donation, le juge peut user de sa discrétion pour réduire cette dernière [43].

En 2007, le tribunal s'est interrogé sur la portée d'une clause comprise dans un acte de mariage qui prévoyait le versement d'un mahr de 20 000 dirhams (environ 4 000 $) dont plus de la moitié avait été payé [44]. Les parties concernées, un Canadien converti et une musulmane née à l'étranger, avaient célébré leur mariage dans le pays d'origine de la défenderesse [45]. Après avoir disposé de la question du partage du patrimoine familial, le juge, peu loquace, a précisé ce qui suit :

Les parties n'apportent aucune preuve de la légalité d'une telle obligation. Il s'agit donc d'une donation entre vifs contractée à l'occasion du mariage des parties. Selon la preuve, A a satisfait à son obligation en payant près de 15 000.00 $ pour les dépenses reliées au mariage et les frais de parrainage de la défenderesse. Lors de la rupture, il a subvenu aux besoins de son épouse en payant une pension alimentaire et a remboursé l'aide sociale pour les montants payés à celle-ci[46]

Si la légalité de l'obligation n'a pas été établie, comment le juge peut-il l'assimiler à une donation ? Cette absence de preuve n'aurait-elle pas dû conduire le juge Isabelle à s'abstenir de se prononcer sur cet aspect du litige ? En retenant cependant que le mari s'était acquitté de son obligation puisqu'il avait déjà déboursé d'importantes sommes au bénéfice de son épouse, le juge semble avoir fondé sa décision sur l'équité.

Il en a été de même dans deux jugements subséquents. Dans l'affaire Droit de la famille—10717 [47], la défenderesse souhaitait obtenir le respect de cette clause comprise dans un contrat de mariage signé en Iran :

MARRIAGE PORTION :

One volume of Holy Koran with a gift price of Rls. 110.-together with 1000 gold coins, one mirror and a pair of candlesticks, for Rls. 4,000,000.-, which [394] all remain as obligation on the part of the husband to be delivered to the wife upon her demand[48]

La défenderesse réclamait 400 pièces d'or (environ 60 000 $), ce qui représentait moins de la moitié de la somme prévue [49]. La défenderesse ayant omis de faire la preuve du droit étranger régissant ce contrat, la juge a traité le mahr comme s'il s'agissait d'une donation et, s'appuyant sur l'article 520 C.c.Q., a fixé la somme à verser à 5 000 $. Le tribunal a notamment pris en compte la courte durée du mariage et les bénéfices que la défenderesse retirait du partage du patrimoine familial et de la société d'acquêts pour conclure qu'il serait inéquitable et exorbitant d'exiger de l'époux qu'il verse en entier la somme inscrite dans le contrat de mariage [50].

L'affaire Droit de la famille12651 concernait quant à elle un Canadien d'origine marocaine [51]. Le mariage des parties a été célébré au Maroc où résidait la défenderesse. Ne disposant pas de la preuve nécessaire quant aux règles régissant le mahr, le juge a aussi qualifié celui-ci de « donation entre vifs au sens de l'article 520 C.c.Q. » [52]. Il a estimé que le demandeur s'était amplement acquitté de son obligation, qui consistait à verser 10 000 dirhams (environ 1 400 $), puisqu'il avait fait parvenir une somme de 3 000 $ à la défenderesse avant le mariage, qu'il avait payé son billet d'avion et ses frais d'immigration.

Pourquoi des procureurs s'abstiennent-ils d'alléguer, voire de prouver le droit étranger ? Si le mahr est modique, retenir les services d'un expert peut certes s'avérer peu rentable. Mais qu'en est-il lorsque la somme en jeu est importante ? La complexité et la méconnaissance du droit applicable peuvent sans doute conduire un avocat à souhaiter que le mahr soit assimilé à une donation qui sera régie par le Code civil du Québec [53]. Le fait que sa cliente puisse être contrainte de renoncer au mahr en vertu du droit étranger peut aussi expliquer pourquoi un avocat ne cherchera pas à établir la teneur de celui-ci. Une telle démarche comporte toutefois des risques. Outre le fait qu'elle oblitère la signification du mahr, comme nous l'avons vu, elle donne au juge la possibilité d'user de son pouvoir discrétionnaire pour réduire la somme initialement prévue par les parties.

III. Respect de la différence de norme

Dans certaines affaires, des juges ont pu se référer aux témoignages d'imams pour établir si le mahr devait ou non être versé alors que, dans d'autres, les tribunaux ont estimé que la dimension religieuse de l'obligation exigeait qu'ils s'abstiennent d'intervenir. Dans les deux cas, ils ont cherché à respecter la différence de norme.

[395]

A. Application d'une norme étrangère

Lorsque les parties font la preuve du droit étranger, le tribunal peut, comme dans la décision Droit de la famille081820, distinguer le mahr de la donation [54]. Dans cette affaire, la preuve soumise par des experts a permis au juge d'établir que l'épouse devait renoncer au mahr puisqu'elle avait demandé le divorce. Elle a aussi conduit le juge à conclure que l'acte par lequel son époux avait fait don de la résidence familiale à son épouse était quant à lui valide et ne pouvait être révoqué. Un respect strict de la différence de norme a aussi amené la Cour d'appel du Québec à s'appuyer sur la « Loi islamique et les coutumes syriennes », exposées par un imam, pour établir qu'une ex-épouse n'avait pas droit au mahr [55]. Le contrat de mariage des parties prévoyait le paiement de dix livres syriennes avant le mariage (dot anticipée) puis de 25 000 livres en cas de divorce (dot ajournée). Considérant cependant que l'épouse avait demandé le divorce et que son mari n'y avait pas consenti, la Cour a conclu que, selon la preuve soumise, elle ne pouvait obtenir ce second versement.

En l'absence d'un élément d'extranéité, les renseignements fournis par un imam admis comme témoin expert peuvent aussi permettre au tribunal de se prononcer sur l'exigibilité du mahr. Il en a été ainsi dans la décision M.F. c. M.A.A. [56], laquelle implique des parties qui se sont mariées à Montréal. Le versement du mahr était réclamé par l'épouse, conformément à une clause qu'elle a qualifiée de contrat de mariage musulman [57]. Consignée dans le certificat de mariage des parties, ladite clause prévoyait : « There is a Mahr of Holy QURAN Book, one pièce Sugar Candy, one Kilo of Gold payable by the groom to the bride » [58]. Les parties ont présenté une preuve écrite d'expert quant à la nature de cette obligation. L'avis transmis à la Cour par l'expert retenu par la défenderesse a toutefois été écarté, car son auteur n'a pu être contre-interrogé. Quant à la preuve provenant de l'autre imam, le juge a indiqué :

La seule preuve sur l'interprétation à donner au Mahr islamique ci-haut cité (une espèce particulière de dot selon le témoin expert) consiste dans la transcription de l'interrogatoire de monsieur Nabil Abbas, ministre du culte musulman et détenteur d'un Phd. [...].
Le message est clair : compte tenu de ce que l'époux a déjà versé à l'épouse il n’est plus obligé de lui en offrir davantage. Il s'est acquitté de son engagement.
Vu le témoignage non contredit de l'Imam, expert en la matière, cette réclamation est rejetée[59]

Si le juge s'est s'appuyé sur son témoignage, les raisons précises invoquées par l'imam pour justifier le rejet de cette réclamation n'ont pas été rapportées dans le jugement. Mais, considérant qu'il a pris soin de faire mention des sommes déjà [396] versées à l’épouse, cette décision n'est pas sans rappeler celle qui, rendue par le juge Isabelle, était motivée par l'équité [60].

B. Abstention fondée
sur l'origine religieuse de l'obligation


La preuve soumise ne permet pas toujours de convaincre le juge saisi que l'obligation dont l'une des parties réclame l'exécution est véritablement de nature civile. Son caractère religieux, qu'il soit réel ou perçu, peut conduire le juge à décliner compétence. Tel a été le cas dans l'affaire Kanan v. Kanan [61]. Rendue par la Cour supérieure de justice de l'Ontario, cette décision concerne une chrétienne et un musulman mariés au Koweït. Environ deux ans après la célébration de leur union, les parties ont immigré au Canada et se sont ensuite séparées. Leur contrat de mariage prévoyait :

It is a true and valid marriage (no impediments) with the consent of the Judge, and acceptance of the said Husband against a dowry of One Thousand and One (K.D. 1001/-) Kuwaiti Dinars of which One (KD. 1/-) Kuwaiti Dinar has been paid to the wife and One Thousand (KD. 1000/-) Kuwaiti Dinars are payable in arrears according to the Holy Book of Allah and the Sunna of His Messenger (Peace Be Upon Him), after ascertaining the non-existence of legal impediments. No conditions have been set[62]

Selon la demanderesse, la clause précitée exigeait que, suite à leur rupture, le défendeur lui verse mille dinars, et ce, sans condition. Le défendeur a quant à lui prétendu que, puisqu'elle avait demandé le divorce, elle devait renoncer à réclamer cette somme. Le juge Mesbur a brièvement disposé de cette réclamation de la manière suivante :

I have no expert évidence with which to interpret the meaning of the provision that the funds "are payable in arrears according to the Holy Book of Allah and the Sunna of His Messenger (Peace Be Upon Him), after ascertaining the non-existence of legal impediments." Thus, I cannot determine whether Ms. Kanarïs or husbands positions are correct, or whether neither is. I décline to make any order concerning the marriage contract, and leave its interpretation and enforcement to the religious courts[63]

Considérant que la clause faisait expressément référence à un engagement qui, d'après son libellé, avait un fondement religieux, le juge pouvait avoir des doutes sur la nature civile de l'obligation. Or, comme le faisait remarquer la professeure Bakht, lorsqu'une question litigieuse est de nature intrinsèquement religieuse, les tribunaux canadiens estiment qu'ils ne constituent pas le forum approprié pour trancher [64]. En invitant les parties à s'adresser à un tribunal religieux afin qu'il se [397] prononce sur la mise en œuvre de cette obligation, le tribunal s'est assuré de respecter la différence de norme. Il n'a tenté d'établir aucune analogie qui aurait pu avoir pour effet d'assimiler cette obligation à celle qui découle d'une simple donation par contrat de mariage.

Alors qu'elle bénéficiait de l'éclairage offert par deux imams, la Cour de justice de l'Ontario a été plus loquace dans la décision Kaddoura [65]. Cette affaire concernait deux étudiants musulmans mariés en Ontario. À la demande du mari, le tribunal a prononcé le divorce des parties qui s'étaient séparées après quelques mois de vie commune. Il a aussi disposé de la réclamation de l'épouse qui estimait avoir droit au versement d'une somme de 30 000 $ à titre de mahr différé. Ce dernier était consigné dans le certificat de mariage des parties qui mentionnait aussi que le fiancé avait versé 5 000 $ à sa future épouse avant la célébration de leur union.

D'après l'avocat de l'épouse, ce certificat devait être qualifié de contrat de mariage au sens de la Loi sur le droit de la famille [66]. Inexécution des obligations consignées dans ce document pouvait donc être exigée devant une Cour de justice. Or, selon l'argument principal de l'avocat de l'époux, auquel s'est rangé le juge Rutherford, le mahr était de nature religieuse et n'était donc pas justiciable devant les tribunaux civils. Le juge l'a d'ailleurs comparé aux devoirs auxquels s'engagent les époux lors de mariages chrétiens, tels que celui d'aimer, d'honorer et de chérir l'autre [67].

Le tribunal a retenu des témoignages des deux imams qu'un mariage musulman ne pouvait être contracté sans qu'un mahr ne soit prévu et que la portion différée devait être versée à la demande de l'épouse lors du divorce ou du décès de l'époux [68]. Il a aussi retenu de ces témoignages que, selon certaines conditions non rapportées dans le jugement, l'épouse pouvait en être privée. Alors que l'un des imams était moins catégorique à cet égard, l'autre avait affirmé qu'en cas de conflit concernant l'exigibilité du mahr, la question devait être décidée par une autorité religieuse [69]. Les deux témoins avaient aussi indiqué que les principes tirés du Coran, des paroles du prophète et de la jurisprudence issue des instances religieuses devaient être utilisés pour résoudre ce type de litige [70]. La Cour a alors estimé qu'elle ne pouvait s'y référer comme s'il s'agissait d'appliquer une loi étrangère.

Après avoir fait référence au principe de la séparation de l'Église et de l'État telle que définie aux États-Unis, la Cour a conclu qu'en l'espèce, se prononcer sur les droits et les obligations des parties « would necessarily lead the Court into the "religious thicket," a place that the courts cannot safely and should not go » [71]. [398] Si cette décision témoigne d'une prudence certaine et semble respecter la différence de norme, elle a cependant un effet d'exclusion. Contrairement aux autres ententes prénuptiales encadrées par la Loi sur le droit de la famille [72], cet engagement n'a pas été considéré par la Cour comme produisant des effets civils. Or, comme nous le verrons à l'instant, les tribunaux ont été appelés à revoir cette position depuis l'arrêt Bruker c. Marcovitz [73].

IV. Une obligation contractuelle particulière :
respect de la volonté des parties ?

En 2007, dans l'arrêt Bruker c. Marcovitz, la majorité de la Cour suprême a conclu qu'une obligation pouvait avoir une dimension religieuse sans que cela ne pose irrémédiablement obstacle à l'intervention des tribunaux [74]. Dans cette affaire, le défendeur a été condamné à payer des dommages-intérêts puisqu'il n'avait pas respecté l'entente en vertu de laquelle il s'était engagé à accorder un divorce religieux (get) [75]. Par le biais d'un contrat, des personnes peuvent en effet choisir de transformer une obligation religieuse ou morale en obligation civile. Avant même que la Cour ne rende cette décision, les tribunaux de la Colombie-Britannique adoptaient un raisonnement similaire à l'égard du mahr. En 1996, dans l'affaire Nathoo, la Cour suprême de la Colombie-Britannique affirmait qu'au sein d'une société multiculturelle, la diversité devait être prise en compte et respectée :

Our law continues to evolve in a manner which acknowledges cultural diversity. Attempts are made to be respectful of traditions which define various groups who live in a multi-cultural community. Nothing in the evidence before me satisfies me that it would be unfair to uphold the provisions of an agreement entered into by these parties in contemplation of their marriage, which agreement specifically provides that it does not oust the provisions of the applicable law[76]

Ainsi, comme toute obligation susceptible d'être comprise dans un contrat de mariage au sens de la Family Relations Act, l'exécution du mahr devait être assurée si les conditions de forme et de fond requises par cette loi de la Colombie-Britannique avaient été respectées lors de la formation de l'engagement [77]. [399] Par la suite, cette approche a été adoptée dans plusieurs décisions rendues en Ontario. Précisons que, dans celles-ci, le tribunal n'a pas cherché à établir si les parties, vraisemblablement muettes à cet égard, ont eu l'intention de soumettre leur entente à une quelconque législation étrangère.

Dans les jugements Ghaznavi v. Kashif-Ul-Haque, Khanis v. Noormohamed et Rashid v. Shaher [78], issus de la juridiction ontarienne, le mahr contracté à l'occasion d'un mariage célébré dans cette province a été considéré comme un engagement valide et justiciable au sens de l'article 52(1) de la Loi sur le droit de la famille [79]. Selon cette loi, des époux ou des conjoints de fait peuvent convenir de leurs obligations et droits respectifs par le biais d'un contrat de mariage ou d'un accord de cohabitation [80]. Ils peuvent prévoir comment leurs biens seront partagés en cas de séparation ainsi que régler « toute autre question relative au règlement de leurs affaires » [81].

Dans le jugement Ghaznavi, les parties avaient signé un « contrat de mariage islamique » quelques heures avant la célébration de leur union. Cet engagement était consigné dans un document pré-imprimé sur lequel les parties avaient ajouté les informations pertinentes [82]. Le mahr avait été fixé à 25 000 $ US et, selon les termes employés dans le contrat, cette somme était payable sur demande [83]. Lors de son témoignage, la demanderesse a indiqué que, conformément à la loi islamique, avant qu'un mariage ne soit consommé, l'époux devait s'engager à payer un meher {mahr). Selon les circonstances, ce paiement pouvait survenir avant le mariage ou lors de la dissolution de l'union.

Après avoir constaté que le document signé par les parties respectait les exigences imposées par la Loi sur le droit de la famille [84], le tribunal a conclu que cet engagement devait être respecté par le défendeur. Notons que, dans le cadre d'une action introduite en Arizona et plus tard abandonnée, l'ex-époux invoquait dans sa défense le caractère religieux de l'obligation afin de convaincre le tribunal de s'abstenir de se prononcer. Non repris devant l'instance ontarienne, cet argument aurait d'ailleurs eu peu de succès auprès du juge saisi. Ce dernier s'est en effet brièvement référé aux affaires Khanis et Amlani pour indiquer qu'une telle clause avait déjà été considérée justiciable [85].

Le jugement Khanis porte sur une clause en vertu de laquelle le futur époux s'était engagé à payer une somme de 20 000 $. Ladite clause précisait en outre :

[400]

I hereby agree, confirm and declare that my undertaking to pay the agreed sum of money by way of Maher to my said wife shall be in addition and without prejudice to and not in substitution of all my obligations provided for by the laws of the land[86]

Le tribunal a constaté que la jurisprudence n'avait pas toujours été constante en la matière, mais que, depuis l'arrêt Bruker, les tribunaux assuraient le respect de ces clauses si elles avaient été conclues conformément à ce que la législation provinciale exige. En Ontario, ces ententes doivent être consignées par écrit et signées devant témoins [87]. Selon la Loi sur le droit de la famille, le tribunal conserve néanmoins le pouvoir discrétionnaire d'annuler une entente ou une clause, notamment s'il appert qu'elle est abusive ou que l'une des parties n'en a pas bien saisi la nature et les conséquences [88]. Or, en l'espèce, l'entente respectait les exigences de la loi et le tribunal n'a pas estimé qu'elle devait être écartée. Sans être entièrement explicite, la clause laissait néanmoins entendre que le mahr devait être payé après la rupture et qu'il ne devait pas être soustrait des biens familiaux nets [89].

La décision rendue dans l'affaire Rashid v. Shaher se distingue des précédentes [90]. Elle concerne des Égyptiens d'origine unis par un mariage religieux célébré au Canada Un mariage civil n'aurait d'ailleurs pu avoir lieu puisque l'épouse, qui avait obtenu un divorce religieux, était toujours considérée mariée à une autre personne par les autorités civiles. Le second époux avait lui-même trois autres épouses. Suite à son décès, la succession a poursuivi la défenderesse afin de récupérer une somme de 67 000 $ qu'elle avait retirée du compte bancaire du défunt après leur séparation. Cette dernière a affirmé que, conformément à un document à l'en-tête duquel apparaît la mention « contrat de mariage », une somme de 60 000 $ lui était due à titre de mahr différé [91].

La Loi sur le droit de la famille n'était pas applicable puisque les époux n'étaient pas légalement mariés et n'avaient pas vécu ensemble suffisamment longtemps pour être qualifiés de conjoints de fait. Il n'en demeure pas moins que, comme toute autre entente, les contrats signés par les parties les liaient. Le contrat de mariage religieux prévoyait que

[...] the Dowry that has been agreed to be paid by the Groom has already been paid as down payment and the other part that is postponed is $ 40,000 Canadian and will be paid in due time in Egyptian Fund (sic)[92]

La défenderesse n'avait toutefois pas encaissé le chèque de 20 000 $ que lui avait remis son époux. Elle n'en voyait pas l'utilité à l'époque puisqu'il subvenait à ses besoins et qu'elle croyait pouvoir l'encaisser à tout moment.

Dans une seconde entente, le défunt avait réitéré son engagement de la manière suivante : « Mona can demand at any time the deferred dowry payment of $ CDN [401] 40,000 » [93]. Selon le demandeur, le mahr différé ne devait être payé que si l'époux demandait le divorce et, puisque la défenderesse avait rompu avec son époux avant son décès, elle n'y avait pas droit [94]. Cette question aurait sans doute pu faire l'objet de discussions si le demandeur avait eu recours à un expert pour soutenir sa position. Estimant que la défenderesse était un témoin crédible et s'appuyant sur les termes employés dans les documents signés par les parties, le tribunal a plutôt reconnu qu'en l'espèce, le droit de réclamer le mahr n'était assorti d'aucune condition [95].

En s'abstenant d'assimiler le mahr à une donation, les tribunaux respectent en apparence la différence de norme. Mais le font-ils entièrement ? Comme nous l'avons vu, il est possible qu'en certaines circonstances le mahr ne puisse être réclamé par l'épouse. Or, dans les décisions répertoriées, les contrats de mariage signés au Canada ne font pas mention d'éventuelles conditions d'exigibilité qui seraient fondées sur des principes religieux ou inspirées d'un texte législatif étranger. Il est vrai que les termes employés dans ces clauses ne laissent aucunement entendre qu'il faille se référer à une loi étrangère, à des principes religieux musulmans qui s'inscrivent dans une école de droit particulière ou à des pratiques coutumières. Aussi, les informations dont nous disposons ne nous permettent pas d'établir si, dans les décisions précitées, les époux avaient eu ou non l'intention d'assujettir l'obligation à certaines conditions.

CONCLUSION

Comme certains auteurs l'ont déjà mentionné, la décision rendue par la Cour suprême dans l'arrêt Bruker doit être distinguée de celles qui portent sur la justiciabilité du mahr [96]. Dans le premier cas, le tribunal devait établir si le non-respect d'un engagement contractuel, soit celui d'accorder le get, pouvait donner lieu à l'octroi de dommages-intérêts. La Cour a sanctionné le non-respect de cette obligation sans avoir à se prononcer directement sur ce qui relève de la religion. Dans le cas du mahr, engagement pouvant déjà être consigné dans un écrit, le tribunal ne doit-il pas d'abord s'interroger sur l'intention des signataires ? Souhaitaient-ils se conformer à une obligation qu'ils concevaient comme étant strictement religieuse ou avaient-ils en outre l'intention de contracter une obligation civile ? En ce dernier cas, contrairement à la situation soulevée par l'affaire Bruker, le tribunal saisi pourrait devoir statuer sur l'exigibilité du mahr d'après un ordre normatif étranger qui s'inspire de principes religieux ou qui s'y réfère directement. Une telle possibilité ne saurait toutefois être envisagée que si les parties, par le biais de leur propre témoignage et ceux d'experts, informent le tribunal des règles qui régissent leur entente et qui servent à établir si, d'après les circonstances, le mahr doit être versé ou non. En l'absence [402] d'élément d'extranéité, lorsqu'un mariage est célébré au Canada, les parties peuvent en outre insérer une clause dans leur contrat de mariage afin que les conditions d'exigibilité du mahr soient clairement identifiées [97]. Dans le cas contraire, le mahr ne peut que perdre sa spécificité et le ou les sens, culturels ou religieux, qu'il revêt pour ceux qui l'ont contracté. Sans en porter le nom, il sera en effet traité comme une donation.

LES AUTEURES

Marianne Hardy-Dussault

Candidate au doctorat
Faculté de droit, Université Laval
Courriel: marianne.hardy-dussault.l@ulaval.ca

Denise Helly

Institut national de la recherche scientifique
Courriel: denise.helly@ucs.inrs.ca


* Marianne Hardy-Dussault, avocate, LL.B. (UdeM), LL.M. (McGill), doctorante à l'Université Laval. Denise Helly, professeure à l'Institut nationale de la recherche scientifique, doctorat en anthropologie (La Sorbonne), licence de sociologie (La Sorbonne), diplôme de langue et civilisation chinoises (École nationale des langues orientales, Paris), diplôme de langue et civilisation indonésiennes (École nationale des langues orientales, Paris) ; diplôme de Sciences Politiques (Institut d'études Politiques, Lyon). Nous tenons à remercier M. Harith Al-Dabbagh et Mme Samia Amor, spécialistes en droit musulman enseignant à l'Université de Montréal.

[1] Code de la famille, art. 400, en ligne. [Code de la famille du Maroc].

[2] Bruker c. Marcovitz, [2007] 3 R.C.S. 607 [Bruker].

[3] La terminologie et l'orthographe utilisées peuvent varier. Le terme sadaq ou sadak est souvent rencontré dans la littérature pertinente, tout comme maher qui provient de l'hébreu mohar.

[4] Les pratiques familiales musulmanes selon des juges. Subvention CRSH 2007, dir. D. Helly, co-chercheurs A. Bunting (York University), F. Colom (CSIS, Madrid), A. Saris (UQAM). Nous reconnaissons le soutien financier accordé pour cette recherche par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

[5] Sur l'effacement de la différence de norme, voir Pascale Fournier, « The Erasure of Islamic Différence in Canadian and American Family Law Adjudication », (2001) 10 J.L. & Pol'y 51 [Fournier, « Erasure of Islamic Différence »].

[6] Denise Helly, Valérie Scott, Marianne Hardy-Dussault et Julie Ranger, « Droit familial et parties 'musulmanes'. Des cas de kafálah au Québec, 1997-2009 », (2011) 56 R.D. McGill 1057. La kafálah peut être définie comme une délégation d'autorité parentale, une prise en charge permanente, une protection formelle d'un mineur, orphelin ou abandonné, ou encore comme une tutelle officieuse.

[7] Durant les années 1970-80, le flux d'immigrés musulmans au Québec n'est pas significatif. Il croît à partir de 1987 (Denise Helly, « Canada : Flux migratoires des pays musulmans et discrimination de la communauté islamique » dans Ural Manço, dir., Reconaissance et discrimination : Présence de l'islam en Europe occidentale et en Amérique du Nord, Paris, L'Harmattan, 257). Présumant d'une période d'accoutumance nécessaire au système Juridique local, nous avons choisi la période de 1997 à 2010 pour compiler des causes que ces immigrants auraient pu déposer devant les tribunaux de la province.

[8] Jamal J. Ahmad Nasir, The Status of Women under Islamic Law and Modern Islamic Legislation, 3e éd., Boston, Brill Academic Publishers, 2009 à la p. 87. Si la somme n'est pas spécifiée lors du mariage, elle peut être fixée en fonction de ce que reçoivent celles qui appartiennent à la même famille (mahr-ul-mithl), ibid. à la p. 92.

[9] Judith E. Tucker, Women, Family, and Gender in Islamic Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2008 à la p. 49.

[10] Ibid.

[11] Women Living Under Muslim Laws, Knowing Our Rights : Women, Family, Laws and Customs in the Muslim World, London, WLUML, 2006 aux pp. 110 et 114-15 ; Voir par ex. Code de la famille du Maroc, supra note 1, art. 13(2).

[12] Women Living Under Muslim Laws, supra note 11 aux pp. 110 et 114-15.

[13] Pour des exemples supplémentaires des divergences rencontrées au sein des écoles de droit et de la législation adoptée par les États, voir ibid. aux pp. 182-86 ; Pascale Fournier, Muslim Marriage in Western Courts : Lost in Transplantation, Farnham, Surrey, England, 2010 à la p. 11-12 [Fournier, Muslim Marriage] ; Tucker, supra note 9 aux pp. 46-50.

[14] Katja lansen Fredriksen, « Mahr (dower) as a Bargaining Tool in a European Context : a Comparison of Dutch and Norwegian ludicial Décisions » dans Rubya Mehdi et forgen S. Nielsen, dirs., Embedding Mahr (Islamic dower) in the European Legal System, Copenhagen, D10F Publishing, 2011, 147 à la p. 151.

[15] Ibid. ; Pour un exposé des sources du droit musulman desquelles découlent cette exigence, voir Fournier, Muslim Marriage, supra note 13 aux pp. 9-11 et 153-57.

[16] Code de la famille du Maroc, supra note 1, art. 26 ; Susan Rutten, « The Struggle of Embedding the Islamic Mahr in a Western Legal System » dans RubyaMehdi et lorgen S. Nielsen, dir., Embedding Mahr (Islanic dower) in the European Legal System, Copenhagen, D10F Publishing, 2011,113 à la p. 116.

[17] Fredriksen, supra note 14 à la p. 152 ; Lindsey E. Blenkhorn, « Islamic Marriage Contracts in American Courts : Interpreting Mahr Agreements as Prenuptials and Their Effect on Muslim Women », (2002) 76 S. Cal. L. Rev. 189 à la p. 200.

[18] Women Living Under Muslim Laws, supra note 11 à la p. 179 ; Lyne Welchman, Women and Muslim Family Laws in Arab States : A Comparative Overview of Textual Development and Advocacy, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2007 à la p. 92.

[19] Droit de la famille—081820, 2008 QCCS 3443 ; Pascale Fournier, « In the (Canadian) Shadow of Islamic Law : Translating Mahr as a Bargaining Endowment », (2006) 44 Osgoode Hall LJ. 649 à la p. 666 [Fournier, « In the (Canadian) Shadow »].

[20] Pour un exposé plus détaillé des types de divorce et des variations rencontrées, voir Nasir, supra note 8 aux pp. 117 et s. ; Welchman, supra note 18 aux pp. 107 et s. ; Women Living Under Muslim Laws, supra note 11 aux pp. 243 et s. ; lohn L. Esposito et Natana J. Delong-Bas, Women in Muslim Family Law, 2e éd., Syracuse, Syracuse University Press, 2001 aux pp. 28-34 ; Tucker, supra note 9 aux pp. 86 et s.

[21] Tucker, supra note 9 à la p. 86 ; L’époux peut déléguer à sa femme le pouvoir de divorcer, voir ibid. aux pp. 91-92 ; Women Living Under Muslim Laws, supra note 11 aux pp. 267-71.

[22] Fredriksen, supra note 14 à la p. 152 ; Blenkhorn, supra note 17 aux pp. 201-202 ; Fournier, Muslim Marriage, supra note 13 à la p. 21.

[23] Women Living Under Muslim Laws, supra note 11 à la p. 262.

[24] Ibid. à la p. 263.

[25] Rutten, supra note 16 à la p. 131 ; Fournier, « In the (Canadian) Shadow », supra note 19 aux pp. 668-69.

[26] Les interprétations divergent cependant, voir Tucker, supra note 9 aux pp. 97-98 ; Esposito et Delong-Bas, supra note 20 à la p. 32.

[27] Code de la famille du Maroc, supra note 1, art. 115 ; Code de la famille de l'Algérie, art. 54, en ligne : secrétariat général du gouvernement ; Women Living Under Muslim Laws, supra note 11 à la p. 279.

[28] Code de la famille du Maroc, supra note 1, art. 120 ; Code de la famille de l'Algérie, supra note 27, art. 54 ; Women Living Under Muslim Laws, supra note 11 à la p. 279.

[29] Women Living Under Muslim Laws, supra note 11 à la p. 274 ; Esposito et Delong-Bas, supra note 20 à la p. 32.

[30] Rutten, supra note 16 à la p.131 ; Tucker, supra note 9 à la p. 98.

[31] Code de la famille du Maroc, supra note 1, art. 114 ; Code de la famille de l'Algérie, supra note 27, art. 49 ; Women Living Under Muslim Laws, supra note 11 à la p. 253.

[32] Women Living Under Muslim Laws, supra note 11 aux pp. 251 et 253.

[33] Tucker, supra note 9 aux pp. 92-95 ; Women Living Under Muslim Laws, supra note 11 aux pp. 250 et 281-90 ; Esposito et Delong-Bas, supra note 20 aux pp. 33-34.

[34] Code de la famille de l'Algérie, supra note 27, art. 53(4).

[35] Women Living Under Muslim Laws, supra note 11 à la p. 281.

[36] Voir José Woehrling, « L’obligation d'accommodement raisonnable et l'adaptation de la société à la diversité religieuse » (1998) 43 R.D. McGill 325 aux pp. 371-74.

[37] Comme nous l'avons déjà observé à l'égard de la kafálah, même lorsque la teneur du droit étranger a été prouvée, une analogie est parfois effectuée lorsque le Juge cherche à mieux saisir la nature d'une institution, voir Helly, Scott, Hardy-Dussault et Ranger, supra note 6 aux pp. 1066 et 1095-1096.

[38] Par ailleurs, le document qui atteste d'un mariage et du versement d'un mahr fait souvent office, pour les Juges canadiens, d'acte ou de certificat de mariage et de contrat de mariage même si, en droit interne, l'acte et le contrat de mariage sont distincts.

[39] Art. 2809 C.c.Q. ; Il en est essentiellement de même en common law, voir Janet Walker et Jean-Gabriel Castel, Canadian Conflict of Laws, 6e éd., vol. 2, feuilles mobiles, Markham, Ont., LexisNexis, 2005 aux para. 7.1-7.4.

[40] Walker et Castel, supra note 39 aux para. 7.1 et 7.3 ; Ali v. Ahmad, [2002] W.D.EL. 183 au para. 9 (Ont. Sup. Ct.).

[41] Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005 à la p. 27. Si cette preuve doit être faite par le biais d'un témoignage provenant d'un expert dans l'ensemble des provinces, au Québec, elle peut aussi provenir d'un certificat émanant d'un Jurisconsulte, art. 2809 C.c.Q. ; Walker et Castel, supra note 39 au para. 7.3.

[42] Voir généralement H.C. c. M.G., J.E. 2002-1703 (C.S.).

[43] Ibid.

[44] Droit de la famille 07176, 2007 QCCS 370.

[45] Le pays n'a pas été divulgué.

[46] Droit de la famille 07176, supra note 44 au para. 78 (nos italiques).

[47] Droit de la famille—10717, 2010 QCCS 1342.

[48] Ibid. au para. 54.

[49] Ibid. aux para. 57-58. Un Jugement rendu en Iran lui avait accordé la moitié du mahr, soit 500 pièces d'or. L’époux ne lui avait cependant versé que 100 pièces. Faute de preuve suffisante, ladite décision n'a pu être reconnue, raison pour laquelle cette réclamation a de nouveau été faite au Québec.

[50] Ibid. au para. 75.

[51] Droit de la famille—12651, 2012 QCCS 1208.

[52] Ibid. au para. 58.

[53] La méconnaissance de la culture concernée peut aussi conduire un avocat à s'abstenir de s'enquérir des attentes ou des craintes de sa cliente, voir Jocelyne Jarry, « Le contexte social dans l'exercice du  droit de la famille » dans Collection de droit 2012-2013, École du Barreau du Québec, vol. 3, Personnes, famille et successions, Cowansville, Yvon Biais, 2012, 85 aux pp. 115-16.

[54] Droit de la famille—081820, supra note 19.

[55] Droit de la famille—1466, [1991] R.D.E492 (C.A.).

[56] M.F. c. M.A.A., [2002] J.Q. n° 2690 (C.S.) (Q.L.).

[57] Ibid. au para. 7 « Musulman contract of marriage ».

[58] Ibid. au para. 7.

[59] Ibid. au para. 32.

[60] Pascale Fournier, « Transit and Translation : Islamic Lwgal Transplants in North America and Western Europe », (2009) 4, Journal of Comparative Law, 1 aux pp. 33-34 ; Droit de la famille 07176, supra note 44. Dans cette décision, rappelons-le, le mahr avait cependant été appréhendé comme une donation entre vifs puisque les parties s’étaient abstenues d’établir la teneur de la loi étrangère.

[61] Kanan v. Kanan, 2003 CarswellOnt 2014 (Ont. Sup. Ct).

[62] Ibid. au para. 3.

[63] Ibid. au para. 19.

[64] Natasha Bakht, « Were Muslim Barbarians Really Knocking On the Gates of Ontario ? : The Religious Arbitration Controversy—Another Perspective », (2006) 40e anniversaire R.D. Ottawa 67 à la p. 74.

[65] Kaddoura v. Hammoud (1998), 168 D.L.R. (4th) 503 (Ont. Ct. J) [Kaddoura].

[66] Loi sur le droit de la famille, L.R.0.1990, c. F.3, art. 52(1).

[67] Kaddoura, supra note 65 aux para. 24-25.

[68] Ibid. aux para. 12-14.

[69] Ibid. au para. 14.

[70] Ibid. au para. 27.

[71] Ibid. aux para. 26 et 28. Dans une décision subséquente concernant les dépens, le Juge a critiqué l'attitude de l’ex-époux qui s’était engagé à se soumettre à une pratique religieuse pour ensuite se dédire : « While I drew a boundary between a debt enforceable in civil law and the obligation of the mahr, it nonetheless seems to me somewhat offensive and dishonourable on the part of Mr. Kaddoura, to knowingly participate in the wedding customs and practices of his Muslim community, including the mahr which he clearly knew included a "written" or deferred amount of $30,000, and then eschew those customs and practices when they worked to his financial detriment. », Kaddoura v. Hammoud, 1999 CarswellOnt 191 au para. 6 (Ont. Ct. J).

[72] Loi sur le droit de la famille, supra note 66, art. 52 ; Voir aussi Fournier, « Erasure of Islamic Difference », supra note 5 aux pp. 61-62.

[73] Bruker, supra note 2.

[74] Ibid. au para. 41.

[75] Considérant que la liberté individuelle et plus spécifiquement la liberté de religion s'opposent à ce que l’exécution en nature soit ordonnée, seul l'octroi de dommages pouvait être envisagé.

[76] Nathoo v. Nathoo, (1996) 68 A.C.W.S. (3d) 487 au para. 25 [Nathoo].

[77] Delvarani v. Delvarani, 2012 BCSC 162 aux para. 201-202 et 209-210 ; N.M.M. v. N.S.M., 2004 BCSC 346 ; Arnlani v. Hirani, 2000 BCSC 1653 ; Nathoo, supra note 76. Dans l'affaire Delvarani, la preuve a conduit le tribunal à conclure que la clause faisant référence au mahr avait probablement été ajoutée après la signature de l'entente et que l'époux n'avait donc pas consenti. Subsidiairement, le tribunal l'aurait écarté. Considérant en particulier la somme en jeu et la courte durée du mariage, le Juge a estimé que la clause n'était pas équitable. Deux décisions rendues respectivement au Nouveau-Brunswick et en Alberta reconnaissent aussi la nature contractuelle de cet engagement. Mais dans les deux cas, l'exécution n'a pu être ordonnée puisque les exigences requises par la loi n'avaient pas été entièrement satisfaites, voir M.A.K. v. E.I.B., 2008 NBBR 249 ; Nasin v. Nasin, 2008 ABQB 219.

[78] Ghaznavi v. Kashif-Ul-Haque, 2011 ONSC 4062 [Ghaznavi] ; Rashid v. Shaher, 2010 ONSC 4351 [Rashid] ; Khanis v. Noormohamed, (2009) 177A.C.W.S. (3d) 446 [Khanis (2009)], conf. par 2011 ONCA 127.

[79] Loi sur le droit de la famille, supra note 66.

[80] Ibid. art. 52(1) et 53(1)

[81] Ibid., art. 52(l)(d) et 53(l)(d).

[82] Le Conseil canadien des femmes musulmanes diffuse un exemple type de contrat de mariage qui cherche à prendre en compte certaines exigences religieuses ou culturelles tout en respectant la législation canadienne.

[83] Ghaznavi, supra note 78 au para. 7

[84] Loi sur le droit de la famille, supra note 66, art. 52(l)(d).

[85] Ghaznavi, supra note 78 aux para. 21-22.

[86] Khanis (2009), supra note 78 au para. 21.

[87] Loi sur le droit de la famille, supra note 66, art. 55(1).

[88] Ibid., art. 33(4) et 56(4).

[89] Khanis (2009), supra note 78 au para. 74 ; Voir aussi Loi sur le droit de la famille, supra note 66, art. 4(2)6.

[90] Rashid supra note 78.

[91] Mahr différé qu'elle désigne par le terme moakhr. Rashid supra note 78 au para. 32.

[92] Rashid, supra note 78 au para. 32.

[93] Ibid. au para. 149.

[94] Ibid. au para. 140.

[95] En ce qui concerne la somme retirée du compte bancaire, le Juge a estimé que la défenderesse ne devait remettre à la succession qu’environ 27 000 $.

[96] Bruker, supra note 2 ; Philip Epstein et Lene Madsen, « Epstein and Madsen's This Week in Family Law », Family Law Newsletters 2008-21 (Carswell).

[97] Ce qui est d'ordre public doit cependant être respecté, exigence dont fait mention le contrat type du Conseil canadien des femmes musulmanes, voir supra note 82.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 28 octobre 2014 18:16
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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