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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Denise Helly, “Une injonction: appartenir et participer. Le retour de la cohésion sociale et du bon citoyen.” Un article publié dans la revue Lien social et politique, no 41, 1999, pp. 35-46. [Autorisation formelle accordée le 11 février 2008 par l’auteure de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Denise Helly

Chercheure, INRS culture - société 

Une injonction: appartenir et participer.
Le retour de la cohésion sociale et du bon citoyen
”. 

Un article publié dans la revue Lien social et politique, no 41, 1999, pp. 35-46.

 

Résumé
 
1. L’exclusion et la dissolution du lien citoyen français
 
L’appauvrissement économique et la désaffiliation
Efficacité de la gestion des inégalités?
Des changements structurels
La mondialisation contre l’État
 
2. Appartenance, participation et bien commun aux États-Unis
 
Capital social et maillage de la société civile
Inégalités, «social thesis» et participation
Responsabilité morale
Participation locale et sens des obligations mutuelles
 
Conclusion
Références

 

RÉSUMÉ

 

Depuis plus de dix ans il existe dans la littérature universitaire francophone et anglophone, un débat sur les fondements sociologiques et philosophiques du sens de vivre ensemble, du common good, du sense of sharing, du lien social, de la cohésion sociale et de la citoyenneté. Nous examinons ici quelques-unes des lignes d'argumentation de cette littérature dont on ne peut oublier quelles ont été construites dans un contexte politique. Depuis la fin des années 1980, les gouvernements occidentaux tentent de légitimer de nouvelles formes de contrôle de leurs politiques de protection sociale et de déléguer au secteur privé marchand et à des organisations de la société civile, la prise en charge de certains problèmes dits sociaux. Parallèlement, à l’exception notable de l’Italie, ils construisent des discours sur la nécessité de fomenter un sens du vivre ensemble dans les sociétés démocratiques, vu est-il avancé, l'égoïsme revendicateur des citoyens, leur absence de responsabilité sociale et de toute notion de devoirs et d'obligations, la montée des demandes particularistes, mais aussi, est-il dit, les limites d'action des États face à la mondialisation (devant être entendu leur propre obligation de répondre aux besoins des entreprises soumises à une nouvelle concurrence internationale et réclamant plus de flexibilité du travail, moins de charges sociales). 

Depuis une dizaine d’années, alors que les bureaucraties étatiques s’interrogent sur l’efficacité de leur action et sur l’esprit de communalité au sein des sociétés qu’elles gèrent, des discours universitaires parlent de «lien social», de «cohésion sociale», de «sense of sharing» et de «common good». Le thème de valeurs, responsabilités et appartenance partagées est à l’ordre du débat public et politique, à l’égal de critiques de l’individualisme égoïste dit généré par le libéralisme politique. De similaires débats sont survenus, notamment en France lors de mutations économiques et culturelles majeures (Donzelot, 1984). À la fin du XIXe siècle, la cohésion sociale fut une préoccupation marquée de milieux intellectuels et gouvernementaux suite à la transformation des modes de vie et des contestations politiques des classes populaires sous l’impact de l’expansion industrielle de «l’Âge d’or». Et à partir des années 1960, des courants de pensée pointèrent la dilution de la responsabilité sociale et civique des individus en raison du rôle assurantiel des États providence (Crozier, 1968; clubs Jean Moulin, Citoyens 60), la permanence de laissés-pour-compte de la croissance (Darras, 1966; Lenoir, 1974; Pétonnet,1968; Stoléru,1974) ou encore, comme dans d’autres pays, l’extension d’une culture de la consommation (Foucault, 1974; Lefebvre, 1966; Marcuse, 1968, 1969). Pour la plupart de ces auteurs, il en allait d’un dépérissement de la vie civique et de l’intérêt politique, de la disparition de tout sens de solidarité entre les membres d’une société et de la nécessité de recréer des liens entre les citoyens et une implication concrète de tout un chacun dans la gestion des affaires collectives. 

Nous examinerons ici des discours universitaires français et américains reprenant ces thèmes actuellement afin de mettre en lumière leurs divergences mais aussi les apparentes convergences de politiques gouvernementales reproduisant les prémisses de leurs thèses sociologiques.

 

1. L’exclusion et la dissolution
du lien citoyen français

 

L’appauvrissement économique et la désaffiliation

 

Un courant de pensée français avance l’idée d’une crise, d’une décomposition de l’ordre social, du consensus national connus durant les Trente Glorieuses à partir du constat d’un retrait de la vie sociale et politique d’une population croissante subissant des formes diverses de précarité matérielle et d’insertion sociale déficiente. Cette population rendrait compte de sa condition en parlant de rejet, de non liberté, de non reconnaissance, de stigmatisation et d’aliénation sociales, et elle illustrerait combien le lien entre Français serait dissout, sinon menacé. L’introduction d’un des premiers documents officiels, rédigés par des chercheurs, illustre cette représentation :

 

Les exclusions ne menacent pas que les personnes exclues, elles annihilent l’échange social pour tous, le rapport à l’autre, qui seuls permettent à une société de ne pas mourir symboliquement et objectivement. [...] La connaissance des populations exclues durablement du marché du travail, stigmatisées par un passage en détention, privées de l’échange de biens et services par l’absence totale de ressources, exclues du savoir, de la culture commune par l’échec scolaire trop précoce, est essentielle (Rapport Nasse, 1992: 5-6).

 

Une hypothèse soutient l’explication de la montée des inégalités sociales depuis vingt ans: dans une société industrielle, l’insertion sociale d’un individu se réalise dans trois sphères, le monde du travail, la famille et les réseaux de sociabilité. Mais les deux derniers milieux ont perdu de leur efficacité et les inscriptions sociales qu’ils produisaient sont devenues fragiles (Castel, 1996:37). Aussi, le marché du travail demeure-t-il le lieu primordial de l’insertion au sein d’une société et du sentiment d’inclusion et d’acceptation en son sein (Schnapper, 1996). Les thèmes de la fin du travail (Rifkin, 1996), du fordisme [1] ou de la «société salariale» (Castel, 1995) qui intégrait une majorité et excluait quelques uns protégés par les programmes sociaux étatiques, sont mis de l’avant et face à la marginalisation sociale de certains, des solutions avancées : chantiers d’emplois pour les exclus, «économie sociale»solidaire ou de proximité (Laville, 1994) répondant aux besoins sociaux et environnementaux non couverts par le marché en raison de leur faible solvabilité, réaffirmation du rôle de l’État-providence comme régulateur de l’insertion au marché du travail et de l’accès à un revenu minimal. Selon cette vision, la cohésion sociale est affaire de l’État, agent premier de la solidarité sociale et cette vocation de l’État implique qu’il transmette aux individus un désir et des moyens de vivre ensemble, de mener des projets communs et de participer à la vie de la Cité. 

À travers l’étude d’un vaste corpus européens mais principalement français, d’écrits universitaires et officiels souvent rédigés par ou avec l’assistance de chercheurs, H. Thomas (1997) montre comment la notion d’exclusion s’est construite du milieu des années 1970 au début des années 1990, quand elle devint une catégorie de référence quasi obligée, «une méta-catégorie oecuménique» (47) pour parler de ‘formes nouvelles de pauvreté’. À une définition de la pauvreté en termes de consommation, soit d’un seuil insuffisant de ressources matérielles pour assurer la subsistance d’un individu et ses épanouissement et bien-être (éducation, loisirs), s’est substitué un modèle parlant d’une «imbrication» de besoins insatisfaits et de handicaps hypothéquant le partage de manières de vivre propres à la société environnante. La pauvreté en est venue à représenter non seulement un état de manque financier mais encore un état de manque social, «un cumul de handicaps ou d’incapacités qui fait qu’on est démuni, qu’on capitule devant la vie, qu’on est mis en dehors d’elle» (Blancquart, 1982: 65), une désaffiliation (Castel, 1995) ou une disqualification sociale (Paugam, 1991). 

L’exclusion, terme désignant cet état, est un phénomène à plusieurs facettes, privation matérielle, déficit d’insertion sociale, stigmatisation et retrait identitaire [2] et elle véhicule l’image d’individus placé aux marges de la société. Elle est dite un processus de mise à l’écart du marché du travail, dont participent une ou plusieurs situations sociales négatives: formation professionnelle insuffisante, maladie ou état de santé déficient, isolement social ou familial, inadaptation sociale ou appartenance ethnique. Vu, en fait, la multitude de facteurs d’exclusion entrevus, les individus «exclus» sont nombreux, chômeurs, travailleurs à statut précaire, sans domicile fixe (itinérants), population carcérale, alcooliques, drogués, jeunes en échec scolaire, familles nombreuses ou/et monoparentales, retraités démunis, mal logés et résidents de quartiers défavorisés. Ce faisant, leurs descriptions qualitatives ou statistiques ne donnent guère un tableau d’ensemble aisé à lire et à penser, pas plus qu’à dénombrer, et leur définition sociologique devient difficile. 

Deux types d’intervention étatique sont envisagés en France pour remédier à l’exclusion : une assistance en vue d’assurer des conditions de vie minimales à ceux qui en sont victimes; une prévention en vue d’éviter que d’autres ne la subissent. Mais un esprit particulier soutient les interventions publiques car deux aspects de l’exclusion mis de l’avant par les universitaires sont pointés avec force, l’absence d’affiliation sociale et de participation à la vie sociopolitique[3] :

 

Il existe un lien d’interdépendance entre les droits économiques, sociaux et culturels et les libertés civiles et politiques. Faute d’une sécurité minimum dans les domaines fondamentaux de l’existence, une partie de la population française ne peut disposer des moyens d’insertion sociale, notamment par une participation associative. Faute d’un domicile reconnu, un citoyen ne peut obtenir sa carte d’électeur. Illettré il ne peut pas prendre connaissance des programmes politiques (rapport Wrezinski, 1987 : 92, cité par Thomas: 88, note 1).

 

La participation associative apparaît la voie privilégiée selon laquelle des individus au réseau de relations sociales déficient peuvent retisser des liens, réapprendre la vie en société et faire valoir leurs droits, alors que la participation politique est considérée une manifestation d’insertion sociale. Les interventions ont une vocation non seulement de réduction d’inégalités socio-économiques, laissant les individus libres de leur mode d’insertion sociale et de leur intérêt à la vie politique, mais encore une vocation pédagogique de réapprentissage de l’appartenance active à une société. Une citoyenneté définie comme participation active à la vie sociale et politique sous-tend cette conception. La vie en société n’est pas le respect des droits fondamentaux et sociaux de tout un chacun, dont l’État est le garant comme le veut une conception libérale classique, mais une interaction normative entre individus devant participer activement à une vie commune. Le lien social est ancré dans l’actualisation de cette qualité d’acteur de la vie sociale et politique et l’absence de participation aux organisations de la société civile et à la scène politique deviennent des marques d’insertion sociale défaillante, nocives. On ne saurait, en effet,

 

éviter de poser les vraies questions qui touchent à notre aptitude collective à réfléchir sur d’autres modes de vie [... ] de nouvelles formes de solidarités, moins abstraites, plus immédiates, ne renvoyant pas la question sociale à des lendemains qui pour beaucoup ne chanteront jamais. [...] Prévenir les processus d’exclusion, c’est aussi inventer de nouvelles formes de participation, de représentation, pour que l’exclusion de l’échange économique et sociale ne se renforce pas par une confiscation de la parole, de la culture. En ce sens, lutter contre l’exclusion, c’est restaurer des formes de démocratie locale, concrète, quotidienne (Nasse, 1992, introduction).

 

Ce projet de «démocratisation» vise à rendre la parole aux «exclus» et non simplement à réduire des inégalités, car être citoyen est la première définition de l’appartenance sociétale et implique de participer à la vie de la communauté politique, quand bien même se serait-elle que locale. Ainsi, la lutte publique contre les inégalités doit-elle permettre aux populations les plus démunies de développer un sens d’appartenance et de responsabilité citoyennes.

 

Efficacité de la gestion des inégalités?

 

Il demeure qu’un autre objectif, toujours mis de l’avant par les autres États, sous-tend la thèse de la lutte contre l’exclusion en France. En sus d’affirmer sa vocation égalitariste et éducatrice, cette politique vise à réduire les coûts financiers et sociaux de la montée des inégalités :

 

C’est bien en fonction de ces exigences à la fois éthique et fonctionnelle que le Commissariat du Plan compte... continuer l’effort de connaissance, de synthèse et de concertation qui est indispensable pour que les modes d’intervention de l’État et des acteurs dans le champ social évoluent vers une plus grande efficacité (Nasse, idem).

 

Cette efficacité est, par exemple, un des objectifs assignés à la Politique de la ville française selon laquelle il s’agit de rendre plus attrayante et sécuritaire la vie dans les quartiers «difficiles» afin d’atténuer les coûts financiers et sociaux de leur dégradation. Vu l’impossible participation entière de certains individus aux institutions générales et à la vie politique, il faut leur octroyer la possibilité, pour le moins, de faire leur la communauté de vie restreinte qu’ils connaissent. Les aides sont multipliées pour une animation des quartiers défavorisés, la constitution en leur sein d’une vie associative et la prise en charge de problèmes sociaux (décrochage scolaire, dégradation de l’habitat, délinquance juvénile, déstructuration familiale, inadaptation culturelle).Cette «démocratisation» de la vie locale signifie une responsabilisation de la gestion de la pauvreté et de la marginalisation sociale par les «exclus» eux-mêmes, tout autant qu’une amélioration de leurs conditions de vie, la réduction de leur stigmatisation sociale et leur faible représentation sur la scène politique. 

On ne peut que s’interroger l’efficacité pratico-politique de ce mode de gestion des inégalités (Plant, 1991; Rustin, 1991). Pour J. Rancière (1995:158-159), la représentation de la société qui le sous-tend, repose sur l’image d’une communauté pleine de semblables ayant chacun une place sociale selon ses capacités et partageant le même sens de la vie en commun. Aux marges de cette communauté dense, seraient situés des non membres en raison de leur non accès au travail, et leur marginalisation serait rendue plus difficile à vivre en raison d’une différence de culture, d’une absence de partage de valeurs de la société civile, voire de valeurs politiques (intégrismes musulmans). Cette notion de communauté et de marges interdit de penser comment se sont constituées et se reproduisent sans cesse les dites marges, le dit consensus culturel et le non accès de certains au travail. Pour Donzelot (1984), telle imagerie n’est que le simple constat de la distribution empirique, visible, manifeste, des places sociales que véhicule depuis la fin du XIXe siècle l’idéologie de la solidarité sociale nationale, et elle produit une invisibilité des rapports de force économiques et politiques. L’observation empiriste de niveaux de revenu insuffisants, de modes de vie marginaux et de discours de rejet social ne rend pas compte de mutations structurelles en cours, comme d’équilibres politiques existants, et elle représente un exercice plus idéologique qu’explicatif, une forme scientifique et moderne de la taxinomie philanthropique (Dubet, 1997) ou de taxinomie semi-savante (Thomas,1997:198).

 

Des changements structurels

 

On assiste dans les sociétés occidentales depuis la fin des années 1970, à un double processus très chiffré [4], soit une recomposition des emplois des classes moyennes, des fractions de celles-ci s’enrichis­sant, d’autres se prolétarisant (Rugeles, 1992; Birth et Pfefferkon, 1995; Mingione, 1996; Cline, 1997; Fox Piven et Cloward,1998; Wright, 1997; Carnevale et Rose, 1998), et une destruction des cultures et milieux ouvriers (Dubet et Lapeyronnie, 1996). L’internationa­lisation des échanges financiers et marchands a révélé des limites des États-providence qui conçurent les politiques sociales comme des adjuvants des politiques de relance keynésienne et des compléments d’économies de plein emploi. La mondialisation change ces conditions: les classes moyennes ne sont plus le marché de base des économies nationales, dont le keynésianisme augmentait le pouvoir d’achat. La demande est maintenant autant internationale qu’inté­rieure, et le keynésianisme n’a plus la même efficacité. La division du travail sur laquelle reposaient les politiques de régulation du marché du travail d’après-guerre, apparaissent inadéquates dans des économies très compétitives, instables et modifiant sans cesse les règles d’accès à l’emploi (Wuhl, 1996). Ainsi, le fait que les classes moyennes ne constituent plus un marché principal n’est pas indifférent au retrait des aides multiples que leur apportait l’État keynésien, pas plus qu’à l’indifférence de celui-ci aux besoins de formation de leurs membres les moins qualifiés pour répondre aux nouvelles demandes du marché et, finalement, qu’à leur restratification sous l’effet des seules forces du marché. Une position défavorable dans la reproduction des rapports économiques apparaît un aspect de la catégorisation comme exclus. 

Il en est de même de la position dans les rapports de force politiques qui déterminent le mode de traitement par l’État, distributeur de revenus et de ressources. Les difficultés de mobilisation politique que génèrent le fractionnement de la main-d’oeuvre industrielle et la prolétarisation de fractions des classes moyennes les exposent à une victimisation sociale. Un des indicateurs utilisés pour catégorier les «exclus», le recours à des subsides de l’État, illustre cet aspect. Une analyse des changement de niveau de revenu annuel, de taux et mode d’emploi, d’accès aux ressources utiles à la mobilité sociale et d’aide étatique par catégorie occupationnelle, par région de résidence ou selon le poids dans l’économie ou la vie politique, permet de voir un statut politique différencié des personnes recevant des revenus de l’État : prestataires d’aides publiques, médecins, retraités, familles, agriculteurs. Une catégorie, telle celle des petits agriculteurs, qui subit une baisse de revenus et de statut social et est fort subventionnée par l’État, n’est nullement incluse dans la population des individus en processus de chute dans l’exclusion. Elle ne forme pas un isolat social aux frontières floues mais une force électorale organisée. L’incapacité de mobilisation et de pression politiques apparaît un autre facteur de la catégorisation comme «exclus», plus actif que le statut d’emploi ou la source de revenu (Dubet, 1997; Villechaise, 1997). À prendre en compte la position dans la reproduction économique et dans les rapports politiques, on ne peut que constater le raisonnement circulaire de la thèse de l’exclusion, qui considère l’absence de participation politique une marque et une conséquence de l’exclusion, alors que telle absence expose à l’assignation au statut d’exclus. Et il s’ensuit de cette inversion que l’État se doit de remédier à telle absence en instituant, lui-même, de nouvelles formes de participation. La société civile et ses acteurs s’en retrouvent dépendants de l’État-providence, qui redessine les contours de ses clientèles [5].

 

La mondialisation contre l’État

 

Secondement, à suivre l’argumentaire de la thèse sur l’exclusion, l’État apparaît un agent subissant les pressions d’une mondialisation menée par des puissances qui lui sont extérieures et contrariant, sinon annulant, ses objectifs qu’il se doit de réaffirmer en matière de gestion économique, de protection sociale et de promotion de la culture populaire, de masse (Barber, 1996; Bourdieu, 1998; Ramonet, 1997; Petrella, 1996). Nombre d’économistes ont mis en garde contre telle conception de la mondialisation victimisant les États nationaux européens et, à ce propos, Neil Fligstein (1997) a parlé de rhétorique. Une école américaine et canadienne fait l’économie politique de la mondialisation (Helleiner, 1994; Kapstein, 1994; Pauly, 1997; Strange, 1986; 1996), alors que S. Sassen (1996) montre comment les États occidentaux participent activement à l’annulation de certaines de leurs politiques et soutiennent la mondialisation du marché financier et de la production industrielle (création de zones franches, subventions aux grandes entreprises en dépit de programmes de réduction d’emplois par celles-ci, financement d’infrastructures et de recherches leur étant utiles, déductions fiscales). Quant à la globalisation définie comme un processus selon lequel toutes les formes capitalistes existantes devraient se dissoudre dans un grand ensemble anglo-américain, elle est considérée comme un mythe par nombre d’économistes, étant donné la spécificité des dirigismes de chaque État national et les pouvoirs dont chacun dispose encore et le fait que la globalisation n’est que technologique et non l’extension d’une forme, néo-libérale, américaine, du capitalisme en train de recouvrir le monde. R. Boyer et D. Drache (1996) rappellent que les multinationales demeurent, par leurs sièges sociaux, inscrites dans un pays et assujetties à tout contrôle que les États voudraient leur imposer [6]. De plus, des économistes n’appartenant nullement au courant néo-libéral avancent que les changements technologiques et démographiques sont plus que la globalisation, les facteurs primordiaux de la transformation du marché du travail (Krugman, 1998). Aussi, la thèse de la réduction des pouvoirs des États, comme de la fin du nationalisme, sous l’effet de la mondialisation économique et financière semble-t-elle sans réalité et des effets inverses plus vraisemblables. P. Bairoch (1996) maintient que la globalisation loin d’entraîner l’effacement de l’État-nation, lui redonne un rôle-clé pour protéger les populations et développer des marges de manoeuvre face aux marchés. Un exemple récent de cette marge de manoeuvre est l’échec des discussions amorcées en 1995 en vue d’un Accord multilatéral sur l’investissement, qui impliquait une liberté des flux d’investissements directs étrangers dans les 29 pays de l’OCDE, soit la possibilité de rachat d’entreprises nationales ou la participation financière d’investisseurs étrangers à ces entreprises, ainsi que le droit pour ces derniers d’implanter de nouvelles entreprises. La France s’est retirée de ces négociations en octobre 1998 invoquant l’abandon de souveraineté de l’État à des firmes privées. 

Ainsi, par le terme d’exclusion et les multiples documentations de ces formes, est circonscrit à une population peu, sinon nullement, présente et influente sur la scène politique, un ample processus de mutation à l’échelle de la société duquel participent les politiques économiques de l’État, lesquelles ne sont pas un objet d’étude du courant sur l’exclusion. Et ce passage sous silence permet de porter l’attention sur un objet exclusif, la refonte des politiques sociales et la responsabilisation des «exclus». On ne peut que douter de l’efficacité d’une telle mise en perspective de la réduction des inégalités, si ce n’est de celle de permettre une réaffirmation de vocations de l’État, en l’occurrence dans le cas français, sa nature d’agent premier de la solidarité sociale et du fomentement d’un sens d’appartenance sociétale.

 

2. Appartenance, participation
et bien commun aux États-Unis

 

Une littérature universitaire américaine aborde depuis près de vingt ans, la question d’un déficit de volonté de vivre ensemble dans les sociétés actuelles. Elle ne parle pas de cohésion sociale et s’interroge plutôt sur les fondements du sens du bien commun au sein d’une société, s’inquiétant d’un désintérêt croissant à la chose publique. Sa forte audience porte à la prendre en considération quand sont examinés les discours actuels sur la cohésion sociale. Cette littérature ne correspond pas à une école de pensée mais à plusieurs écoles avançant des solutions politiques diverses, sinon antagonistes.

 

Capital social et maillage de la société civile

 

Un courant proche du courant français dans ses propositions et effets politiques et influent aux États-Unis (Helliwell, 1996), recourt à la notion de capital social, laquelle réfère, en général, à toute ressource matérielle ou symbolique permettant l’insertion sociale d’un individu. Néanmoins, il lui attribue un sens particulier qui recouvre les relations sociales favorisant la collaboration, la réciprocité, la confiance, soit une interaction pacifique entre individus. Cette interprétation a été avancée par R. Putnam (1993a,b;1995) suite à une étude comparative de l’efficacité des gouvernements régionaux italiens durant les années 1970. Plus dense était la participation des citoyens à des organisations privées, (associations, clubs, églises) et à la vie politique, plus efficace était le fonctionnement de ces gouvernements et plus élevés le niveau de tolérance et l’attachement à l’idée d’égalité. La conclusion actuellement tirée de cette démonstration est: plus forte est la participation sociale, civique et politique, plus les individus développent un sens d’intérêts et d’enjeux communs, de réciprocité, et une confiance les uns vis-à-vis les autres. En effet, des relations en face-à-face obligent à une responsabilité des propos et de la parole prononcés, ainsi qu’à la prise en compte de l’interlocuteur [7], et les notions de trust (confiance), de connectedness (mise en réseau) sont présentées comme des indicateurs de la possible multiplication de relations sociales utiles à l’apparition d’un sens d’intérêt collectif. La participation associative devient un aspect premier de la formation d’un lien sociétal et le sens d’un vivre ensemble dépendrait de la densité des relations sociales tissées au sein de la société civile et nullement de la forme d’insertion des individus au sein des marchés du travail ou de la consommation, et des interventions de l’État. 

Mais un fait inquiète ce courant: la participation associative locale aurait drastiquement diminué depuis un siècle. Putnam (1996a, b) oppose, à ce propos, les pratiques de sociabilité modèles des générations d’avant-guerre impliquées dans des organisations locales et celles défaillantes des générations d’après-guerre. Cette rupture est constatée sans preuves empiriques solides faute d’enquêtes locales et sur la base du seul examen d’associations nationales, dont le nombre d’affiliés peut être connu depuis plusieurs décennies. Aussi, l’affirmation d’une baisse drastique d’affiliation associative n’est nullement fondée. Néanmoins, un jugement normatif à portée politique est porté sur ce «changement». 

Ce sens du vivre ensemble ancré dans l’implication des individus dans des organisations privées locales postule qu’un partage d’intérêts, d’affinités ou d’orientations de classe, de mode de vie, de culture, fonde la formation de liens entre des individus autrement anonymes, i.e. sans relation de parenté ou d’amitié. Cette conception pose plus d’un problème. Tout d’abord, les conditions sociologiques pour qu’un individu participe et multiplie ses formes d’affiliation associative ne sont pas exposées. Putnam (1996) invoque simplement un manque de volonté politique ou l’impact négatif de nouveaux comportements (écoute de télévision). Pour lui, une aide financière de l’État au réseau associatif, sa promotion de l’entraide et la création d’un corps d’animateurs sociaux auraient pu augmenter la participation et la collaboration sociales défaillantes. Ensuite, constater une corrélation entre l’intensité de la participation et le développement d’un sens d’intérêt commun, n’est pas faire la preuve d’une causalité entre ces deux faits. Enfin, qu’en est-il des effets des divisions sociales sur la visée de la participation, à moins de postuler un sens préexistant d’altruisme, de communauté dépassant les lignes de clivages de classe, de catégorie sociale, de langue, de culture, de religion? Si des affinités et des valeurs similaires sont à la base de l’adhésion à des organismes associatifs et permettent l’apparition d’une notion d’intérêt commun, comment éviter que telle participation ne donne lieu à la création de lobbies ou de milieux fermés défendant des vues ou intérêts particuliers et opère sur une base segmentée, conflictuelle? Le raisonnement apparaît fragile et le discours sur la désagrégation et la fragmentation sociales viser la mobilisation des membres d’une communauté de vie en vue d’objectifs. De fait, les associations désignées comme les lieux les plus appropriés de la convivialité, de la solidarité et de la responsabilisation des individus, sont érigées en instances de gestion des tensions sociales au sein de la société civile (Davies, 1996). S’est ainsi développé aux États-Unis, un fort courant d’une gauche dite sociale voulant utiliser les réseaux locaux comme un ‘capital social’ en vue de décentraliser les agences publiques au nom de la «démocratisation», de l’empowerment (habilitation au contrôle) de leurs clientèles (Pierson, 1991) [8]. Un exemple de l’application de cette forme nouvelle de la gestion des inégalités déléguée à des instances de la société civile a été donné en 1992. Une loi a créé le programme Community Development Financial Institution, selon lequel l’État, des particuliers, des fondations et des banques fournissent du capital à des organisations locales non lucratives (églises principalement), dont les membres, des personnes démunies, n’ont pas accès aux prêts bancaires et autres services financiers. Le montant de cette aide publique planifiée sur quatre ans fut de 382 millions de dollars prêtés à des taux d’intérêt inférieurs à ceux du marché, et, en 1998, la forte contribution du secteur privé permit à quelque 350 organisations de disposer de 3 milliards de dollars pour gérer des programmes de développement social et économique dans des quartiers pauvres. Des organisations locales se trouvent ainsi investies de la gestion des déficits sociaux de zones urbaines défavorisées à un coût moindre pour l’État. Autre exemple significatif, des enquêtes sont lancées pour savoir pourquoi dans des quartiers défavorisés, notamment des zones de ghettos noirs, les taux de délinquance et de criminalité sont moins élevés. Selon l’une d’elles très publicisée et devenue exemplaire [9] (Sampson, Earls, Raudensbusch, 1997), il fut trouvé qu’un contrôle social informel y était exercé par les résidents (surveillance des rues, entraide) en raison de relations de confiance qu’ils avaient construites entre eux, sans que l’on sache comment et pourquoi ces dites relations sont apparues.

 

Inégalités, «social thesis» et participation

 

Un autre courant, dit communautarian, fait le constat d’un manque de sens du vivre ensemble dans les sociétés occidentales actuelles. Bien que divisé en écoles aux propos divergents, il se caractérise par quelques théorèmes communs qui le portent à affirmer que l’État n’est nullement l’agent de la cohésion sociale, la société civile et les individus qui la composent l’étant. Cette conclusion découle d’une thèse sociologique dite «social thesis». Toute liberté individuelle n’existe que mise en oeuvre dans des formes particulières de vie sociale (Walzer, 1980:12-13) et s’actualise à partir d’expériences et de situations sociales concrètes, car un individu se construit en inter-action, de manière dialogique. Il fait des choix et formule des jugements politiques non pas uniquement selon une logique individuelle de calcul rationnel, mais aussi selon l’environnement social et culturel particulier qu’il connaît; ses intérêts, ses décisions et son identité dépendent de sa communauté de vie, de ses attaches sociales, en sont empreints et, fait important, nécessitent une confirmation par cette communauté. Un individu peut certainement réfléchir à ses attaches mais il ne peut s’en affranchir totalement; il appartient, en effet, à une communauté de vie et ne se constitue comme personne et membre d’une société que dans et par rapport à cette communauté. Aussi, ne saurait-il exister de principe extérieur, philosophique, métaphysique, universaliste, objectif, qui puisse baser la vie en société, comme le veut la doctrine politique libérale classique. Le partage, ou le refus de partage, de sens, de pratiques, de valeurs constituent, au contraire, des faits fondateurs de la vie en société, la satisfaction d’intérêts individuels n’étant pas la valeur première et unique d’action, ni la seule source de conflits et de concurrence violente entre individus. Le symbolique, l’expérience, la nature des relations entre ces derniers, leur ancrage historique sont d’autres aspects primordiaux, et la vie en société et toute existence humaine impliquent non seulement une organisation pacifique de la co-existence matérielle et une entente sur des principes, mais aussi une inter-reconnaissance, un sens d’appartenance, une notion de vie vécue en commun. 

La social thesis porte à conclure que l’identification à une société et la formation d’un sens du bien commun sont impossibles tant que l’universalisme abstrait des droits individuels et l’égalitarisme formel demeurent des préceptes premiers au sein des sociétés démocratiques. Les principes fondamentaux de la pensée politique libérale de l’affirmation de la capacité d’autonomie de chaque individu sont mis en cause. En effet, les individus ne peuvent reconnaître la réalité de leur enracinement social et de leur communalité vu la prégnance de l’organisation de la société sur la base des préceptes libéraux et des forces du marché qui les portent à se percevoir comme des atomes et des adversaires en compétition. Aussi, le respect des libertés fondamentales et du principe de l’égalité des chances ne suffit-il à assurer un sens du vivre ensemble des membres d’une société, si les individus ne sont pas conscients de leur appartenance à une communauté de vie, à une collectivité. Vu leur caractère abstrait, formel, les principes libéraux sont, en fait, à l’origine du recul de l’intérêt à la vie publique car ils ne tiennent en rien compte de l’expérience des individus, de leur ancrage social, culturel et historique. 

De la philosophie libérale qui a failli à assurer une cohésion sociale des sociétés modernes, les Communautarians retiennent, néanmoins, la nécessité de voir l’État demeurer le garant des libertés individuelles. Mais ils veulent parfaire le projet moderne. Pour ce faire, ils avancent la nécessité de mettre en oeuvre de nouveaux moyens pour recréer une cohésion sociale et redonner aux individus, le sens de vivre ensemble. Ils développent des propositions diverses à partir de leur thèse de l’enracinement inéluctablement historique de toute conception du vivre ensemble, qui, toutes visent à respecter et à recréer des conditions réelles, concrètes, d’expérience de proximité, d’empathie, de communalité par les individus. 

 

Responsabilité morale

 

Selon C. Lasch (1995), les classes nanties n’assureront jamais volontairement une redistribution égalitaire. Aussi, les lois du marché et de la méritocratie ne pourront-elles jamais assurer l’égalité et les membres d’une société doivent-ils pouvoir se côtoyer, de manière égalitaire, en dehors de leurs milieux de travail et de consommation, si l’on veut éviter les effets de division de la logique du marché. L’image est celle d’un approfondissement socialement dangereux des clivages économiques entre les membres d’une société au point qu’ils ne participeraient plus à des institutions, lieux et valeurs communs et ne se retrouveraient plus en interrelation, alors qu’une mise en face à face fréquente et personnalisée et la responsabilisation des nantis permettraient de réduire les conflits créés inévitablement par l’accès inégalitaire aux ressources matérielles. Lasch cite, pour exemples, les lieux de sociabilité entre classes ouvrière et bourgeoise, que constituaient les cafés de quartier au XIXe siècle, et l’intérêt des magnats industriels d’alors à la vie de leur main-d’oeuvre en dehors des lieux de travail. Puisque les seules relations non conflictuelles entre individus sont celles contractées hors du marché, Lash n’envisage pas tant une intervention de l’État pour réguler les inégalités et l’absence de cohésion sociale qu’elles créent, que le retour à une morale égalitaire des élites. Il parle de «trahison» des élites qui n’assument plus leur responsabilité sociale de réduire les inégalités matérielles et symboliques et met de l’avant l’obligation des classes possédantes d’assumer leur devoir personnel de redistribution. À son avis, toutes les politiques de réparation offertes par l’État aux défavorisés (deprived), sans que ne soient transformées la hiérarchie des richesses et la fonction première des classes nanties de se préoccuper elles-mêmes des effets sociaux et symboliques des inégalités, est l’équivalent du mythe de la mobilité sociale au XIXe siècle. Dans ce cas, la cohésion sociale dépend de l’acceptation par les élites économiques de leur propre enracinement et appartenance à la société qui permet leur promotion matérielle politique et symbolique. Et cette acceptation ne semble devoir venir que d’une transformation morale des élites, ce qui explique la qualification de conservatrice de l’école communautarian auquel appartient Lasch.

 

Participation locale et sens des obligations mutuelles

 

Des auteurs adhérant à une définition républicaine de l’État, exposent d’autres modes de réactualisation du sens du vivre ensemble et de la cohésion sociale qui en découlerait. Ils proposent, eux aussi, la création de lieux de face-à-face responsable et fréquent entre individus, par un renouveau de la participation aux décisions locales et nationales. Ils veulent voir les individus devenir des citoyens actifs et responsables. Pour Walzer (1980, 1984), la doctrine politique libérale a permis une libération des individus par la reconnaissance de leur égalité devant la loi et de leurs mérites personnels et, à travers les politiques sociales de l’État-providence, elle a permis l’inclusion des «invisibles», des laissés pour compte de la croissance. Elle a encore permis un laissez-faire positif en matière de culture et de morale. Mais, ces acquis ne se sont pas accompagnés d’une libération économique. Demeurent une concentration de la richesse et du pouvoir et une imposante bureaucratie d’État qui minent le contrôle des citoyens sur les forces qui mènent leur vie et ce d’autant plus que la doctrine libérale ne sécrète pas un sens d’appartenance à une communauté nationale, un fort attachement à une communauté locale de vie, ou encore une pratique démocratique locale. Ce faisant, cette doctrine a détruit le sens premier de la citoyenneté, la participation aux décisions, car la participation par délégation, le vote, est un simulacre et ne donne qu’une illusion de vie commune. De plus, l’omission par les Libéraux des expériences, attachements, valeurs liés à l’appartenance à une famille, un groupe racial, culturel, religieux, rend irréelle toute notion de vie commune en dehors du partage de ces qualités abstraites que sont les libertés et les droits. En effet, nous sommes égaux en raison «avant tout d’une particularité. Nous sommes des producteurs de culture; nous faisons et habitons des univers de sens» (1983: 314). 

Aussi, Walzer très attentif aux inégalités sociales veut-il parfaire la libération moderne en défendant les individus contre les pouvoirs économiques privés et contre toute forme de discrimination raciale ou ethnoculturelle. Il critique, dans Spheres of Justice (1983), la thèse libérale de l’égalité simple, selon laquelle tout un chacun doit bénéficier des biens de manière semblable. Cette thèse comporte le risque de voir un de ces biens, l’argent, s’imposer comme unique instrument d’échange. Il défend la thèse de l’égalité complexe, où l’État appliquerait des principes différents selon le domaine en cause: marché du travail, école, culture. Par exemple, respecter les individus comme des porteurs de culture implique de prendre en compte la compréhension de ce que sont les >biens sociaux’ (social goods) dans une culture donnée mais «comme il n’existe aucune possibilité de hiérarchiser les univers (culturels), nous faisons justice aux hommes et aux femmes en respectant leurs créations particulières» (1983: 314). Vu cette impossibilité d’un consensus en matière de culture (1997) et la concentration des pouvoirs politique et économique, il ne demeure qu’une seule forme et qu’un seul fondement possibles d’une démocratie effective et d’un sens du vivre ensemble, la délibération et l’action communes, la participation effective aux décisions concernant une communauté de vie. Les organisations privées formées au sein de la société civile apparaissent, encore une fois, les lieux et instances où se forge la notion d’obligation et de responsabilité mutuelles, puisque toute relation sociale stable, tout face-à-face fréquent convoient une forme de contrôle social informel mais efficace et constituent la base de l’apprentissage de la mutualité des intérêts et obligations. Dès lors, la participation à échelle humaine, locale, est le lieu de formation du sens civique et villes, entreprises, églises, clubs, quartiers, écoles en sont les places privilégiées. La combinaison de cette forme de participation, comme une démocratisation des institutions gouvernementales devraient recréer un sens de la vie commune, du bien commun, comme de l’appartenance citoyenne. Pourtant, peut-on rétorquer, les associations ou autres organisations de la société civile ne sont pas forcément des écoles de vertu civique mais peuvent être des écoles de conformisme, d’autoritarisme et d’intolérance et des lieux de coalition d’intérêts égoïstes, ce dont Walzer est conscient car il propose leur contrôle par l’État afin d’y voir assuré le respect des droits de chacun (1992: 106-107).

 

Conclusion

 

On ne peut que constater combien ces discours sur des failles de cohésion sociale ou de vivre ensemble sont contextuels. Ils ont pour effet, en France, de réaffirmer la centralité de l’action étatique, alors qu’aux États-Unis, ils tendent à démontrer le rôle secondaire de l’État dans la gestion des inégalités et relations sociales et à revaloriser le rôle de la société civile. La littérature française sur l’exclusion insiste sur l’accès égalitaire aux biens matériels et symboliques; elle veut que la représentation d’un lien entre membres d’une société soit dérivée de la comparaison de ses conditions de vie (travail, habitat, maladie, instruction, consommation) avec celles d’autres, et subséquemment de la place sociale détenue et de la capacité de réaliser ou d’être ce que l’on voudrait et qu’on devrait pouvoir réaliser ou être. La grande catégorie référentielle des exclus demeure l’égalité des chances d’être ce que l’on désire, égalité que l’État, seul, peut rendre actuelle. 

La littérature américaine pose que l’insertion concrète dans des réseaux de relations sociales non déterminée par le marché et l’État, et l’intensité de ces relations sont les facteurs premiers du lien social. Ces formes de face-à-face permettraient aux membres d’une collectivité, de réduire les inégalités et conflits créés inévitablement par l’accès inégalitaire aux ressources matérielles. Ce courant américain, selon une tradition historique d’affirmation de contre-pouvoirs à l’État et de la capacité de la société civile de résoudre les conflits créés par l’existence de multiples intérêts antagonistes, conçoit la participation associative comme le terroir d’un sens de l’intérêt collectif. 

Ce constat de l’évidence de la prégnance d’héritages politiques ne saurait effacer deux convergences. Montée des inégalités sociales, pénétration d’une culture de masse uniforme, effacement des cultures nationales ou locales, inadéquation des régulations étatiques, indifférence des individus à leurs semblables et à leur vie en société sont divers aspects mis de l’avant selon le contexte. Mais ces thèmes servent à articuler un constat commun : la stabilité des sociétés actuelles est menacée et les principes libéraux de création de l’ordre social sont défaillants; subséquemment, le climat social et culturel dans lequel vivent les individus un aspect plus déterminant de la vie en société que la recherche de principes devant guider un respect réel et concret des droits de tout un chacun. 

Par ailleurs, ces discours fondent de nouveaux modes similaires de gestion des inégalités socio-économiques et politiques à l’époque actuelle. Quels que soient leurs ancrages théoriques et leurs orientations politiques, ils proposent des solutions invoquant l’obligée responsabilité sociale de tout individu, que l’insistance du libéralisme politique sur les droits fondamentaux aurait oblitérée et réduite à néant. Et ils militent pour créer de nouveaux modes d’apprentissage de cette responsabilité par tout un chacun. Tout en parlant de démocratisation, ils estiment qu’une rééducation des individus est nécessaire sans jamais examiner quelle est l’adhésion de ces derniers à telle limite éventuelle de leur liberté par un État pédagogue ou par leurs co-résidents.

 

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[1]    Emplois salariés, réguliers, permanents ou sans lien à long terme à une entreprise.

[2]    Cette définition n’est pas uniquement française mais fortement reprise en France. Dans son premier programme de lutte contre la pauvreté en 1976, le Conseil de la Communauté Européenne avança pareille définition: «Sont considérés comme pauvres les individus et les familles dont les ressources sont si faibles qu’ils sont exclus des modes de vie, des habitudes et activités normaux de l’État dans lequel ils vivent» (Thomas: 26).

[3]    En ce sens les interventions françaises se démarquent de celles adoptées par d’autres pays de l’Union Européenne qui, sur la base de la défense des droits de l’Homme, présentent l’exclusion plus comme une atteinte aux libertés fondamentales d’individus dont la condition socio-économique ne permet pas la jouissance de droits reconnus à tous (choix de lieu de résidence, de logement, éducation, vie familiale).

[4]    Quelques chiffres pour exemples. En 1994, il est fait état de plus 60 millions de pauvres sur 300 millions d’habitants aux USA et de plus de 52 millions sur 300 millions d’habitants dans l’Union européenne, le Royaume Uni représentant le cas le plus significatif : 13,9 millions pour une population de 60 millions (Petrella 1997). La proportion des salariés pauvres a quasi doublé en 15 ans en Occident. En France, en 1997 un salarié sur six, soit 2,8 millions de persones, percevait un salaire inférieur ou égal à 4867FF alors que la proportion des salaires inférieurs ou égaux à 3650FF avait doublé entre 1983 et 1997, passant de 5% à 10%, en raison surtout de l’augmentation du travail à temps partiel (Concialdi et Pontieux, 1997). Un rapport de la Direction de l’Aide sociale du ministère de l’Emploi et de la Solidarité, rendu public en novembre 1998, faisait état que plus de 800.000 foyers avaient déposé une demande auprès du Fonds d’urgence sociale créé deux ans auparavant. Aux États-Unis, un salarié à plein temps gagnait 400$ par semaine en 1996 comparativement à 517$ en 1971 (en dollars constants) et le revenu moyen d’une famille était de de 40.100$ en 1971, 42.700$ en 1986 et 42.300$ en 1996, soit de 5% de plus qu’il y a vingt-cinq ans (Friedman, 1998). Selon un rapport sur les inégalités au Canada rendu public en 1998 par le Centre pour la justice sociale établi à Toronto, les écarts entre les salaires les plus hauts et les salaires moyens des ménages se sont creusés depuis une dizaine d’années au Canada; en 1973, 60 % des familles avaient un revenu de 24.500$ à 65.000$, seulement 44 % déclaraient un tel revenu en 1996. La progression du travail à temps partiel accepté faute d’emploi à temps plein, ainsi que des emplois intérimaires ou temporaires mal rémunérés, est un facteur de cet appauvrissement dans tous les pays de l’OCDE.

[5]    La Politique de la ville comme une des formes de la lutte publique contre l’exclusion en France, semblerait, en effet, avoir un effet double confortant une nouvelle dynamique de contrôle, soit une croissance des revendications et contestations du secteur associatif en forte croissance dans ce pays, et une mise en dépendance des pouvoirs publics des organismes associatifs créés sous l’impulsion de l’État et financés par lui, dont nombre sont intégrés d’immigrés et de leurs descendants. Au Canada, cette dynamique induite par la politique du multiculturalisme est connue.

[6]    Lors d’un récent colloque en France, des économistes ont rappelé ces faits («Évolution et transformation des systèmes économiques: approches comparatives du capitalisme et du socialisme» organisé par le CEMI-EHESS et le GERME de Paris VII, les 19 et 20 juin 1998). Les Actes de ce colloque seront publiés en janvier 99.

[7]    À la différence, par exemple, des émissions TV ou radio d’animation politique durant lesquelles des auditeurs peuvent tenir des propos sans se nommer (Putnam, 1996).

[8].   D’autres politiques suggérées se rattachent à cette vision d’une nécessaire responsabilité sociale des individus sans qu’aucune idée de «démocratisation» n’y soit rattachée. Les programmes publics dits «parcours d’insertion» pour les jeunes chômeurs illustrent cette logique que Mead (1997) a résumée: «Il faut établir un nouveau contrat social selon lequel les pauvres, notamment les jeunes, obtiendront une aide publique s’ils font quelque chose pour eux-mêmes, soit promettre de demeurer à l’école, cesser d’utiliser des drogues». Et dans un autre pays, en Grande-Bretagne, le plan de refonte de l’État-providence par les Travaillistes, doit, selon les termes du Secrétaire d’État à la réforme sociale le présentant en mars 1998, lier les individus et l’État par un «nouveau contrat social» comportant des droits et obligations réciproques. L’État se doit se lutter contre la pauvreté, l’individu de travailler pour assurer sa subsistance, car «il faut sortir les individus de la pauvreté et d’un état de dépendance pour les conduire vers un sens de la dignité et l’indépendance» (De Beer, 1998). Les conclusions d’une étude illustrent cette volonté de responsabiliser les individus. A. Power (1997), une auteure britannique, a examiné les programmes de gestion mis en place dans des quartiers «difficiles» dans cinq pays. Elle souligne les succès remportés dans des quartiers du nord de Londres où les écoles se sont vues attribuer la responsabilité de leur gestion financière et où une collaboration entre écoles, police, services municipaux responsables de l’habitat a permis de réduire les taux de criminalité et de délinquance. La responsabilisation des résidents de la gestion de leur zone d’habitat et de son parc immobilier aurait permis d’améliorer la qualité de ce parc, la qualité de vie de ses habitants, comme d’assurer le maintien de ces derniers dans ces zones et d’éviter le coût de les loger dans d’autres quartiers ou immeubles. Selon un esprit similaire, le gouvernement travailliste prévoit de créer des Education action zones, où entrepreneurs, commerçants et autres résidents seraient encouragés à s’intéresser à la vie scolaire locale et à mettre sur pied des homework clubs et garderies. Le décrochage scolaire et l’aide aux familles monoparentales sont visés.

[9]    Basée sur un échantillon de près de 8.000 personnes vivant dans des quartiers de Chicago très défavorisés. Les personnes ont été interrogées sur leur perception de la collaboration de leurs voisins (exemple : Is it very likely that your neighbors will intervene if your children hang up in the street?).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 26 février 2008 10:40
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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