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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Georges Gusdorf, LA DÉCOUVERTE DE SOI. (1948)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Georges Gusdorf, LA DÉCOUVERTE DE SOI. Paris: Les Presses universitaires de France, 1948, 513 pp. Collection: “Bibliothèque de philosophie contemporaine.” Une édition numérique réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean. [Autorisation des ayant-droit le 2 février 2013 de diffuser l'oeuvre de l'auteur dans Les Classiques des sciences sociales.]

[vi]

La découverte de soi

Introduction

CONSCIENCE DE SOI
ET CONNAISSANCE DE SOI



Hegel voit dans la conscience de soi « la terre natale de la vérité » [1]. En droit comme en fait, elle est l'origine de toute vérité personnelle. L'acte pur du cogito se donne à moi dans le détail concret de ma vie comme une intuition rassurante et fugitive, comme un contact instantané qui, m'assure et me rassure en même temps. Ainsi se trouve implicitement maintenue la familiarité de moi à moi-même qui, par sa réaffirmation discrète, signifie la continuité de mon existence parmi la dispersion de mon activité. La conscience de soi s'offre donc bien à nous dans cette série de touches discontinues par lesquelles notre vie personnelle pose le pied sur la terre natale de sa vérité, se reposant ainsi sur elle-même. Le danseur prend appui sur le sol. Il lui suffit de savoir qu'il est là, sans qu'il ait besoin de réfléchir autrement son expérience. Il ne lui demande que d'être là, fidèlement, comme le jalon nécessaire de la danse et son point d'insertion dans le monde. Ainsi se déploiera notre existence ; l'unité de nous à nous-même n'a pas besoin de s'affirmer d'une manière explicite. Elle va sans dire. Nous nous reconnaissons, à chaque inflexion de nos conduites, sans insister, à notre point d'équilibre.

Nous nous reconnaissons, mais nous ne nous connaissons pas. La conscience de moi, cette touche furtive, me rappelle que je suis. Elle ne m'apprend pas ce que je suis. Elle demeure abstraite, comme indifférente à son objet, incapable, aussi longtemps que la réflexion ne s'empare pas d'elle pour la dénaturer, de me renseigner sur le monde ou sur moi-même. Fine pointe de l'être où l'existence s'affirme à son moment originaire, elle semble se situer en dehors du monde et de l'histoire. Marqué et coefficient de tous les engagements, mais elle-même [vii] dégagée. Succession d'instants discontinus, non point le temps de la personne, mais peut-être son éternité.

Aussi me faudra-t-il, si je veux réellement m'approprier ma vie, la faire mienne et ne point demeurer à sa remorque, dépasser ce moment où se dessine une limite de mon existence. J'ai besoin, de moi à moi-même, d'une intelligibilité plus consistante. Il faut que je m'installe, par la réflexion, dans cette première intuition, pour en prendre une conscience plus développée. L'expérience acosmique, anhistorique, ce rapport comme vertical de moi à moi-même, doit faire place à une connaissance horizontale, à un schéma où je puisse retrouver la figure de ce que je suis à travers les événements où s'inscrit mon être dans le monde. Une note du journal intime de Joubert attribue à la mémoire cette fonction de notre propre conservation : « Comment par la mémoire on est un, écrit Joubert, que sans elle il n'y a plus de moi, ou du moins de moi continu, plus de passé plus d'avenir, rien qu'un présent numérique et mathématique qui n'est susceptible d'addition ni de division » [2]. La conscience de soi apparaît bien comme un présent sans mémoire. Et la connaissance de soi représente une sorte de mémoire, ou plus exactement une structure, un sens de toutes les conduites passées et à venir, qui se dégage de la mémoire, de l'expérience acquise. La connaissance de soi serait ainsi à la fois le passé rendu intelligible et l'avenir prophétisé. Mémoire de mon être propre, plutôt que de mon activité passée. Présence de moi à moi-même qui me permet en même temps de m'assumer moi-même, de me mettre en œuvre.

 La connaissance de soi transcende la conscience de soi. Elle la dépasse dans tous les sens, elle risque de la distendre et de l'adultérer. La conscience de soi ne peut que s'affirmer telle quelle. Elle n'a rien à dire d'elle-même. La connaissance de soi au contraire suppose l'expérience dans toute sa complexité, dans son opacité, dans son impureté. Les possibilités d'illusion, les chances d'erreur fourmillent alors, puisque se trouvent réintroduits le monde et l'histoire, que la fonction abstraite et nue de la conscience de soi ne mettait pas en question. La condition humaine apparaît maintenant avec toutes ses équivoques. Nous sommes toujours orientés vers le monde et compromis en lui. La connaissance de soi, si elle veut s'accomplir devrait en quelque sorte rompre cette incarnation pour [viii] nous restituer à nous-même. Le problème est alors de savoir si une telle opération est possible, et, à supposer qu'elle soit possible, dans quelle mesure on peut la considérer comme valable.

Si difficile pourtant, si désespérée que puisse apparaître l'entreprise, l'homme ne peut pas y renoncer. Elle représente Je fondement indispensable de toute anthropologie, et de toute morale digne de ce nom. En effet, croire à une signification morale de l'activité, c'est admettre que l'homme peut, dans une certaine mesure, se désolidariser de sa propre conduite pour la juger. Il lui serait même possible, s'il la juge imparfaite, de la "redresser jusqu'à la rendre conforme à ses préférences. Cette attitude d'appréciation et de correction suppose, dans la personne, la faculté de se connaître elle-même. Le jugement moral authentique ne doit pas être jugement d'autrui sur notre expérience, mais jugement de nous sur nous-même, sans quoi la connaissance morale deviendrait une école d'hétéronomie, dépendance acceptée vis-à-vis d'une règle impersonnelle et extérieure. L'essentiel y serait oublié ou mis en seconde place : l'accomplissement de la vie personnelle, l'épanouissement de toutes les ressources que chaque être porte en soi.

Ainsi donc, le problème de la connaissance de soi se pose comme le problème initial d'une étude de l'expérience morale. Selon que l'homme peut ou non se connaître soi-même, il sera responsable ou non de sa conduite. La lucidité, la discipline, le contrôle de soi sont déjà des qualités morales. Elles comptent pour beaucoup dans la valeur intrinsèque de l'acte et de la personne. L'agent moral accompli serait pleinement conscient. Nous essaierons de résoudre, dans la mesure du possible, cette redoutable question préjudicielle, en dégageant ce qui reste aujourd'hui des divers efforts tentés par les penseurs et les sages pour définir la connaissance de soi.



[1] Hegel. La Phénoménologie de l'Esprit. Trad. Jean Hyppolite, Aubier, t. I, 1939, p. 146.

[2] Les Carnets de Joseph Joubert, édition André Beaunier-NRF, t. I, 1938, p. 225 (4 janvier 1800).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 29 juillet 2016 8:34
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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