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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Keynes et le problème de la centralisation des pouvoirs” (1960)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pierre Harvey, “Keynes et le problème de la centralisation des pouvoirs”. Un article publié dans le livre de François-Albert Angers, avec la collaboration de Pierre Harvey et Jacques Parizeau ESSAI SUR LA CENTRALISATION. ANALYSE DES PRINCIPES ET PERSPECTIVES CANADIENNES. Montréal: Les Presses de l’École des Hautes Études Commerciales et Les Éditions de la Librairie Beauchemin, 1960, 331 pp.

Introduction

Si les intentions et les attitudes du gouvernement fédéral résultent d'un effort de mise en pratique des enseignements keynésiens comme on l'a montré au chapitre III précédent, un problème se pose alors : la centralisation des pouvoirs telles que réclamée par le gouvernement fédéral canadien, si elle est manifestement liée à la théorie keynésienne, est-elle pour autant strictement, exigée par cette théorie ? Ou, en d'autres termes, était-il nécessaire, pour pouvoir profiter des enseignements de Keynes, de réclamer la concentration des pouvoirs entre les mains d'une seule administration ? Dans les pages qui suivent nous essaierons de répondre sommairement à cette question. Nous examinerons la théorie keynésienne et les principales prescriptions de politique économique qui en sont déduites pour y constater jusqu'à quel point la centralisation des pouvoirs y paraît « nécessaire ». Dans tout ceci il n'est question d'ailleurs ni d'accepter ni de rejeter en bloc le « message keynésien ». La très large acceptation par les économistes de ce qu'il pouvait y avoir de vraiment novateur dans la pensée de Keynes nous dispense d'entreprendre ici cette discussion. 

Une difficulté se présente cependant au départ : que devons-nous entendre par politique keynésienne ? L'apport de Keynes à la science économique a maintenant été complètement assimilé par celle-ci, et il devient de plus en plus difficile, à mesure que les années passent, d'identifier le « courant keynésien ». Mais même si on s'en reporte à quelques années en arrière la difficulté n'est pas supprimée pour autant : on se trouve alors non plus devant un courant, mais plutôt en face d'un ensemble de tendances souvent très différenciées et même parfois opposées les unes aux autres, et à Keynes lui-même. D'ailleurs en ne s'en tenant qu'aux « disciples » de Keynes, il est pratiquement impossible d'en arriver à une définition univoque du keynésianisme. D'un côté comme de l'autre on risque donc d'avoir à tracer arbitrairement une ligne de partage entre ce qui est keynésien et ce qui ne l'est pas. Pour tourner la difficulté on peut décider de ne discuter qu'à partir de J.-M. Keynes lui-même. C'est la solution que nous adopterons ici en nous contentant, cependant de deux œuvres de Keynes seulement : la Théorie Générale * d'une part et How to pay for the War, d'autre part. Il nous reste maintenant à justifier ce choix. [1] 

Le choix de la Théorie Générale s'explique facilement : il s'impose même de toute évidence. Sans doute trouve-t-on dans les oeuvres antérieures de Keynes des positions différentes de celles qu'il devait adopter en 1936. Témoignant en 1925 devant le comité Colwyn, Keynes s'oppose déjà à la réduction rapide de la dette publique (cf. Minutes of Evidence of Colwyn Report, p. 278, cité par Seymour-E. Harris, The National Debt and the new economics, p. 68). Il devait s'élever une autre fois avec violence contre la politique « classique » du gouvernement anglais lors du début sur le rapport du Comité des Économies (septembre 1931), en condamnant alors sans ménagement ce qu'il appelle « les vues de la trésorerie ». (Essais de persuasion, traduction française, seconde édition, Gallimard, Paris, nov. 1931). Certaines de ces pages contiennent déjà l'essentiel de ce qui sera la base de la Théorie Générale. Mais Keynes a présenté la Théorie Générale, à la fois comme une mise en ordre de ses efforts antérieurs pour réviser la pensée économique moderne et comme une reconstruction effective des postulats fondamentaux eux-mêmes. Il a choisi alors d'effectuer cette révision par le biais de l'emploi, parce que la situation de l'Angleterre lui semblait une preuve concrète des « erreurs classiques » et lui fournissait une occasion de renverser les postulats fondamentaux sur lesquels il s'était appuyé jusque-là, ainsi que ses devanciers. D'ailleurs à la fin du chapitre Il de la Théorie Générale, et avant de passer à l'explication du « principe de la demande effective »qu'il se propose de substituer aux postulats anciens, Keynes prend soin de noter que les différentes hypothèses sur lesquelles il a fait reposer la théorie classique sont équivalentes entre elles et qu'en somme, il est indifférent d'aborder le problème en niant que le « salaire réel soit égal à la désutilité marginale de l'emploi existant » ou en déclarant qu'il est faux de prétendre que « pour tous les volumes de la production et de l'emploi le prix de la demande globale est égal au prix de l'offre globale » (p. 44). [2] La première hypothèse lui permet de mettre à l'épreuve l'ensemble de la théorie classique, mais par le biais de l'équilibre de l'emploi ; la seconde met en cause l'équilibre général de l'économie. 

Keynes aurait pu aborder sa démonstration directement à partir de la seconde hypothèse ; il a préféré recourir à la première, probablement pour pouvoir s'appuyer sur l'expérience que vivait alors l'Angleterre depuis la fin de la première Grande Guerre. Mais il lui a alors fallu faire un assez long détour avant d'arriver à l'objet de sa démonstration. Ce n'est pas cependant le plus grave inconvénient de la méthode adoptée. En s'appuyant, en effet, sur le cas de l'Angleterre, Keynes a été amené à donner une importance théorique exagérée aux difficultés économiques qu'avait supportées celle-ci. Il en est résulté que sa théorie a été moins une théorie générale qu'une théorie du sous emploi. Ce qui ne signifie pas, cependant, qu'elle n'est applicable qu'au sous emploi, mais plutôt que Keynes lui-même ne l'a développée que dans cette optique. Il s'en est d'ailleurs clairement expliqué dans son ouvrage : « C'est une des propriétés essentielles du système économique où nous vivons, écrit-il, de ne pas être violemment instable, tout en étant sujet en ce qui concerne la production et l'emploi à des fluctuations sévères. À la vérité, ce système paraît apte à rester un temps considérable dans un état d'activité chroniquement inférieur à la normale sans qu'il y ait tendance marquée à la reprise ou à l'effondrement complet. En outre, il apparaît clairement que le plein emploi ou même une situation voisine du plein emploi est rare autant qu'éphémère » (p. 266). Ces situations étant à la fois rares et éphémères, Keynes n'a pas cru urgent ou même utile d'y attacher beaucoup d'importance. C'est pourquoi il s'est contenté de mentionner ici et là le cas possible mais si peu probable de l'inflation, ou, dans l'optique choisi par lui, du sur emploi. Sous cet aspect la Théorie Générale est manifestement limitée. 

Mais le « principe de la demande effective » tel qu'élaboré par Keynes restait quand même utilisable autant pour l'analyse d'une situation de sur emploi que pour celle d'un état de sous emploi plus ou moins chronique. Keynes l'a nettement démontré lorsque sous la pression d'événements radicalement différents de ceux qui avaient prévalu jusqu'alors, il écrivit, en 1939, les trois articles d'abord publiés dans The Times et réunis par la suite sous le titre : How to Pay for the War. Dans ce dernier ouvrage, Keynes démontre en quelques pages comment peut se développer l'inflation sous l'effet d'une demande excédentaire engendrée par la guerre. En réunissant alors la Théorie Générale et How to Pay for the War, on a une idée complète, en un diptique, de la vision keynésienne de l'économie, mue dans un sens ou dans l'autre, par une déficience ou par un excès de la demande effective. [3] Le chapitre consacré au cycle, dans la Théorie générale, n'a alors qu'une importance secondaire : il concerne presque exclusivement la forme cyclique des fluctuations de la demande effective et non pas les déterminants de celle-ci. 

Il faut cependant noter que l'importance théorique de How to Pay for the War n'est pas la même que celle de la Théorie Général, en ce qui nous concerne du moins. How to Pay for the War nous montre comment le « principe de la demande effective » élaboré par Keynes peut être utilisable pour l'analyse du sur emploi, mais l'analyse elle-même n'a dans cet ouvrage qu'un caractère de balances comptables et c'est à la Théorie Générale qu'il faut revenir pour comprendre la vision que Keynes se fait de ces ajustements, hors, naturellement le cas du contrôle de guerre.


* [John Maynard Keynes, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. (1936) Traduction de l'Anglais par Jean De Largentaye en 1942. Paris : Éditions Payot, 1942. Réimpression, 1968, 407 pages. Texte disponible, en version française dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[1] How to pay for the War, op. cit., et Théorie Générale de l'Emploi, de l'Intérêt et de la Monnaie, traduction française, Payot, Paris, 1949.

[2] Les références renvoient à la traduction française citée plus haut.

[3] Cette vue reste cependant statique, sauf pour certaines parties de How to pay for the War où le problème de l'inflation se trouve discuté en prenant en considération des périodes successives et des effets cumulatifs.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 5 mai 2007 12:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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