RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Denise Helly, “LES LIMITES DE LA NOTION DE COHÉSION SOCIALE.” Un article publié dans The Tocqueville Review / La Revue Tocqueville, vol. 23, no 1, 2002. [Autorisation formelle accordée le 21 janvier 2008 par l’auteure de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Denise Helly

Anthropologue, chercheure, INRS culture - société 

Les limites de la notion de cohésion sociale”. 

Un article publié dans The Tocqueville Review / La Revue Tocqueville, vol. 23, no 1, 2002.
 

Introduction : les thèmes de la cohésion sociale
 
Participation et démocratisation : gestion de tensions ou luttes politiques ?
 
Le capital social
 
Confiance, réciprocité et coopération
Capital social et réseau
 
Lien sociétal ou sens d’appartenance sociétale ?
 
 
Conclusion
 
Références bibliographiques

 

Introduction :
Les thèmes de la cohésion sociale

 

La notion de cohésion sociale véhicule la représentation d’une société moderne comme d’une entité intégrée et inclusive, d’une communauté, où l’égoïsme individualiste et les affrontements sociaux constituent des situations anormales, négatives. Trois processus principaux sont censés permettre d’atteindre l’inclusion et la paix sociales posées en normes : 1. participation de tous aux décisions politiques ou démocratisation, notamment locale, pour faire face aux failles de la démocratie représentative et de la bureaucratie étatique  ; 2. valorisation des idées d’intérêt général, de partage de valeurs et d’un sens de communauté et de solidarité par les membres d’une société ; 3. réactivation des interactions sociales basées sur la confiance et la réciprocité au sein de la société civile. Ces processus doivent permettre une négociation pacifique entre intérêts divergents, une redistribution équitable des richesses et l’annulation des situations d’anomie ou, selon le vocabulaire contemporain, d’exclusion, autant de facteurs dits à la base de la cohésion sociale. Ils seraient, ainsi, à même d’endiguer, sinon de stopper, une « dérive » des sociétés actuelles vers une fragmentation en communautés et individus atomisés. 

Ces trois thèmes, revitalisation du sens du bien commun, esprit de communauté, démocratisation et responsabilité sociale de chacun, sont mis en avant avec force à partir du début des années 1990 dans les discours des États de l’OCDE [1]. Ces discours invoquent pour leur légitimité une perte de cohésion sociale sous l’effet de multiples facteurs créés ou accentués par la mondialisation [2] des marchés et de la production : nouvelles exigences du marché du travail (hausse des qualifications, flexibilité accrue de la main d’œuvre), poussée d’inégalités socio-économiques et polarisation sociale, et changement des mentalités et des manières de faire [3]. Cette argumentation passe sous silence le rôle des États sur ces évolutions depuis trente ans [4]. 

Pour comprendre, à notre sens, la notion de cohésion sociale divulguée durant les années 1990, il faut examiner les trois concepts sur lesquels elle s’appuie, ceux du conflit politique, du capital social et de l’appartenance, et en observer les implications.

 

Participation et démocratisation :
gestion de tensions ou luttes politiques ?

 

Une préoccupation anime les discours invoquant la perte de cohésion sociale dans les sociétés actuelles: comment mobiliser les individus en faveur des transformations structurelles économiques, sociales et culturelles induites par la mondialisation ? En d’autres mots, comment faire pour qu’ils acquièrent la conscience de participer à ces transformations et d’en être responsables et partie prenante ? Cette question opère un retournement de la réalité sociale et politique en invoquant un problème de changement d’attitudes et de mentalités. En effet, vu les conflits d’intérêts entre les catégories sociales selon leur position dans les rapports de pouvoir économiques et politiques, la recherche d’une solution semblerait la prise en compte des fondements plus structurels que personnels des inégalités et non une tentative de fomentation d’intérêts, de valeurs et de points de vue communs (Mouffe, 1993). Pourtant, deux messages sont transmis pour recréer la cohésion sociale menacée. 

Des facteurs individuels, dont une socialisation, familiale, scolaire, locale, l’insertion dans des milieux de vie fermés ou encore un individualisme exagéré expliqueraient des comportements négatifs pour la société et les individus (décrochage scolaire, inscription à l’aide sociale, délinquance, violence urbaine, etc.) ou des revendications excessives et la judiciarisation croissante des demandes de droits. Cette insistance sur les facteurs individuels, quand bien même ceux-ci paraissent-ils sociologisés par la référence à des conditions de vie et de socialisation, construit l’image, parfois critiquée [5], d’une société formée d’un centre composé d’individus performants et de marges formées d’individus non performants. Par contre, l’image d’une société stratifiée par des inégalités structurelles est inexistante et de nouvelles mesures de justice sociale et d’équité décrites comme irréalistes vu les moyens financiers de l’État. Une responsabilité d’insertion sociale, surtout socio-économique, est plutôt demandée aux individus aux prises avec le chômage, la précarité d’emploi et des handicaps d’apprentissage, familiaux ou autres. 

Ce faisant, les gouvernements actuels des pays de l’OCDE, majoritairement d’orientation social-démocrate, envisagent les inégalités sociales en définissant des populations à risque, inaptes à faire preuve d’une performance économique et sociale sans assistance de fonds publics. La communalité sociétale posée en norme n’a point pour but de réduire les risques encourus par ces populations, mais plutôt de les convaincre de changer leurs comportements. Cet esprit nouveau est incarné par les programmes d’employabilité adoptés durant les années 1990 dans nombre de pays (White, 2001a), dont, par exemple, les programmes de parcours d’insertion pour les jeunes chômeurs (Québec, France, Grande-Bretagne, municipalités italiennes). 

Un second message incontournable de ces discours est la réforme des politiques publiques en vue d’une démocratisation. Une démocratisation conçue comme un partenariat entre acteurs publics et privés (groupes sociaux, particuliers, ONG, etc.) prenant la forme d’une participation au contrôle de leurs conditions de vie par les citoyens. Cette participation de la société civile à la gestion publique est dite impérative au nom d’une responsabilité des individus à l’égard de leur société et d’une efficacité accrue des politiques publiques quand elles prennent en compte les réalités locales, catégorielles, particulières. Elle est défendue au nom d’une citoyenneté active et responsable [6], c’est-à-dire ne consistant pas simplement en la jouissance des libertés fondamentales et des droits sociaux, en l’obéissance aux lois et le versement d’impôts, mais encore en un sens d’obligations sociales, de dette sociale de tout un chacun. Ce message s’adresse surtout aux défavorisés mais aussi aux grandes entreprises (protection de l’environnement, formation professionnelle, plans sociaux contre les licenciements en France en 2001 [7]). 

Les thèmes de la communauté, de la démocratisation et de la participation active et responsable des citoyens ont donné lieu à une dévolution par les instances publiques de certaines de leurs responsabilités sociales à des acteurs privés, généralement des ONG, au Canada et ailleurs [8]. Le secteur associatif comme représentant de « communau­tés » en a été érigé en un adjuvant de l’action publique sous l’égide de l’État. Pour exemple, au Canada, les ONG voient désormais les subventions publiques qui leur sont accordées, assujetties à de nouveaux critères et contrôles. La clientèle spécifique qu’ils doivent desservir, les objectifs de leur action et les résultats qu’ils doivent atteindre, sont définis par des instances publiques et ils semblent se transformer en agences de sous-traitance de services étatiques et municipaux auprès de populations ciblées par ces services. Les ONG sont pourtant censés, comme acteurs de la société civile, représenter les intérêts et demandes de groupes, tels que des minorités, des récipiendaires de prestations sociales, des familles monoparentales, des résidents de quartier, etc., et répondre aux besoins mis de l’avant par ceux-ci et non par une instance publique. 

Par la décentralisation de gestion qu’implique leur nouveau rôle, les ONG peuvent certes se réapproprier des dossiers concernant le cadre de vie de populations qu’ils représentent, mais sont-ils désormais à même de transmettre aux instances politiques les demandes et besoins de ces populations ? La nouvelle forme de leurs liens financiers avec des instances publiques ne les induit-elle pas à se rapprocher de celles-ci et à considérer les citoyens comme de simples usagers, utilisateurs de services et non comme des partenaires lors de prises de décision les concernant (Germain, Morin et Sénécal, 2001 ; White, 2001b) ? N’induit-elle pas une recherche de coopération plus que de débat et de confrontation de la part des dirigeants d’ONG contraints de porter attention à la permanence de leur financement public ? Au mieux, on se trouve face à une dynamique ambivalente, une forme de «collaboration conflictuelle», car les ONG ne veulent, ni ne peuvent perdre toute autonomie face aux instances politiques (Germain et al., idem), au pire face à une annulation des contestations pouvant provenir de la société civile à travers des ONG. 

Une fraction significative de la société civile et de son autonomie semble soit réduite, soit assujettie à un contrôle étatique ; la société civile est instrumentalisée en vue d’un renforcement d’un lien social défini par l’État, alors que la société civile devrait demeurer une source de contre-pouvoirs. Par ailleurs, vu l’importance des tâches de gestion administrative requise par ce nouveau rôle des ONG, leur bureaucratisation s’ensuit. Ces deux évolutions sont justifiées au nom d’une utilisation efficace et rationnelle de fonds publics. L’État n’apparaît pas dès lors l’agent de l’activation d’une participation plus active des citoyens aux décisions les concernant mais l’agent d’une définition comptable de l’intérêt général.  

La conception du politique avancée dans ce message de démocratisation est le point à examiner. Elle est celle d’un partage plus égalitaire du pouvoir par une participation accrue des individus à la gestion de déficits sociaux, mais non aux prises de décision sur des réformes structurelles pouvant réduire ces déficits. Aussi, parler d’une communauté sociétale égalitaire apparaît-il fallacieux et inefficace tant que les fondements structurels de l’inégalité sociale et politique ne sont pas abordés, et le déni d’égalité à l’exercice du pouvoir ne paraît pas pouvoir se résoudre par une responsabilisation des citoyens de leurs conditions de vie locales sous l’égide de l’État. 

Pareil projet relève, comme écrivent Rancière (1995) ou Walzer (1984), de l’administration de tensions sociales mais non du politique, c’est-à-dire de la capacité de tous d’y participer et de transformer les rapports de pouvoir qui se reconstruisent sans cesse. Cette reproduction des inégalités a été plus que souvent pointée et des auteurs universitaires considèrent même la citoyenneté, principe au coeur de ces démocraties, comme essentiellement discriminatoire (Okin, 1979 ; Pateman, 1988 ; Wallerstein, 1995). 

Le fossé entre égalité formelle et réelle, entre précepte universaliste et fondements des inégalités, a toujours été actif dans l’histoire moderne et le principe de l’égalité de chacun n’a été respecté qu’à la suite de réclamations, souvent violentes. Ceux qui ne possèdent que la liberté et l’égalité comme qualités et non la richesse, le pouvoir ou l’influence, se retrouvent effacés de la scène démocratique. Le politique est litige sur la question de l’égalité et un acte politique ne peut être qu’un acte « de rupture de la logique de domination selon laquelle les uns ont vocation à gouverner » (Rancière, 1995 : 85) ; le politique n’existe que lorsqu’un groupe fait la démonstration de l’injustice qu’il connaît et se place en position d’égalité avec ceux que telle injustice n’atteint pas. Ce fut le cas lorsque les femmes posèrent la question de savoir si le travail domestique ou la maternité étaient affaire privée ou sociale, lorsque les Noirs américains se déclarèrent des citoyens à part entière ou encore quand les prolétaires montrèrent au long du XIXe siècle et après, leur absence dans la définition du dit bien commun dans les sociétés démocratiques. C’est le cas actuellement lorsque des mouvements de contestation de la mondialisation gênent la tenue des forums de l’OMC. Ce pourrait être le cas des chômeurs et des prestataires de l’aide sociale s’ils contestaient avec force et mobilisation leur statut, la réduction de leurs droits acquis et les programmes de redressement de leurs comportements qui ne leur permettent pas de regagner de manière permanente et satisfaisante le marché du travail. 

Les discours sur la cohésion sociale ne visent pas des prises de parole contestataires et une mutation égalitaire des rapports de pouvoir mais une main d’œuvre plus nombreuse, performante et mobile et une réduction des coûts des programmes sociaux [9]. Individualisation et psychologisation des facteurs d’une insertion socio-économique jugée déficiente et demande de collaboration responsable à l’application de mesures étatiques deviennent les moyens d’atteindre ces objectifs.

 

Le capital social

 

Confiance, réciprocité et coopération

 

Cette vision de la démocratisation, source d’une meilleure cohésion sociale, non par une contestation et une transformation de rapports inégalitaires mais par la participation à des communautés de vie, de résidence, de valeurs, repose sur une conception de la coopération au sein d’une société. La notion de capital social est au centre de cette conception et un objet d’attention des instances de gouvernance autant internationales (Banque mondiale) que locales (municipalités). Le capital social permettrait en effet d’accroître la participation à la vie politique, d’enraciner un meilleur gouvernement et de résoudre des problèmes tels que la pauvreté, la délinquance ou le sous-développement économique. 

Le concept de capital social veut rendre compte des fondements de l’action collective et de la coopération entre individus anonymes (Axelrod, 1984 ; Coleman, 1990). Il est défini comme l’attitude de confiance qu’une personne développe vis-à-vis d’autres qui ne lui sont pas familières, une attitude qui l’induirait à établir des relations de réciprocité, de collaboration, de coopération sociale (Levi, 1996 ; Boix et Posner, 1998 ; Newton, 1997 [10]). 

Ce concept pose un premier problème : comment un individu acquiert-il un capital social ou, en d’autres mots, comment apparaissent la confiance et la coopération entre individus anonymes, que ce soit au sein de regroupements formalisés ou de réseaux ? 

Quand on parle de coopération au sein de regroupements formalisés ayant un objectif politique et produisant un bien collectif, comme des assemblées gérant des questions locales ou des associations de parents, de résidents, de chômeurs, de défense de l’environnement, etc., on ne peut que rappeler la figure du free-rider (gain gratuit), soit l’individu qui perçoit pouvoir profiter des acquis obtenus par de tels regroupements sans en être membre. Il s’ensuit que dans ces cas la confiance et la coopération facilitent peut-être le regroupement pour défendre un intérêt mais ne fondent pas celui-ci. Dans le cas de coopération produisant un bien privé (clubs de loisirs, églises, etc.), la figure du free-rider n’a pas sa place, mais ce n’est nullement la confiance qui motive les individus à se réunir mais la recherche d’une satisfaction personnelle. La question de l’origine du capital social demeure. 

Si le capital social n’est pas lié mécaniquement à la participation à un regroupement ou à un réseau, à un calcul d’intérêt, à la crainte d’une sanction d’une tierce partie, comment se forme-t-il ? La croyance en la possible réciprocité des autres et la capacité d’appré­ciation d’une telle réciprocité seraient-elles des attitudes individuelles reposant sur une capacité relationnelle acquise par socialisation primaire mais aussi par socialisation secondaire, par expérience (Hardin, 1993) ? La nature des relations sociales connues ou perçues, passées et présentes, pourrait jouer un rôle puisque les relations sociales ne sont pas développées par des individus a-historiques, abstraits, sans mémoire, ni intérêt. 

Si l’on ne voit pas comment un gouvernement agirait efficacement pour changer des processus de socialisation primaire portant à une attitude de méfiance envers tout anonyme, l’expérience sociale des individus ressort quelque peu de son intervention. Pourtant, le débat sur cohésion sociale et capital social n’est pas envisagé en ces termes et une hypothèse est soutenue : la présence de fort capital social au sein de la société civile et un « bon gouvernement » sont liés. En effet, si les individus se coalisent pour surveiller et sanctionner les politiques et mesures publiques, une meilleure gestion gouvernementale serait assurée. 

Première question : comment une coopération accrue au sein de la société civile engendrerait-elle un bon gouvernement, soit son efficacité, son moindre coût et sa représentativité ? Ou selon les termes de Levi (1996 : 49), comment assure-t-elle qu’un grand nombre de citoyens participe à la défense de leurs intérêts, résolve le problème des free riders, se coalise et s’organise pour sanctionner les actions d’un gouvernement ? 

Ne faut-il pas redresser la réalité et s’interroger sur les conditions sociologiques du manque de coalition et de coopération regretté ? Un des facteurs supposé est le manque d’intérêt des individus à la vie politique et publique. Dans ce cas, les institutions politiques elles-mêmes (élections périodiques, démocratie représentative), la couverture de la vie politique par les médias, les modes d’action des politiciens et d’autres facteurs à envisager ne conduiraient-ils pas à ce manque ? Levi (1996) rappelle que les politiciens mobilisent plus actuellement des clientèles électorales particulières que de large échelle et que cette pratique est en partie à l’origine d’une moindre participation électorale et politique. 

Seconde question proche de la précédente : la coopération au sein de la société civile a-t-elle toujours un impact social positif  ? Comment croire que ses manifestations ne puissent pas être égoïstes, voire anti-démocratiques, et nullement viser l’intérêt général  ? Aux propositions postulant une fonction civique ou citoyenne de la participation active, associative ou politique, on peut objecter que les associations ou les assemblées du peuple locales ne sont pas forcément des écoles de vertu civique mais éventuellement des écoles de conformisme, d’autoritarisme et d’intolérance, des lieux de retrait souhaité de la collectivité ou des lieux où prévalent des coalitions d’intérêts égoïstes. 

Selon une idée défendue depuis les années 1980 par des politologues américains, l’appartenance et la participation active à des associations de toutes vocations (de loisirs, culturelles, religieuses, caritatives, etc.: Walzer, 1974, 1980, 1984) ou à des assemblées politiques, surtout locales (Barber, 1984), favoriseraient l’apparition d’un sentiment de confiance, d’un sens de la responsabilité et du bien commun chez les individus, une idée illustrée par Putnam (Putnam et al.,1973 ; Putnam, 2000). Du point de vue de Barber, les assemblées locales comme les forums régionaux et nationaux constitueraient des instances enracinant une « démocratie forte » ou participatory democracy, soit un sens de communauté non consensuelle ou conformiste mais amicale, car construite sur le conflit, la différence et le différend. Elles transformeraient des individus solitaires et égoïstes en citoyens responsables acceptant de discuter leurs désaccords et prenant conscience de la supériorité des questions collectives sur leurs préoccupations individuelles [11]. Mais Walzer (1992 : 106-107) et Barber (1984 : 227) retiennent le principe du respect obligé des libertés individuelles et la nécessité d’interventions de l’État pour réformer les associations ou assemblées trop autoritaires ou inégalitaires. La participation dite bénéfique à l’intérêt général impliquerait une correction « citoyenne » par l’État des activités d’organisations de la société civile. 

Enfin, troisième question : la coopération entre inégaux est-elle un fait assuré ? Des individus au pouvoir et statut inégaux peuvent se regrouper sur la base d’un objectif commun, le plus souvent particulier, politique ou personnel (défense d’intérêts catégoriels, plaisir trouvé dans un loisir, similarité de moeurs ou valeurs). Comment changer d’échelle et penser que cette coalition s’appliquerait à un objectif sociétal commun et tendrait à défendre un intérêt général ? Une coopération accrue entre citoyens pourrait plutôt donner lieu à une multiplication de groupes d’intérêts particuliers. 

Vu la définition du capital social et la valeur centrale de l’égalité dans le discours démocratique, la coopération entre inégaux semble reposer sur le fait que les attentes de réciprocité et de respect de l’égalité soient comblées. Réelle équité et réduction des inégalités par des politiques publiques apparaîtraient plus sources de relations de confiance entre citoyens qu’une coopération accrue entre ces derniers dont les objectifs peuvent varier. Les mesures et programmes étatiques visant une égalité réelle et non formelle, une reconnaissance symbolique de tous et une participation effective aux décisions politiques sont en cause. 

Pour donner un exemple, dans le cas des minorités ethniques, il suffit de penser aux interventions pouvant transformer leur expérience sociale ou leur perception de l’expérience sociale de semblables : lutte crédible contre les discriminations, programmes d’action positive d’envergure dans les secteurs privé et public, politiques ouvertes d’immigration, notamment d’asile politique, programmes suffisants d’insertion linguistique, validation équitable des diplômes et des expériences de travail à l’étranger, conditions d’acquisition de la citoyenneté. 

Comment en effet imaginer que des inégaux partagent équitablement ? Par adhésion des catégories sociales les mieux nanties aux valeurs d’égalité, de charité, d’humanisme ? L’histoire moderne semble encore une fois dire que le conflit ou la nécessité de concessions des catégories sociales les plus nanties pour maintenir leurs acquis ont été les facteurs de la mise en œuvre de mesures plus égalitaires, dont l’État a été l’agent. 

Autre aspect de la question, comment changer des perceptions de non-coopération ancrées ? Levi (1996: 48) rappelle, par exemple, que nombre de francophones canadiens estiment que quoi que promette le gouvernement fédéral, il ne tiendra pas ses promesses. Un sursaut de coopération sociale et de participation politique de ces francophones changerait-il cette perception ? On pourrait penser le contraire. Plus de coopération de la part de Canadiens militant pour une sécession du Québec renforcerait-elle un « bon gouvernement » canadien et la cohésion sociale du Canada ? 

Dans le cas de l’étude de Putnam (Putnam et al.,1973) si souvent citée sur les fondements d’un bon «gouvernement» en Italie, est-ce la participation dense à des associations et clubs qui explique le développement économique plus avancé et le sens de l’égalitarisme des populations du Nord de ce pays, ou les rapports politiques entre les régions Nord et Sud et leur histoire particulière (Boix et Posner, 1998 : 687 ; Sabetti, 2000) ? Nombre d’Italiens vivant dans le Mezzogiorno ont une perception négative du pouvoir des régions du Nord ancrée dans une interprétation de leur histoire avec le pouvoir central. 

Ni Putnam, ni Fukuyama (1995) n’offrent de pistes de réponse à ces questions ; les solutions selon eux demeurent un sursaut de coopération au sein de la société civile. Pour expliquer le déclin de participation associative qu’il dit observer aux États Unis (1995, 1996, 1999), une idée contestée (Ladd, 1996 ; Paxton, 1999 ; Forsé, 2001), Putnam invoque un manque de volonté politique et l’impact négatif de nouveaux comportements et modes de vie, au premier chef l’écoute de télévision. Selon lui, une aide financière de l’État au réseau associatif, sa promotion de l’entraide et la création d’un corps d’animateurs sociaux pourraient accroître la participation et la coopération sociales défaillantes. À noter dès lors que l’enjeu du débat sur capital social, bon gouvernement et cohésion sociale semblerait le rôle de l’État.

 

Capital social et réseau

 

Les discours sur la cohésion sociale ignorent d’autres problèmes ou limites de la coopération en réduisant souvent la notion de capital social à la confiance et à la coopération au sein de réseaux ou de faisceaux de relations sociales, l’un et l’autre vus sous l’angle de leur utilité à l’insertion sociale d’une personne (accès à un emploi, aide lors d’évènements critiques, performance économique, santé, bien-être). Cette vision donne lieu à une valorisation de la notion de mise en réseau (connectedness) considérée un indicateur de l’apparition de la notion d’intérêt collectif ou, pour le moins, de responsabilité sociale. Elle donne lieu à la valorisation de la multiplication des inscriptions d’un individu dans des réseaux, car plus forte serait cette forme de sa coopération, plus forte serait sa protection contre des risques. 

Exemple significatif : des enquêtes ont été lancées pour savoir pourquoi dans des quartiers défavorisés, notamment certains ghettos noirs aux États Unis, les taux de délinquance et de criminalité étaient moins élevés. Selon l’une d’elles très publicisée et exemplaire [12] (Sampson, Earls, Raudensbusch, 1997), il fut trouvé qu’un contrôle social informel y était exercé par les résidents (surveillance des rues, entraide) en raison de relations de confiance qu’ils avaient construites entre eux, sans que l’on sache comment ces relations se sont constituées. Autre exemple souvent cité de l’efficacité de l’insertion dans un réseau : les personnes en bonne santé ont plus d’amis. Certes, mais que signifie sociologiquement ce lien si un gouvernement veut intervenir pour assurer un meilleur état de santé de la population ? Un rapport de l’OCDE (2001) expose à ce propos :

 

Human capital – skills and knowledge- and social capital – networks and shared values that encourage social co-operation- are closely linked to each other and to well-being. Better education goes with better health: more educated people smoke less, take more exercise and are less likely to be overweight (people take 17 minutes more exercise a week for each extra year of schooling). Education seems to go with greater happiness, although social ties and good health are even more important. These, too, are connected: old people without friends or relatives appear to have a higher risk of developing dementia or Alzheimer’s disease. (…) Higher education goes with more volunteering and social participation and social and civic involvement appears to be stable or rising in most OCDE countries.

 

La question de l’origine du capital social et de sa reproduction réapparaît comme lors de l’examen de la coopération au sein de regroupements formalisés. Dans ce cas, les réponses sont relativement claires (Charbonneau et Turcotte, 2002). La capacité de créer du capital social et de s’insérer dans des réseaux est un savoir et une disposition personnels acquis par socialisation primaire principalement (Jones, 1985 ; Montgomery et al., 1991 ; Nurmi et al., 1997). En outre, la perception de disposer d’un réseau a une influence aussi, sinon, plus grande que la réalité objective du réseau (Cutrona, 1986). Dans ces conditions, toute mesure visant à multiplier les interactions d’un individu avec d’autres en vue, par exemple, d’une meilleure insertion au marché du travail, est peu efficace. 

Autre conclusion tirée par Forsé (2001) à la suite d’une revue de la littérature en la matière : le capital social est redondant de l’origine sociale. À la suite des travaux connus de Granovetter (1982) sur les liens faibles, c’est-à-dire avec des non proches, comme source de capital social, et d’une enquête montrant que les liens faibles donnent plus aisément accès à un emploi de statut supérieur, Lin (1982) a proposé une lecture : les liens faibles lient des milieux et personnes de statut social différent alors que les liens forts sont tissés entre des individus de mêmes milieu et statut. Les premiers, à la différence des seconds, peuvent modifier une structure hiérarchique et accroître le statut social d’une personne. 

Forsé (2001 : 196) pose une question : si le capital social a un effet sur le statut social atteint, constitue-t-il une ressource en soi ou redouble-t-il les effets de l’origine sociale ? L’analyse de l’enquête «Emploi» de l’INSEE de 1998 qui incluait une question sur le réseau de recherche d’un emploi, permet à cet auteur de répondre. 36.4% des 10.901 répondants de tout âge avaient eu recours à des démarches personnelles (envoi de CV, petites annonces), 18.1% à l’ANPE [13], 17.5% à des non proches (collègues, voisins, amis, etc.), 5.5% à des apparentés et 4.3 % à l’école. Il ressort de analyse que si l’utilisation du capital social est un fait de toutes les catégories socio-professionnelles et sociales, les personnes de milieux moins favorisés et de niveau scolaire bas recourent principalement à des apparentés et obtiennent des emplois de position inférieure. Leur recours à des liens faibles n’est pas plus efficace. Dans ces conditions, si plus d’égalité et de performance sociale et économique sont visées, la tâche d’un gouvernement serait d’accroître le capital humain, scolarisation et formation permanente. 

 

Lien sociétal
ou sens d’appartenance sociétale ?

 

Fomenter un sens de communalité et d’appartenance sociétales est un autre thème majeur des discours sur la cohésion sociale. Sur ce point, les discours gouvernementaux des États de l’OCDE, notamment du gouvernement canadien [14], mettent l’accent sur la nécessité d’une loyauté de tous à l’État, d’un sens d’appartenance au pays et d’un partage de valeurs communes. 

Le lien collectif dans des sociétés démocratiques actuelles peut prendre actuellement quatre formes principales (Helly et van Schendel, 2001) : 

a) Le lien juridico-politique, citoyen. La citoyenneté ou la jouissance de l’égalité politique et des libertés fondamentales a longtemps été considérée une forme première du lien collectif en système démocratique moderne. Selon les théories philosophiques libérale et républicaine, faire partie d’une société, c’est participer de l’État, instance de représentation de l’intérêt général et de protection de l’égalité des droits politiques et des libertés de chacun. Aussi, chaque État est-il apprécié différemment selon les particularités de son régime politique et juridique (systèmes parlementaire ou présidentiel, État centralisé ou fédéral, Charte des droits et des libertés de la personne, Bill of Rights, présence d’une Cour suprême, etc.). 

b) Le lien étatique, soit l'attachement à un État en raison de ses politiques toujours particulières, économique, de l’emploi, scolaire, sociale, fiscale, internationale, culturelle, etc.. Ce lien demeure efficace, car la mondialisation économique et financière ne réduit pas à néant les marges d’action des États et l’affirmation selon laquelle la mondialisation annulerait leur capacité d’action particulière est récusée par des économistes (Krugman, ibid. ; Boyer et Drache, 1996 ; Bairoch, 1996 ; Cohen, 1996) [15]. De plus, alors qu’on assiste depuis les années 1980 à une réorientation plutôt qu’à une réduction du rôle de l’État en matière sociale vu le pourcentage similaire ou croissant des dépenses sociales dans les budgets publics, des auteurs (Frieden, 1991 ; Sassen, 1996) montrent combien les multinationales dépendent des politiques nationales et combien les États participent activement à la mondialisation économique par leurs politiques d’investissement, de flexibilité du marché du travail, d’innovation technologique, de fiscalité, de privatisation et d’aide aux méga-fusions et aux grandes entreprises (Helly, 2000a). Pareillement, les débats dans l’Union Européenne sur l’harmonisation des politiques sociales, fiscales, d’immigration et autres montrent combien les États ont encore une capacité de résistance à l’imposition d’un modèle unique, en l’occurrence un modèle qui ne serait nullement américain [16]. 

c) Le lien civil, soit l'appréciation de la nature des relations sociales et de la qualité de vie au sein de la société civile. Nombre d’aspects sous-tendant ce lien sont en partie codifiés par l'action étatique et législative mais non entièrement, car ils dépendent d'attitudes et de comportements façonnés par l'histoire, les changements de mentalité et les rapports entre groupes culturels, linguistiques et entre catégories sociales au sein de la société civile. Ainsi, tous les pays de l’OCDE détiennent des législations anti‑discriminatoires, mais les sociétés civiles de ces pays les respectent fort diversement. À noter que ce fondement du lien collectif n'est guère abordé par les sociologues ou politologues, alors qu'il semblerait de plus en plus déterminant vu l'importance accordée au mode de vie, aux relations sociales, aux processus identitaires et à la qualité de vie par les individus. 

d) Le lien national au sens premier du terme de nation, soit une communauté d'histoire, de langue(s) et de culture. Ce lien peut être rattaché à un « grand nationalisme », soit un État historique tel que la France, l’Allemagne, les États Unis, l’Italie, la Russie, la Grande-Bretagne, etc., ou à une minorité nationale dépourvue d’État. 

Pour exemple concret de ces liens sociétaux. Trois de ces formes, citoyenne, étatique et civile, sont fort actives au Canada. Nombre de Canadiens s’enorgueillissent d’être membres de l’une des sociétés les plus progressistes et équitables de l’OCDE (Conseil privé, 1998, chapitre 4 : 21), où respect des libertés, niveau de vie, protection sociale et paix civile sont assurés. Et cette fierté est confortée par le classement obtenu par le Canada selon les indicateurs de l’ONU [17]. Quant aux instances gouvernementales canadiennes quand elles parlent de fondements d’un lien entre Canadiens, elles invoquent le régime juridico-politique (Charte des droits principalement [18], les politiques sociales, le traitement des minorités, la paix civile et, parfois, le rôle pacifique du Canada sur la scène internationale [19]. 

Cependant, quelques questions se posent à propos de l’assimilation faite dans les discours sur la cohésion sociale entre lien sociétal et sens d’appartenance à une société et partage de valeurs communes. Tout d’abord, toute valorisation d’un système politico-juridique, de politiques étatiques et d’une société civile correspond-elle nécessairement à un sens d’appartenance ou n’est-elle qu’une appréciation raisonnée, instrumentale, intéressée de certaines normes et pratiques ? Une société peut ne pas être perçue par les personnes qui y vivent comme un ensemble communalisé mais simplement comme un milieu propice à leur mode de vie ou/et à leurs intérêts. Pourquoi mentionner et souhaiter un sens d’appartenance, une attitude référant à un enracinement, une loyauté, une fidélité, un attachement affectif, un investissement personnel ? 

La seule obligation requise d’une personne à l’égard de la société où elle vit, est le respect de son lien juridico-politique, soit des lois et réglementations, et il n’est aucune obligation pour elle de développer en sus un sens d’appartenance à cette société ou une loyauté sans faille à son État. Cette possibilité, sinon ce droit, d’indifférence, de non-conformisme ou de dissidence doit demeurer sous peine d’ouvrir un espace où pourrait s’établir un classement normatif des membres d’une société. Par exemple, certaines personnes pourraient être dites d’authentiques Français, Canadiens, Américains vu leur fort investissement dans les institutions politiques et autres de la France, du Canada, des États Unis, et d’autres personnes considérées des membres de seconde zone vu un simple et froid intérêt à vivre dans ces pays. 

Par ailleurs, le partage de valeurs ou le consensus sur des valeurs dans une société assurent-ils de l’absence d’antagonismes et d’affrontements ? Pour nous répéter, la passion pour l’égalité au cœur des sociétés modernes, comme écrivit Lipset (1964), a été au fondement de dynamiques de contestation depuis la création des démocraties. L’égalité constitue le référent central d’une matrice d’interpréta­tions des relations et statuts sociaux fort divergentes et conflictuelles. C’est d’ailleurs ce caractère ouvert et multiforme de l’interprétation moderne de la hiérarchie sociale comme relevant du mérite personnel, de l’histoire individuelle ou de rapports de domination économique ou politiques entre classes ou catégories sociales, qui ouvre des espaces de liberté et de changement dans les sociétés modernes. 

Il y a un demi-siècle, Turner (1953-54 in Padioleau, 1999) avait déjà pointé que la définition de valeurs primordiales et un accord à leur propos entre les membres d’une société n’assurent en rien d’une paix sociale. Ainsi en est-il des valeurs d’égalité et de réussite qui s’opposent souvent. Dès lors, l’attachement à des valeurs communes augure-t-il mécaniquement d’un sens d’appartenance sociétale dit source de cohésion sociale ? On ne saurait surestimer l’effet du partage de valeurs communes sur la paix sociale et ignorer les contradictions générées par ces valeurs, car la démocratie n’est pas consensus mais droit d’expression de dissidences, de contestations, de refus et le précepte d’égalité la source même du conflit. 

Autres points. L’idée d’une appartenance forte à une société est à contre-courant des dynamiques actuelles alors que les différenciations sociales induisent une multiplicité des modes de vie et des valeurs et qu’est mis un fort accent sur les droits, les choix et libertés individuels et la communication (Semprini, 1997 : 78, 81-82, 90 [20]). Et toute tentative de voir un sens d’appartenance à une société être premier dans l’esprit des personnes, semble à la rigueur valide pour des individus immobiles, non migrants et non impliqués dans des réseaux pour le moins bi-nationaux, sinon multinationaux (Featherstone, 1990 ; Robertson, 1992 ; Featherstone et al., 1995 ; Hannerz, 1997). 

Mais l’aspect central de la superposition entre lien sociétal et sens d’appartenance sociétale concerne le formalisme du lien juridico-politique. Quand bien même adhère-t-on aux principes de ce lien, comment développer un sens d’appartenance sociétale si son expression au sein de la société civile hypothèque la reconnaissance comme membre à part entière d’une société ? Par exemple, comment développer un sens d’appartenance quand on subit une forte inégalité socio-économique qui interdit de jouir d’un niveau de vie, voire même d’une législation du travail, communément perçus comme l’apanage d’une société ? Conscients de ce dilemme, les discours sur la cohésion sociale parlent de nouvelles normes, celles de solidarité et de responsabilité sociales. Dès lors, pourquoi ne pas organiser un débat public à ce propos et inscrire ces deux normes collectives comme des droits sous forme, par exemple, d’un droit à un emploi ou à un revenu minimum (Schnapper, 2000) ? 

Le même dilemme et la même question surgissent à propos du sens d’appartenance sociétale de catégories sociales souvent présentées comme peu attachées, voire loyales, à la société où elles vivent : les membres de minorités ethniques et nationales. 

Une des formes les plus réelles de l’égalité sociale pour des minorités ethniques est l’absence de discriminations quotidienne et systémique, racistes et xénophobes. Face à ces faits qui entravent leur reconnaissance comme membres de la société à part entière, les discours sur la cohésion sociale parlent de coopération, d’apprentissage de la tolérance, de lutte contre les discriminations, d’égalité des chances, mais ils ne prennent guère en considération les luttes socio-économiques, les discours idéologiques culturalistes et les facteurs internationaux à la base des discriminations (Helly, 2002a). Comme le rappelait récemment Stuart Hall [21] (Jaggi, 2001) parlant de la Grande-Bretagne : « Pour vraiment réaliser une société multiculturelle, il faut prendre en compte le sentiment d’aliénation d’une classe moyenne blanche et l’amener à une nouvelle conception d’elle-même, n’imaginant plus la Grande-Bretagne comme un donjon » assiégé par des non-Européens. Pour comprendre cette aliénation, il faut constituer un savoir sur les enjeux sociaux et politiques de l’acceptation de l’immigration au-delà des questions identitaires, soit faire l’économie politique de l’immigration, et aussi examiner les discours publics concernant les pays ou régions d’émigration. 

Sinon, l’invocation d’un changement d’attitudes et de comportements sous l’effet de plus de coopération et de sens de responsabilité sociale des immigrés et de leurs descendants semble un palliatif à l’absence de décisions politiques en des domaines où l’égalité est en cause, et leur développement d’un sens d’appartenance sociétale semblerait demeurer assujetti à l’acceptation de mœurs, pratiques et valeurs inégalitaires et discriminatoires. Pour exemple, au Canada, pays promouvant et appliquant une politique multiculturaliste, une des dernières études en matière de statut des minorités dites visibles sur le marché du travail montre qu’elles connaissent un déficit de revenu salarial par rapport au reste de la population, un déficit entièrement attribuable au racisme (Pendakur, 2000 : chapitre 5). On ne voit comment une telle inégalité puisse fonder ou conforter un fort sens d’appartenance sociétale de ces minorités, la paix sociale, le fonctionnement démocratique et des comportements de solidarité, d'équité et de renoncement à des intérêts particularistes. 

Enfin, en ce qui a trait à la menace sur l’unité nationale ou l’identité nationale que véhiculerait un sens d’appartenance des minorités ethniques aux communautés qu’elles forment ou, parfois, au pays dont elles proviennent, encore une fois au Canada, toutes les enquêtes montrent que les immigrés et leurs descendants développent une forte allégeance à l’État canadien, soit pour quasi 90 % d’entre eux. Ces enquêtes (Whitaker, 1992 ; Kalin, 1996 ; Kymlicka, 1998 ; Mendelsohn, 1999 ; Helly et van Schendel, 2001) et des sondages montrent aussi que l’identification à une culture minoritaire immigrée s’accompagne le plus souvent d’une vive identification à l’État fédéral, voire la renforce. À l’inverse, des enquêtes aux États‑Unis (Glick Schiller et al.,1992 ; Basch, Glick Schiller et Szanton Blanc,1994) illustrent comment la perception d’une non‑acceptation dans une société d’établissement favorise une identification d’immigrés à la fois à des communautés transnationales et au pays d’origine. Ce qui ne signifie nullement qu’une reconnaissance comme membre d’une société implique de partager l’idée d’une destinée ou de valeurs communes, si ce n’est encore une fois celle de la mise en application concrète du respect des libertés et des chances de tout un chacun. 

Face au dilemme posé pour l’unité nationale et la cohésion sociale par les membres de minorités nationales exigeant une refonte de l’État central ou une sécession, la notion d’appartenance sociétale est totalement inefficace. 

Ces contestations ne portent pas tant sur des inégalités socio-économiques, culturelles, linguistiques que sur l’égalité politique au sens précis de partage du pouvoir central. La mondialisation a de fait mis à jour combien ces contestations ne sont pas tant culturelles que politiques. En augmentant l’accès aux marchés extérieurs et en montrant l’importance de la politique économique internationale, la mondialisation amenuise et envenime les liens entre les États centraux, les régions et les minorités nationales territorialisées ; elle réactive des conflits historiques et montre la fausseté de l’idée de village global. L’accès à des marchés de plus large échelle, continentaux et mondiaux, réduit la dépendance des économies régionales à la fois des marchés nationaux et des États centraux programmés pour capter toutes les ressources et les redistribuer. Il favorise le développement des régions pouvant plus aisément s’articuler aux marchés internationaux et conforte la mise en cause du dirigisme économique des États centraux, lesquels mettent d’ailleurs de l’avant la notion de subsidiarité pour accroître l’efficacité des interventions publiques. Il renforce la contestation de la structure pyramidale et centralisatrice des États centraux et de leurs technocraties et, avec l’interprétation économiste actuelle de la vie sociale, il offre deux argumentations de poids aux contestations régionalistes ou sécessionnistes. Enracinement local des dynamiques économiques, subsidiarité, démocratisation ou décentralisation, péréquation et centralisation handicapant la croissance économique et intégration au marché mondial sont des arguments tout autant invoqués actuellement par des mouvements régionalistes et sécessionnistes que le droit de reproduire une spécificité historico-culturelle (Paduanie, Pays de Galles, Écosse, Pays Basque et Catalogne espagnols, Flandres, Québec, régionalisme transalpin franco-italien). 

Juger que les contestations nationalitaires génèrent une fragmentation nationale va de soi mais exige de démontrer qu’elles ne correspondent pas à un processus de démocratisation et de répartition plus équitable des ressources entre régions et entre individus [22]. Il faut se souvenir que durant les années 1960-70 les mouvements nationalitaires étaient vus comme des contestations démocratiques du centralisme étatique et des modes de développement économique inégaux (Cahen, 1994), alors qu’ils sont souvent moqués présentement comme des résidus de cosmogonies tribales, ethno‑culturelles, mettant en cause le principe universaliste citoyen, et ce selon un amalgame sans égard à leur orientation politique et à leurs modalités d’action [23]. 

La fragmentation de l’«unité nationale» et de «l’identité nationale» que provoquent et appellent les revendications nationalitaires par leur référence à une histoire, une mémoire, des institutions et un statut économique collectifs et particuliers, a fait l’objet d’un important débat ces vingt dernières années (Helly, 2002b). Nombre d’auteurs participant à ce débat sur le pluralisme culturel et sur le fédéralisme ont démontré la compatibilité d’une identification nationale et d’identifi­cations régionales ou régionalistes. De fait, au Canada, les enquêtes citées ci-dessus montrent une identification et une loyauté à l’État fédéral canadien de la part des deux tiers membres de la minorité nationale franco-québécoise. 

Cette compatibilité n’est cependant rendue possible qu’en autant que les identifications régionales sont respectées et valorisées dans l’histoire collective officielle et qu’existe un partage équitable du pouvoir politique donnant la possibilité aux régions de mettre en œuvre des programmes de développement social, économique et linguistique. 

La plupart des auteurs opine qu’un système d’autonomie gouvernementale des régions ou une forme de fédéralisme a-symétrique, c’est-à-dire accordant des pouvoirs particuliers à l’une d’entre elles, répondent à cette exigence (Webber, 1994 ; Kymlicka, 1995b ; Buchanan, 1995 ; Walzer, 1995 ; Taylor, 1997, entre autres). Sans parler de figures d’États de « consociation » comme la Suisse, les cas de Porto Rico, du Québec, de la Wallonie et de la Flandre en Belgique et, plus récemment de la Catalogne, de la Galicie et du Pays basque en Espagne ou de l’Écosse au Royaume-Uni illustrent ces solutions. À ce titre, on peut rappeler que Tocqueville valorisa le système de l’indirect rule britannique au Canada français, système qui accorda le contrôle de ses institutions religieuses et scolaires francophones et, un temps, un Parlement à la population des colons français. 

Par contre, si partage équitable du pouvoir n’est pas opéré, il faut, comme concluent les auteurs cités ci-dessus, se résoudre à des revendications de sécession. Parler de cohésion sociale, d’appartenance sociétale et de citoyenneté responsable apparaît, en effet, illusoire face à des revendications nationalitaires. Ces contestations concernent l’égalité de statut politique d’une collectivité et non une égalité des chances d’individus, et sont le fait d’acteurs organisés, qui coopèrent, détiennent des institutions de pouvoir le plus souvent et sont en mesure de définir leurs besoins et projets, ce que ne peuvent aussi aisément faire les populations actuellement dites à risque, pauvres.

 

Conclusion

 

La mondialisation économique et financière a donné lieu durant les années 1990 à la vogue de la notion de cohésion sociale ou de lien social. Cette notion met à jour une conception du lien collectif faisant de la socialisation communautaire une base de l’unité d’une société, selon une tradition ancrée dans la sociologie (Comte, Durkheim, voire même Weber qui parla du désenchantement de la société moderne). Elle voit les solutions à une dite crise du lien collectif dans une activation de communautés, civiques, familiales, locales, etc. Selon une vision libérale néo-keynésienne, elle conçoit le politique comme une négociation sur la répartition des ressources et richesses d’une société définie par le partage de valeurs communes et non de luttes sociales. 

En cela, elle s’oppose à la conception néo-libérale et utilitariste qui conçoit le lien social comme basé sur un contrat et un accord d’échanges entre des personnes aux intérêts différents [24]. Cette conception voit dans le politique une négociation incessante entre intérêts catégoriels, corporatistes et individuels divergents devant toujours respecter les préceptes de la primauté du libre arbitre et de la capacité d’initiative des acteurs. Le principe de la liberté individuelle demeure premier à ses yeux, quand bien même rend-il le principe égalitaire totalement inopérant. La cohésion sociale n’est guère une préoccupation pour ce courant de pensée qui estime que toute fragilisation des liens entre membres d’une société tient à leur liberté accrue et que toute aide publique doit être assujettie à une performance (Mead, 1997). 

Quant à nous, nous voyons dans le politique un processus de conflits permettant un dévoilement et une remise en cause de la répartition toujours inégalitaire des ressources et richesses produite par les rapports de force économiques, culturels, symboliques et politiques. Dans ce cas, l’idée de cohésion sociale dessert l’égalité en ignorant et en délégitimant les luttes et contestations sociales. 

On ne saurait en effet opposer liens communautaire ou contractuel et luttes politiques. L’un ou l’autre de ces liens n’est valide qu’en autant qu’il comble les aspirations des acteurs qui y adhèrent ou qui s’y soumettent. Lorsqu’ils produisent ou reproduisent des statuts inégalitaires et des places marginalisées, ils perdent leur efficacité et induisent des demandes de nouveaux droits et de nouveaux liens contractuels ou des comportements de retrait, déviance, criminalité, délinquance. De tels demandes et comportements, violents ou non, ne peuvent être considérés comme une dégénérescence du lien social, mais plutôt comme un reniement d’un lien collectif perçu comme déficient. Vouloir restaurer un lien communautaire perdu en les ignorant, en créant des stigmatisations et en proférant des injonctions de responsa­bilité, de dette sociale et d’appartenance sociétale, n’est-ce pas créer une fausse communauté (Farrugia, 1993 : 216) ? 

 

Références

 

Atkinson, Tony (1998). « La pauvreté et l’exclusion sociale en Europe », in Tony Atkinson, Michel Glaude, Jacques Freyssinet et Claude Seibel, Pauvreté et exclusion, Paris, La Documentation française, p.11‑36.

Axelrod, Robert (1984). The Evolution of Cooperation, New York, Basic Books.

Bairoch, Paul (1996). « Globalization Myths and Realities: One Century of External trade and Foreign Investment », dans Robert Boyer et Daniel Drache (eds). States Against Markets. The Limits of Globalisation, Londres, Routledge, p. 173‑192.

Barber, Benjamin R. (1984). Strong Democracy, Berkeley, University of California Press. (1996). Djihad versus McWorld, Paris, Desclée de Brouwer, 303 p.

Basch, Linda, Nina Glick‑Schiller et Christina Szanton Blanc (1994). Nations Unbound. Transnational Projects, Postcolonial Predicaments and Deterritorialized Nation‑States, Gordon and Breach, 344 p.

Berger, Peter (ed) (1998). The Limits of Social Cohesion: Conflict and Mediation in Pluralist Societies. A Report of the Bertelsmann Foundation to the Club of Rome, Boulder, Col., Westview, 396 p.

Bihr, A. et R. Pfefferkorn (1995). Déchiffrer les inégalités, Paris, Syros.

Boix, Carles et Daniel N. Posner (1998). «Social Capital : Explaining Its Origins and Effets on Government Performance», British Journal of Political Science 28 (4) : 686-693.

Bowen William G. et Derek Bok (1998). The Shape of The River, Princeton University Press.

Boyer, Robert et Daniel Drache (eds) (1996). States Against Markets. The Limits of Globalisation, London, Routledge, 448 p.

Buchanan, Allen (1995). «The Morality of Secession», in Will Kymlicka (ed.), The Rights of Minority Cultures, New York, Oxford University Press, p. 350‑374.

Bureau of Labor Statistics (1997). The Employment Situation, Washington, décembre.

Cahen, Michel (1994). Ethnicité politique. Pour une lecture réaliste de l’identité, Paris, L’Harmattan, 168p.

Carnevale, Anthony P. et Stephen J. Rose (1998). Education for What ? The New Office Economy, Washginton, Education Testing Service.

Castells, Manuel (1998). La société en réseaux, Paris, Fayard, 613 p.

Chambre des Communes du Canada (1991). Deuxième rapport du Comité permanent du Multiculturalisme et de la Citoyenneté, Ottawa. (1994). La citoyenneté canadienne. Un sentiment d’appartenance, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Ottawa.

Charbonneau, Johanne et Martin Turcotte (2002). «Les réseaux sociaux», document de travail, Projet Santé et Socio-économique Intégrée Longitudinale (ESSIL), directeur Paul Bernard, 30 p.

Cline, William (1997). Trade, Jobs and Income Distribution, The New Press.

Cohen, Élie (1996). La tentation hexagonale: la souveraineté à l’épreuve de la mondialisation, Paris, Fayard.

Coleman, James S. (1990). Foundations of Social Theory, Cambridge, Mass., Harvard University Press.

Commissariat Général du Plan (1997). Cohésion sociale et territoires, Paris, La Documentation Française.

Commission on Citizenship (Président Maurice Stonefrost, Chambre des Communes, Grande‑Bretagne) (1990). Encouraging Citizenship, London, H.M.S.O., 105 p.

Comte, Auguste (1844/1974). Discours sur l’esprit positif, Paris, Vrin.

Concialdi, Pierre et Sophie Pontieux (1997). «Les bas salaires en France: quels changements depuis 15 ans ?», Premières informations et premières synthèses, ministère de l’Emploi et de la Solidarité 48 (1).

Conseil privé, Réseau de recherche sur la cohésion sociale, Secrétariat de recherche sur les politiques (1998). Ranimer l’espoir et investir dans l’avenir, rapport au Comité de recherche stratégique, Ottawa, 75 p.

Cutrona, Carolyn E. (1986). «Objective Determinants of Perceived Social Support», Journal of Personality and Social Psychology 50 : 349-355.

Dagger, Richard (1997). Civic Virtues: Rights, Citizenship and Republican Liberalism, New York, Oxford University Press, 258 p.

Durkheim, Émile (1889/1975). «Communauté et société selon Tönnies», in Éléments d’une théorie sociale, Paris, Éditions de Minuit. (1893/1991), De la division du travail social, Paris, PUF.

Farrugia, Francis (1993). La crise du lien social, Paris, L’Harmattan, 219 p.

Featherstone, Mike (ed.) (1990). Global Culture.Nationalism, Globalization and Modernity, Londres/Newbury Park, Sage Publications, 411 p.

Featherstone, Mike, Scott Lash et Roland Robertson (eds.) (1995). Global Modernities, London/New Delhi, 295 p.

Forsé, Michel (2001). «Rôle spécifique et croissance du capital social», Revue de l’OFCE 76 : 189-216, janvier.

Fox Piven Frances et Richard A. Cloward (1998). The Breaking of the American Social Compact, Institute for International Economics.

Fukuyama, Francis (1995). Trust. The Social Virtues and the Creation of Prosperity, London, Penguin Books, 437 p.

Germain, Annick, Richard Morin et Gilles Sénécal (2001). «L'évolution du mouvement associatif à Montréal.: Un réseau concerté à deux vitesses, entre institutionnalisation et autonomie négociée», in J.N. Chopart et al., Actions associatives, solidarité et territoires, Saint-Étienne, Presses Universitaires de Saint-Étienne, p. 163-170.

Glaeser, Edward L. (2001). «The Formation of Social Capital», ISUMA 2 (1) : 34-40.

Glick Schiller, Nina, Linda Basch et Cristina Blanc Szanton (1992). Towards a Transnational Perspective on Migration, New York, New York Academy of Sciences.

Gouvernement du Canada, Patrimoine canadien (1996). Identité, culture et valeurs canadiennes: construire une société cohésive, Ottawa. (1997), Multiculturalisme. Respect, égalité, diversité, Ottawa.

Granovetter, M.S. (1982). «The Strenght of Weak Ties : A Network Theory Revisited», in P. V. Mardsen and N. Lin (eds.). Social Structure and Network Analysis, Beverly Hills, Sage, p. 105-130.

Hannerz, Ulf (1997). Transnational Connections. Culture, People, Places, London, Routledge, 201 p.

Hardin, Russel (1993). «The Street level Epistemology of Trust», Politics and Society 21 (4) : 505-529.

Heater, Derek B. (1990). Citizenship: The Civil Ideal in World History, Politics, and Education, Londres, Logman, 354 p.

 

Helly, Denise (1999). «Une injonction: appartenir et participer. Le retour de la cohésion sociale et du bon citoyen», Lien social et politiques 41 : 35-46. (2000a), «Pourquoi lier mondialisation, citoyenneté et multiculturalisme», in Mikhaël Elbaz et Denise Helly (dir.). Citoyenneté, mondialisation et multiculturalisme, Sainte‑Foy et Paris, Presses de l’Université Laval et L’Harmattan., p. 223-256. (2000b), «Le multiculturalisme canadien: de l’intégration des immigrants à la cohésion sociale», Cahiers de l’URMIS-CNRS 7, mars: 7-20. (2000c), «La nouvelle citoyenneté, active et responsable, in Yves Boisvert, Jacques Hamel et Marc Molgat (dir.), Vivre la citoyenneté. Identité, appartenance et participation, Montréal, Liber, p. 119-134. (2000d), «Les limites du multiculturalisme canadien», in Michel Wieviorka et Jocelyne Ohana (dir.), La différence culturelle. Une reformulation des débats. Colloque de Cerisy. Paris, Balland, p. 414-427. (2002a), «Occidentalisme et islam : des leçons des guerres culturelles», Actes du colloque du Centre d’études ethniques des universités montréalaises, Savoirs constitués, savoirs à construire : les événements du 11 septembre et les orientations de la recherche sur les relations ethniques, Montréal, 21-22 février, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, à paraître en mai. (2002b), «Minorités ethniques et nationales : les débats sur le pluralisme culturel», L’Année sociologique 1, à paraître. (2001) et Nicolas van Schendel, «Modalités d’appartenance et citoyenneté au Québec», in Yves Boisvert, Jacques Hamel et Marc Molgat (dir.), Vivre la citoyenneté. Identité, appartenance et participation, Montréal, Liber, p. 143-156. (2000) et Marie Mc Andrew, Le multiculturalisme canadien: des discours officiels aux interventions, 1971-1999, projet de recherche, CRSH. (2001) et Nicolas van Schendel. Appartenir au Québec. État, nation et société civile. Une enquête à Montréal. Sainte-Foy et Paris, Les Presses de l’Université Laval et L’Harmattan, 242 p.

 

Janoski, Thomas (1998). Citizenship and Civil Society : A Framework of Rights and Obligations in Liberal, Traditional, and Social Democratic Regimes, NewYork, Cambridge University Press, 316 p.

Jones, Joseph P. (1985). «The Relation of Social Network and Individual Difference Variable to Loneliness » Journal of Personality and Social Psychology 48 : 981-990.

Kalin, R (1996). «Ethnicity and Citizenship Attitudes in Canada. Analysis of a 1991 National Survey», in J. Laponce J. and W. Safra (eds.). Ethnicity and Citizenship : The Canadian Case, London, Frank Cass. P. 26-44.

Krugman, Paul R. (1998). La mondialisation n’est pas coupable. Vertus et limites du libre échange, Paris, La Découverte, 1998.

Kymlicka, Will (1992). Théories récentes sur la citoyenneté, rapport présenté à Politiques et recherche, Multiculturalisme et Citoyenneté Canada, Ottawa, 74p. (1995), Social Unity in Multination Canada. Part 2. Rethinking Canada, rapport à Patrimoine canadien, décembre, 26 p.

Kymlicka, Will et Wayne Norman (1994). «The Return of the Citizen: A Survey of Recent Work on Citizenship Theory», Ethics 104 (2): 352‑381. (2000), Citizenship in Diverse Societies, Toronto, Oxford University Press.

Ladd, E.C. (1996). «The data just don’t show erosion of America’s social capital», Public Perspectives 7 : 1-30.

Laville, Jean‑Louis (dir.) (1994). L’économie solidaire. Une perspective internationale, Paris, Desclée de Brouwer.

Levi, Margaret (1996). «Social and Unsocial Capital : A Review Essay of Robert Putnam’s Making Democracy Work», Politics and Society 24 (1) : 45-55.

Lin Nan (1982). «Social Ressources and Instrumental Action»», in P. V. Mardsen and N. Lin (eds.). Social Structure and Network Analysis, Beverly Hills, Sage, p. 131-145.

Lipset, S.M. (1964). First New Nation, Londres, Heinemann.

Marchand, Olivier (1992), « Une comparaison internationale des temps de travail », Futuribles 165‑166.

Mead, Lawrence (1997). The New Paternalism: Supervisory Approaches to Poverty, Washington, D.C., Brookings Institute, 343 p.

Mendelsohn, Matthew (1999), « Measuring National Identity and Patterns of Attachment: The Case of Quebec », communication présentée à la conférence Ethnicity and Culture: The Reciprocal Influences, Savannah, Géorgie, 18 février, 21 p., annexes.

Montgomery, Robert L., Frances M. Haemmerlie, Mary Edwards (1991). «Social, Personal, and Interpersonal Deficits in Socially Anxious People», Journal of Social Behavior and Personality 6 : 859-872.

Mouffe, Chantal (1993). The Return of the Political, London/New York, Verso, 156 p.

Newton, Kenneth (1997). «Social Capital and Democracy», American Behavioral Scientist 40 : 575-586.

Nurmi, Jari Erik, Sari Toivonen, Katarina Salmela-aro, Sanna Erone (1997). «Social Strategies and Loneliness » The Journal of Social Psychology 137 : 764-777.

Okin, Susan (1979). Women in Western Political Thought, Princeton, N.J., Princeton University Press, 371p.

Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (1997). Cohésion sociale et mondialisation de l’économie, Paris, OCDE. (2001). The Well-Being of Nations : The Role of Human and Social Capital, Paris, OCDE.

Padioleau, Jean G. (1999). L’ordre social. Principes d’analyse politique, Paris, L’Harmattan.

Pateman, Carole (1988). The Sexual Contract, Stanford, University of California Press, 264 p.

Paxton, P. (1999). «Is social capital declining in the United States ? A multiple indicator assessment», American Journal of Sociology 105 : 88-127.

Pendakur, Ravi (2000). Immigrants and the Labour Force. Policy, Regulation, and Impact, Montreal and Kingston, McGill-Queens Universiy Press, 246 p.

Policy Research Initiative (PRI), Social Cohesion Network (2001). Bringing in New Perspectives on Social Cohesion. Report on Structured Conversations with Academics and Community Organizations, Ottawa.

Power, Anne (1997). Estates on the Edge. The Social Consequences of Mass Housing in Northern Europe, New York, Saint Martin’s Press.

Programme des Nations Unies pour le développement (1994). Rapport sur le développement humain, New York.

Putnam, Robert D. (1995). « Tuning In, Tuning Out: The Strange Disappearance of Social Capital in America», Political Science and Politics 28 (4): 664-676. (1996), «The Decline of Civil Society: How Come ? So What ? », Optimum, The Journal of Public Sector Management 27 (1): 28‑36. (1999), Bowling Alone, New York, Simon and Schuster. (2001), «Social Capital : measures and consequences», ISUMA 2 (1) : 41-51.

Putnam, Robert D. avec Robert Leonardi et Raffaella Y. Nanetti (1973). Making Democracy Work : Civic Traditions in Modern Italy, Princeton, N.J., Princeton University Press.

Rancière, Jacques (1995). La mésentente. Politique et Philosophie, Paris, Galilée, 188 p.

Rifkin, Jeremy (1995). The End of Work, New York, Putnam.

Robertson, Roland (1992). Globalization. Social Theory and Global Culture, London et Newbury Park, Calif., Sage Publications, 211 p.

Rustin, Michael (1991). «Whose Rights of Citizenship», in Geoff Andrews (ed.).Citizenship, London, Lawrence and Wishart, p. 228‑234.

Sabetti, Filippo (2000). The Search for Good Government. Understanding the Paradox of Italian Democracy, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 312 p.

Sampson, R.J., S. W. Raudenbush and F. Earls (1977). «Neighborhoods and Violent Crime: A Multilevel Study of Collective Efficacy», Science 277 (5328) : 918-924, 15 août.

Sandel, Michael (1982), Liberalism and the Limits of Justice, New York, Cambridge University Press, 191 p.

Sassen, Saskia (1996). Losing Control ? Sovereignty in an Age of Globalisation, New York, Columbia University Press, 148 p.

Semprini, Andrea (1997 ). Le Multiculturalisme, Paris, Presses universitaires de France, Que sais‑je ? 128 p.

Senate of Australia (1991). Active Citizenship Revisited : A Report, Canberra, Australia Publishing Service, 96 p.

Senate of Canada (1993). Canadian Citizenship: Sharing the Responsability, Ottawa, 33 p.

Taylor, Charles (1997). «Entrevue avec Charles Taylor». In Marcos Ancelovici et François Dupuis-Déri (dir.), L’Archipel identitaire, Montréal, Boréal, p. 23-35.

Turner, Bryan (1990). «Outline of a Theory of Citizenship», Sociology 24 (2) : 189‑217.

Turner, R (1953-54). «Value Conflict in Social Disorganization», Sociology and Social Research 38 : 301-308.

Wallerstein, I (1995). After Liberalism, N.Y., New Press.

Walzer, Michael (1974). «Civility and Civic Virtue in Contemporary America», Social Research 41 : 593‑611. (1980), Radical Principles: Reflections of an Unreconstructed Democrat, New York, Basic Books. (1984), «Liberalism and the Art of Separation», Political Theory 12 : 315-330. (1992), «The Civil Society Argument» in Chantal Mouffe (ed.), Dimensions of Radical Democracy: Pluralism, Citizenship and Community, Londres, Routledge. (1995), «Pluralism: A Political Perspective». In Will Kymlicka (ed.), The Rights of Minority Cultures, New York, Oxford University Press, p. 139-154.

Webber, Jeremy (1994). Reimagining Canada : Language, Culture, Community and the Canadian Constitution, Kingston, McGill-Queen’s University Press, 373 p.

Whitaker, Reginald (1992). A Sovereign idea: Essays on Canada as a Democratic Community, Montréal, McGill/Queen’s University Press, 337 p.

White, Deena (2001a). «To Market, To Market: Employability in the Social Investment State», communication, réunion du projet CRSH Fostering Social Cohesion, Université de Montréal, 21-22 juin. (2001b), «Engagement or Ghettoization», communication, réunion du projet CRSH Fostering Social Cohesion, Université de Montréal, 21-22 Juin.

Yalnizyan, Armine (1998). The Growing Gap. A Report on growing inequality between the rich and the poor in Canada, Toronto, Centre for Social Justice, 128 p.



[1]    Berger, 1998 ; Commissariat, 1997 ; OCDE, 1997, 2001 ; Gouvernement du Canada, Patrimoine canadien, 1996 ; Chambre des Communes du Canada, 1991, 1994 ; Senate of Canada, 1993 ; Réseau de recherche sur la cohésion sociale, 1998 ; Nasse, 1992 ; Senate of Australia, 1991 ; Commission on Citizenship, 1990 (Helly, 1999).

[2]    Amorcée par le renoncement à l’étalon-or par les États-Unis en 1971 et par leurs mesures de libéralisation des capitaux et des marchés pour faire face à la baisse de rentabilité du capital.

[3]    Montée de l’individualisme égoïste sous la poussée de l’idéologie des droits individuels divulguée à la faveur de Guerre froide ; déclin de la valeur de la citoyenneté et de l’intérêt à la vie politique ; fin des grands nationalismes en raison des flux migratoires non européens depuis les années 1970 ; différenciation accrue des modes de vie et des référents identitaires.

[4]    Voir Marchand, 1992 ; Rigaudiat, 1993 ; Laville, 1994 ; Rifkin, 1995 ; Bairoch, 1996 ; Boyer et Drache, 1996 ; Cohen, 1996 ; Sassen, 1996 ; Krugman, 1998 ; Castells, 1998, volume 1. Certains auteurs insistent sur l’absence de politiques face aux évolutions technologiques et démographiques, d’autres sur le renforcement de la mondialisation par les États (constitution de blocs économiques : Union européenne, ALENA, Mercosur, ASEAN ; participation à la réglementation internationale économique : Organisation Mondiale du Commerce, FMI, Banque mondiale, tribunaux d’arbitrage économique).

[5]    Par exemple, au Canada, lors des consultations par le gouvernement fédéral sur la notion de cohésion sociale (PRI’s Social Cohesion Network, 2001).

[6]    Suivie de multiples débats universitaires en la matière (Heater, 1990 ; Turner, 1990 ; Rustin, 1991 ; Kymlicka, 1992, 2000 ; Kymlicka and Norman, 1994 ; Dagger, 1997 ; Janoski, 1998) et de nouvelles définitions de la citoyenneté autres que celle libérale classique, soit la citoyenneté juridico-politique et sociale. On parle ainsi de citoyenneté urbaine, locale (quartier), délibérative, résidentielle, participative, corporative, mondiale.

[7]    Refusés par la suite par le Conseil constitutionnel.

[8]    Particulièrement dans des quartiers défavorisés, surtout peuplés d’immigrés ou de minorités : programme de revitalisation de quartiers de la municipalité de Londres (Power, 1997), Politique de la Ville en France, Community Development Financial Institution créé aux États Unis en 1992. Selon ce dernier programme, l’État fédéral, des particuliers, des fondations et des banques fournissent du capital à des organisations locales non lucratives, des églises principalement, dont les membres, des personnes démunies, n’ont pas accès aux prêts bancaires et autres services financiers. L’État prêta à très bas taux d’intérêt 382 millions de dollars en quatre ans et le secteur privé plus de 2 milliards, ce qui permit à quelque 350 organisations de disposer de 3 milliards de dollars pour gérer des programmes de développement social et économique dans des quartiers pauvres.

[9]    « People may be richer, but does economic progress damage the ties that hold societies together ? And are those ties essential to the acquisition of skills and attitudes that help the economy to flourish ? » (OCDE, 2001).

[10]   Newton décrit les diverses définitions du capital social.

[11]   Seraient exclus de ces instances les enfants, les criminels qui ont abandonné le principe de la conversation politique, et les immigrés non citoyens qui ne disposent pas du droit de vote et doivent acquérir la capacité et le désir de participer (Barber, 1984 : 228).

[12]   Échantillon de près de 8.000 personnes vivant dans des quartiers de Chicago très défavorisés et interrogées sur leur perception de la collaboration de leurs voisins (exemple : Is it very likely that your neighbors will intervene if your children hang up in the street ?).

[13]   Agence Nationale Pour l’Emploi.

[14]   La difficulté historique des gouvernements fédéraux de construire la représentation d’une unité canadienne et un nationalisme canadien explique ce fait (Helly, 2000d).

[15]   Si certaines technologies sont effectivement diffusées à l’échelle mondiale, il n’existe pas, selon eux, une forme optimale, néo-libérale, américaine du capitalisme en train de recouvrir le monde, mais il demeure toujours plusieurs formes de capitalismes (rhénan, français, japonais, brésilien, etc.).

[16]   On peut aussi penser au maintien des politiques de protection sociale et d’assurance-emploi de l’État canadien si distincte de celles des États-Unis dont l’économie est pourtant grandement dépendante.

[17]   Depuis 1990, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) utilise la notion de développement humain pour mesurer et comparer la performance socio-économique de 174 pays (1997). L’indicateur composite du développement humain (IDH) comprend trois composantes : espérance de vie, niveau d’éducation (nombre moyen d’années d’étude de la population et niveau de vie (PIB réel divisé par le nombre d’habitants avec pondération par le coût de la vie( (PNUD, 1994 : 97).

[18]   Et non le régime parlementaire canadien qui concentre le pouvoir dans les mains du Premier ministre, à la fois premier responsable politique, leader en chambre et chef du parti majoritaire.

[19]   En cela, comme tout discours sur une communauté, étatique, nationale ou autre, elles tentent de construire l’image d’une similitude entre Canadiens et passe sous silence leurs divisions : taux de pauvreté croissant, revendications autochtones et québécoises, politique environnementale, réforme du fédéralisme, etc..

[20]   Semprini parle de la généralisation du fait communicatif comme trait principal des sociétés contemporaines du fait du discours des classes moyennes nanties qui, plus préoccupées d’épanouissement personnel que d’accès à des biens matériels, attribuent une valeur à la réalisation de soi et au vécu.

[21]   L’un des pionniers des « cultural studies » et des fondateurs de la revue New Left Review.

[22]   Pour une définition des conditions de légitimité d’une demande de sécession, voir Buchanan (1995).

[23]   Mouvements autonomistes ou sécessionnistes pacifistes (baltes, écossais, catalan espagnol, québécois, slovène), insurrections armées (irlandaise, basque) et mouvements guerriers invoquant une pureté ethnique (Croatie, Serbie) sont assimilés en un univers semblable de destruction du lien citoyen, la Djihad (Barber, 1996).

[24]   Nous ne mentionnons pas des conceptions du lien social moins présentes dans le débat public, comme celles de l’ordre social basé sur la violence et la domination (Marx) ou sur la contrainte acceptée par les acteurs en échange d’une protection assurée par l’État (Hobbes). Dans ce dernier cas, le délitement du lien social est vu comme un manque des forces publiques et de l’État redistributeur et le remède consiste en des mesures étatiques de répression et d’assistance.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 26 février 2008 11:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref