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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean Hamelin et Yves ROBY, “L’évolution économique et sociale du Québec, 1851-1896.” Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand DUMONT, Jean-Paul MONTMINY et Jean HAMELIN, IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS, 1850-1900, pp. 13-25. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1971, 327 pp. Collection : Histoire et sociologie de la culture, no 1. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, Chomedey, Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée le 7 décembre 2009, par le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis DION, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[33]

IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS,
1940-1976.
Tome Ier: La presse — la littérature.

Une mutation de la société québécoise,
1939-1976. Temps, ruptures, continuités
.”

par Jean Hamelin et Jean-Paul Montminy

[pp. 33-70.]

I. Les origines de la révolution tranquille, 1939-1956

La conjoncture économique
Un mythe : la prospérité générale
L'urbanisation
Émergence d'un partenaire social
Les enjeux politiques
II. La révolution tranquille, 1957-1966

Phase I : 1956-1961

Des temps difficiles
La lutte pour le pouvoir
Le Québec à l'heure du XXe siècle

Phase II : 1962-1966

Une reprise bien fragile
Modernité et changement social
Un échec

III. La révolution nationale, 1967-1976

Une société aux horizons bloqués
Réalignement des forces politiques
Un climat politique tendu
Le P.Q. au pouvoir

Bibliographie incitative

Les idéologies, parce qu'elles s'enracinent dans le vécu des gens, ne se comprennent bien que situées dans leur contexte socio-culturel, plus précisément dans le système de classes qui les engendre autant qu'elles l'engendrent. Un inventaire des idéologies s'appelle naturellement un inventaire des classes sociales. Et l'inverse est aussi vrai. Il eût donc été souhaitable de mener de front les deux enquêtes, mais encore eût-il fallu en avoir le temps et les moyens.

À défaut d'une étude exhaustive sur les classes sociales, il nous apparaît nécessaire de coiffer cet inventaire des idéologies d'une brève esquisse historique qui, classant les événements et les faits dans un ordre chronologique, dégage des temps, des ruptures et des continuités, bref recrée la vie des producteurs des idéologies. L'entreprise s'impose d'autant plus que nous traitons d'une période durant laquelle l'Histoire, pressant le pas, jonche sa trace d'une moraine d'événements que la mémoire des contemporains ne parvient pas à broyer en un sable fin dont on fait les consciences historiques. Sans cesse agressés par les événements, les hommes d'aujourd'hui ont besoin plus que jamais de représentations évocatrices de leur passé récent qui sont les indispensables médiations d'un dialogue entre gens d'hier et gens d'aujourd'hui.

Ni les sociologues ni les historiens n'ont encore trouvé de modèle satisfaisant pour rendre compte du passé québécois récent. Les modèles élaborés laissent échapper un résidu : la spécificité de [34] la mutation de la société québécoise. Il n'entre pas dans nos intentions d'en proposer un. Optant pour la compréhension plutôt que pour l'explication, nous évoquons cette mutation sur le mode narratif, sans doute celui qui est le plus propre à interpeller à la fois les chercheurs en sciences humaines et le lecteur intéressé à l'évolution du Québec depuis les années 1940.


I. - les origines de la révolution tranquille,
1939-1956

La conjoncture économique

Les années 1939 à 1956 constituent une période d'expansion économique accélérée qui modifie les structures socio-économiques du Québec. Le mouvement conjoncturel traditionnel est faussé par les mesures anticycliques du gouvernement fédéral qui utilise les techniques keynésiennes, et surtout par des facteurs exogènes qui maintiennent artificiellement une haute conjoncture : la guerre mondiale (1939-1945), la reconstruction de l'Europe (1946-1949), la guerre froide et la guerre de Corée (juin 1949-juillet 1953). À l'échelle canadienne, le produit national brut (P.N.B.) s'accroît de 12,4 pour 100 en dollars constants, au rythme moyen de 5,16 pour 100 par année. Par tête d'habitant, le même P.N.B. progresse de 61 pour 100. Avant 1946, nous ne connaissons pas encore le P. N. B. québécois pour mesurer les progrès du Québec. On sait cependant que le P.N.B. québécois augmente d'environ 45 pour 100 en dollars constants de 1946 à 1956. Des indicateurs liés aux facteurs de production peuvent nous aider à mesurer certains aspects de la croissance entre 1939 et 1956 : la population augmente de 40 pour 100 ; la production manufacturière, de 168 pour 100 en dollars constants.

L'expansion est accélérée, mais elle n'est pas linéaire. La tendance à la hausse marque trois phases. Les années 1939 à 1945 correspondent à une croissance très forte consécutive au deuxième conflit mondial. Elles sont caractérisées par un effort de guerre total mobilisant toutes les ressources de l'économie québécoise [35] qui, depuis 1929, fonctionnait au ralenti dans de nombreux secteurs. Durant la guerre, le progrès est inégal entre secteurs et, parmi les secteurs, entre activités. Ainsi, dans le secteur manufacturier, des branches augmentent leur production, mais non leur capacité de production : par exemple, le tabac, le caoutchouc, le cuir, le bois ; d'autres activités manufacturières traditionnelles croissent rapidement : de 1939 à 1945, l'alimentation augmente de 44 pour 100 en dollars constants, le textile de 61 pour 100, le vêtement de 63 pour 100, les produits du pétrole de 30 pour 100 ; mais les activités manufacturières les plus touchées sont celles des produits des métaux non ferreux (environ 200 pour 100), des minéraux non métalliques (95 pour 100), du fer (236 pour 100), du matériel de transport (511 pour cent), des appareils électriques (177 pour 100), des produits chimiques et pétrochimiques (200 pour 100). La guerre occasionne l'apparition ou l'expansion d'activités manufacturières à haute technologie et à forte intensité de capital qui viennent renforcer et diversifier la structure économique du Québec. Evelyn Dumas a calculé qu'en 1943 le plus gros employeur était le secteur de l'acier et des produits du fer avec 108 086 ouvriers, suivi du textile avec 76 002 employés, et des industries chimiques avec 46 553.

Les années 1946 à 1949 constituent une phase d'ajustements, de reconversion de l'économie de guerre en économie de paix. Ce serait beaucoup dire que d'affirmer que ce passage a été planifié par les hommes politiques. Conservant en mémoire les pénibles rajustements qui avaient suivi la première guerre mondiale, ils s'en sont tout au moins préoccupés avant même que la guerre se termine, comme en témoigne le Livre Blanc sur l'emploi et le revenu publié au printemps 1945 par le gouvernement canadien. Ce livre traduit de nouvelles attitudes face aux responsabilités de l'État en matière socio-économique. Le gouvernement libéral, encore traumatisé par la dépression des années 1930, déclare que le maintien de l'emploi à un niveau élevé est une priorité politique et annonce des mesures concrètes pour faciliter la reconversion de l'économie : crédits à la Banque d'expansion industrielle et aux pays importateurs, création de la Société centrale d'hypothèques et de logement [36] pour relancer la construction domiciliaire. Il faut toutefois noter que la transition sans heurts importants est assurée par un ensemble de facteurs conjoncturels. Au premier chef, les dépenses de consommation intérieure. Durant la guerre, les Québécois, comme tous les Canadiens, ont été rationnés et ont dû pratiquer l'épargne forcée. Ils ont des épargnes qu'ils peuvent maintenant utiliser pour améliorer leur niveau de vie. Leur pouvoir d'achat est renforcé par les mesures du gouvernement fédéral Pour maintenir un flux de dépenses en biens de consommation : assurance-chômage (1940), allocations familiales (1944), indemnités aux anciens combattants, réduction des impôts, etc. La demande des marchés européens alors en pleine reconstruction vient renforcer les stimulations du marché domestique. Il s'ensuit des pressions inflationnistes très fortes que le gouvernement ne réussit pas à juguler : de 1946 à 1951, le taux d'inflation est de l'ordre de 8,7 par an.

En 1949, l'économie québécoise marque des signes d'essoufflement. Se basant sur un ralentissement de la vente des biens de consommation durables et sur la petite taille du marché domestique québécois, les observateurs évoquent la possibilité d'une dépression. Mais l'évolution de la situation internationale déjoue ces pronostics pessimistes. La signature, le 4 avril 1949, du traité de l'Atlantique Nord, en déclenchant la guerre froide, accentue la course aux armements et le stockage du matériel stratégique. La guerre de Corée renforce la tendance. Ces événements favorisent le Québec qui produit plusieurs matériaux stratégiques que nécessitent les programmes de défense du monde occidental, notamment le minerai de fer, le bois, le papier, les métaux non ferreux. L'exploitation des richesses naturelles exige de gros investissements - ce sont les années où l'on commence l'exploitation du fer dans le Nouveau-Québec. Le bois et les mines sont des pôles de croissance dont les effets multiplicateurs ont des retombées sur l'ensemble de l'économie, notamment sur la construction domiciliaire, la construction d'usines et l'achat d'équipement.

La rapidité avec laquelle le Québec profite des ouvertures du marché extérieur de 1940 à 1956 tient à plusieurs facteurs. L'absence [37] de concurrence joue pour beaucoup, mais bien davantage l'immigration massive de capitaux et de procédés techniques américains, d'ouvriers spécialisés et de cadres de toutes nationalités.

Un mythe : la prospérité générale

C'est bien à tort qu'on a généralisé la prospérité des années d'après-guerre. Chaque catégorie de la population y participe, mais inégalement. Les agriculteurs qui depuis la guerre avaient profité de l'augmentation générale des prix sont aux prises, depuis les années 1950, avec une « crise des ciseaux » : les coûts de revient augmentent plus vite que les prix de vente des produits agricoles. Chez les travailleurs, la situation est variable. Les ouvriers rémunérés au salaire minimum font les frais de la hausse des profits des entreprises et des gains salariaux obtenus par les syndiqués : non seulement leur salaire se situe en deçà du minimum vital, mais leurs gains salariaux ne compensent point l'inflation. Les enseignants, les petits fonctionnaires, les travailleurs des services hospitaliers supportent les traditionnels excédents budgétaires du gouvernement du Québec. Chez les syndiqués, une hiérarchie existe selon les industries et les régions. Les entreprises « des secteurs mous » (textile, cuir, tabac, alimentaire) versent des salaires de famine. Dans le cas du textile, les travailleurs des filés et tissus de coton bénéficient, de 1936 à 1953, d'une augmentation salariale de 422,3 pour 100, mais un salaire hebdomadaire moyen de 40$ en 1953 ne peut combler les besoins essentiels d'une famille de cinq personnes, qu'on évalue alors à 52$. Par contre, les travailleurs de la construction et de la grande industrie entrent dans l'univers des aspirations dès la guerre, si l'on retient l'hypothèse du plein emploi.

Sous la pression de l'opinion publique, les gouvernements s'efforcent timidement de corriger ces inégalités. S'inspirant de la Déclaration des droits de l'homme à l'Onu, qui proclame « le droit qu'a toute personne d'avoir la sécurité sociale », et des pratiques anglo-saxonnes (rapport Beveridge), le gouvernement canadien met en place de nouveaux programmes de sécurité sociale : [38] assurance-chômage (1941) et allocations familiales (1944). Pour sa part, le gouvernement du Québec accroît ses interventions directes à diverses catégories de citoyens : mères nécessiteuses, infirmes, accidentés du travail, indigents, invalides, etc. Les prestations sociales comblent les besoins les plus criants, mais ne règlent pas tous les problèmes. C'est la nécessité de boucler le budget familial qui amène de nombreuses femmes sur le marché du travail. Depuis la guerre, la proportion des femmes dans la main-d'oeuvre active québécoise n'a cessé de croître : de 19,8 en 1931, le taux de main-d'oeuvre féminine passe à 21,9 en 1941, 23,2 en 1951 et 27,1 en 1961.

L'urbanisation

La croissance et les orientations nouvelles de l'économie québécoise contribuent à relancer le mouvement d'urbanisation. Quoi qu'en disent les discours officiels, le Québécois moyen n'est plus et ne peut plus être un agriculteur ni un rural. Le tableau Il le montre à l'évidence.

Les secteurs secondaire et tertiaire ne cessent de faire des gains au détriment des effectifs de la main-d'oeuvre agricole. Évalués à 225 083 en 1941, ceux-ci baissent à 195 410 en 1951 et à 166 000 en 1956. Les agriculteurs se fixent à la ville où ils deviennent manoeuvres, charpentiers, ouvriers d'usine et petits commerçants.

Le mouvement d'urbanisation que la dépression des années 1930 avait stoppé - le pourcentage des citadins avait plafonné à 62 pour 100 entre 1931 et 1941 - reprend subitement durant la guerre, puis s'accélère dans les années 1950. Montréal et Québec, qui jusque dans les années 1930 n'avaient été que des fédérations de gros villages où se perpétuaient encore des traditions rurales, deviennent de plus en plus des creusets où se forgent de nouvelles valeurs et de nouvelles solidarités.

Us villes ne font pas que changer : elles commencent à sécréter à la grandeur de l'écoumène québécois un tissu urbain. L'amélioration des moyens de transport, l'électrification des campagnes, la [39] révolution dans les communications (radio, télévision, presse de fin de semaine, magazines, téléphone, etc.) ne font pas qu'intensifier les échanges entre villes et campagnes : ces nouveautés confèrent plutôt à la ville une position et une voix dominantes. Les échanges se font à sens unique. La ville devient une force culturelle de plus en plus envahissante et irrésistible.

Émergence d'un partenaire social

La mutation du genre de vie et les inégalités des revenus exercent de fortes pressions sur l'Église qui, par son idéologie et ses responsabilités dans le bien-être social et l'éducation, s'apparente encore à une institution d'ancien régime. Depuis le début du XXe siècle, celle-ci avait mis en place un impressionnant réseau d'institutions (Association catholique de la jeunesse canadienne, 1903; l'Action sociale catholique, 1907; les syndicats catholiques, 1908; École sociale populaire, 1911; Semaines sociales, 1920; les mouvements d'Action catholique spécialisée, 1931) dont le rôle était de maintenir un ordre social chrétien. L'accélération de l'urbanisation la prend de court : elle ne dispose pas de ressources financières suffisantes pour continuer d'assumer toutes ses responsabilités traditionnelles en matière d'éducation et d'enseignement. Aussi, le gouvernement met en place un réseau d'écoles de métiers, assume de plus en plus les frais d'immobilisation dans le système hospitalier, multiplie les interventions directes auprès des défavorisés. L'écart entre l'idéologie officielle de l'Église qui définit le Québec comme une société catholique, française et rurale et ses pratiques pastorales en milieux urbains suscite des tensions entre le haut clergé et le bas clergé, entre les clercs et les laïques, les séculiers et les religieux. Dans cette société en voie d'urbanisation, l'Église perd son rôle de leadership : son idéologie de conservation ne peut plus guider une société en voie de mutation. En 1950, la lettre collective de l'épiscopat qui reconnaît la ville comme un milieu sanctificateur arrive bien tard, et elle ne correspond pas à un changement profond des attitudes chez la plupart des membres du clergé, si ce n'est chez certains militants de l'Action catholique et les membres de la Commission d'études sacerdotales.

[40]

Si, dans les domaines du politique et du social, l'influence de l'Église diminue, le syndicalisme, reconnu durant la guerre comme un partenaire social majeur, marque des points. Trois centrales regroupent les ouvriers : la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (C.T.C.C.), la Fédération provinciale du travail du Québec (F.P.T.Q.) rattachée au Congrès des métiers et du travail du Canada (C.M.T.C.), et le Congrès canadien du travail (C.C.T.) qui regroupe, en décembre 1952, ses affiliés québécois dans la Fédération des unions industrielles du Québec (F.U.I.Q.). Face à l'implantation des multinationales (en 1956, 54 corporations contrôlent 44 pour 100 de l'économie canadienne) et fort de la croissance de ses membres, le syndicalisme se restructure et révise son idéologie. Mais il conserve ses distances (sauf le C.C.T. qui appuie la Co-operative Commonwealth Federation en 1943), face aux partis politiques, et il endosse, à partir de 1948, la lutte que les gouvernements mènent au communisme. Ainsi, la F.P.T.Q. expulse en 1952 ses éléments communistes (Kent ROWLEY, Madeleine Parent, etc.), comme l'avait fait, en décembre 1950, la F.U.I.Q.

  Le cas de la C.T.C.C. est révélateur de l'évolution du mouvement syndical. En 1942, cette centrale engage son premier organisateur syndical, Jean Marchand. Au congrès de Granby en 1943, elle remet en cause la confessionnalité : elle enlève à l'aumônier son droit de veto sur les grèves et elle accepte dans ses rangs des travailleurs non catholiques qui n'auront pas encore, cependant, le droit de vote. Elle rajeunit ses cadres en septembre 1946. La nouvelle équipe Picard-Marchand, tout en continuant de s'inspirer de l'idée de complémentarité des classes et des principes moraux de Quadragesimo Anno, se fixe des objectifs socio-économiques : la planification de la production et une répartition plus équitable des biens et des services. La C.T.C.C. compte atteindre ses objectifs par la copropriété, la cogestion et la participation aux bénéfices. En 1948, elle met sur pied un programme pour améliorer l'efficacité de ses services et elle établit un fonds de grève; en 1949, elle donne à ses dirigeants le droit de percevoir une taxe spéciale en cas de crise et elle crée un comité d'action [41] civique. Le dynamisme accru de la C.T.C.C. se reflète dans l'accroissement de ses membres : elle en recrute 25 000 de 1945 à 1949. Il s'exprime aussi dans le nombre et l'ampleur des conflits qu'elle soutient (la grève de l'amiante en 1949 implique 5 000 travailleurs et dure quatre mois et demi), et dans la percée qu'elle fait dans les grosses entreprises montréalaises au cours des années 1950.

En 1954, l'abandon de la confessionnalité, à tout le moins au niveau des pratiques syndicales, témoigne du chemin parcouru. Cependant, l'idéologie de la C.T.C.C. n'est pas représentative de tout le mouvement syndical. La F.P.T.Q., alors dirigée par Roger Provost et Claude Jodoin, s'inspire davantage du syndicalisme d'affaires nord-américain. Elle favorise la bonne entente avec le capital et avec l'État. Elle entretient de bonnes relations avec le gouvernement antisyndical que dirige Maurice Duplessis. Pour sa part, la F.U.I.Q. prône un nationalisme pancanadien et la social-démocratie. C'est la fraction du mouvement syndical la plus avant-gardiste. Le « Manifeste au peuple du Québec », soumis au congrès de 1955, à Joliette, fait une large place aux droits de l'homme et aux libertés civiles, à l'étatisation des ressources naturelles et des services publics. En 1955-1956, des leaders de la F.U.I.Q. fondent la Ligue d'action socialiste.

Bien que déchiré par des rivalités intersyndicales au sein desquelles les facteurs religieux et ethniques sont importants, le mouvement syndical a assez de cohésion et de vitalité pour faire la lutte au gouvernement Duplessis dont le conservatisme social plaît aux élites traditionnelles et aux ruraux. Trois événements dominent cette lutte : (1°) la mise sur pied d'une Conférence intersyndicale pour s'opposer au code du travail (hiver 1948) qui limite le droit de grève et la liberté syndicale; (2°) les campagnes contre les bills 19 et 20 (22 août 1953 au 13 février 1954) qui limitent le droit d'organisation syndicale; (3°) l'opposition au bill Guindon (janvier 1954) qui enlève l'accréditation syndicale aux syndicats du secteur public et parapublic qui feront une grève. L'attitude anti-syndicale du gouvernement Duplessis a pour conséquence d'inciter les leaders syndicaux à s'appuyer sur le gouvernement canadien [42] qui, en période de guerre, avait eu la sagesse de reconnaître le principe de la liberté syndicale et de favoriser le régime des conventions collectives. Sur le plan des idéologies, elle eut aussi pour résultat d'amener ces mêmes leaders à délaisser les thèmes nationalistes, à adhérer aux principes de la démocratie libérale et à l'idéologie de rattrapage.

Les enjeux politiques

Au niveau politique, lieu par excellence de l'affrontement, du compromis et de la concertation, le gouvernement du Québec rencontre deux problèmes majeurs : la centralisation du gouvernement canadien et les problèmes sociaux nés de l'industrialisation et de l'urbanisation.

De 1939 à 1944, le gouvernement libéral d'Adélard Godbout est dominé par le gouvernement canadien qui, comme le stipule la Constitution, peut en temps de guerre s'arroger tous les pouvoirs pour maintenir la paix et le bon ordre. À la grandeur du pays, les gouvernements provinciaux sont investis par le pouvoir central. Il est bien difficile, encore aujourd'hui, de départager les mesures que l'effort de guerre rendait inévitables de celles qui ont été passées pour satisfaire le vieil instinct centralisateur du pouvoir central qui trouvait alors, dans le Rapport Rowell-Sirois (1940), matière à assouvir son appétit. En 1942, le gouvernement Godbout accepte les célèbres accords fiscaux au terme desquels le gouvernement provincial renonce provisoirement, en échange d'une subvention annuelle, à prélever un impôt sur le revenu des particuliers et des corporations. On estime que, du 1er septembre 1941 au 1er septembre 1947, Ottawa préleva deux milliards de dollars dans le Québec et n'en remit que 100 millions au gouvernement québécois.

La molesse apparente du cabinet Godbout dans les relations fédérales-provinciales contraste avec son dynamisme dans les affaires sociales. Premier cabinet provincial à s'appuyer sur les villes, héritier de la tradition rouge, composé de quelques fortes personnalités, dont le « diable de Saint-Hyacinthe », T.-D. Bouchard, [43] le cabinet Godbout entreprend une oeuvre de modernisation qui, à distance, a le caractère d'une révolution tranquille. Il n'est pour s'en convaincre que d'énumérer ses principales réalisations : suffrage féminin (1940), Conseil supérieur du travail (1940), Conseil d'orientation économique (1943), fréquentation scolaire obligatoire (1943), Commission d'assurance-maladie (1943), Commission des relations-ouvrières (1944), Hydro-Québec (1944).

Le cabinet Godbout a l'appui des syndicats, des citadins, mais il a contre lui une bonne partie du clergé, de même que le mouvement nationaliste qui mobilise ses forces dans un parti politique, le Bloc populaire. Ce dernier reprend à son compte le Programme de restauration sociale de l'Action libérale nationale des années 1930. Le Bloc populaire dispose avec le Devoir, l'Action nationale, l'Actualité économique, d'une impressionnante force de frappe auprès des élites. Il lui manque, cependant, l'appui des grands quotidiens.

Aux élections de 1944, les nationalistes contribuent à la défaite du gouvernement Godbout : entre le Parti libéral et le Bloc populaire, se faufile l'Union nationale de Maurice Duplessis qui, avec moins de suffrages, obtient le plus grand nombre de sièges. Le monde rural, avantagé par une carte électorale tracée au milieu du XIXe siècle et qui lui accorde, compte tenu de sa population, un nombre excessif de sièges, constitue les assises de l'Union nationale. Une carte électorale vieillotte maintenue par des politiciens en mal de pouvoir, constituera longtemps un frein à l'expression des aspirations des citadins et sera l'instrument par excellence qu'utiliseront les élites traditionnelles pour se maintenir au pouvoir. À l'inverse du gouvernement précédent, Maurice Duplessis met en place un régime politique autoritaire, conservateur, anti-syndical et nationaliste. Deux choses le préoccupent : la croissance économique et le respect des pouvoirs dévolus par la Constitution à chaque niveau de gouvernement. En cela, il est l'héritier d'une longue tradition politique québécoise qui, habitée par la crainte de l'assimilation des Canadiens français, a mis l'accent sur la croissance économique et la survivance nationale plutôt que sur le développement économique et le changement social.

[44]

Bien qu'elle coûte cher aux Québécois - le refus de signer les accords fédéraux entre 1947 et 1953 leur coûta environ 378 millions de dollars - la politique autonomiste de Maurice Duplessis sauvegarde l'avenir. Ainsi, la décision qu'il prend en 1954 de créer un impôt sur le revenu des particuliers équivalant à environ 10 pour 100 de l'impôt fédéral prépare l'émergence d'un État québécois. Dans l'immédiat, cependant, le refus des subsides du gouvernement canadien et la hantise des déficits budgétaires se traduisent par l'absence de programmes de développement économique et de sécurité sociale.

À l'heure du conservatisme social [1], les forces de changement sourdent non du politique, mais du social, La contestation du leadership des élites traditionnelles est le fait de nouveaux groupes sociaux : les intellectuels des facultés de sciences sociales, les administrateurs fraîchement sortis des écoles commerciales et des universités désireux de se tailler une place dans la fonction publique et l'entreprise privée, les enseignants laïcs qui contestent l'emprise des clercs sur le système scolaire, les chefs de l'Action catholique que la stratégie du « voir, juger, agir » enracine dans les milieux populaires, les leaders ouvriers sensibilisés aux aspirations des masses urbaines. Ces forces de changement disposent d'une revue, Cité libre, dont le premier numéro paraît en janvier 1950; d'un journal, le Devoir, qui avec l'arrivée de Gérard Filion s'ouvre davantage aux problèmes socio-économiques ; d'une tribune publique, l'Institut canadien des affaires publiques, qui utilise à fond un nouveau médium, la télévision ; d'un parti, la Fédération libérale du Québec que Georges-Émile Lapalme présente comme la synthèse des forces de renouveau. Cette contestation avait été annoncée en 1948 par le Refus global, une vive dénonciation par les artistes et les poètes de l'idéologie de conservation.


II. - La révolution tranquille, 1957-1966

En réponse au Rapport Rowell-Sirois qui avait fait l'apologie du fédéralisme centralisateur, Maurice Duplessis avait créé, le 12 février 1953, [45] la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels, dont le mandat implicite était de proclamer bien haut la légitimité des prétentions du gouvernement de la province de Québec à une large autonomie, tant financière que politique, au sein de la Confédération canadienne. La commission tint 97 séances publiques et reçut 253 mémoires. Par la force des choses, le besoin de donner un éclairage socio-économique aux problèmes constitutionnels l'amena à disséquer l'ensemble de la société québécoise. De fait, la Commission devint une tribune où la population, par ses corps intermédiaires, exprima ses doléances, et les experts en sciences sociales, leurs vues sur la société moderne. Les commissaires remirent leur rapport en 1956 [2]. Leurs recommandations s'inspiraient d'une constatation évidente : « Aujourd'hui, tout le monde admet qu'il n'est plus possible d'éviter le recours à l'État, parce que les organismes privés ne peuvent suffire à la tâche. La mentalité traditionnelle de méfiance tend à disparaître. » Effrayé par l'ampleur des réformes à opérer, Maurice Duplessis enfouit le rapport dans les voûtes de la Législature. Mais il est trop tard.

Le phénomène appelé Révolution tranquille n'est donc pas une génération spontanée. Préparé par une nouvelle représentation de la société, rendu nécessaire par les transformations socio-économiques, il s'étale sur une conjoncture décennale caractérisée par deux phases : l'une de ralentissement de l'activité économique (1956-1961), et l'autre d'expansion (1962-1966). À ces deux phases correspondent trois moments politiques : la contestation d'un régime politique, le changement de régime et la modernisation des structures politiques.


Phase I : 1956-1961

Des temps difficiles

À l'automne de 1956, la prospérité d'après-guerre marque un temps d'arrêt. Le Québec est aux prises avec une situation nouvelle qui s'est progressivement formée dans les années 1950. Sur [46] les marchés extérieurs, la concurrence est désormais plus vive : les économies européennes fonctionnent à plein et des pays du Tiers-Monde accélèrent l'exploitation de leurs richesses naturelles. Il y a surabondance. Dans le Québec même, les grands travaux d'aménagement des richesses naturelles tirent à leur fin, libérant un fort contingent de main-d'oeuvre non qualifiée. De plus, les investissements des années 1949-1951 se traduisent par un suréquipement : la capacité de produire excède de beaucoup les besoins du marché domestique en biens de consommation durables. La politique budgétaire timorée du gouvernement québécois renforce les pressions déflationnistes : de 1939 à 1952, ses dépenses, y compris celles des municipalités, sont passées de 13,9 pour 100 du P.N.B. à 8,9 pour 100. À trop compter sur ses ressources naturelles, le Québec avait négligé d'améliorer par la recherche scientifique et les transferts technologiques les procédés de fabrication de l'industrie manufacturière, de recycler sa main-d'oeuvre pour la rendre plus polyvalente, d'explorer les besoins de son propre marché pour susciter et orienter les investissements, de compenser par de nouvelles activités les pertes d'emploi engendrées par l'automatisation. Le Québec découvre alors que sa capacité concurrentielle s'est détériorée même sur son propre marché.

De 1957 à 1961, les marchés sont donc difficiles. L'activité économique est au ralenti, affectant l'emploi et le revenu dans le secteur primaire et les industries connexes. Les indicateurs traduisent les difficultés de ces années. La croissance économique annuelle n'est que de 3,9 pour 100. Les investissements progressent au rythme de 2 pour 100 par année, comparativement à 14 pour 100 durant les années précédentes. Le chômage qui oscillait autour de 6 pour 100 vers 1956 atteint 9,2 pour 100 en 1961. Dans certaines régions, il prend l'ampleur d'un fléau : de 1955 à 1964, les taux moyens annuels de chômage sont de 15,7 en Gaspésie, de 13,7 au Saguenay—Lac-Saint-Jean, de 12,7 sur la Côte-Nord. Les années 1957/1958 et 1960/1961 furent les plus dures, ramenant à la mémoire les pénibles années de la décennie 1930. L'impact de cette mauvaise conjoncture fut amorti par un vigoureux programme gouvernemental de construction domiciliaire et [47] par les effets stabilisateurs des prestations sociales et des réductions d'impôts. Peut-être faut-il y voir l'origine de l'éphémère reprise de 1958.

Néanmoins, des tendances apparues vers 1950 s'accentuent. La « crise des ciseaux » en agriculture, qui ne peut être enrayée que par un accroissement de la superficie des fermes, la modernisation de leur équipement et une spécialisation accrue, refoule les ruraux vers les villes. Le tertiaire continue ses gains impressionnants au détriment du primaire. À la périphérie des villes, les centres commerciaux polarisent le commerce régional entraînant la fermeture dans les paroisses rurales des magasins généraux et des boutiques d'artisans. L'emprise américaine sur l'économique québécoise se resserre chaque année. Claude Saint-Onge estime à 4 320 milliards de dollars les investissements américains au Québec en 1961, comparativement à 2 395 milliards en 1953. Les Américains contrôleraient 100 pour 100 du pétrole et de la houille, 85 pour 100 des métaux non ferreux, 80 pour 100 du matériel de transport, 77 pour 100 des produits chimiques, 59 pour 100 du fer et de l'acier. Les Québécois francophones ne produisent que 15 pour 100 de la valeur ajoutée dans le secteur secondaire et n'ont de l'influence que dans l'industrie du bois qu'ils contrôlent à 84 pour 100, du cuir (49 pour 100) et du meuble (39 pour 100). En bref, ces derniers posséderaient, toujours selon Saint-Onge, entre 10 et 15 pour 100 des moyens de production. Ces chiffres aident à comprendre la place qu'occupent les Québécois francophones dans la société québécoise : le bas de l'échelle. En 1961, précise le rapport Laurendeau-Dunton, le Québécois francophone a un revenu moyen inférieur d'environ 35 pour 100 à celui du Québécois anglophone. Les anglophones (7 pour 100 de la main-d'oeuvre) occupent 80 pour 100 des postes les mieux rémunérés dans l'entreprise manufacturière. Le travailleur québécois produit deux fois plus dans une entreprise étrangère que dans une entreprise francophone. Bien d'autres observations de ce rapport incitent à percevoir le Québec comme une économie dépendante. Les signes les plus révélateurs sont les importations de capitaux et de produits ouvrés, de même que les exportations de matières brutes.

[48]

La lutte pour le pouvoir

Durant les difficiles années 1956 à 1961, les inégalités de revenus s'accentuent. Les petits agriculteurs, les chômeurs, les travailleurs non syndiqués ou qui n'ont point le droit de grève subissent une augmentation régulière des prix qui rogne leur pouvoir d'achat. Par contre, les syndiqués, brandissant les statistiques compilées par des économistes, réussissent bien souvent à accroître leur niveau de vie. À partir de 1955/1956, un grand nombre de travailleurs accèdent à l'univers des aspirations.

Deux événements viennent renforcer le mouvement syndical. C'est d'abord la fusion de la F.U.I.Q. et de la F.P.T.Q. dans la Fédération des travailleurs du Québec (F.T.Q.), le 15 février 1957. Cette fusion découle de la fusion aux États-Unis, en décembre 1955, de la F.A.T. et de la C.O.I., puis en avril 1956 des deux grandes centrales canadiennes correspondantes : le C.M.T.C. et le C.C.T. qui se regroupent dans le Congrès du travail du Canada (C.T.C.). La F.T.Q. est plus à droite que la défunte F.U.I.Q. mais plus à gauche que la F.P.T.Q. Dès 1957, elle milite en faveur de la démocratisation de l'enseignement, de la gratuité scolaire, d'une rente plus élevée sur les richesses naturelles et de l'amélioration des lois ouvrières. À la même époque, la Corporation des enseignants du Québec (C.E.Q.), pour qui l'entrée massive d'enseignants laïcs constitue une nouvelle jeunesse, sort de sa torpeur.

La configuration des classes sociales demeure inchangée. En prenant les occupations comme indice, on peut sommairement établir deux échelles sociales correspondant aux groupes culturels du Québec. Le système francophone, cependant, est tronqué du fait qu'il ne possède pas une grande bourgeoisie dont l'emprise sur l'État fédéral, et partant sur la monnaie et les banques, serait forte. Selon John Porter, à peine 51 francophones appartiennent à cette classe. Le système francophone se limite à une classe moyenne supérieure (professions libérales, industriels, cadres supérieurs, administrateurs), une classe moyenne inférieure (semi-professionnels, commerçants, petits entrepreneurs, gros propriétaires [49] terriens), une classe ouvrière et une classe paysanne. Les classes moyennes croissent en nombre, mais la classe moyenne supérieure croît à un rythme plus rapide, grâce au développement des bureaucraties. C'est dans les classes moyennes urbaines, surtout la supérieure, que se recrutent les leaders et les partisans du changement. Ceux-ci misent sur un État québécois fort pour résoudre les problèmes engendrés par une croissance anarchique de l'économie et de l'urbanisation, et du même coup concrétisent leurs aspirations à des postes de commande.

De nouvelles élites s'opposent aux élites traditionnelles, à ces notables qu'une organisation sociale archaïque, le favoritisme politique et les privilèges maintiennent dans leur statut. C'est en ralliant à leur cause les éléments les plus à l'aise des autres classes (ouvriers spécialisés et cultivateurs spécialisés) que les élites nouvelles espèrent triompher de leurs adversaires.

Les forces de mouvement ont en commun l'idéologie de la rationalité. Elles puisent leurs valeurs non pas dans la tradition mais dans la raison, leurs normes d'action dans des opinions librement exprimées, et la fin de leur action dans la croyance au progrès. Le 8 septembre 1956, elles se regroupent dans un mouvement politique, le « Rassemblement », dont le comité exécutif comprend deux universitaires, trois syndicalistes, un membre de l'Union catholique des cultivateurs (U.C.C.), trois journalistes, un avocat, deux agronomes. L'antiduplessisme cimente cette coalition disparate, dont le fer de lance électoral sera le Parti libéral du Québec (P.L.Q.)

Entre les deux camps s'engage une lutte idéologique de tous les instants. Maurice Duplessis, leader de l'Union nationale, contrôle la Chambre d'Assemblée, mais le Rassemblement a sur lui l'avantage de mieux utiliser les médias de masse : les journaux, la radio, la presse, les maisons d'édition, et de rejoindre, par-delà les élites, les masses populaires. Jamais dans le Québec n'aura-t-on tant parlé que durant les fiévreuses années 1958-1960. Pourtant le fossé entre les deux camps est moins large qu'on veut bien le dire. À leur insu, plus d'un lien les réunit. De part et d'autre, on croit [50] aux vertus du christianisme, du fédéralisme et du capitalisme. La scission vient du fait que l'idéologie de conservation met ces valeurs au service de l'ordre, et l'idéologie de rattrapage, au service d'une plus grande liberté et égalité. Il demeure donc beaucoup de conservatisme chez les soi-disant progressistes, sans doute parce qu'il s'agit moins de luttes de classes que de luttes entre groupes à statut, ou entre éléments d'une même classe. « Cité Libre, écrira en 1963 Pierre Vadeboncoeur, a liquidé les rênes du passé, critiqué l'irréalisme, dénoncé l'anarchie d'une société qui, malgré ses principes, n'avait à peu près plus d'idées, ni de politique, ni de morale, mais ce qu'elle n'a jamais su faire, c'est de lancer des hypothèses nouvelles. »

Il s'ensuit une étrange confusion au niveau des clientèles électorales. Maurice Pinard a montré que l'Union nationale de Maurice Duplessis, née en 1935/1936 comme un mouvement de protestation contre la domination politique de l'establishment libéral (1897-1936) et conduite par un tribun habile à manier dans un langage de tous les jours des thèmes populistes, continue de projeter l'image d'un parti de protestation auquel adhèrent les « gagne-petit ». Encore en 1962, 51 pour 100 des agriculteurs, 49 pour 100 des ouvriers non spécialisés, 47 pour 100 des ouvriers semi-spécialisés, 55 pour 100 des petits commerçants adhèrent à l'Union nationale. « Clairement, écrit Maurice Pinard, l'Union nationale est devenue l'instrument à travers lequel les ouvriers essayent de canaliser leurs intérêts de classe, malgré l'idéologie conservatrice du parti. » À l'inverse, les idéologies de rattrapage rallient les classes moyennes : toujours en 1962, 64 pour 100 des ouvriers spécialisés salariés, 61 pour 100 des ouvriers à leur compte, 69 pour 100 des vendeurs salariés, 70 pour 100 des « professionnels » et propriétaires à leur compte, appuient le Parti libéral du Québec [3].

Cette confusion dans le peuple entre l'image et l'idéologie explique le vote de classe en apparence négatif (les ouvriers appuient l'ordre). Conjuguée aux fantaisies de la carte électorale et au plus grand nombre de votants parmi les couches populaires, elle rend compte aussi de la faible majorité avec laquelle le Parti libéral [51] remporte les élections du 22 juin 1960 : les libéraux ne prennent que 51 des 94 sièges ; 61 des candidats élus ont des majorités inférieures à 10 pour 100 des votes, et 34, à 5 pour 100. Pour que les libéraux, un parti de classes moyennes recrutant ses assises dans les villes, prennent le pouvoir, il a fallu que l'Union nationale joue de malchance : Maurice Duplessis était mort le 1er septembre 1959 et son dauphin, Paul Sauvé, le 2 janvier 1960. Même divisée par une crise de leadership, ébranlée par divers scandales, l'Union nationale n'a perdu le pouvoir que de justesse, signe évident de son enracinement dans la population.

Le Québec à l'heure du XXe siècle

Dirigée par Jean Lesage, un avocat de quarante-huit ans, ancien ministre à Ottawa élu chef du Parti libéral du Québec en 1958, dont la prestance, l'éloquence et le pragmatisme rappellent les grands tribuns du XIXe siècle, « l'équipe du tonnerre » entreprend la modernisation du Québec. On la sent pressée d'agir. S'appuyant sur un noyau de technocrates recrutés à la hâte, elle prend une série de mesures spectaculaires : mise sur pied des commissions Salvas (moralité dans les dépenses publiques) et Parent (éducation), de la Société générale de financement, du Conseil d'expansion économique et de quatre nouveaux ministères, élaboration d'une batterie de mesures sociales (assurance-hospitalisation, régime de bourses d'études, subventions statutaires aux universités, révision de l'échelle salariale des fonctionnaires, etc.).

Très vite se dégagent les grandes lignes d'un ordre nouveau : une centralisation bureaucratique articulée à un État perçu non plus comme une chambre de compensation politique, mais comme l'instrument dont disposent les élites québécoises pour construire la société. La stratégie est évidente : d'une part, bâtir un appareil étatique complexe qui récupérera des juridictions et des moyens laissés à d'autres pouvoirs : à l'Église qui contrôle l'éducation, la santé et le bien-être, au gouvernement fédéral qui n'a cessé d'étendre ses juridictions et d'envahir les champs de taxation, à la bourgeoisie anglophone qui détient tous les pouvoirs économiques ; [52] d'autre part, adopter un train de mesures sociales qui assurera une meilleure distribution des biens et des services.

Sous la gouverne des libéraux, le Québec se met à l'heure du XXe siècle. Il innove peu, mais puise dans le modèle des sociétés occidentales et dans la pensée néo-libérale les grandes lignes de sa réforme. Essentiellement, ce qu'on appelle la Révolution tranquille aura été une opération de déblocage, un immense effort d'adaptation à un nouveau genre de vie, une redistribution du pouvoir entre les élites et la concrétisation d'un projet de société dont les origines remontent à la crise des années 1930. C'est peu au regard de ce qui se passe dans d'autres sociétés, c'est beaucoup par rapport au passé québécois. En quelques années, le Québec devient une démocratie libérale dirigée par un gouvernement qui régularise la vie économique, répartit plus équitablement les biens et les services, soutient l'entreprise privée et privilégie les classes moyennes.

L'opération de rattrapage ne se fait pas sans heurts. En plus de se dérouler dans une conjoncture difficile, elle dérange bien du monde. Les ruraux et les petites gens ont peine à s'identifier à ces hommes politiques qui parlent un jargon emprunté à la sociologie et à l'économique, qui prônent des normes et des procédures sapant les relations interpersonnelles et qui, de surcroît, semblent négliger la voirie rurale au profit des autoroutes. Les notables : curés, maires, présidents de commissions scolaires, organisateurs politiques, délogés de leurs fonctions d'agents sociaux et politiques, sentent leur statut menacé. Le Québec rural résiste.

Le scrutin brusqué du 14 novembre 1962, officiellement un référendum sur la nationalisation de l'électricité, est de fait une campagne pour enraciner le Parti libéral dans la population et rallier à l'entour de la symbolique du « Maître chez nous » tous les mécontents que mobilisent deux mouvements : le mouvement créditiste et le mouvement nationaliste. Le premier s'alimente à même les couches sociales (les défavorisés des villes et des villages, les petits agriculteurs et les petits fonctionnaires) qui subissent l'inflation et le chômage et font les frais de la modernité. C'est la [53] voix des régions et des individus défavorisés. Aux scrutins provinciaux, la clientèle créditiste vote plutôt Union nationale.

Le second mouvement avait pris un nouvel essor avec l'arrivée au pouvoir à Ottawa, en 1957, de John Diefenbaker et d'une équipe conservatrice à l'intérieur de laquelle l'élément francophone était sous-représenté et peu influent. Diefenbaker avait fait la preuve qu'un parti canadien peut prendre le pouvoir sans la participation des francophones. Il s'ensuit un problème d'identité et d'insécurité que des intellectuels, au fait de la colonisation de l'Afrique et du réveil du Tiers-Monde, posent en termes de métropole-périphérie, colonisateur-colonisé : une problématique étrangère à la pensée libérale.

Aux élections de 1962, la stratégie des libéraux est donc la suivante : présenter comme nationale une politique de classes moyennes.


Phase II : 1962-1966

Une reprise bien fragile

La victoire libérale du 14 novembre 1962 n'est pas un balayage : le Parti libéral obtient 56,7 pour 100 des suffrages et 63 sièges, tandis que l'Union nationale remporte 31 sièges et 42,2 pour 100 des voix. Les résultats électoraux révèlent donc un clivage entre les nantis et les pauvres, tant au niveau des individus que des régions : les ruraux ont voté Union nationale et les quartiers cossus des villes, libéral. Les libéraux avaient commis une erreur : ne pas avoir modifié la carte électorale qui privilégiait toujours les ruraux.

Quoi qu'il en fût, les libéraux ont tout de même consolidé leur emprise sur le pouvoir au moment où les indicateurs économiques annoncent une vigoureuse reprise économique. Celle-ci s'épanouira en cinq années de prospérité sans à-coup. Gilles Lebel a mesuré ce « grand bond en avant » : « six pour cent de progression annuelle réelle de la production, taux d'augmentation annuel de 3,3 de l'emploi, le plus élevé au Canada, et un rythme de [54] progression de 7,6 pour cent dans les investissements [4] ». Les facteurs qui favorisent l'expansion sont multiples. D'autre part, la dévaluation du dollar canadien en 1962 et la vigoureuse croissance de l'économie américaine stimulent les exportations. D'autre part, des surcharges temporaires à l'importation (1962), la nécessité de remplacer les biens de consommation durables acquis avant 1957, la demande en logement du groupe d'âge de 20-30 ans qui augmente à un rythme annuel de 4 pour 100, la hausse du pouvoir d'achat de nombreux travailleurs affermissent la demande du marché domestique. À ces facteurs, il faut encore ajouter les fortes dépenses publiques dans l'aménagement des infrastructures routières et de l'Exposition universelle (1967).

Cette phase d'expansion réduit le chômage, mais ne l'enraye pas : le taux annuel tombe de 9,2 en 1961 à 4,7 en 1966. C'est quand même là une performance impressionnante, car ces années correspondent à une augmentation massive de la main-d'oeuvre, soit une moyenne de 74 000 travailleurs par année. Cette croissance rapide de la main-d'oeuvre est la résultante du fort taux de natalité de l'après-guerre et de la hausse du taux de participation des femmes, que favorisent le développement du tertiaire et la redéfinition du rôle de la femme dans la société. Aucune société industrialisée n'a, compte tenu de sa population totale, un aussi grand nombre de travailleurs à absorber sur le marché du travail. Ce phénomène crée un climat d'incertitude qui, conjugué à l'urbanisation rapide, à l'amélioration des techniques de planification familiale, pourrait bien rendre compte de l'effondrement du taux de natalité. Celui-ci avait commencé à fléchir vers 1958, puis à baisser annuellement d'environ un pour mille vers 1960. À partir de 1965, il dégringole de 2 pour mille. De 29,7 pour mille en 1957, il est à 26,8 en 1960 et à 19 en 1966.

Modernité et changement social

Mû par l'idéologie du changement et prenant appui sur la haute conjoncture, une majorité parlementaire renforcée, un large consensus sur les objectifs au sein des intellectuels, des syndicats, des fonctionnaires et des médias, le gouvernement libéral poursuit [55] son entreprise de modernisation. Sous la pression des corps intermédiaires, il oeuvre dans toutes les directions : refonte du code du travail, de la carte électorale, du système municipal; création de Soquem (Société québécoise d'exploitation minière), du Bureau d'aménagement de l'Est du Québec (1963), d'un régime de rentes, etc. Daniel Latouche a quantifié l'hyperactivité du gouvernement en matière d'éducation, de santé, de bien-être, de voirie : les dépenses publiques augmentent annuellement de 21 pour 100, les effectifs de la fonction publique de 53 pour 100. Dès 1963, la réforme de l'éducation est au centre des préoccupations du gouvernement. Suite au rapport Parent, dont la première tranche est déposée cette année-là, on assiste à la création d'un ministère de l'Éducation, ce qui suscite, à l'automne 1963, un vif affrontement idéologique dont les partisans du ministère sortent vainqueurs au printemps 1964.

La croissance de l'État et les grandes politiques étatiques sapent les fondements des gouvernements locaux régissant de petites communautés territoriales. Les élites traditionnelles perdent leur autonomie, sinon leur légitimité. L'Église en est particulièrement affectée : la bureaucratisation étatique marque la déchéance de son pouvoir politique. En une décennie, la société s'est déconfessionnalisée et décléricalisée. Des cadres de chrétienté se sont effrités : les paroisses ne sont plus des communautés homogènes, les militants des mouvements d'action catholique désertent pour servir d'autres causes, les syndicats et les coopératives rompent leurs attaches officielles avec l'Église. Par centaines, clercs et religieux retournent à l'état laïc. Plus qu'à une déconfessionnalisation et à une décléricalisation, on assiste au début de la déchristianisation du Québec.

Par contre, de nouvelles forces socio-politiques s'élèvent face à l'État omniprésent : corporations, conseils du patronat, associations professionnelles. Le syndicalisme devient un partenaire social majeur. La montée fulgurante de ses effectifs, consécutive à l'octroi de l'accréditation syndicale aux employés des services publics, en fait la principale force s'opposant à l'État-employeur. La C.S.N., grâce à des alliances politiques, à son néo-nationalisme [56] et à ses attitudes agressives, rafle le gros lot : ses effectifs passent de 94 114 en 1960 à 204 361 en 1966. La F.T.Q., handicapée par ses antécédents duplessistes et son affiliation à une centrale canadienne, ne retrouve un deuxième souffle qu'avec l'arrivée de Louis Laberge en 1965. La cote d'écoute de la C.S.N. est à la hausse et son influence est grande au moment de l'adoption du Code du travail (1964) et de la Loi de la fonction publique (1965).

Tout au long de ce processus de modernisation, des signes annonciateurs d'une mutation culturelle apparaissent. Certains surgissent sous la pression d'événements extérieurs, comme Vatican Il (1962-1965), les mouvements de décolonisation et de libération de la femme, la révolution sexuelle, etc. D'autres surgissent du contexte québécois : l'entrée dans l'ère de la consommation, la découverte de la « québécitude ». Les signes de cette mutation culturelle sont divers : la famille se déstructure, la pratique religieuse décline, l'autorité ne s'exerce plus à partir d'un statut social, mais de la rationalité de ses objectifs, l'idéal évangélique n'inspire plus tous les projets collectifs.

Un échec

À partir de 1964, la Révolution tranquille est à bout de souffle. Des blocages se font jour. La capacité d'emprunt du gouvernement s'amenuise, face à une dette publique impressionnante et à la lassitude des payeurs de taxe. Les élites sont divisées sur les objectifs à poursuivre : les nationalistes de gauche, qui font de l'indépendance politique le levier d'une libération économique, aspirent à un État québécois indépendant et à une société socialiste, mais les artisans de la Révolution tranquille ont plutôt tendance à considérer la révolution achevée, comme en témoigne leur slogan électoral de 1966, « Pour un Québec plus prospère ». De larges secteurs de la population sont déroutés et ne se reconnaissent plus dans ce gouvernement technocratique qui n'a pas enregistré que des succès : le taux de chômage est encore élevé, les disparités régionales se sont accrues, les agriculteurs sont dans le marasme, la structure industrielle traditionnelle s'est peu modernisée, le système scolaire n'est [57] pas rodé, les rapports sociaux sont tendus, et il n'existe pas de projet collectif pour mobiliser les masses.

Au niveau politique, un phénomène inquiétant apparaît : l'État québécois ne peut plus absorber tous les éléments instruits des classes moyennes en quête de postes de cadre. Ceux-ci doivent consentir à devenir bilingues et à utiliser l'anglais comme langue quotidienne de travail pour percer dans l'entreprise privée et la fonction publique canadienne. Cette situation pose le problème de la langue à deux niveaux : celui de la francisation des entreprises installées au Québec et celui du bilinguisme de la fonction publique canadienne. Les aspirations des classes moyennes francophones débouchent donc sur une grave crise linguistique.

De fait, la crise linguistique provoque des remous au niveau de l'ensemble canadien. Elle est un signe non équivoque d'un grand nombre de Canadiens français, n'acceptant plus de n'être collectivement qu'une minorité ethnique privilégiée, aspirent à « l'égalité des cultures et des sociétés ». Mandatée en 1963 pour trouver réponse à ce problème, la Commission Laurendeau-Dunton, dès son rapport préliminaire de 1965, diagnostique la gravité, de la crise : « Le Canada traverse la période la plus critique de son-histoire depuis la Confédération. Nous croyons qu'il y a crise : c'est l'heure des décisions et des vrais changements ; il en résultera soit la rupture, soit un nouvel agencement des conditions d'existence... »

Au Québec, les mécontents sont donc nombreux en 1966. Outre les libéraux, trois partis les courtisent. L'Union nationale, qui, en 1965, a renouvelé ses structures, ses orientations et son leadership, se proclame la seule solution de rechange valable. De fait, elle endosse les principaux objectifs de la Révolution tranquille et mise sur son image populiste, sa tradition autonomiste et son enracinement dans les circonscriptions rurales pour rallier une majorité. Les nationalistes sont divisés en deux formations politiques. Le Rassemblement pour l'indépendance nationale (R.I.N.), fondé comme mouvement politique le 10 septembre 1960 et comme parti politique en mars 1963, est de centre-gauche. C'est le premier mouvement [58] nationaliste à avoir traduit en un programme d'action politique globale les aspirations à l'indépendance. Le R.I.N., dont la turbulence effraie, est traversé de courants idéologiques contradictoires. Il n'arrive pas à retenir en son sein tous les nationalistes. Sous l'emprise de Marcel Chaput, sa droite a fait défection en décembre 1962 et s'est regroupée dans l'éphémère Parti républicain du Québec qui n'existe déjà plus en 1966. Le R.I.N. avait connu une autre scission en 1964 : des nationalistes groulxistes, préoccupés surtout de la francisation du Québec, avaient jeté les bases du Regroupement national sous la direction de René Jutras et ils avaient conclu en 1966 une entente avec le Ralliement créditiste de Gilles Grégoire. D'où une troisième formation opposée aux libéraux : le Ralliement national.

Ces formations s'affrontent aux élections du 5 juin 1966. L'Union nationale en sort victorieuse avec 55 sièges, mais seulement 40 pour 100 des suffrages. Les libéraux qui n'ont que 51 sièges ont récolté 47,2 pour 100 des voix.

Une analyse de la campagne électorale de 1966 révélerait de profondes transformations dans les moeurs et les techniques électorales depuis dix ans. Désormais les partis ont un leader, une équipe et non plus un « père » ; les programmes politiques s'adressant à des classes ou à des groupes sociaux ont remplacé les promesses ponctuelles et faites à la volée ; la télévision a démythifié les hommes politiques et supprimé les assemblées populaires : les partis n'organisent que quelques gros meetings pour étaler leur vitalité et frapper l'imagination populaire. Cependant, des recettes anciennes gardent toujours leur vertu, tels le choix de vedettes locales comme candidats, la cabale, le pointage des électeurs, etc. Dans l'ensemble, l'électorat manifeste des exigences plus grandes que jadis.


III. - La révolution nationale, 1967-1976

Une société aux horizons bloqués

Même si elle projette une image populiste, l'Union nationale a une idéologie et des cadres qui l'apparentent au Parti libéral. Elle [59] a eu la chance d'être élue en dépit de tous les sondages - grâce à une lutte féroce au niveau des circonscriptions et à l'appui des notables ruraux - mais elle a la malchance d'être accueillie, lors de son installation au pouvoir, par un ralentissement des activités économiques qui s'étire jusqu'en 1970. Le P.N.B. québécois, qui avait augmenté en dollars courants de 11,2 pour 100 en 1966, montre des signes d'essoufflement : il progresse de 8,5 pour 100 en 1967, 6,5 pour 100 en 1968, 9,1 pour 100 en 1969 et 7,1 pour 100 en 1970. Les économistes attribuent ce fléchissement à la hausse trop rapide des salaires et des coûts de production qui mettrait en péril les nouveaux investissements, à une diminution des dépenses publiques consécutives à un taux d'intérêt élevé, à l'épuisement graduel de plusieurs mines. Le fléchissement est encore aggravé par les politiques restrictives du gouvernement fédéral, adoptées en 1968 et 1969, et par la dévaluation du dollar en 1970 dont le but est de réduire les pressions inflationnistes. Ces freins artificiels touchent durement le Québec et les Maritimes, régions de croissance modérée ou l'inflation ne se fait pas encore sentir. Il s'ensuit donc une stagnation relativement sévère, que les investissements publics dans les écoles et les hôpitaux empêchent de tourner à la catastrophe et dont les effets sociaux sont considérables. Le taux de chômage reprend sa course ascendante : 4,7 en 1966, 5,3 en 1967, 6,5 en 1968, 6,9 en 1969, 7,1 en 1970. L'augmentation de la main-d'oeuvre croît plus vite que la création d'emplois. Ainsi, en 1969, le déficit est de 13 000 emplois. Les hommes sont plus touchés que les femmes qui occupent des emplois plus stables dans le tertiaire, ou se retirent du marché quand la situation se corse. Chez les hommes, c'est le groupe d'âge 14-24 ans qui est le plus touché. En 1962, il représentait 37 pour 100 des chômeurs et, en 1972, 45 pour 100. Chez les jeunes travailleurs, le taux de chômage est estimé, année moyenne, à 14. Ceux-ci ont l'impression de vivre dans une société aux horizons bloqués. Au niveau collectif, les Québécois connaissent à nouveau les angoisses de l'émigration et de l'assimilation. Le bilan migratoire est négatif, conséquence normale d'une reprise de l'émigration aux États-Unis et dans les autres provinces. De 1967 à 1976, 317 000 Québécois émigrent, dont 44 000 en 1969 et [60] 59 700 en 1970. Par contre, le Québec absorbe peu d'immigrants, à peine 15 pour 100 de ceux qui s'établissent au Canada, comparativement à plus de 50 pour 100 pour l'Ontario. Et 90 pour 100 de ceux qui choisissent le Québec optent pour la culture anglophone.

Dans les régions, les mesures gouvernementales pour réduire les disparités commencent à porter fruit. Pierre Fréchette a calculé que de 1966 à 1971 le revenu personnel per capita montre une diminution des disparités régionales par rapport à Montréal. Mais des régions sont encore mal en point, surtout le Saguenay—Lac-Saint-Jean, Trois-Rivières et les Cantons de l'Est. Les régions, sauf Québec et Montréal, dépendent trop d'un petit nombre d'industries (84 pour 100 de l'emploi au Saguenay—Lac-Saint-Jean dépendent de trois industries) et, bien souvent, d'entreprises déphasées. C'est le cas des industries du textile et du vêtement en Mauricie et dans les Cantons de l'Est. Le problème des régions est un problème de développement et d'aménagement, seule voie possible pour régler le chômage et les bas salaires. Mais cette solution est-elle possible ? L'Office de planification et de développement du Québec (O.P.D.Q.) (1968) ne croit plus guère à la planification, car « l'économie québécoise est sur-déterminée par le gouvernement fédéral et les multinationales ». L'O.P.D.Q se fait donc pragmatique : il abandonne la planification à la française et s'en tient à des projets régionaux ou sectoriels.

Réalignement des forces politiques

Voilà un terreau fertile pour les forces de contestation. Le pluralisme idéologique s'affirme dans un réalignement des forces politiques.

La bourgeoisie anglophone et la classe moyenne supérieure francophone demeurent fidèles au Parti libéral et se rallient à Pierre Elliott Trudeau, élu premier ministre du Canada en 1968. Celui-ci a mission de maintenir les forces de renouveau québécoises à l'intérieur du cadre fédératif canadien et du système néo-capitaliste. Il propose aux Canadiens un pays bilingue et multiculturel [61] et, de concert avec les gouvernements provinciaux, il s'engage dans une révision de la constitution axée sur son rapatriement, la modernisation des institutions désuètes et l'inclusion de droits linguistiques individuels - et non pas, comme le souhaiterait le Québec, sur les droits collectifs et la répartition en profondeur des pouvoirs entre les divers ordres de gouvernement. Ces discours seront à l'origine de l'échec de la Conférence de Victoria en 1971.

Déçus du rejet par le Parti libéral du Québec de la thèse souveraineté-association, lors de son congrès d'octobre 1967, et ébranlés par l'échec du R.I.N. aux élections de 1966, les partisans d'un Québec indépendant sentent le besoin de se regrouper sous la direction d'un chef dont l'expérience politique, le prestige, l'attachement aux institutions démocratiques accréditeront l'idée d'indépendance auprès de la population. Ils trouvent ce chef en la personne de René Lévesque, ex-ministre des Richesses naturelles dans le cabinet Lesage, qui, fort de l'appui de nombreux libéraux dissidents, fonde, à l'automne 1967, le Mouvement souveraineté-association. Dès sa fondation, le M.S.A. constitue un pôle d'attraction pour les forces nationalistes. 1968 est une année de négociations. Le R.I.N. se rallie en août au M.S.A. qui se mue, lors de son congrès d'octobre, en Parti québécois (P.Q.). Douze jours plus tard, un R.I.N. démantelé - sa gauche conduite par Andrée Ferretti avait fait défection en mars et jeté les bases, avec des socialistes indépendants, du Front de libération populaire - se joint au P.Q. Celui-ci propose un système d'États associés : les deux nations qui composent l'actuel Canada auraient chacune leur État et s'associeraient dans une confédération décentralisée. Le P.Q. recrute sa clientèle parmi les enseignants, les étudiants, les professionnels, les cadres des mouvements sociaux et la fonction publique. Il est encore dominé par l'idéologie technocratique qui a animé la Révolution tranquille : son programme fait une large place au rôle moteur que jouera l'État dans l'organisation d'un Québec indépendant et érige la planification, l'efficacité et la décentralisation administrative au rang de valeurs privilégiées. Les « participationnistes », c'est-à-dire les intellectuels de gauche, les animateurs sociaux, les militants de divers mouvements sociaux, [62] n'arrivent point à imposer, au sein du P.Q., leur conception d'un nouvel ordre social bâti sur la justice, la participation, la cogestion et qui se traduirait dans une social-démocratie.

Le P.Q. recherche l'appui des forces de gauche pour autant qu'elles ne soient point « tapageuses ». Celles-ci s'appuient sur une philosophie sociale matérialiste. Elles se divisent en plusieurs factions qui s'inspirent toutes plus ou moins du marxisme russe ou chinois, ou encore de la traduction de ces courants par les philosophes ou sociologues tels Marcuse, Althusser, etc. Elles acceptent la théorie de la dépendance élaborée en Amérique latine ou encore un vague humanisme. Elles empruntent leurs stratégies aux différents mouvements de libération : comités de citoyens, manifestations de rues, etc. Les forces de gauche ont des revues et des journaux (Parti pris, Socialisme québécois), mais point de parti politique, si ce n'est des groupes organisés : le Parti socialiste du Québec, le Mouvement de libération populaire, etc. Elles en sont à la phase des alliances provisoires et mettent leurs énergies à faire de la propagande et à infiltrer divers mouvements sociaux, ayant l'appui de nombreux militants syndicaux.

Un groupuscule, le Front de libération du Québec (F.L.Q.), a emprunté la voie clandestine et révolutionnaire. Pour réveiller la conscience des Québécois, il s'en prend à l'establishment et aux symboles coloniaux. Son postulat de base serait que l'indépendance politique se fera par la révolution sociale. Il répudie les multinationales et « leurs valets, la petite bourgeoisie francophone ». Charles Gagnon et Pierre Vallières en sont les penseurs.

Un climat politique tendu

De 1966 à 1970, les rapports sociaux se durcissent et les forces de contestation se radicalisent. La société globale est remise en question. Des bombes explosent à Montréal depuis 1963. Les fêtes de la Saint-Jean (24 juin) sont une occasion privilégiée d'affrontement entre groupes opposés. Les mouvements étudiants, à la suite des événements de mai (1968) en France, s'orientent vers la contestation permanente et la politisation. La force des étudiants [63] repose sur leur nombre qui ne cesse de croître à la suite de l'élévation du taux des naissances dans l'après-guerre et de celui de la scolarité durant les années 1960. Entre 1961 et 1974, le taux de fréquentation scolaire passe de 74,6 à 95 chez les 15 ans, de 51,3 à 88,5 chez les 16 ans et de 18,9 à 70,1 chez les 17 ans. De plus, la C. S. N. s'engage dans une orientation à caractère révolutionnaire, comme en témoignent les rapports moraux annuels du président : « Une société bâtie pour l'homme (1966) », « Le deuxième front (1967) », « Un camp de liberté (1970) ». La C.E.Q., devenue une centrale syndicale, marche dans la même foulée. Pour plus d'un militant syndical, le syndicalisme est plus qu'un instrument de défense des intérêts des travailleurs : il est le ferment qui transformera la société.

Ce durcissement des rapports sociaux crée un climat politique tendu. Il marque la fin d'un consensus sur les objectifs politiques qui avait porté les technocrates de la Révolution tranquille. Les médias qui deviennent à partir de 1978 de plus en plus critiques face au gouvernement, quand ils ne sont pas hostiles, reflètent cette situation conflictuelle. L'Union nationale au pouvoir est débordée. Sa stratégie, qui consiste à se maintenir à mi-chemin entre les extrêmes, la rend inapte à proposer un nouveau contrat social à une société où dés solidarités conflictuelles (idéologies, syndicalisme) ont remplacé les solidarités du sang, de la religion et de la ruralité. Les opposants lui reprochent de ne pas être ou assez nationaliste ou assez socialiste, de ne pas intervenir soit pour défendre les droits des Québécois (aéroport Mirabel), soit pour défendre les petites gens (Affaire Murray Hill). À l'automne 1969, la crise linguistique, qui se traduit par les émeutes de Saint-Léonard, révèle l'incapacité de l'Union nationale de dégager un consensus. Le Bill 63 établissant une politique des langues au Québec est un échec : les nationalistes s'opposent à ce qu'on laisse aux parents le droit de choisir la langue d'enseignement pour leurs enfants : 50 000 personnes se massent en signe de protestation devant le Parlement.

L'Union nationale en perd sa crédibilité. Péquistes et libéraux semblent offrir des choix plus clairs : les premiers proposent un [64] État souverainiste, technocratique et interventionniste ; les seconds, un État providence et fédéraliste. Les positions extrêmes du P.Q. attirent les jeunes et les instruits, mais effrayent les hommes d'affaires et la masse qui se tournent vers le Parti libéral. Son nouveau chef, Robert Bourassa, récolte 72 des 108 sièges aux élections de 1970.

Le P.Q. au pouvoir

Robert Bourassa est né sous une bonne étoile : sa victoire électorale coïncide avec un redressement de l'économie nord-américaine. Amorcée aux États-Unis à la fin de 1970, cette conjoncture à la hausse revigore l'économie canadienne dès 1971, puis l'emporte dans un tourbillon de prospérité les années suivantes. Les indicateurs économiques du Québec accomplissent des bonds impressionnants et, comble de chance, les pressions inflationnistes, déjà intolérables en Ontario, se maintiennent à un niveau acceptable jusqu'en 1973. Le courant expansionniste atteint son sommet en 1973. Par la suite, la situation se détériore. L'inflation se fait galopante, le chômage reprend sa progression et la création des emplois ralentit. De fait, la récession de 1974-1975, que la hausse des prix du pétrole a amplifiée, est l'une des pires crises à frapper les pays industrialisés depuis 1929. Elle amorce à travers le monde de difficiles ajustements. Les grands travaux publics alors en chantier (barrages hydroélectriques de la Baie de James, aéroport de Mirabel, édifices des Jeux olympiques) ne font que masquer provisoirement l'ampleur des problèmes qui assaillent l'économie québécoise. Ce sont le déficit de la balance extérieure du Québec depuis 1973 et la fragilité de la reprise économique de 1976 qui révèlent l'amplitude du défi que les Québécois ont à relever. Obligés d'importer à haut prix du pétrole et de la machinerie pour moderniser les structures économiques, ils se doivent d'innover pour devenir concurrentiels sur le marché extérieur. C'est la seule issue pour sortir de la « stagflation ».

La confiance que l'on témoigne au régime Bourassa tient aux performances de l'économie québécoise. Dépourvu de charisme, [65] projetant l'image d'un homme effacé et indécis, le leader libéral ne suscite aucun courant d'identification. Ses assises populaires sont fragiles. Elles vont vite craquer sous les coups de boutoir de trois événements.

Premier événement : la diminution procentuelle des parlant français (langue maternelle) au Québec, de 1951 à 1971, consécutive à la baisse du taux de natalité des francophones, à l'augmentation de la migration nette et au jeu des forces économiques qui confèrent au groupe britannique une grande force d'attraction linguistique. En 1961, les transferts linguistiques nets se font à 82,1 pour 100 vers l'anglais et à17,9 pour 100 vers le français [5]. La prise de conscience de cette situation critique avait amené les francophones à revendiquer une « charte du français » qui ferait du Québec un pays bilingue. En vain, à l'automne 1969, l'Union nationale alors au pouvoir avait tenté, par le bill 63, de calmer les appréhensions des francophones : 50 000 personnes avaient manifesté devant le Parlement pour stigmatiser la mollesse du gouvernement. L'affaire n'est pas close, mais reléguée un moment à l'arrière-plan par un deuxième événement imprévu : la Crise d'octobre 1970 qu'a provoquée la prise en otage par des cellules du Front de libération du Québec (F.L.Q.) d'un ministre québécois et d'un consul anglais. C'est un événement ténébreux porteur de significations multiples, Sur le coup, la crise engendre la peur, mais aussi une prise de conscience d'une rupture avec le passé, d'un besoin d'identification, d'une urgence à rebâtir la société sur d'autres bases. Troisième événement : l'échec de la Conférence de Victoria à l'été 1971. Aboutissement de longues années de discussions, la Charte de Victoria était un ensemble de propositions du gouvernement fédéral visant à trouver une formule de rapatriement et une formule d'amendement de la Constitution. Son rejet par le gouvernement du Québec - sous la pression d'une opinion publique déchaînée - est un indice de l'ampleur des réformes qu'exigent les Québécois et peut-être aussi de l'impossibilité, à l'intérieur d'un cadre juridique fédératif, de donner satisfaction au nationalisme québécois qui aspire à une « reconnaissance formelle et concrète d'une nation québécoise ».

[66]

Les événements historiques sont des noeuds de problèmes, des révélateurs. Ils mettent du temps à déployer leurs effets. À court terme, le gouvernement Bourassa semble en mesure de récupérer ces événements à son profit. La population a besoin d'être rassurée : il emprisonne les leaders syndicaux lors des grèves du secteur public en 1972 ; la population veut du pain : il met en chantier le projet de la Baie de James et gonfle les effectifs de la fonction publique ; la population désire de nouveaux symboles : il lance, en décembre 1972, le slogan de la souveraineté culturelle qu'il traduit dans sa pratique par un accroissement des responsabilités du Québec en matière de communication et d'immigration. Cette stratégie à court terme lui vaut une retentissante victoire électorale en 1973.

C'est alors que les événements évoqués plus haut commencent à déployer leurs effets à long terme. Sur le plan culturel d'abord. La symbolique change au Québec et les pressions pour l'établissement d'une Charte du français se font chaque mois plus pressantes. Le bill 22, voté presque en catimini durant l'été 1974 pour éviter les contestations populaires, ne satisfait personne. Par la suite, la résistance victorieuse, durant l'été 1976, de la Canadian Air-Traffic Controlers (C.A.T.C.A.) et de la Canadian Airline Pilots Association (C.A.L.P.A.) à la politique du bilinguisme sera révélatrice. De plus en plus de Québécois s'identifient de moins en moins au Canada ou utilisent le Québec comme médiation de leur appartenance canadienne. Ils croient venu le moment de bâtir le pays symbolique qu'ils portent en eux. Les demi-souverainetés ne les satisfont plus. La souveraineté culturelle du gouvernement Bourassa n'enraye point la montée du P.Q. Sur le plan politique, les mêmes événements posent en termes d'indépendance les problèmes économiques et en termes de luttes de classe les problèmes sociaux. L'agitation du monde syndical est le reflet des tensions que créent dans la société les problématiques nouvelles. Celui-ci avait opéré un virage à gauche en 1966, pour prendre ses distances avec le gouvernement Bourassa qui avait refusé en 1970 de négocier avec le F.L.Q. Lors des grèves de 1972, en représailles aux injonctions et à l'emprisonnement de ses leaders, il passe à la résistance ouverte. La F.T.Q. appuie officiellement le P.Q.; la C.S.N. et [67] la C.E.Q., bien qu'ayant une attitude bienveillante à l'égard de ce dernier, gardent leur distance pour bien montrer que l'indépendance politique n'est qu'une étape vers l'indépendance économique et une plus grande justice sociale.

 Sous l'action conjuguée de ces forces, le réalignement politique amorcé en 1970 s'épanouit en novembre 1976 dans la victoire électorale du P.Q. Cet événement historique ne se réduit pas à quelques facteurs. On ne peut qu'expliciter son avènement. En toile de fond : une nouvelle symbolique ; en filigrane : un taux de chômage en progression et une inflation galopante ; à l'oeuvre : des conflits sociaux aigus qui polarisent sur le fédéralisme et l'entreprise privée les milieux d'affaires, et sur un État québécois interventionniste des groupes sociaux instruits en émergence ; en attente : des militants socialistes en quête d'une nouvelle force politique ; en tête d'affiche : un P.Q. qui joue la carte de la moralité, de la démocratie et de l'efficacité.

Jean HAMELIN et Jean-Paul MONTMINY.


[68]

TABLEAU I
Évolution démographique du Québec

1941

1951

1961

1971

Population

3 331 882

4 055 681

5 259 211

6 027 765

% de la population de langue maternelle française

81,6

82,5

81,2

80,7

% de la population rurale

36,6

33

25

19,4

% de la population urbaine

63,3

66,9

74,2

80,6

Part du Québec dans le Canada

29

28,9

28,9

28,8

Part de la région de Montréal dans le Québec

43

47

50,3

Taux de natalité

30,7

29,8

26,1

15,2

Source : Ministère de l'Industrie et du Commerce (M.I.C.).


TABLEAU II
Répartition sectorielle de l'emploi (%)

1941

1951

1961

1971

Primaire

  32,4

23,8

11,4

7,5

Secondaire

26,2

28,8

33,5

32

Tertiaire

 41

45,6

52,1

62,9

Source : M. I. C.


[69]

TABLEAU III
Divers indicateurs économiques

1946

1951

1956

1961

1966

1971

1975

1.   P.I.B, au prix du marché en 000 000$

3 161

5 448

8 078

10619

16 313

23 662

39 567

2.   Population active en 000

1 337

1 462

1 615

 1 820

 2 116

2394

2 701

Personnes occupées en 000

1 282

1 420

 1 535

1 652

  2016

2 197

2462

Chômeurs en 000

54

42

80

168

100

197

239

Taux d'activité des femmes (%)

22,9

26,5

31,5

34,6

38

Taux de chômage (%)

4

2,9

5

9,3

4,7

8,2

8,8

3.   Formation brute du capital fixe en 000 000$

424

1 003

1 879

1 955

3 450

4 145

 9 013

Source : M. I. C.


[70]

Bibliographie indicative

Comptes économiques du Québec, Revenus et Dépenses, Estimations annuelles, 1961-1975, Québec, ministère de l'industrie et du Commerce, 1977, 222 p.

DION, Léon, Nationalisme et Politique au Québec, Montréal, H.M.H., 1975, 177 p. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

DOFNY, Jacques, et Paul BERNARD, le Syndicalisme au Québec : structure et mouvement, Équipe spécialisée en relations du travail sous l'égide du Conseil privé, Ottawa, Imprimeur de la reine, 1968, 177 p.

LEBEL, Gilles, Horizon 1980. Une étude sur l'évolution de l'économie du Québec de 1946 à 1968 et sur ses perspectives d'avenir, Québec, ministère de l'Industrie et du Commerce, 1970, 263 p.

LEMIEUX, Vincent, Quatre Élections provinciales au Québec, Québec, Les Presses de l'université Laval, 1969, 246 p.

PORTER, John, The Vertical Mosaic : an analysis of social classes and power in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1965, 626 p.

RAYNAULD, André, Croissance et Structure économiques de la Province de Québec, Québec, ministère de l'Industrie et du Commerce, 1961, 657 p.

------, la Prospérité des entreprises au Québec, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1974.

SAINT-GERMAIN, Maurice, Une économie à libérer. Le Québec analysé dans ses structures économiques, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1973, 471 p.



[1] On a cependant exagéré le conservatisme social de Duplessis. Selon Daniel La Touche, de 1945 à 1960, les affectations budgétaires révèlent une tendance croissante du gouvernement à investir dans l'éducation et le bien-être social, si bien que les technocrates de la Révolution tranquille n'auraient fait que continuer sur cette lancée.

[2] Sur le plan constitutionnel, la commission soutint la contrepartie du Rapport Rowell-Sirois. Elle proclama l'autonomie fiscale des provinces et leur souveraineté dans leurs champs de juridiction et alla jusqu'à reconnaître le gouvernement du Québec comme le gouvernement national des Canadiens français.

[3] Maurice PINARD, « Classes sociales et comportement électoral », dans Vincent LEMIEUX, édit., Quatre élections provinciales au Québec, Québec, Les Presses de l'université Laval, 1969, p. 149.

[4] Gilles LEBEL, Horizon 1980, Québec, Ministère de l'Industrie et du Commerce, 1970, 263 p. (Voir le chapitre V, section 3, pp. 110- 116.)

[5] Madeleine ROCHON-LESAGE et Robert MAHEU, « Composition ethnique et linguistique de la population du Québec », Annuaire du Québec, 1974, pp. 206-212.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 24 juillet 2011 8:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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