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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Dialectique matérialiste et nationalisme historique (1978)
Prologue


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Charles Halary et Jacques Mascotto, “Dialectique matérialiste et nationalisme historique”. Un article publié dans la revue Les Cahiers du socialisme, Montréal, no 1, printemps 1978, pp. 87-186. [Autorisation formelle accordée par M. Halary le 13 août 2007 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

 Prologue

Qu'est-ce que la nation ? L'on répond généralement en disant que c'est un ensemble d'individus, de groupes sociaux, ou bien encore une communauté. 

La question qui devrait surgir serait alors : Qu'est-ce que le peuple ? La nation peut-elle exister sans le peuple ? Y a-t-il des peuples sans nation ? 

La deuxième difficulté concerne le nationalisme. Existe-t-il des nations sans nationalisme ? Est-il possible qu'il existe des nationalismes sans nation ? De toute évidence, celui qui pose ces questions établit une différence entre peuple, nation et nationalisme. Assurément, si l'on pense qu'il peut y avoir des nationalismes sans nation, on admettra toujours qu'un nationalisme sans peuple est une aberration et que le fondement du nationalisme est de créer une nation, mais pourquoi ce terme contiendrait-il dans sa racine explicative, la nation [1] ? Par ailleurs, on cherchera vainement des nations sans peuple. 

L'on notera alors que le peuple se situe toujours au centre du problème, et qu'il constitue le halo mystérieux entourant la nation et le nationalisme [2]. 

La troisième difficulté concerne l'indépendance. Si on définit le nationalisme comme un mouvement politico-idéologique pour atteindre l'indépendance, doit-on conclure qu'il n'existe que des nations indépendantes ou souveraines. Si la nation est déjà constituée avant l'indépendance, qu'est-ce donc qui constitue la nation ? Est-ce la lutte contre l'oppresseur ? Est-ce la lutte contre l'envahisseur étranger ? Dans ce cas, on aboutit à une définition circulaire de la nation, puisque l'oppressé renvoie à l'oppresseur, ou à une nation dominante, et l'étranger, à un élément distinct de soi-même, ou à une nation étrangère. Les deux exemples présupposent une nation déjà constituée. Avec la conscience nationale on se trouve confronté à une quatrième difficulté. Généralement, la conscience nationale renvoie à l'appartenance à une nation qui recouvre alors les "éléments" suivants : territoire définie langue commune, religion etc... Mais comment se fait-il que des individus, comme en Erythrée, en Afrique, appartenant à des tribus différentes, à des religions différentes, à des ethnies différentes, participent ensemble à un mouvement de libération anti-colonialiste ou anti-impérialiste ? Ne devrait-on pas alors exclure toute définition ethnique de la nation ? On répondra que dans ces derniers cas, l'oppression impérialiste crée, construit la nation. À partir de quoi, on s'interrogera sur l'existence d'une nation canadienne-anglaise ou anglo-canadienne, d'une nation anglaise, etc... Inversement, on pourra rétorquer que la nation se crie parce qu'elle vise à dominer un autre peuple. Toute nation serait d'abord dominante, exploitante et aurait pour effet, dans l'acte de domination, de créer la nation, en tant que peuple dominé. Cependant, la limite d'un tel argument est d'emblée visible puisque dans l'histoire, des peuples en ont dominé d'autres sans qu'ils aient pour cela fondé des nations. 

Enfin, la cinquième difficulté réside dans la relation entre le mode de production, en tant que concept, et la nation ou bien encore entre la lutte des classes et la lutte d'émancipation nationale. Du moment que l'on tente d'établir un rapport entre les classes et la nation, on débouche sur un double problème. D'une part le concept de mode de production, en tant que concept est forcément réducteur (le réductionnisme de classe dénoncé par beaucoup d'auteurs), il tend à subordonner la nation à la classe, la lutte de libération nationale à la lutte des classes, toujours déterminante [3]. Dans ce cas le rapport des classes à la nation est mécanique, faussement dialectique, il plaque la nation sur le mode de production et celle-ci est soumise à un discours téléologique. D'autre part, c'est la pertinence même d'une définition qui se trouve posée. Toute définition, comprise comme un alignement de "facteurs" constitutifs, si elle veut atteindre une certaine généralité, écartera toute allusion aux classes sociales (cf. la définition de Staline). La lutte des classes, le mode de production, seront alors ré-introduits, en extériorité par rapport à la définition de la nation. La tentative de définition aboutit alors à une curieuse dialectique entre des invariants, des effets permanente de la nation, et l'histoire de la lutte des classes. Dès lors il est difficile d'imaginer que la nation soit une donnée permanente tout en étant issue du développement du capitalisme, c'est-à-dire historiquement déterminée [4]. 



[1]   Cf. Anthony D. Smith, Theories of Nationalism, New York, Harper and Row, 1971.

     et

     Kamenka E. (ed.), Nationalism. The Nature and Evolution of an Idea, Londres, Edward Arnold, 1976.

[2]   Le pouvoir politique du peuple comme revendication première de la nation marque la rupture du consensus féodal où seul Dieu est source de légitimité. Ainsi le nationalisme tire-t-il, en théorie, sa justification de l'appel à la souveraineté populaire. Ceci ne veut pas dire Pour la bourgeoisie qui avance une telle perspective, reconnaisse la nécessité d'une réelle démocratie, cela veut dire que la bourgeoisie nationale gouverne au nom du peuple.

         Toutefois J. Wiseman fait remarquer que le statut politique de l'Église, dès le début du XVe siècle, s'était érodé et que sa crédibilité avait été entamée par le Grand Schisme. Aussi la loyauté envers la Monarchie, l'éloge et l'illustration de la langue vernaculaire apparaissent-ils comme les premiers éléments d'une conscience nationale. Le "peuple de France" est un peuple "naturel", le "plus" naturel de tous les peuples. Par ailleurs il est significatif que la Guerre de Cent Ans, tout en exacerbant la haine des "princes estrainges", n'entraîne pas une réaction chauvine puisque les étudiants des "quatre nations de l'université de Paris, France, Picardie, Normandie et Angleterre" ne souffrent, même pendant la Guerre, d'aucune attaque chauvine. Ainsi la Guerre de Cent Ans marque un tournant dans l'idéologie du Moyen Age, elle la sécularise. Cette sécularisation sera accrue avec l'apparition des guerres modernes et des grande États. (Cf. Josette A. Wiseman, L'Éveil du sentiment national au Moyen Age : la pensée politique de Christine de Pisan" in Revue Historique, CCLVII, no. 2, 1977.)

[3]   Cf. Lénine en février 1903 :

     "Ce n'est pas l'affaire du prolétariat de prôner le fédéralisme et l'autonomie nationale, ce n'est pas l'affaire du prolétariat de présenter de semblables revendications, qui se ramènent inévitablement à la revendication de créer un État de classe autonome. L'affaire du Prolétariat, c'est d'unir plus étroitement les plus larges masses possibles d'ouvriers de toutes nationalités, de les unir afin de lutter sur le terrain le plus large possible pour la république démocratique et pour le socialisme"." À propos du Manifeste des S.D. arminiens", Oeuvres, Tome 6, p. 385.

     Cf. Rosa Luxemburg :

     "Pour la social-démocratie, la question des nationalités est avant tout, comme toutes les autres questions sociales et politiques, une question d'intérêts de classe".

     "La question nationale et l'autonomie", in Haupt, Lowy et Weil (eds.), Les Marxistes et la question nationale, Paris, Maspéro, 1974, pp. 1967.

     Voir également le texte complet dans The National Question, selected writings by Rosa Luxemburg, ed. par Horace B. Davis, Monthly Review Press, 1976.

     "La social-démocratie est le parti de classe du prolétariat. Sa tâche historique est d'exprimer les intérêts de classe du prolétariat... Ainsi la social-démocratie a le devoir de réaliser non le droit des nations à l'autodétermination mais seulement le droit de la classe ouvrière, qui est exploitée et opprimée, le droit du prolétariat, à l'autodétermination", p. 140.

     Boukharine, Piatakov, Stresser, etc. abordèrent des opinions semblables :

     Voir Gankin and Fisher : The Bolshevik and the world war, the origin of the third international, Stanford, 1940.

     Stephen F. Cohen, Bukharin and the Bolshevik Revolution, a political biography 1888-1938, New York, Vintage Bocks, 1971.

     ainsi que Joseph Strasser et Anton Pannekoek. Nation et lutte de classe, Paris, 10-18, 1977.

     Ces positions n'expriment pas que des analyses post-marxiennes, ainsi Marx en 1845 :

     "La nationalité de l'ouvrier n'est pas française, ni anglaise, ni allemande, c'est le travail, l'échange libre. le marchandage de soi-même. Son gouvernement a est pas français, ni anglais, ni allemand, c'est le capital, son atmosphère natale n'est pas française, ni anglaise, ni allemande, c'est l'atmosphère de l'usine. Le sol qui lui appartient en propre n'est pas le sol français, ni anglais, ni allemand, il se trouve quelques pieds sous terre".

     K. Marx, Critique de l'Économie nationale (suivi de F. Engels : Discours d'Elberfeld), Paris, EDI, 1975, p. 84.

     Bien entendu, ces citations sont isolées de leur contexte et tendraient à faire croire que ces théoriciens révolutionnaires niaient purement et simplement la question nationale. Rien n'est plus faux. Ces citations doivent être analysées dans le contexte théorique des auteurs et dans un contexte historique. Cependant, elles sont indicatives de la complexité du problème et des errements, des efforts souvent très grande du courant marxiste pour le résoudre. Voir à ce sujet l'excellente étude G. Haupt "Rosa Luxemburg à l'orée de la recherche marxiste dans le domaine national", in Pluriel, no. 11, 1977.

[4]   Trotsky exprimait lui aussi des opinions contradictoires à ce sujet :

     "La nation constitue un facteur agissant et permanent de la culture humaine. La nation survivra non seulement à la guerre actuelle, mais aussi au capitalisme lui-même".

     Nache Slovo, juillet 1915, in Pluriel, no. 4. 1975, p. 49.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 16 août 2007 18:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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