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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Denise HELLY, Nong ZHU, Marilou TRUDEL, “Équité et insertion des immigrants au marché du travail canadien.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Jean-Paul DOMIN, Au-delà des droits économiques et des droits politiques, les droits sociaux ?, pp. 23-36. Paris/Budapest/Torino, L'Harmattan, 2008, 332 pp.. [Autorisation accordée par l'auteur le 13 mars 2013 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Denise HELLY, Nong ZHU, Marilou TRUDEL

INRS culture – société, Université du Québec

Équité et insertion des immigrants
au marché du travail canadien
.”

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Jean-Paul DOMIN, Au-delà des droits économiques et des droits politiques, les droits sociaux ?, pp. 23-36. Paris/Budapest/Torino, L'Harmattan, 2008, 332 pp.

Résumé
1. Introduction
2. L'inégalité et la pauvreté chez les immigrants
3. Méthodologie
4. Résultats et discussion

4.1. L'évolution de la distribution de revenu entre 1991 et 2001
4.2. Estimation de l'équation de revenu
4.3. Décomposition de la croissance du revenu

5. Conclusion

Bibliographie



RÉSUMÉ

Ce travail examine les facteurs de l'inégalité de revenu des immigrants dans le cas canadien. Les résultats montrent que les immigrants asiatiques se caractérisent par une inégalité de revenu importante. Les politiques visant à améliorer le bien-être social doivent mettre l'accent sur l'augmentation du taux d'emploi chez les immigrants.

1. INTRODUCTION

L'équité est une question centrale pour l'économie sociale et les politiques publiques. Selon Le rapport sur le développement dans le monde 2006 (The World Bank, 2005), un des principes fondamentaux de la notion d'équité est "l'égalité des chances, soit l'idée selon laquelle ce qu'une personne accomplit durant son existence doit être fonction de ses capacités et de ses efforts plutôt que d'un contexte préétabli : race, sexe, milieu familial et social, pays d'origine, etc." Depuis les années 1970, l'insertion des immigrants au marché du travail a connu des changements importants au Canada (Grant et Sweetman, 2004). D'une part, l'entrée massive de personnes originaires des pays du Sud a accru l'hétérogénéité ethnique et sociale du marché du travail ; d'autre part, les fluctuations économiques et l'affaiblissement du secteur intensif en travail ont aggravé la difficulté des nouveaux arrivants de trouver un emploi sur un marché du travail segmenté et où persiste une discrimination à l'emploi. De fait, comparativement aux natifs les immigrants sont surreprésentés dans la catégorie des pauvres et cette situation pose un problème d'équité sociale (Helly, 2008).

L'équité, un concept normatif est généralement non-mesurable. Pour étudier l'équité, on peut examiner la distribution du revenu, soit les inégalités de revenu et la pauvreté. Mais, s'il existe une abondante littérature sur la performance économique des immigrants, les études sur les relations entre l'immigration et la distribution du revenu sont rares et la plupart expliquent les différences de revenu moyen entre immigrants et natifs en considérant les immigrants comme un groupe homogène. Elles ne traitent pas de la distribution des revenus chez les immigrants et ne mettent pas en lumière la situation des immigrants à faible revenu. Alors que depuis vingt ans, on constate au Canada une détérioration de la performance économique des immigrants.

Dans la présente étude, nous examinerons les facteurs de l'inégalité de revenu et de la pauvreté des immigrants depuis les années 1990 dans le cas canadien. Nous essayerons de répondre à des questions peu abordées telles que : l'augmentation du revenu moyen est-elle "pro-poor" ou "pro-rich" ? Quels sont les facteurs de la croissance différentielle du revenu chez les immigrants des pays du Sud ? La section 2 de ce texte évoque brièvement la littérature concernant la distribution des revenus chez les immigrants, la section 3 présente les méthodes d'analyse et la section 4 les résultats.

2. L'INÉGALITÉ ET LA PAUVRETÉ
CHEZ LES IMMIGRANTS


Les analyses des disparités de revenu entre immigrants et natifs ont une longue histoire. La plupart des recherches ont souligné les différences de revenu entre immigrants en provenance de pays du Sud et natifs (Aydemir et Skuterud ; 2005 ; Hum et Simpson, 2000 ; Li, 2000 ; Reitz, 2001 ; Swidinsky et Swidinsky, 2002 ; etc.).

Toutefois, les études des relations entre immigration, inégalité et pauvreté sont rares (Basavarajappa, 2000 ; Kazemipur et Halli, 2000). Plusieurs travaux portant surtout sur les États-Unis montrent que l'immigration est un important facteur de l'inégalité et de la pauvreté (Johannsson et Weiler, 2005 ; McCall, 2001 ; Reed, 2001 ; etc.). Dans le cas canadien, selon Moore et Pacey (2003), l'inégalité de revenu s'est élargie entre 1980-1995 en raison essentiellement de l'entrée massive de nouveaux immigrants et de la récession économique. Par contre, selon Breau (2007) étudiant la période de 1981 à 1999, c'est en raison de la croissance du commerce international, du progrès technologique, d'une nouvelle hétérogénéité des niveaux d'éducation, de la désindustrialisation et de la réduction des transferts gouvernementaux et moindrement en raison du ratio des nouveaux immigrants. Une analyse comparative montre que les flux relativement plus importants d'immigrants qualifiés au Canada contribuent à réduire les inégalités alors qu'aux États-Unis l'immigration davantage non-qualifiée contribue à les accroître (Aydemir et Borjas, 2007). Mills et Zandvakili (2004) ont également conclu que l'immigration était un facteur d'inégalité.

Basavarajappa (2000) a, quant à lui, analysé la distribution des revenus chez les immigrants âgés de 55 ans et plus. Il a montré que les immigrants venus des pays du Sud disposaient de revenus moyens inférieurs à ceux des natifs et étaient victimes d'une distribution du revenu inéquitable. Partant du concept des "plafonds invisibles" (glass ceiling), PENDAKUR et PENDAKUR (2007) estiment que des inégalités de revenu existent à l'intérieur même des différents groupes ethniques au Canada. Ce concept fait référence aux barrières, "plafonds invisibles", auxquelles font face certains groupes qualifiés, ici les immigrants, sur le marché du travail en raison de diverses formes de discrimination. À l'aide de régressions effectuées pour différents quintiles de revenu, les auteurs évaluent la présence de ces plafonds chez les immigrants chinois. Par contre, à l'exemple d'autres études, les inégalités de revenu chez les travailleurs de race noire semblent patentes à travers tous les quintiles de revenu. Kazemipur et Halli (2000 ; 2001) ont vérifié la validité des théories classiques à propos de "la nouvelle pauvreté" de l'immigration et ont mis en évidence l'effet de divers facteurs (capital humain, origine ethnique, période d'immigration, âge à l'arrivée, etc.) sur la pauvreté chez les immigrants.

3. MÉTHODOLOGIE

Dans un premier temps, nous expliquons comment l'inégalité de revenu a évolué dans le cas des natifs et des immigrants et nous examinons les segments de la population qui ont le plus bénéficié d'une hausse de revenu. Nous utilisons la courbe GIC (Growth Incidence Curve) développée par RAVALLION et CHEN (2001) pour examiner la croissance de revenu. Cette courbe décrit pour chaque percentile de la distribution le taux de croissance de revenu pendant la période étudiée. Plus précisément, nous considérons deux points du temps, t0 et t1 où le taux de croissance de revenu de la pe quantile est donné par :

g(p)=(y1(p)-y({p))/y0(p)

Lorsque p varie de 0 à 1, g(p) trace la courbe GIC. Par exemple, au 50e percentile, la figure donne le taux de croissance du revenu médian. Si l'inégalité ne change pas, g(p) = g pour tous les p, où g est le taux de croissance du revenu moyen. Si g(p) est une fonction décroissante (croissante), l'inégalité diminue (augmente) pendant la période étudiée selon toutes les mesures de l'inégalité. Si la courbe GIC se trouve au dessus (dessous) de l'axe zéro, g(p) > 0 (g(p) < 0) pour tous les p, les quantiles correspondants connaissent une augmentation (diminution) de revenu. En comparant les courbes GIC entre divers groupes à différentes périodes, nous analysons les différences entre immigrants et natifs, et pouvons saisir leur évolution à court et long terme. Ces analyses permettent de préciser quels groupes ont le plus bénéficié de la hausse de revenu et d'évaluer la place de chacun dans la variation de l'inégalité pendant les périodes étudiées.

Dans un deuxième temps, nous analysons les effets des attributs individuels des immigrants sur l'inégalité de revenu et la pauvreté. L'hypothèse est qu'un changement des attributs (scolarité, connaissance linguistique, industrie, année d'immigration, lieu de résidence, etc.) et du rendement de ces attributs contribue aux disparités de la performance économique des immigrants, ainsi qu'au changement de la distribution du revenu. Nous utilisons un développement de la décomposition de Blinde-Oaxaca (Smith and Welch, 1989 ; The World Bank, 2007) pour examiner le rôle des attributs dans le changement de revenu entre deux points du temps t0 et t1. Nous quantifions l'influence des divers attributs sur la variation de revenu en décomposant leurs effets en (i) "effet principal" dû au changement des attributs des immigrants et (ii) "effet temporel" résultant du changement de rendement de ces attributs. Formellement, nous supposons qu'il y a deux équations de revenu des immigrants, celles de 1996 et de 2001 :


yi est le revenu des immigrants et  le vecteur qui définit les caractéristiques individuelles. En fait, nous pouvons considérer les coefficients, , comme le "rendement" des attributs individuels.

Après avoir estimé (1) et (2), nous obtenons


En calculant la moyenne pour chaque point du temps, nous avons :


t1 et t0 sont les moyennes géométriques du revenu prédit des deux points du temps, t0 et t1 ; ∆log y représente la variation de revenu pendant cette période. L'effet principal, , capture l'impact du changement des attributs des immigrants : changement de capital humain, transfert des travailleurs de secteurs à productivité faible vers des secteurs à productivité élevée, de métiers marginaux vers des métiers qualifiés, etc. L'effet temporel, , capture l'impact de la variation du "prix" ou rendement des divers attributs : rendement de l'éducation, premiums spécifiques sectoriels, disparités régionales, etc. Cette analyse permet d'étudier les facteurs de la croissance différentielle de revenu entre différents segments de la population.

La présente étude s'appuie sur les fichiers de microdonnées à grande diffusion (FMGD) des recensements de 1991, 1996 et 2001. Ces trois bases de données reprennent respectivement des données fondées sur un échantillon de 3,0%, 2,8% et 2,7% de la population recensée. Nous utilisons les fichiers des ménages et du logement. Les revenus rapportés concernent l'année précédant celle du recensement. Nous utilisons les indices des prix à la consommation par province (1992=100) pour calculer les revenus réels.

4. RÉSULTATS ET DISCUSSION

Nous analysons l'évolution de la distribution de revenu pendant la période 1991-2001, puis nous présentons les résultats de l'estimation de l'équation de revenu et examinons la contribution de chaque variable indépendante à la croissance du revenu.

4.1. L'évolution de la distribution de revenu
entre 1991 et 2001


Le tableau 1 présente le changement de la distribution de revenu pendant la période 1991-2001. Selon le lieu de naissance du principal soutien du ménage, nous divisons la population en quatre sous-groupes : non-immigrants, immigrants en provenance de l'Europe, immigrants en provenance de l'Asie et immigrants en provenance des autres régions. Il faut remarquer que les immigrants provenant des États-Unis font partie du dernier sous-groupe du fait que nous ne pouvons pas isoler les immigrants américains dans les bases de données de 1991 et 1996.

Table 1.

Le changement de la distribution de revenu, 1991-2001
(Revenu réel par membre du ménage)

1991

1996

2001

Taux de variation entre 1991
et 2001 (%)

Moyenne du revenu (dollars)

Total

19443

18536

19915

2,4

Non-immigrants

19561

18842

20267

3,6

Immigrants en provenance de l'Europe

20325

19379

20961

3,1

Immigrants en provenance de l'Asie

15387

13553

15140

-1,6

Immigrants en provenance des autres régions

18240

16697

18160

-0,4

Indice de Gini

Total

0,370

0,381

0,367

-1,0

Non-immigrants

0,368

0,376

0,362

-1,8

Immigrants en provenance de l'Europe

0,355

0,361

0,349

-1,8

Immigrants en provenance de l'Asie

0,398

0,427

0,405

1,6

Immigrants en provenance des autres régions

0,410

0,437

0,407

-0,7

Incidence de la pauvreté (%)

Total

5,8

7,8

6,1

6,3

Non-immigrants

5,6

7,1

5,5

-0,6

Immigrants en provenance de l'Europe

3,5

5,0

3,8

6,4

Immigrants en provenance de l'Asie

12,2

18,2

13,7

12,6

Immigrants en provenance des autres régions

10,1

14,8

10,7

6,2


Les données des recensements montrent que le revenu moyen réel a diminué entre 1991 et 1996, avant d'augmenter à nouveau en 2001. Les quatre sous-groupes ont connu la même tendance pendant cette période. Mais le revenu moyen des immigrants en provenance des régions autres que l'Europe, malgré une augmentation durant la dernière moitié des années 1990, n'a pas regagné le niveau de 1991 en 2001. Les immigrants provenant de l'Asie maintiennent toujours le plus faible niveau de revenu.

Concernant l'inégalité de revenu, l'indice de Gini a augmenté durant la première moitié des années 1990, puis a diminué pendant la dernière tant pour la population totale que chaque sous-groupe. L'inégalité est plus importante chez les immigrants provenant de l'Asie et des autres régions. Comme mentionné ci-dessus, le dernier sous-groupe inclut les émigrants des États-Unis, dont le revenu moyen est plus élevé que celui des autres. Cela augmente la variance du revenu au sein du dernier sous-groupe, conduisant à un indice de Gini élevé.

L'analyse de la pauvreté suppose la détermination du seuil de pauvreté. Le seuil de faible revenu (SFR) de Statistique Canada variant selon la taille du secteur de résidence et celle de la famille, se compose de 35 catégories (Statistique Canada, 2006). Afin de simplifier la question, nous prenons la moyenne du revenu réel par membre du ménage dont le revenu total est inférieur au SFR de Statistique Canada, soit 4 699 dollars canadiens en 1991, comme la ligne de pauvreté. La dernière partie du tableau 1 présente nos résultats. La pauvreté a augmenté pour tous les groupes d'immigrants entre 1991 et 2001, surtout provenant de l'Asie.

Le graphique 1 présente les courbes GIC pour les quatre sous-groupes pendant la période 1991-2001 et ses deux sous-périodes : 1991-1996 et 1996-2001. Ces courbes permettent d'identifier les segments de la population les plus touchés par la fluctuation du niveau de revenu. Regardons la période 1991-2001. Pour les non-immigrants et les immigrants en provenance de l'Europe, la courbe se trouve au dessus l'axe zéro sauf aux deux bouts en raison des valeurs extrêmes de revenu. Ceci signifie que presque tous les segments de la population dans ces deux groupes ont connu une augmentation de revenu réel. Au contraire, pour les immigrants asiatiques, la courbe reste au dessous de l'axe zéro du segment le plus pauvre jusqu'au 60e percentile, ce qui implique une baisse de revenu réel dans les classes pauvres et moyennes de ce groupe. Même chez les immigrants asiatiques de la classe riche, l'augmentation de revenu réel est quasi-négligeable, plus faible que celle chez les non-immigrants et les immigrants de l'Europe. Par ailleurs, la courbe GIC est significativement croissante chez les immigrants originaires de l'Asie. Nous pouvons dire que les immigrants asiatiques ont connu pour la plupart une détérioration de revenu réel entre 1991 et 2001 et cette détérioration a été plus accentuée dans la classe pauvre, ce qui a aggravé l'inégalité au sein de ce groupe.

Graphique 1 : Les courbes GIC







Regardons les deux sous-périodes : 1991-1996 et 1996-2001. Pendant la première, toutes les courbes GIC sont situées au dessous de l'axe des abscisses. Tous les groupes ont connu une diminution du revenu réel, une diminution plus accentuée pour les immigrants des régions autres que l'Europe. Par ailleurs, la baisse du revenu réel pendant cette période semble plus importante pour les ménages les plus pauvres, ce qui explique l'augmentation de l'indice de Gini (Tableau 1). Contrairement à la première moitié des années 1990, la dernière moitié est caractérisée par une augmentation générale du revenu réel pour tous les groupes. La hausse du revenu réel est plus importante pour les immigrants provenant de l'Asie et des autres régions, et pour les ménages les plus pauvres. L'augmentation de revenu pendant cette période est donc "pro-rich" réduit l'inégalité.

En résumé, le revenu réel a connu une baisse entre 1991 et 1996, puis un redressement entre 1996 et 2001. Au cours de ce processus, la classe la plus pauvre a été plus touchée par la fluctuation économique. Elle a subi une détérioration pendant la période de récession et une amélioration plus significative pendant la période de forte expansion économique, et les immigrants provenant de l'Asie semblent se trouver dans la situation la plus défavorable. Ce résultat pourrait s'expliquer par le fait que les Asiatiques sont davantage concentrés dans la région métropolitaine de Toronto où les fluctuations d'emploi ont été plus prononcées que dans le reste du pays.

4.2. Estimation de l'équation de revenu

La base de données de 1991 de Statistique Canada ne contient pas l'industrie du principal soutien du ménage, et nous devons réaliser nos analyses avec les données de 1996 et 2001. Par ailleurs, la présente étude vise à analyser la distribution des immigrants en provenance des pays du Sud. Vu qu'il est impossible d'isoler les immigrants américains - un groupe très favorisés sur le marché du travail - du dernier sous-groupe, nous limitons notre échantillon aux immigrants de l'Asie. Le tableau 2 présente les résultats de l'estimation des équations de revenu.

Regardons l'effet des caractéristiques du principal soutien du ménage sur le revenu réel par membre du ménage. Le fait d'être un homme et l'âge jouent positivement sur le revenu, comme le niveau d'éducation et la maîtrise des langues officielles (effet plus important pour les individus parlant l'anglais ou se déclarant bilingues). Par rapport aux nouveaux arrivants, les anciens immigrants ont un niveau de revenu significativement plus élevé, ce qui semblerait confirmer la prédiction des approches d'assimilation, selon lesquelles les nouveaux immigrants font face à une situation défavorable pendant les premières années après l'arrivée.

Tableau 2 :
Estimation des équations de revenu
(Immigrants en provenance de l'Asie)
Variable dépendante : logarithme du revenu réel par membre du ménage

1996

2001

Caractéristique du principal
soutien du ménage

Homme

0 141***

(9,03)

0,067***

(5,24)

Groupe d'âge (référence : 15-34 ans)

35-54 ans

0,105***

(7,13)

0,063***

(4,88)

55 ans ou plus

0177***

(7,89)

0,136***

(7,32)

Plus haut niveau de scolarité atteint

(référence : Niveau inférieur au certificat d'études secondaires)

Certificat ou diplôme d'une école de métiers,

études collégiales

0,071***

(4,22)

0,067***

(4,46)

Études universitaires

0,185***

(11,68)

0145***

(11,13)

Langue officielle

Français seulement

0,143***

(5,42)

0,167***

(7,10)

Anglais seulement

0,151**

(2,29)

0,248***

(4,42)

Anglais et français

0,300***

(8,32)

0,284***

(9,00)

Année d'immigration (référence : après 1981)

Avant 1971

0,288***

(15,52)

0,243***

(13,38)

1971-1980

0,272***

(19,18)

0,244***

(18,93)

Industrie (référence : Hébergement et restauration)

Industries agricoles

0,098

(É55)

0,166***

(3,02)

Autres industries du secteur primaire

0 455***

(6,13)

0,473***

(6,90)

Industries manufacturières

0,272***

(12,26)

0,242***

(12,44)

Construction

0,232***

(6,02)

0,139***

(4,18)

Transport et entreposage

0,176***

(4,93)

0,208***

(7,50)

Communications et autres services publics

0,362***

(9,14)

0,319***

(9,29)

Commerce de gros

0,204***

(6,72)

0,193***

(7,13)

Commerce de détail

0,072***

(2,80)

0,071***

(3,14)

Industries des intermédiaires financiers, des

assurances et des services immobiliers

0,379***

(12,49)

0,389***

(15,02)

Services aux entreprises

0,302***

(10,58)

0,325***

(14,51)

Services gouvernementaux

0,393***

(10,13)

0,384***

(10,63)

Services d'enseignement

0,216***

(6,28)

0,155***

(5,16)

Services de soins de santé et services sociaux

0 491***

(16,55)

0,359***

(13,83)

Autres industries de services

0,078***

(2,68)

0,070***

(2,72)

Caractéristique du ménage

Taille du ménage

-0,061***

(-14,29)

-0,050***

(-13,38)

Ratio du nombre de bénéficiaires d'un revenu à la

taille du ménage

0,010***

(34,61)

0,010***

(37,83)

Principale source de revenu du ménage

(référence : Transferts gouvernementaux)

Salaires et traitements

1,026***

(45,27)

1 107***

(55,49)

Revenu d'un travail autonome

0,905***

(27,99)

0,973***

(35,10)

Revenus de placements

0,569***

(12,32)

0,827***

(19,14)

Autres revenus

0,702***

(12,34)

0,790***

(15,76)

Région métropolitaine de recensement

-0,058***

(-3,28)

-0,023

(-1,49)

Effets fixes des provinces (référence : Ontario)

Oui

Oui

Constante

7195***

(145,91)

7 219***

(161,13)

R2

0,426

0,407

Nombre d'observations

11715

15634


Les t de student sont indiqués entre parenthèses.
*** résultat significatif au seuil 0.01 ;
** résultat significatif au seuil 0.05 ;
* résultat significatif au seuil 0.10.

Dans les bases de données de 1996 et 2001, les industries sont classées en 19 catégories. Nous prenons l'industrie "Hébergement et restauration" comme référence dans la régression. Dans le cas des immigrants asiatiques, cette industrie occupe respectivement la 3ème et 4ème place en termes de nombre d'observations en 1996 et en 2001 ; elle a toujours été l'industrie à la productivité la plus faible. En fait, plusieurs études antérieures montrent que les immigrants asiatiques se concentrent souvent dans des économies enclavées qui servent leur propre communauté ethnique. Les quartiers chinois (Chinatown) répartis dans le monde entier sont des exemples typiques de cette économie d'enclave qui se caractérise souvent par certains sous-secteurs, par exemple la restauration et la médecine traditionnelle chinoise.

Nous constatons que, par rapport à l'industrie "Hébergement et restauration", presque toutes les industries ont un effet significativement positif sur le revenu par membre du ménage. La productivité varie d'une industrie à l'autre. Parmi les industries où se concentrent le plus les immigrants asiatiques, les "Industries intermédiaires financiers, des assurances et des services immobiliers" et les "Services de soins de santé et services sociaux" ont un rendement plus élevé que les autres. Quant aux industries manufacturières, les industries les plus importantes en termes de nombre de travailleurs, leur productivité se trouve au niveau moyen. Il faut observer que le rendement des industries évolue de 1996 à 2001, ce qui conduit à une croissance différentielle des revenus.

Concernant les caractéristiques du ménage, la taille joue négativement sur le revenu par membre. Le nombre de bénéficiaires de revenu favorise significativement le niveau de revenu. L'autre déterminant important du revenu est la nature de la principale source de revenu. Par rapport à la catégorie "Transferts gouvernementaux", toutes les autres sources, en particulier les revenus de travail, ont un effet significativement positif sur le revenu. Le fait de résider dans une région métropolitaine n'est significatif que dans l'équation de revenu de 1996 et est négatif.

4.3. Décomposition de la croissance du revenu

Les estimations effectuées ci-dessus permettent de décomposer la croissance du revenu réel par membre du ménage des immigrants asiatiques selon la méthode présentée plus haut. Le tableau 3 présente les résultats pour 1996 et 2001. Les résultats indiquent d'abord que, malgré une augmentation du niveau moyen de l'éducation (un effet principal positif), le rendement de l'éducation a diminué entre 1996 et 2001, conduisant à un effet temporel négatif. Ce résultat signifie que la sévère sélection économique des candidats à l'immigration est peu efficace vu la déqualification professionnelle des nouveaux arrivants en raison de plusieurs facteurs : plus faible rendement des diplômes et des expériences de travail obtenus à l'étranger, forte demande de diplômés utiles aux secteurs de l'économie du savoir, formes de discrimination (refus d'emploi pour absence d'expérience de travail canadienne, protectionnisme de corporations professionnelles, racisme des employeurs et des salariés). L'effet principal des langues officielles est négligeable, alors que leur effet temporel s'est renforcé de 1996 à 2002. Autrement dit, les immigrants asiatiques qui maîtrisent les langues officielles ont un revenu anticipé plus important que ceux qui ne parlent ni l'anglais ni le français. L'arrivée des nouveaux immigrants pendant la période 1996-2001 réduit évidemment la proportion des immigrants arrivés avant 1981, conduisant à un effet principal négatif de l'année d'immigration. D'ailleurs l'effet temporel de cette variable, qui pourrait représenter l'expérience du travail au Canada, s'est affaibli durant cette période.

Tableau 3
Décomposition de la croissance du revenu (1996-2001)

Effet

%

La croissance totale du revenu (en logarithme)

0,115

100,0

Contribution des diverses variables à la croissance du revenu

Plus haut niveau de scolarité

Effet principal

0,007

6,3

Effet temporel

-0,021

-18,3

Langues officielles

Effet principal

0,3

Effet temporel

0,020

17,6

Année d'immigration

Effet principal

-0,037

-32,3

Effet temporel

-0,010

-8,9

Industrie

Effet principal

0,006

5,5

Effet temporel

-0,018

-15,6

Ratio du nombre de bénéficiaires d'un revenu à la taille du ménage

Effet principal

0,040

34,5

Effet temporel

0,011

9,9

Principale source de revenu du ménage

Effet principal

0,012

10,1

Effet temporel

0,078

67,5

Effets fixes des provinces

Effet principal

0,004

3,0

Effet temporel

0,014

11,8

Les autres facteurs

0,010

8,6

"..." signifie que la valeur absolue est inférieure à 0,001.

L'effet principal de l'industrie est positif, signifiant une diminution de l'importance de l'industrie "Hébergement et restauration" - le groupe de référence dans la régression - dans la répartition industrielle des immigrants asiatiques. L'effet temporel de l'industrie est négatif. Cela implique que, par rapport à l'industrie "Hébergement et restauration" se caractérisant par une rémunération relativement faible, le rendement agrégé des autres industries a diminué ; en d'autres termes, la différence de rendement interindustriel a été réduite. Afin d'examiner en détail l'impact des industries sur le changement de revenu, nous illustrons les effets principal et temporel de chaque industrie par le graphique 2 ci-dessous. Nous observons que seule l'industrie "Services aux entreprises" a connu une augmentation relativement importante tant en termes d'effet principal que temporel pendant la période 1996-2001. Les deux autres industries qui ont les deux effets positifs sont "Transport et entreposage" et "Industries des intermédiaires financiers, des assurances et des services immobiliers" ; mais leurs augmentations sont beaucoup plus faibles. La plupart des industries, surtout les "Industries manufacturières" et les "Services de soins de santé et services sociaux", ont connu une réduction de rendement. Comme la classification des industries fournie par les FMGD est grossière, l'interprétation des résultats nécessite une analyse de données plus détaillées. Toutefois, les résultats montrent que les immigrants asiatiques ont commencé à se déplacer des "industries d'immigrants" traditionnelles, la restauration, la médecine traditionnelle chinoise, etc., vers de nouveaux sous-secteurs.

Graphique 2

Contribution des diverses industries à la croissance du revenu

1. Industries agricoles
2. Autres industries du secteur primaire
3. Industries manufacturières
4. Construction
5. Transport et entreposage
6. Communications et autres services publics
7. Commerce de gros
8. Commerce de détail
9. Industries des intermédiaires financiers, des assurances et des services immobiliers
10. Services aux entreprises
11. Services gouvernementaux
12. Services d'enseignement
13. Services de soins de santé et services sociaux
14. Hébergement et restauration (groupe de référence)
15. Autres industries de services


L'effet principal du nombre des bénéficiaires de revenu du ménage explique un tiers de la croissance de revenu. Son effet temporel est également positif. Le plus important facteur dans l'explication du changement de revenu est l'effet temporel de la principale source de revenu du ménage, auquel deux tiers de la croissance de revenu sont attribués. Une analyse plus détaillée de ce facteur montre que son impact positif se traduit essentiellement par celui de la source "Salaires et traitements", tant en termes d'effet principal que d'effet temporel (Tableau 4). Autrement dit, durant la période 1996-2001, non seulement la proportion des ménages d'immigrants asiatiques vivant des revenus du travail a augmenté, mais aussi l'effet des revenus du travail sur la hausse de revenu.

Tableau 4

Contribution des diverses sources de revenu

Effet total

Salaires et traitements

Revenu d'un travail autonome

Revenus de placements

Autres revenus

Effet principal

0,012

0,016

-0,003

-0,001

Effet temporel

0,078

0,068

0,005

0,004

0,001

"..." signifie que la valeur absolue est inférieure à 0,001.

Enfin, les effets fixes des provinces expliquent 15% de la croissance de revenu. Comme nous avons pris la province de l'Ontario, dont le revenu moyen est le plus élevé, comme référence dans la régression, un effet principal positif signifie une concentration des immigrants asiatiques dans la province de l'Ontario ; un effet temporel positif, quant à lui, implique une réduction des disparités régionales en termes de revenu par membre du ménage.

5. CONCLUSION

Nos résultats montrent que le revenu réel par membre du ménage au Canada a d'abord connu une baisse générale, puis un redressement dans les années 1990. Durant cette période, les immigrants en provenance de l'Asie semblent avoir été les plus atteints par la fluctuation économique. Ils ont enregistré pour la plupart une détérioration du niveau de revenu réel entre 1991 et 2001, plus accentuée dans la classe pauvre. Les immigrants asiatiques sont dans l'ensemble caractérisés par un niveau de revenu inférieur à celui des autres groupes. Une explication possible est qu'en raison de la segmentation du marché du travail, les immigrants asiatiques étant considérés comme un "réservoir de main-d'œuvre" ne pourraient qu'occuper des postes subalternes (ou secondaires) pendant les périodes de forte expansion économique, et faire face à une instabilité d'emploi et de revenu plus importante que les travailleurs natifs et les immigrants européens pendant les périodes de récession.

Les résultats de la décomposition de la croissance de revenu suggèrent que le rendement de l'éducation a diminué chez les immigrants asiatiques entre 1996 et 2001. Cette situation pourrait, d'une part, réduire la variance de revenu au sein du groupe des immigrants asiatiques ; d'autre part, élargir l'écart de revenu entre ce groupe et les autres groupes favorisés tels que les natifs et les immigrants européens. Ensuite, les résultats mettent en lumière un changement sectoriel émergeant chez les immigrants asiatiques ces dernières années et transformant leur performance sur le marché du travail canadien. Enfin, notre analyse souligne le rôle important du nombre de bénéficiaires de revenu et des revenus du travail dans l'augmentation du revenu du ménage des immigrants. Afin d'améliorer le bien-être social, il serait important d'augmenter le taux d'emploi des immigrants. De ce fait, les politiques visant l'intégration des immigrants sur le marché du travail doivent mettre l'accent plutôt sur les programmes d'emploi que sur les transferts gouvernementaux.

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Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 27 octobre 2014 15:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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