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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Denise Helly, “L'Islam, épouvantail électoraliste péquiste.” Un article publié dans la revue Diversité canadienne, vol. 10, no 2, été 2013, pp. 58-69. Association d’études canadiennes. [Autorisation formelle accordée le 23 février 2015 par l’auteure de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

[58]

Denise Helly

Chercheure, INRS culture - société

L'Islam, épouvantail
électoraliste péquiste
.

Un article publié dans la revue Diversité canadienne, vol. 10, no 2, été 2013, pp. 58-69. Association d’études canadiennes.

Les droits des minorités culturelles après 1945
Les enjeux des luttes minoritaires
La résistance des majoritaires au pluralisme culturel au déclassement social et à la solidarité
La menace musulmane sur les valeurs québécoises : le prix de loi 60 ou charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'état, ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement (novembre 2013) (désormais citée comme CVQ]
Le contexte historique
L'ennemi
Le dédain du juridique : le droit à l’égalité des genres
L'atteinte aux valeurs québécoises
Conclusion
Références et bibliographie


Denise Helly est professeur titulaire à l'Institut national de recherche scientifique. Formée en anthropologie (Ph.D. La Sorbonne, 1975), sociologie, science politique et sinologie (École des Langues Orientales, Paris), elle a pour intérêts de recherche le statut des minorités ethniques et nationales, les théories de la citoyenneté et du nationalisme, les politiques de pluralisme culturel, les régimes de relation entre État et religion et l'insertion des musulmans. Elle a publié dix ouvrages en son nom et trois ouvrages collectifs et plusieurs articles sur les Chinois d'Outre Mer (Cuba, Mascareignes, Québec), les minorités nationales en Chine, le multiculturalisme canadien, les politiques fédérales canadiennes et québécoises d'intégration des immigrés, des enquêtes auprès d'immigrés québécois, l'histoire des idées de nation et citoyenneté et l'insertion des musulmans au Canada et en Europe.

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Aux élections de 2014, tout en relançant un débat sur un 3e référendum sur l'indépendance, le PQ construit un discours sur une menace religieuse pesant sur l'État québécois et la 'nation'. Faute de programme social et économique, il tente de mobiliser ses partisans et de former un gouvernement majoritaire, en gagnant cinq à six comtés francophones où la Coalition Avenir Québec a une avance de votes (Bourhis, 2013). Ce faisant, le PQ laisse enfler une campagne de stigmatisation de minorités religieuses et, délaissant sa responsabilité de parti démocrate, il libère la parole intolérante, fige le débat sur le pluralisme culturel en dialogue de sourds et encourage la violence. De parti progressiste, défenseur des intérêts des classes moyennes et élites francophones, muselant sa frange raciste et xénophobe, il rallie en 2013 les féministes autoritaires en mal de clientèle, les nationalistes culturels apeurés de leur perte d'influence et les xénophobes effrayés de toute concurrence. Il leur propose un projet de loi (60) visant à laïciser l'État dont nous décrivons les tenants et aboutissants.

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Le 9 septembre 2013, à Hamilton (Ontario, Canada), un immigré, chauffeur de taxi, une nuit à 3 h 15, est aspergé d'essence par un client qu'il a refusé de servir et qui, selon un policier en civil sur les lieux, l'insulte pour être un immigrant. L'affaire est traitée comme crime haineux.

En Italie, la ministre de l'Intégration raciale, Cécile Kyenge, première femme noire dans un gouvernement italien, a été comparée par le vice-président du Sénat, à un orang-outang. Elle avait mentionné les chants racistes entonnés lors de l'entrée sur le terrain d'un joueur du club de soccer de Milan (Mario Balotelli) et était aussi en débat la question de faciliter l'accès des immigrés à la citoyenneté selon le lieu de naissance et non plus selon un lien de sang (Le Monde, Cécile Kyenge, ministre en proie à toutes les insultes, 8 novembre 2013).

En France, à Angers, le 25 octobre 2013, la ministre de la Justice de l'actuel gouvernement socialiste, Christiane Taubira, originaire de Guyane, est accueillie par des enfants de la Manif pour Tous aux cris de : « Pour qui la banane ? Pour la guenon ? » (Le Monde, Pourquoi Christiane Taubira cristallise les haines, 16 novembre 2013).

[59]

La représentation de populations comme d'« aberrations » culturelles, exhibant des mœurs bizarres, immorales, archaïques, barbares, fait partie de l'histoire moderne occidentale, comme d'autres ensembles culturels [1]. Les discours sur la supériorité de la civilisation blanche par rapport aux civilisations non européennes, de la culture anglo-britannique par rapport aux cultures de l'Europe du Sud ou encore d'une « race » sur une autre (nazisme) ont eu des effets meurtriers pour des millions d'Amérindiens et d'Africains, des milliers de Chinois, d'Indiens [2] et pour des millions de juifs et des milliers de Tziganes [3] et d'homosexuels durant la Seconde Guerre mondiale. Les mêmes discours ethno-nationalistes légitiment de présents massacres de minorités nationales en Asie et Afrique [4]. Néanmoins, depuis une vingtaine d'années, des idéologues et des courants d'opinion désignent une nouvelle cible à l'affirmation de la supériorité de ce qu'ils prétendent être la culture occidentale, les minorités [5] religieuses (musulmane, sikh, judaïque, hindoue). Par leur discours sur la préséance morale et intellectuelle de la culture « européenne », ils sont les héritiers des idéologues des empires coloniaux. Par leur référence à des cultures et valeurs ethno-nationales et leur rejet de cultures qu'ils disent immigrées, ils rejoignent les extrême-droites racistes et nativistes européennes qui ont pris un nouvel envol depuis les années 1990, signant la fin d'une époque de relative tolérance culturelle et religieuse.

Les droits des minorités culturelles après 1945

Le statut juridique des minorités culturelles a commencé à faire l'objet de protection à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en raison de deux faits.

La réaffirmation de l'idéologie libérale après 1945. La protection juridique des minorités culturelles, territorialisées ou non, fut un sujet de négociation internationale en 1918-1922 suite à la défaite de l'Empire Ottoman et de l'Autriche Hongrie, deux empires comprenant nombre de minorités. La question fut réglée par traité et parfois par des déplacements massifs de populations pour les protéger. Quelque 200 000 Grecs du Pont (Turquie) furent évacués à jamais vers la Grèce.

Puis les exactions du régime nazi et les fascismes, italien, espagnol, français constituèrent autant de traumatismes pour les tenants du libéralisme politique : comment une démocratie moderne fondée sur l'égalité des droits individuels, le respect des libertés fondamentales et la croyance au progrès de l'humanité pouvait-elle engendrer pareil phénomène autoritaire (fascisme) et meurtrier (génocide de minorités par le régime nazi ? [6]). De surcroît, la Guerre froide, c.-à.-d. l'affrontement idéologique et géopolitique à partir des années 1950 entre les États-Unis et l'Union Soviétique, exigeait de réaffirmer les principes du libéralisme politique.

Le droit à l'exil politique fut protégé par la Convention de Genève (1951) et des dispositions internationales contre la discrimination envers les minorités furent adoptées, dont la Charte des Nations Unies, 1945 (art. 1, 55), la Déclaration universelle des droits de l'Homme, 1948 (art. 2), les Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques, 1966 (art. 2) et aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966 (art. 13) [7].

Souvent, ces documents, ainsi que d'autres [8], ont créé des droits culturels pour les membres de minorités. L'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, conclu en 1966 mais approuvé en 1991 par l'ONU, est le plus effectif. Il déclare :

« Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue ».

Cet article s'applique même si l'État n'a pas reconnu officiellement la présence de minorités sur son territoire. Quant aux États ayant ratifié le Pacte, ils peuvent prendre des mesures spécifiques pour éliminer des inégalités dont des minorités sont victimes. Ce Pacte reconnaît également le droit à l'autodétermination des peuples en cas de domination notoire et d'exploitation.

La résistance des minoritaires. La seconde évolution fut la montée des revendications de « minoritaires » refusant leur domination au nom d'une dite différence culturelle. Initiée par les Noirs américains et reprises par les Autochtones et les féministes, cette résistance s'affirma avec force en Amérique du Nord à partir des années 1950-60 et plus tardivement en Europe (Marche des Beurs [9], 1983).

Dès la fin de la guerre, les Noirs américains, forts de leur participation à la guerre, s'organisent et reprennent leurs revendications d'égalité de droits civils et économiques, amorcées des décennies auparavant. La lutte est violente dans les États du Sud, et les gouvernements Kennedy et Johnson recourent à la force armée pour faire respecter les droits civils et civiques des Noirs. Ils introduisent des mesures qui changeront leur sort : déségrégation des écoles, protection du droit de vote, programmes de discrimination positive (affirmative action). Les mêmes luttes gagnent le Canada durant les années 1960 avec les contestations amérindiennes, québécoises et moindrement immigrées (ukrainiennes). Ces luttes et les interventions publiques qui tentent de les gérer, vont rendre impossible un usage négatif des termes de « race » et d'ethnie dans les politiques étatiques nord-américaines.

[60]

Les enjeux des luttes minoritaires

Les enjeux de ces contestations minoritaires sont au nombre de trois. La dynamique économique participe à la reconnaissance des droits des minoritaires. Le continent nord-américain est en mutation industrielle et en expansion économique. Il nécessite une croissance du marché intérieur et de la main d'œuvre, laquelle sera nationale, noire, blanche féminine et émigrée du « Tiers Monde », l'Europe ne constituant plus, à partir des années 1960, une source d'immigration. Tout quota par race ou région du monde est éliminé des politiques d'immigration en 1965 aux États-Unis et en 1962 et 1967 au Canada. En Europe la dynamique est autre : la reconstruction d'après-guerre exige une abondante main d'œuvre non qualifiée recrutée dans les ex-colonies et les droits civils et sociaux des immigrés sont reconnus durant les années 1970. Mais aucun État européen n'adopte une politique de lutte contre les discriminations et d'égalité des minoritaires culturels comme en Amérique du Nord, les minorités intérieures ne constituant nullement, à la différence de la main d'œuvre « noire » et féminine aux États-Unis, ou encore franco-canadienne au Canada, un enjeu et un atout économiques.

Le second enjeu est socio-politique, il concerne l'accès à l'État et son intervention. Les minoritaires visent la réduction par l'État, du pouvoir des majorités culturelles et politiques qui les oppriment. Le terme de majorité culturelle désigne des modes de pensée partagés par une proportion suffisamment importante de personnes dans une société [10] pour que les comportements de ces dernières aient un impact pour ceux se comportant autrement. Ces modes de pensée peuvent être une passion pour le football, des modes de consommation, mais aussi une aversion envers certaines personnes qui s'accompagne de comportements discriminatoires (misogynie, homophobie, racisme, intolérance religieuse).

Les modes d'intervention étatique pour contrer les majorités culturelles racistes, xénophobes, nativistes ont pris trois formes depuis leur invention durant les années 1970. Le Canada demeure l'État qui a, en la matière, la politique la plus avancée en opposition aux pays de l'Europe continentale. En 1971, il dessine un programme multiculturaliste qui deviendra une politique multiculturaliste, c.-à.-d. s'adressant à tous les Canadiens, promouvant la pluralité culturelle de la société civile et délégitimant toute forme de discrimination culturelle (race, ethnie, religion, langue, genre, apparence physique, couleur, orientation sexuelle, handicap). En sus des sanctions prescrites par les Chartes des droits, canadienne et provinciales, pour le déni d'égalité sur la base d'une différence culturelle, la politique canadienne a trois finalités et trois modes d'intervention principaux, repris par la plupart des provinces :

  • éducation des majorités culturelles afin de réduire leur discrimination de minorités culturelles. Il s'agit pour l'État, ses agents et pour les élus, de condamner tout discours public raciste, ethniciste, xénophobe, avançant par exemple que la vie politique, la redistribution, l'accès aux emplois du secteur public, la reconnaissance sociale, les modes de faire dans la société civile doivent servir les valeurs et intérêts des « natifs nationaux » et de la « majorité culturelle » ;

  • aide financière à l'organisation communautaire ethnique pour faciliter l'adaptation culturelle des nouveaux migrants, leur accès au marché du travail, aux programmes publics et à la connaissance de leurs droits (éducation juridique, notamment des femmes) ;

  • ouverture de voies de mobilité sociale (Loi de discrimination positive en faveur des minorités visibles, 1986).

Le troisième enjeu est politique et intellectuel. Durant les années 1980-90, les revendications d'égalité des Noirs et des mouvements féministes nord-américains ont suscité un large débat en philosophie politique sur l'efficacité du droit formel à l'égalité. Des critiques radicales des postulats de la pensée libérale anglo-saxonne classique [11] ont été formulées et ont rendu peu légitime l'universalisme abstrait libéral et le rejet de programmes de discrimination positive selon la race ou l'ethnie [12]. Ce débat et cet enjeu semblaient dépassés au début des années 2000 ; ils ont repris sens avec les discours sur les failles du multiculturalisme [13] et surtout la montée de courants racistes et xénophobes : Tea Party aux États-Unis, hostile aux Noirs et Chicanos ; Parti Québécois au Canada, hostile aux croyances religieuses et aux immigrés ; extrêmes-droites européennes, des partis historiquement nativistes.

La résistance des majoritaires au pluralisme culturel
au déclassement social et à la solidarité


Les revendications minoritaires questionnent les identifications collectives et les modes de pensée et de vie des « majorités » culturelles qui les dominent. Les Noirs condamnent le racisme (majorité blanche raciste) ; les femmes, la suprématie masculine en matière professionnelle et politique (majorité misogyne) ; les Amérindiens, la dépossession de leur territoire (majorité « civilisée » vs culture « archaïque ») ; les musulmans la dépréciation de la religion (majorité athée, nous verrons), et les homosexuels, les rôles sexuels.

Les revendications minoritaires menacent les gains retirés de la discrimination par certaines catégories sociales, comme les employeurs usant de la main d'œuvre de minoritaires (immigrés, Chicanos, Noirs peu qualifiés [14]), les détenteurs d'emplois syndicalement très protégés et historiquement alloués à des natifs (fonctions publiques, enseignement secondaire, police), et les salariés nationaux protégés de la concurrence de leurs homologues des minorités. Les programmes d'affirmative [61] action visent précisément à créer une concurrence sur le marché de l'emploi des secteurs publics, en accélérant la mobilité occupationnelle des segments éduqués des minorités racialisées, immigrées et féminine.

Les catégories sociales les plus concurrencées par les contestations minoritaires sont celles salariées, souvent non hautement qualifiées, ni très scolarisées, dont le niveau de vie et les modes de vie et de pensée sont mis en cause par la mutation socio-économique et culturelle en cours depuis les années 1980. En majorité blanches, socialisées à l'idéologie nationaliste, à la protection de l'État-providence et à la prédominance de leurs manières de vie dans leur environnement social, elles subissent une dévalorisation socio-économique et culturelle. La mondialisation économique menace leurs acquis et statuts sociaux ancrés aux actions d'États nationaux, et réduit leur compréhension des dynamiques économiques, politiques et culturelles. Elles se trouvent ou se voient à l'avenir aux prises avec de multiples changements, mobilité accrue de la main d'œuvre, délocalisation des productions, transformation de la structure des occupations, faible mobilité sociale pour leurs descendants, baisse de pouvoir d'achat, chômage, précarisation de l'emploi, et, fait non de moindre importance pour des catégories sociales nullement misérables, inefficacité et dévalorisation de leurs schèmes de pensée. Elles se perçoivent 30 ans après le début de la mondialisation économico-financière comme les agents passifs de la mondialisation et gagnent les partis d'extrême-droite.

Les acteurs désignés de la résistance à la mondialisation économico-financière, les partis de gauche, socialistes, sociaux-démocrates et communistes européens, démocrate américain, travailliste britannique, libéraux canadiens, intégrés de technocrates des secteurs privé et publique, se sont en effet révélés inopérants et ont perdu leur clientèle historique. Faute d'une réplique articulée à la mondialisation dès son apparition, ils tentent d'en réduire les effets inégalitaires face aux discours victimaires de leurs adversaires directs, les extrême-droites. Une des plus actives de celles-ci, le Front National français, illustre les postures réactionnaires, nostalgiques de ceux se considérant menacés ou perdants de la mondialisation. Il vante la fermeture culturelle, la suprématie de la civilisation blanche chrétienne, la xénophobie et, en économie, le retour aux frontières nationales et la solidarité ethnonationale. De cette réaffirmation des thèses populistes, anti-étatistes, anti élitistes, xénophobes, l'enjeu des luttes minoritaires est devenu au fil des années 2000 un conflit culturel et politique entre des promoteurs de la mondialisation, de la mobilité, des inégalités croissantes et de la pluralité culturelle, et des « nationaux » orateurs de leur victimisation, de la protection des frontières, de la nation et de l'État providence d'après-guerre [15]. Cette lutte est âpre pour certains minoritaires, car nombre des minorités encore ostracisées il y a 30 ans, sont désormais intégrés économiquement et symboliquement dans les sociétés occidentales, femmes et Noirs éduqués, immigrés d'Asie de l'Est, ethniques européens. Demeurent sujets potentiels d'exclusion culturelle, ouverte, institutionnalisée, les Autochtones, les migrants inorganisés (Roms et musulmans) et les illégaux (au nom de leur non appartenance à la nation).

Cependant, selon l'importance démographique et politique des minorités et souvent la conjoncture électorale, racisme, suprématisme blanc, intolérance religieuse, homophobie, antisémitisme, islamophobie, xénophobie sont, comme la révolte de rue, le vote punitif et la condamnation de l'État, les formes de la réaction de ces catégories sociales qui, incapables d'imaginer de nouveaux programmes politiques et de transformer les partis établis, défendent leurs acquis matériels, identitaires, politiques, culturels en voulant limiter l'accès des minorités aux programmes étatiques. Aux États-Unis, les Noirs pauvres et les Chicanos demeurent les bêtes noires des classes moyennes et élites proches des Républicains ; elles s'opposent à deux réformes de programmes fédéraux ciblant ces minorités, Obamacare et la Loi d'immigration [16].

Deux lois récentes concernant le cursus scolaire illustrent d'autre façon, le rejet des minorités, dont les femmes font encore partie. L'une votée en 2010 en Arizona interdit les références à l'histoire des minorités ethniques, et une autre, votée en avril 2012 au Texas, les références aux « ethnies », à la race et au genre [17].

En Europe, c'est contre d'autres minoritaires, les Roms et les musulmans, qu'enfle l'animosité des catégories sociales déclassées ou perdant leur influence du fait de la mondialisation économique, du changement culturel et de leur crainte de perte de l'État. Les musulmans sont une cible en raison de divers facteurs. Les uns, internationaux, sont la visibilité de la contestation politique islamiste dans les pays musulmans depuis la Révolution iranienne en 1979, les luttes politiques internes depuis 1989 dans les ex-dépendances de l'URSS (Caucase, Asie centrale, Afghanistan, voire Syrie), et les guerres provoquées par l'intérêt des États occidentaux pour Israël et les ressources énergétiques du Moyen Orient [18]. Autant de faits qui ont ouvert des routes d'émigration des minorités chrétiennes mais aussi de musulmans vers l'Occident. D'autres facteurs sont internes. Ce sont l'importance démographique des musulmans au sein des populations d'origine immigrée en Europe où la xénophobie monte depuis les années 1990, les faibles organisation et mobilisation communautaires des musulmans pour défendre leurs droits vu leur établissement définitif récent (années 1980-90), l'absence d'organisation musulmane centrale et hiérarchique, et les clivages ethniques, linguistiques, religieux, nationaux, politiques, qui les divisent comme ils divisent le monde musulman.

[62]

La menace musulmane sur les valeurs québécoises : le prix de loi 60 ou charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'état, ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement (novembre 2013) (désormais citée comme CVQ]

Contrairement aux partis socio-démocrates du continent nord-américain [19], voire au Parti Conservateur canadien, le Parti Québécois (PQ) fait de la présentation de la religion comme ennemi des valeurs québécoises, un item de son programme selon une tactique électoraliste d'élites politiques et culturelles impuissantes à faire face à une évolution qu'elles n'ont su ni prévoir, ni contrer. Le jeu identitaire, ancré désormais à la religion et non plus à la langue, au fédéralisme, à la concurrence ontarienne, à l'origine ethnique, est devenu un instrument de légitimation du pouvoir d'élites incapables de réformes créatrices de richesses et d'emplois, égalitariste [20], écologiste, internationaliste, pacifiste, technologique, et reproduisant le statu quo (conservatisme fiscal et social, absence de projet économique, obscurantisme culturel).

En Europe, c'est au nom de la défense et de la survie de la nation française, italienne, anglaise, flamande, suédoise, ou encore de la liberté de choix culturel (Pim Fortuyn List, Geertz Wilders, Partij voor de Vrijheid, Parti de la liberté), que des chefs de parti d'extrême-droite (Front National ; Liga Norte ; Swedish democrats, Austria's Freedom Party, English Defence League, Belgium's Vlaams Belang) attisent l'hostilité contre l'Islam. Au Québec, selon les idéologues du PQ, trois évolutions exigent un sursaut de défense de la nation, une nation caricaturée, réduite à son front du refus de la mondialisation, pourtant désormais accomplie, de l'immigration, des cultures différentes, des innovations sociales, économiques, écologiques. Selon les sondages, l'adoption de la Charte des Valeurs Québécoises (CVQ) est soutenue par un Québec masculin, blanc, rural (Patriquin, 2013).

La menace a trois versants :

1) déni de l'égalité des genres lors de demandes d'accommodement raisonnable pour motif religieux,

2) présence de croyants religieux dans le personnel de l'État, et

3) croissance de la population musulmane :


« Quebec was a very religions place until the 1960s, when it gradually moved toward secularization. For the majority of Quebecers who support the legislation, declaring gender equality paramount when considering religious-based requests for accommodations or asking public employees not to wear conspicuous religious symbols on the job are just logical next steps. These steps are taken at a time of growth of Islam in Quebec, as everywhere else. But the legislation is not specific to any religion. And, in order to make this even clearer, our party, the Parti Québécois, now proposes the removal of the crucifix that hangs in the legislature. » (Drainville & Lisée, 2013) [21].

Face à ces trois menaces, l'État doit refouler la religion hors de ses instances, voire des tribunaux vu la question des accommodements raisonnables à base religieuse. L'État doit être transformé, de régime de neutralité envers la religion en régime de séparation stricte des institutions et croyances religieuses. Il doit devenir laïc selon le modèle d'une métropole coloniale, semble-t-il, jamais oubliée. Mais la transformation de l'État provincial en État laïc exige des idéologues péquistes plus qu'une posture de colonisés, elle demande manipulations de faits.

Le contexte historique

La laïcité fut imposée en 1905 en France pour contrer la puissance d'une Eglise catholique nationale et d'une Papauté qui s'opposaient à la démocratisation politique et à la réduction de leur rôle dans l'enseignement et dans la vie publique. La laïcité fut imposée contre un ennemi puissant, institutionnalisé, influent, agissant [22]. Quant à la séparation, plus strictement respectée, de l'État et des institutions religieuses aux États-Unis, elle fut votée pour mettre fin au conflit entre les églises protestantes tentant chacune de s'approprier l'État. Dans les deux cas, l'enjeu était de taille, réel, décisif pour l'avenir des institutions étatiques et des sociétés civiles et, dans les deux cas, il est amplement documenté par des études universitaires. À la différence de l'État français, facilement autoritaire en matière de religion, l'exemple américain n'est pas invoqué par les idéologues du PQ : la société civile états-unisienne est religieuse et la liberté de religion sévèrement respectée jusqu'à l'heure.

Quant au titre ambigu de la loi mêlant laïcité et neutralité religieuse, il semble traduire des conflits internes à l'administration du gouvernement péquiste actuel. La neutralité signifie une égalité de traitement par l'État, de tous les croyants et des non croyants. Elle n'interdit nullement une identité religieuse de l'État comme dans les monarchies constitutionnelles européennes, pas plus que le défraiement par des fonds publics ou par l'impôt de la reproduction des institutions religieuses (Allemagne, Espagne, Belgique, Scandinavie, Grèce, Danemark, Royaume Uni), ou encore des accords entre l'État et des institutions religieuses dans les domaines de l'enseignement (Espagne, Angleterre), de l'assistance sociale (Allemagne) [23]. La laïcité comme catégorie constitutionnelle n'est qu'une forme particulière, négative, de la neutralité. Elle interdit à l'État toute relation avec une ou des institutions religieuses, dont une contribution à leur reproduction, et elle interdit à ses agents de manifester leur allégeance religieuse. Le projet de loi 60 interdirait non seulement aux agents de l'État mais à tous les employés de l'État, comme les médecins, le port de signes religieux visibles [24].

[63]

L'ennemi

Quel est l'ennemi de la nation québécoise exigeant l'adoption d'un régime de laïcité ? L'Église catholique a perdu sa puissance sociale et politique, aussi le projet de loi ne saurait-il prolonger un règlement de compte inachevé avec celle-ci, certes encore perpétué par des groupes d'intérêts particuliers. L'ennemi est tout fidèle d'une des religions non chrétiennes présentes au Québec car, seules, celles-ci exigent éventuellement le port d'un signe visible. Un fidèle catholique ou protestant ne doit pas, pour respecter sa foi, porter un voile, une kippa, un turban, un poignard, une barbe, une perruque, ou une robe longue et des manches l'été. Cependant, la fonction publique québécoise se démarque au Canada par sa très faible intégration de membres des minorités ethniques, lesquels représentent 2% de ses agents depuis les années 1980. De fait dans leurs déclarations, ni le ministre des Institutions démocratiques, ni aucun porte-parole péquiste n'ont pu faire état d'une multiplication des accommodements raisonnables à motif religieux depuis 2006 (Koussens, 2013), citer un tel accommodement ayant enrayé le fonctionnement d'un service de l'État provincial, une plainte d'usager à l'effet d'avoir été servi par un agent de l'État portant un signe religieux, pas plus que le nombre d'agents de l'État portant des signes religieux visibles et qui perdraient leur emploi suite à l'application de la CVQ. Ils n'ont pas plus apporté la preuve [25] que les demandes d'accommodement raisonnable déposées auprès de la CDPQ concernaient le secteur public ou provenaient en majorité de fidèles d'une religion minoritaire.

Les ennemis à exclure de l'État national sont les musulmans qui représentent 3% des croyants de la province, les juifs (1,1%), les hindous (0,4%) et les sikhs (0,1%). 82,2% des croyants québécois se déclarent chrétiens et 12,1% sans affiliation religieuse. Aucune des minorités religieuses visées ne dispose d'un pouvoir décisionnel dans l'appareil politique ou la vie sociale au Québec, et seule la minorité juive a quelque influence. Les musulmans sont les plus nombreux, 243 000 personnes, et leur nombre a augmenté de 134% depuis 2001 (Statistique Canada, recensement 2011) vu la politique québécoise de recrutement préférentiel de migrants francophones, en l'occurrence maghrébins [26]. Et certains d'entre eux défendent le projet d'État laïc : Association des Musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec (AMAL).

Le projet de loi 60 semble rater sa cible. En l'absence d'ennemi, il ne saurait bloquer l'accès des croyants minoritaires à un emploi dans les secteurs investis historiquement par des Canadiens français (fonctions publiques, enseignement secondaire, secteur hospitalier, police, justice). C'est oublier que le projet de loi est une injonction lancée aux minorités religieuses d'éviter ces réservoirs d'emplois canadiens français et, ce faisant, une invitation au profilage ethnoreligieux et ethnique. Comment une personne portant un nom juif, sikh, arabe, musulman mais aucun signe religieux visible, ne sera-t-elle pas soupçonnée de biais politique et d'allégeance nationale ? Comment, par amalgame, tout porteur de nom non francoquébécois ne sera-t-il pas suspect ? (pour le point de vue de constitutionnalistes. [URL])

Si l'on peut comprendre l'intérêt de natifs « de souche » à réduire la concurrence sur le marché de l'emploi en chassant immigrés et ethniques des emplois qualifiés du secteur public, comment va-t-on combler les postes d'emploi de ce secteur non ou peu qualifiés et souvent occupés par des immigrés ? En les réservant à des jeunes « de souche » chômeurs, au lieu de les qualifier ?

Le dédain du juridique :
le droit à l’égalité des genres


La mention de ce droit dans le projet de loi 60 est superflu, superféfatoire, vu le préambule, l'article 10 et l'article 50.1 (ajouté en 2008) de la Charte des droits et des libertés de la personne du Québec [27]. Mais le champ juridique n'est pas le champ d'exercice des courants d'opinion racistes, ethnicistes, xénophobes, nostalgiques qu'ils sont de la suprématie de la souveraineté populaire sur le pouvoir judiciaire. Leur propos est plutôt de délester les juges de leur pouvoir de protéger les libertés et les minorités, et de redonner aux majorités culturelles et à leurs représentants parlementaires le pouvoir de décider de normes de conduite dans la société civile, comme avant 1945.

Pourtant, en démocratie moderne, on ne saurait interdire un comportement privé à un individu à moins qu'il ne porte atteinte aux droits, à la dignité ou à l'intégrité physique et psychique d'autrui. Les libertés d'opinion, de croyance, de choix culturel ne sauraient pas plus être entravées, annulées au nom de la volonté, des valeurs, de « malaise » de majorités culturelles. La démocratie ne peut, par définition, être que faite de conflits, de compromis, de négociations vu les différences innombrables de représentation du monde, de valeurs morales, d'usages, de modes de faire et de penser, à moins de désirer la violence politique.

Le schème de l'oppression inhérente des femmes dans l'islam et dans les religions en général (interdiction de prêtrise pour les femmes dans le catholicisme par ex.), il relève de l'amalgame, une logique aisée à manier. On peut dire l'équipe du maire de Laval, Gilles Vaillancourt, à l'image des élites politiques québécoises ; il suffit d'amalgamer Laval et le Québec. On peut similairement essentialiser le mauvais traitement des musulmanes en réduisant les sociétés musulmanes aux Talibans afghans et aux monarchies du Golfe, et omettre l'existence des sociétés maghrébines, turque, jordanienne, indonésienne, malaise, soit la majorité des sociétés musulmanes et le milliard de musulmans qui les compose. Une logique semblable conduit à réduire les sociétés latino-américaines [64] au Sentier Lumineux, la société française au Front national et le Québec à sa fraction nativiste. C'est omettre les luttes entre musulmans et islamistes, entre islamistes modérés et djihadistes, entre féministes musulmanes et défenseurs du patriarcat et des systèmes tribaux.

La femme musulmane est devenue l'écran sur lequel des idéologues civilisationnels affichent leur supériorité culturelle et projettent leur devoir d'intervention. Ils veulent voir dans le port du foulard une domination sexiste des femmes et, si librement choisi, l'aliénation des femmes par des coutumes archaïques et piétistes. Un porte-parole du projet péquiste, Janette Bertrand, déclara à un journaliste, sans l'ombre d'un sourire, avoir peur (scared) d'être soignée par une femme médecin portant le foulard islamique, car les musulmans laissent les femmes mourir plus vite (Patriquin, 2013). Dès lors, sauver la musulmane de l'islam et d'elle-même est devenu l'industrie de ces nouveaux activistes civilisationnels, arabes chrétiens, musulmans, non musulmans (Abu-Lughod, 2013), dont l'érudition n'atteint jamais celle de Huntington, Landes, Barber (Helly, 2002). Un nouveau mythe est inventé, celui d'un Islamland répressif, barbare, arriéré, diamétralement opposé au mythe érudit orientaliste de la fin du 19e siècle qui vantait la sensualité, la douceur, la sophistication de l'Orient.

Abu-Lughod rapporte l'apparition de ce nouvel activisme à la stagnation, sinon au déclin d'influence, du mouvement féministe états-unisien et à sa recherche d'une strategic diversion from a fragmented domestic politics, une stratégie globale impliquant des organisations internationales, force de déclarations, mais peu d'interventions dans les sociétés musulmanes oppressives pour les femmes.

Cette mouvance féministe autoritaire stigmatisant les musulmanes (PDF-Q par ex. au Québec) s'affronte à une mouvance féministe démocratique (par ex. Fédération des femmes du Québec). PDF-Q estime que le port du voile symbolise l'asservissement de la Femme et doit être combattu au nom de l'intérêt collectif des femmes ; il s'oppose à la Fédération des femmes du Québec, qui, au nom de la liberté individuelle, défend le droit de porter le hijab [28].

La croisade en vue de sauver la Femme musulmane de l'islam et d'elle-même, et de préserver les autres femmes de son influence nocive ne relève pas seulement de l'amalgame. Elle efface des faits qui sapent ses prétentions, c.-à.-d. les multiples enquêtes de PEW Center dans le monde musulman ou en Amérique du Nord montrant un désir de démocratie et d'inclusion des femmes dans la sphère publique et une seule différence notable, un puritanisme en matière de sexualité, et les critiques et luttes des féministes musulmanes (Sahgal & Yuval-Davis, 1992 ; Shahrzad. 2001 ; Razack, 2007 ; Helly, 2010), sans oublier le détail que les premières femmes devenues Premier Ministre le furent dans des pays musulmans (Pakistan, Bangladesh). C'est aussi omettre qu'au Canada, les musulmans sont les immigrés les moins pieux à la différence des immigrés asiatiques des années 1990 qui montrent l'affiliation et la pratique religieuses les plus fortes (Indiens, Chinois, Coréens) [29].

L'atteinte aux valeurs québécoises

Par les débats, non fondés, qu'ils suscitent autour de la liberté de religion en régime laïc [30], du droit à l'égalité et des accommodements raisonnables, par sa stigmatisation de croyants accusés d'incapacité civique, le projet de loi 60 montre son ancrage dans un fondamentalisme athée qui relève de l'histoire révolue d'une colonie soumise à l'ultramontisme catholique et dont le souvenir devrait devenir celui de tous les résidents du territoire québécois. Le recouvrement de la société civile par l'idéologie de Canadiens Français traumatisés par le pouvoir rétrograde d'un clergé colonial devient un projet politique. La notion de territoire québécois, ouvert à tous, et non de terre réservée aux Canadiens français, n'est pas acquise.

L'animosité envers l'Islam qui sous-tend le projet de loi 60, est une des facettes du refus d'un changement culturel qui anéantit des schèmes de pensée populaires et fondant les idéologies dites de gauche. Sont en cause le statut de la religion dans une société actuelle et des schèmes de pensée, dont le schème de la rationalité (Helly, 2013, INRS web-zine).

L'idée de la religion comme d'un archaïsme intellectuel ne pouvant subsister dans une société « moderne » menée par la rationalité et sa manifestation la plus évidente, le progrès social, scientifique et technologique, demeure prégnante dans les milieux oublieux de l'histoire occidentale et non avertis des débats entre scientifiques, éthiciens et philosophes. Le questionnement de cette idée a commencé dès le 19e siècle avec les effets du colonialisme, de l'esclavage, de l'industrialisation, pour se poursuivre après les hécatombes de la Première Guerre mondiale et l'Holocauste. On ne peut que rappeler les contradictions de la rationalité et de la modernité qui produit les droits de l'Homme et les politiques pour indigènes, le contrat démocratique et le colonialisme, des citoyens et des non citoyens (femmes, colonisés, salariés pauvres exclus de la vie politique jusqu'au 20e siècle). Définir la modernité comme une dynamique assurée d'émancipation et d'affirmation de la rationalité est un projet a-historique (Gray, 2012 ; Sen, 2003) [31].

La rationalité n'est pas l'exercice d'une logique scientiste visant à définir et à affirmer des opinions, des choix et des intérêts. Elle n'est pas le trait fondamental de la psyché humaine et de l'univers social, et elle ne suffit pas toujours à résoudre les conflits entre humains, ni à définir un but commun. Elle est l'apprentissage et l'exercice de la mise à distance de ces convictions, du doute qui laissent place à la différence, au différend et à des convictions aussi opposées que le sentiment religieux, l'athéisme et l'agnosticisme. Mais [65] refusant pareille mutation culturelle et intellectuelle qu'ils assimilent à une victoire du relativisme culturel et non à la réflexivité de sujets, de larges courants d'opinion s'insurgent du « retour » de la religion, incarnation de l'irrationnel, et militent pour son refoulement hors de la vie politique, voire de la sphère publique. L'exclusion de l'État de minorités religieuses sans pouvoir économique, politique et social relève de ce refus de compréhension critique de la modernité. Faute de réel ennemi menaçant les institutions étatiques ou la société civile, elle conduit à un projet d'État laïc nullement politique mais électoraliste.

L'idée d'un retour du religieux est une idée leurre. La sécularisation ne connaît pas de recul dans les pays occidentaux et la croyance religieuse n'y fait pas de milliers de nouveaux adeptes (Norris & Inglehart, 2004). On assiste simplement à la constitution de nouvelles sectes et nouveaux courants religieux syncrétiques, et à un transfert de l'adhésion séculaire aux églises chrétiennes historiques, à des églises chrétiennes minoritaires, charismatiques, évangéliques. En ce sens, le changement depuis les années 1980 n'est pas un retour du religieux, ni un déclin de la sécularisation mais l'apparition de nouvelles formes de croyances et de groupes religieux. La mutation consiste aussi dans le changement de stratégies de coalitions d'églises protestantes minoritaires aux États-Unis à partir des années 1980, et dans l'adoption par la Papauté de nouvelles stratégies d'influence pour soutenir sa contestation, conservatrice, de la mutation politico-culturelle des années 1960-70 (changement de mœurs et de valeurs).

Les acteurs religieux, notamment institutionnels, américains, européens, latino-américains et africains, sont très actifs depuis vingt ans sur la scène politique, participent aux principaux débats moraux et politiques sur l'euthanasie, l'homosexualité, le clonage, l'avortement, les guerres américaines, le conflit israélo-palestinien et le génocide au Darfour et assument des positions diverses mais ancrées dans une morale chrétienne. Cette stratégie peut motiver une lutte politique de la part de libéraux et d'agnostiques militants, mais nullement un absolutisme ou un fondamentalisme anticlérical, une intolérance religieuse et une annulation du droit à l'égalité des minorités non chrétiennes. Elle ne saurait non plus légitimer une défense de la suprématie politique des majorités culturelles et un ostracisme de la religion et des acteurs religieux [32]. Ces luttes ne sauraient avoir non plus comme dommages collatéraux une atteinte à la liberté de religion et une condamnation de toute influence de la religion sur la vie politique. Des positionnements progressistes et égalitaristes ont été et sont adoptés par des institutions religieuses, notamment protestantes (reconnaissance de l'homosexualité, défense et asile des réfugiés, lutte contre les inégalités).

Conclusion

La visée du jeu politique de l'identité nationale (identity politics) par le P.Q. est, aux prochaines élections en 2014, de former un gouvernement majoritaire en gagnant cinq à six comtés francophones où la Coalition Avenir Québec a quelque avance de votes, et de relancer un débat sur un 3e référendum sur l'indépendance (Bourhis, 2013). Pour ce faire, le P.Q. a lancé une campagne de stigmatisation de minorités religieuses, délaissé sa responsabilité de parti démocrate en libérant la parole intolérante, figeant le débat en dialogue de sourds et encourageant la violence. De parti progressiste, défenseur des intérêts des classes moyennes et élites francophones, muselant sa frange raciste et xénophobe, le PQ rallie en 2013 les féministes autoritaires [33] en mal de clientèle , les nationalistes culturels apeurés de leur perte d'influence et les xénophobes effrayés de toute concurrence. Selon un sondage Léger en septembre (Authier, 2013), 52% des Franco-Québécois et 32% des résidents de la province appuient le projet de loi 60. Près de la moitié des défenseurs du projet estime que les immigrants menacent l'héritage du Québec, désire que les immigrants délaissent leurs usages, dont le port du voile, mais insiste sur l'importance de préserver l'héritage chrétien de la province et de transmettre leurs propres usages et coutumes à leurs enfants.

De ce projet électoraliste ethnonationaliste, la violence symbolique et physique subie par les minorités religieuses est le dommage collatéral. Le Conseil musulman de Montréal et le Collectif québécois contre l'islamophobie ont dénoncé une augmentation du nombre de plaintes déposées auprès du second organisme pour des actes, agressions physiques ou des propos islamophobes durant la période du 15 septembre au 15 octobre 2013, c.-à.-d. 117 plaintes, dont 114 concernaient des femmes comparativement à 25 plaintes similaires entre le 1er janvier et le 31 juillet dernier (URL). Les centres de femmes de plusieurs régions du Québec ont également recueilli « plusieurs dizaines de témoignages de femmes, en majorité musulmanes disant ayant été insultées, bousculées ou agressées dans l'espace public.. .On parle de plusieurs dizaines d'incidents. Des propos haineux, racistes. Des commentaires xénophobes. Parfois les femmes se font bousculer, cracher au visage. Donc, on parle parfois d'incidents de nature violente », selon Valérie Létourneau, porte-parole du Regroupement des centres de femmes du Québec (Gagnon & Chouinard, 2013). Pour la première fois depuis son ouverture, un bain turc a été vandalisé à LaSalle (Scott, 2013) et, vu la non publication par le SPVM des crimes haineux perpétrés à Montréal, on ne peut savoir si ce type d'agressions a été plus fréquent depuis l'été 2013.

[66]

Depuis le début de la campagne électorale, le candidat à la mairie de Saint-Jean-sur-Richelieu, Khaled Kalille, reçoit régulièrement des messages intolérants ou racistes et certaines de ses pancartes ont été découpées (Saint-Jean-sur-Richelieu : un candidat victime de racisme, 24 octobre 2013, www. radio-canada.ca.) et le 26 octobre, dans le quartier de Hampstead, une douzaine de panneaux publicitaires du candidat aux élections municipales, Warren Budning, fut marquée de graffiti haineux, swastikas et moustaches à la Hitler (Hampstead candidate's posters marked with anti-Semitic graffiti, The Gazette, 26 octobre, 2013).

[67]

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[1] Similairement, dans les sociétés chinoises (Chine post-communiste, Taiwan, Singapour) la supériorité culturelle des Han sur les Blancs et les minorités nationales est un thème récurrent.

[2] Génocide des Amérindiens par les colonisations européennes, traite des esclaves (plus de 15 millions de morts), traite de coolies asiatiques dans les Amériques (près 300 000).

[3] 80% des Tziganes d'Allemagne, plus de 200 000 personnes, ont été exterminés dans les camps nazis, comme 100% de ceux établis en Croatie. La France interna les Tziganes nationaux sans les livrer aux nazis. L'Allemagne refusa de reconnaître le génocide tzigane jusqu'en 1979 (Delpha, 2013, 11).

[4] Par ex. Rohingyas et Shan de Birmanie, musulmans d'Inde.

[5] Quand on parle de minorités en sciences sociales, on parle de pouvoir, de politique au sens de rapport de force, de domination et non de chronique de faits et gestes d'élus. On signifie que ces populations n'ont pas d'influence décisive sur les rouages des pouvoirs politique (majorité parlementaire, forces de répression), symbolique (médias), économique (capital, emploi) qui leur permettrait de réduire l'ostracisme qu'elles subissent. Le terme « minorité » en sociologie n'a aucun sens démographique, c.-à.-d. être peu nombreux au sein d'une société. La minorité blanche d'Afrique du Sud est l'exemple, peu nombreuse par rapport à la population noire, elle détenait les pouvoirs politique, économique et symbolique.

[6] Victimes du génocide par les nazis : 6 millions de juifs, au moins 200 000 Tziganes et des milliers d'opposants politiques et d'homosexuels.

[7] Des clauses de non-discrimination sont présentes dans d'autres documents : Convention No 111 de l'OIT concernant l'emploi et la profession, art. 1, 1958) ; Convention internationale sur l'élimination de toutes formes de discrimination raciale (art. 1, 1965) ; Convention de l'UNESCO (art. 1, contre la discrimination dans l'enseignement, 1960) ; Déclaration sur la race et les préjugés raciaux de l'UNESCO (art. 1, 2, 3, 1978) ; Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction (art. 2, 1981) ; Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Convention américaine relative aux droits de l'homme (Organisation des États américains) ; Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (Organisation de l'Unité Africaine).

[8] Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques (ONU, 18 décembre 1992) ; Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (Conseil de l'Europe) ; Document de la Réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe).

[9] Impulsée en partie par le Parti Socialiste à ses propres fins, non soutenue par le Parti Communiste grand défenseur de l'égalité formelle, cette mobilisation des immigrés et de leurs descendants, majoritairement d'origine maghrébine, n'a guère eu d'impact et d'avenir. Elle se divisa entre un courant demandant une simple reconnaissance sociale des immigrés et d'autres plus radicaux dans la demande d'égalité.

[10] 30% pourrait être une proportion suffisante pour imprimer des manières de faire au sein d'une société civile. Cela dépend du pouvoir politique et médiatique de la majorité culturelle en cause.

[11] Les termes « libéral » et « libéralisme » ne réfèrent pas à un rôle minimal de l'État dans les sphères économique et sociale, c.-à.-d. au néo-libéralisme économique. Ils sont utilisés dans leur sens théorique et historique, plus anglo-saxon que franco-français. Historiquement, la philosophie libérale exista en France mais elle fut recouverte par la doctrine républicaine (Jaume, 1997) ou transformée par celle-ci.

[12] Une autre transformation socio-culturelle induite parla contestation des minoritaires est la naissance des études post-coloniales qui reconstruisent les identités, mobilisations, itinéraires d'individus et de catégories sociales dominés, subordonnés (subordinate : Gayatri C. Spivak ; Homi Bhabha ; Edward W. Said), c.-à.-d. non conformes à la norme d'une majorité culturelle dominante, qu'elle soit blanche, chrétienne, masculine, hétérosexuelle ou encore peu mobile, captive sur son territoire national.

[13] Discours creux et nullement intellectuel (Vasta), car aucun État occidental, hormis le Canada, n'a appliqué une politique multiculturaliste. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Suède ont appliqué quelque programme dit multiculturaliste mais jamais une politique étatique multiculturaliste, c.-à.-d. s'adressant à l'entièreté de la population, des agences étatiques et de leurs clients. Dans le cas canadien, J.F Gaudreault-Desbiens (2013) a fait une mise au point utile.

[14] Les jeunes nationaux non qualifiés ont rejoint cette main d'oeuvre depuis les années 1990.

[15] Des auteurs insistent aussi pour lier la montée de la xénophobie, de l'intolérance religieuse et du racisme aux risques croissants perçus ou vécus par les individus, ainsi qu'aux discours étatiques sur l'insécurité (criminalité urbaine, terrorisme) et sur les risques (catastrophes naturelles et techno logiques, épidémies) (Beck, 1999a,b ; 1992a,b). Ces discours induiraient une culture de la peur et établiraient un lien entre danger et externalité, entre danger et différence, entre danger et altérité (étranger, migrant, autre différent de soi) (Perry & Poynting, 2006 ; Morgan & Poynting, 2012).

[16] Obamacare (Affordable Care Act), un programme fédéral, oblige tout résident à détenir une assurance santé et subventionne les personnes n'ayant pas les moyens financiers d'une pareille assurance. Il concerne 45 millions de personnes dont nombre des Noirs et Chicanos défavorisés et aussi des Blancs ruraux et/ou âgés appauvris. La réforme de la Loi d'immigration en débat depuis dix ans concerne la régularisation de près de 12 millions d'illégaux, en majorité des Chicanos, une main-d'oeuvre bon marché. Les deux programmes accordent des droits nouveaux à des minorités : protection santé et droit de résidence.

[17] Sur la question raciale, une offensive significative est celle de la Cour Suprême contre des acquis des minorités racialisées comme la possibilité depuis 2012, en annulation d'un droit acquis durant les années 1960, de modifier les frontières d'un comté électoral dans des États du Sud sans obligation d'en référer à un juge. Sur la question du genre, on verra si la Cour Suprême acceptera de traiter de causes concernant la Loi sur le mariage comme union entre personnes de sexe différent (Defence of Marriage Act, 1996).

[18] II faudra voir l'effet sur l'islamophobie du moindre intérêt des États-Unis pour le Moyen Orient vu leur capacité d'autosuffisance énergétique entrevue à l'horizon de 2020, le marché pétrolier moyen-oriental ne devenant plus que la source d'approvisionnement de leurs partenaires économiques principaux, l'Union Européenne et la Chine.

[19] Les États-Unis ne sont nullement exempts d'hostilité à l'égard des musulmans mais celle-ci n'est en aucun cas soutenue par un parti poli tique. Elle est le fait d'individus (journalistes radio, policiers) et CAIR (Council of American Islamic Relations) en fait le compte-rendu quotidien (www.cair.org). Nombre des élites intellectuelles et scientifiques d'origine arabe, de confession chrétienne, judaïque, musulmane, est exilé aux États-Unis selon un mouvement d'attraction que le Québec, encore moins un Québec se déclarant officiellement islamophobe, ne saurait exercer.

[20] Voir la réforme, entre autres, de l'aide sociale par le PQ (IRIS La solidarité à 20$, Ève-Lyne Couturier, URL, Le Journal de Montréal, 30 octobre 2013.).

[21] Michel C. Auger a moqué cette comparaison du projet de loi 60 et du statut de la Virginie en matière de liberté religieuse rédigé par Jefferson en 1786 en rappelant des passages du document historique : « Le fait d'écarter un citoyen, comme indigne de la confiance du public, en le tenant pour indigne d'être appelé aux fonctions de confiance et lucratives, à moins qu'il ne professe telle ou telle opinion religieuse, ou n'y renonce, revient à le priver, en le lésant, de privilèges et d'avantages auxquels, au même titre que ces concitoyens, il peut naturellement prétendre » ; « Qu'il soit adopté en forme de loi, par l'Assemblée générale, qu'aucun homme ne sera contraint à fréquenter ou soutenir un culte, lieu ou ministère d'une quelconque religion [...], mais que tout homme sera libre de professer, et de maintenir par l'argumentation, ses opinions en matière de religion, et que cela n'aura en aucune manière pour effet de limiter, d'étendre ou d'affecter ses capacités en matière civile », (URL, blogues.radio-Canada, 20 novembre 2013).

[22] II en fut de même au Mexique et en Turquie.

[23] L'enjeu de ces formes est l'importance du financement public de l'enseignement religieux et du personnel religieux.

[24] En France, si les fonctionnaires sont assujettis à la neutralité visible (arrêt Délie Marteau, Conseil d'État), les agents occasionnels du service public (accompagnatrice de sortie de classe) et les délégataires d'une obligation de service public (crèche) ne le sont pas (Communication de David Koussens).

[25] Preuve impossible à faire vu que ces demandes proviennent en majorité de membres de minorités chrétiennes.

[26] Un des premiers effets collatéraux de la contradiction entre l'exigence linguistique québécois et le nouveau nationalisme intolérant est la récente baisse des niveaux d'immigration alors qu'existe à l'échelle de la planète, une concurrence entre pays pour attirer la main-d'oeuvre qualifiée migrante et que le Canada a haussé son niveau à 265.000 nouveaux arrivants par an.

[27] Communication de Pierre Bosset, Sciences juridiques, UQAM.

[28] Hélène Buzzetti, “Un nouveau groupe féministe voit le jour au Québec.” (Le Devoir, 15 novembre 2013). Roxane Léouzon, “Des féministes défendent l’inclusion des immigrantes.” Métro, 17 novembre 2013. Ryoa Chung, “Le Devoir de philo. Martha Nussbaum aurait-elle signé le manifeste des Janette ? L’auteure américaine a développé l’approche des «capabilités» dans le champ de la philosophie politique et dans une perspective féministe.” Le Devoir, 16 novembre 2013. Léa Couture-Thériault, “Lettre de réplique aux « Janette ».” Le Huffington Post, 16 octobre 2013.

[29] 50% des immigrés des années 1990 disent fréquenter régulièrement un lieu de culte comparativement à 20% des immigrés d'origine européenne, à 40% des immigrés arabes, toutes périodes d'arrivée confondues, et à 31% des natifs adultes canadiens. Ceux venus du Moyen Orient et d'Asie occidentale, des musulmans en majorité, ne montrent pas un haut taux de religiosité : 33% versus 65% pour ceux venus d'Asie du Sud et 56% de l'Asie du Sud-Est (Clark & Schellenberg, 2006).

[30] Débats non fondés comme des juristes français, dont J.M. Woerhling, l'ont rappelé.

[31] Gray critique toute notion de meliorism, c.-à.-d. la croyance que la condition matérielle et morale de l'humanité s'améliore au fil du temps, de manière irrégulière mais inévitable. Sen critique l'école du choix rationnel qui réduit la rationalité à la réalisation d'un objectif immédiat, sans tenir compte des croyances, fins morales et convictions des individus.

[32] Par exemple, le gouvernement péquiste n'a pas accusé réception des études sur les effets d'un régime laïc dans le monde scolaire que lui a transmis le Comité des Affaires religieuses, dont la Fédération autonome de l'enseigne ment veut l'abolition (Chouinard, 2013).

[33] Les affrontements autour de la CVQ ont remis à jour le clivage entre mouvements féministes autoritaires stigmatisant les musulmanes (PDF-Q par ex.), et démocratique (Fédération des femmes du Québec ; États généraux de l'action et de l'analyse féministes, novembre 2013, Montréal). PDF-Q se dissocie de la Fédération des femmes du Québec qui, au nom de la liberté individuelle des femmes et du respect de leur diversité, défend leur droit de porter le hijab. PDF-Q estime que ce voile est un symbole de l'asservissement de la femme et doit être combattu au nom de l'intérêt col lectif des femmes, [Hélène Buzzetti, “Un nouveau groupe féministe voit le jour au Québec.” (Le Devoir, 15 novembre 2013). Roxane Léouzon, “Des féministes défendent l’inclusion des immigrantes.” Métro, 17 novembre 2013.]



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 28 février 2015 9:16
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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