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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Tradition, modernité et aspiration nationale de la société québécoise. (1990)
Préface à l'édition française


Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Hubert Guindon, Tradition, modernité et aspiration nationale de la société québécoise. Traduction de Suzanne Saint-Jacques Mineau. Textes réunis et présentés par Roberta Hamilton et John L. McMullan. Montréal: Les Éditions Saint-Martin, 1990, 233 pp.

[vii]

Préface à l’édition française

Par Pierre Dandurand et Louis Maheu

Montréal, juin 1990.


Parue d'abord en 1988 aux Presses de l'Université de Toronto, cette collection de textes écrits au cours des 30 dernières années par Hubert Guindon, est maintenant publiée dans sa version française. On y trouve réunies des analyses remarquables de la société québécoise, analyses qui ne pouvaient échapper plus longtemps au Québec francophone.

La première édition a d'abord été publiée en anglais, puisque les textes qu'elle réunit ont été en premier lieu écrits en cette langue à l'intention principalement de la communauté des sociologues anglophones. L'initiative et la réalisation de ce projet ont été celles de deux sociologues, anciens étudiants d'Hubert Guindon, Roberta Hamilton et John L. McMullen. Ils ont entrepris et mené à bien ce travail avec beaucoup d'enthousiasme et une détermination certaine. La tâche en fait n'était ni simple ni facile. Il fallait d'abord convaincre l'auteur de consentir à une publication de textes remontant dans certains cas au début des années 60 ; il fallait aussi parvenir à réunir en un seul volume des manuscrits distribués ici et là. Non seulement Roberta Hamilton et John L. McMullen ont-ils réussi ces deux premiers défis mais ils ont poussé leur entreprise plus loin en obtenant pour la circonstance des textes inédits qui prolongent jusqu'aux événements plus récents la réflexion d'Hubert Guindon sur le Québec et le Canada.

[viii]

Au moment même où ils menaient à bien leur projet, nous avons trouvé auprès d'eux l'accueil souhaité pour réaliser une édition française de ces textes. Nous leur sommes reconnaissants d'avoir ainsi facilité la parution en langue française des principaux écrits d'Hubert Guindon. La pensée que révèlent ces travaux mérite une large diffusion et pourra ainsi atteindre au Québec francophone une plus grande visibilité et sans doute exercer une influence encore plus importante que celle qu'elle a eue jusqu'à maintenant.

Derrière une oeuvre, il y a une personnalité bien réelle et bien vivante. On l'oublie trop souvent, d'autant plus que les discours savants, les textes académiques ne nous incitent guère en général à vouloir rencontrer leur auteur dans sa quotidienneté et son expérience existentielle. L'introduction à cet ouvrage que signent Roberta Hamilton et John L. McMullen rompt avec cette tradition. Elle présente, bien plus que les thèmes d'une oeuvre et son contexte social, l'homme tout à fait singulier et sans grande prétention qui les a portés et développés. Certains jugeront que cette présentation est peut-être trop personnelle, indiscrète même. Mais comment ne pas reconnaître que, dans ses écarts aux normes établies, elle convienne très bien à un auteur qui a réussi à mener une carrière académique exceptionnelle à plus d'un égard, tout en échappant à l'image habituelle et au comportement attendu de l'universitaire.

Cette introduction ne pouvait esquiver la question de la place d'Hubert Guindon, de sa présence et de son influence dans les sciences sociales québécoises notamment francophones. Cette pensée, on en convient très largement, fait maintenant plus que jamais partie intégrante du champ intellectuel et culturel québécois. Elle est pensée de chez nous. Il faut toutefois reconnaître l'indéniable : au Québec francophone, surtout au cours des années 60 et 70, le rayonnement des travaux d'Hubert Guindon fut objectivement limité. En témoigne d'ailleurs la parution tardive et en nombre limité de traductions en langue française de ses manuscrits.

Roberta Hamilton et John L. McMullen explorent divers facteurs permettant d'expliquer cette distance. Il y a eu les jeux complexes des institutions universitaires et les éternelles luttes de concurrence alimentées par des ambitions carriéristes. À cela s'ajoute ou, plus exactement, se surimpose un événement majeur, le passage d'Hubert Guindon de l'Université de Montréal à l'Université Concordia. Compte tenu de l'étanchéité proverbiale et réelle des milieux culturels anglophones et francophones, ce nouveau positionnement, intervenant dans une carrière à peine amorcée, contribuera fortement à élargir et maintenir un fossé entre les écrits de l'auteur et la communauté des sociologues et intellectuels francophones. Roberta Hamilton et John L. McMullen illustrent de plus comment, sous l'effet d'une certaine contrainte, mais aussi en raison de [ix] dispositions profondes et pour conserver toute sa liberté, Hubert Guindon a été entraîné non seulement vers un nouveau milieu universitaire mais aussi vers une forme de pratique axée sur l'enseignement et faisant peu de place à l'écriture. Sa pensée s'est transmise en grande partie sous une forme orale. Tout cela n'a pas aidé à sa pénétration dans les milieux francophones. Ceux-ci par ailleurs, il faut bien l'avouer, ont pendant un long moment ajouté passivité et indifférence à une marginalité qu'ils ont aussi à l'occasion entretenue.

Peut-être reste-t-il à souligner comment la pensée d'Hubert Guindon a été elle-même, et paradoxalement, en état quasi permanent de continuité mais aussi de rupture avec les sciences sociales québécoises telles que pratiquées dans les milieux universitaires francophones.

C'est bien là ce qui constitue, en un sens, une des caractéristiques du mouvement de pensée d'Hubert Guindon. Cette pensée, elle est solidement ancrée dans la tradition des sciences sociales du Québec francophone mais en même temps elle s'en distancie de différentes façons et souvent dans une prise de position critique, polémique même. Dans son développement, cette pensée a aussi été parfois désaccordée par rapport aux modes changeantes qui ont animé au Québec les intellectuels et les praticiens des sciences sociales. Il est possible de retracer au cours des 30 dernières années ces évolutions parfois convergentes, parfois divergentes.

En tout début de carrière, comment parler de marginalité d'Hubert Guindon alors qu'il intervient en 1960 dans le débat que provoque Philippe Garigue, pour défendre la tradition naissante de la sociologie québécoise à travers les travaux de Léon Gérin jusqu'à ceux d'Everett C. Hugues. Et cela, il le fait à côté de sociologues comme Marcel Rioux dans le premier recueil de textes publié sur la société québécoise [1]. Non seulement rejoint-il la tradition sociologique mais aussi, par son mode d'analyse qui privilégie les rapports de pouvoir, il adopte une problématique proche de celle des historiens de l'école de Montréal, Séguin, Brunet, Frégault. Il s'y réfère d'ailleurs nommément.

Cependant, plus avant dans les années 60, la distance qui le sépare de la sociologie québécoise apparaîtra de plus en plus nettement. Dans ses orientations dominantes, celle-ci tend à privilégier une approche culturaliste des faits sociaux, s'intéressant au symbolique et notamment à l'évolution des idéologies. Par contre la pensée d'Hubert Guindon demeure, elle, plutôt attentive aux faits de structure, à l'organisation et à la transformation de pouvoir, au développement des institutions, aux rapports ethniques et aux rapports de classes. Plus spécifiquement, et c'est là sa contribution majeure, Hubert Guindon montre l'émergence d'une nouvelle classe moyenne, comme force sociale déterminante dans [x] les transformations que subit le Québec d'alors [2]. Il s'arrête à l'analyse de ses modes d'intervention politiques et culturelles. Mais du même coup, il souligne très clairement le caractère idéologique des projets qu'elle défend.

C'est là, sans doute, un aspect de l'analyse d'Hubert Guindon qui pouvait plus difficilement trouver preneur. Sa distance critique, des remarques parfois caustiques, s'accordaient mal au climat intellectuel québécois des années 60. C'est le moment, rappelons-le, où les sciences sociales se penchent avec une empathie bienveillante sur la construction d'une société moderne, d'un État aux compétences et aux méthodes d'intervention plus affermies et, dit-on, porteur d'un projet collectif. Bien plus, les praticiens des sciences sociales appellent presque tous de leurs vœux l'avènement de cette révolution tranquille, y participent directement, développent un important discours de légitimation autour des transformations projetées et cherchent à en assurer les suites. Bien sûr, les travaux d'Hubert Guindon traitent aussi de modernisation, de transformations sociales. Mais comme nous l'avons souligné, dans le même mouvement, il met à nu les intérêts de classes moyennes qui sous-tendent ces changements sociaux et la direction qu'elles leur donnent. Il montre aussi comment certains groupes sociaux, moins bien nantis, ne peuvent profiter pleinement, eux, des avancées de la démocratie, des propensions à l'égalité et des ressources d'action et d'intervention bâties autour de l'État. On comprend que dans ces circonstances une attitude aussi critique ne pouvait trouver toujours des oreilles attentives.

Au début des années 70, se manifeste une nouvelle génération de sociologues québécois, s'inspirant largement du marxisme et voulant établir une rupture avec l'approche culturaliste de leurs aînés. Ces jeunes sociologues adhèrent à une problématique qui se rapproche, par bien des aspects, de celle d'Hubert Guindon : importance des rapports de classe et du rôle de l'impérialisme, conception d'un État autoritaire et instrumental, etc. De façon générale, leur position a convergé autour de la centralité de l'analyse des rapports de pouvoir, et peut-être plus largement autour du choix d'une analyse en termes de structures sociales. Malgré cela, la marginalité d'Hubert Guindon demeure. Bien sûr, la vague structuro-marxiste qui gagne la jeune sociologie québécoise n'admet pas facilement une pensée qui, comme celle d'Hubert Guindon, échappe à des cadres théoriques relativement rigides et qui, à la suite de C. Wrigh Mills, parle d'élites et accorde une place importante au pouvoir des bureaucraties. Rendez-vous manqué ? Plutôt rencontre impossible quand on connaît par ailleurs l'aversion d'Hubert Guindon [xi] pour tout esprit d'école et de système. Reste quand même à un autre niveau une certaine parenté. Reste surtout que la force des analyses d'Hubert Guindon continue à fasciner, d'une génération à l'autre, plusieurs sociologues québécois et cela au-delà des querelles d'écoles ou des querelles institutionnelles. À preuve, la parution en 1977 dans Recherches sociographiques d'une traduction de son texte sur la modernisation.

Dans les années 80, la présence d'Hubert Guindon dans le champ intellectuel québécois se fait effectivement beaucoup plus sentir, comme le remarquent à juste titre Roberta Hamilton et John L. McMullen. La présente publication en français d'une collection de ses écrits confirme ce revirement de la situation, en même temps qu'elle contribuera, espérons-nous, à donner encore plus de visibilité à cette pensée.

Mais alors même qu'il ne fait plus de doute que la présence de cette pensée vigoureuse, originale et polémique a maintenant atteint plein droit de cité dans la communauté intellectuelle et académique québécoise et qu'elle est, au début de ces années 90, en train de se gagner un espace de plus en plus important, force nous est de constater qu'Hubert Guindon, encore une fois, a proposé dans ses derniers écrits une analyse à contre-courant de tendances dominantes. En effet, au moment où, suite au référendum, de nombreux intellectuels québécois pensent à abandonner l'option indépendantiste, sa démarche d'analyse et sa réflexion l'amenaient, lui, à croire que le rêve de l'indépendance est une conclusion triste mais nécessaire.

Cet itinéraire s'est donc poursuivi pendant longtemps en parallèle à la vie intellectuelle et universitaire du Québec francophone. Mais il faut rappeler que pareille marginalité, même dans les périodes du plus grand éloignement et de l'oubli, fut toujours paradoxalement liée à une pensée profondément enracinée dans la réalité québécoise concrète, diversifiée, quotidienne, populaire. Une réalité qu'il a travaillée, épousée à l'aide de longues heures passées sur le terrain, de vieilles et multiples amitiés, de rencontres, d'errances. Par ses thèmes et ses développements, par ses inquiétudes et ses espoirs, par ses impatiences, ses dénonciations et ses visées stratégiques, la sociologie d'Hubert Guindon a planté de profondes racines dans la société québécoise.

Héritier de notre société « toujours en quête d'une place [3] », Hubert Guindon connaît lui-même, de l'intérieur, les sentiments et le positionnement de celui qui est toujours en même temps du dedans et du dehors. L'habite une pensée qui a reçu le Québec en héritage et qui parvient avec aisance à faire saisir dans l'ici et l'immédiat, l'importance de l'ailleurs, dans le nous collectif, les signes tangibles de la différence et du [xii] pluriel ethniques et linguistiques et, dans l'espace local, des évolutions analogues à celle d'autres ensembles historiques concrets.

En deçà ou au-delà d'une visibilité institutionnelle qui a eu des hauts et des bas, la pensée d'Hubert Guindon a permis à plusieurs de mieux se former, de mieux pratiquer leur métier, de mieux comprendre, à la lumière de grandes interrogations sur les sociétés modernes, l'évolution de la nôtre. Nous le devons à sa manière d'interpeller des modes reçus de penser et de voir, de provoquer l'imagination et de penser autrement, de soumettre à débat les affirmations des uns et des autres et même les siennes.

Il faut espérer que cette édition en langue française d'écrits d'Hubert Guindon offre à certains l'occasion d'ouvrir un dialogue et à d'autres de poursuivre des débats.

Pierre Dandurand et Louis Maheu

Montréal, juin 1990



[1] Rioux, Marcel, Martin, Yves, (éd.), 1971, La Société canadienne-française, Montréal, HMH.

[2] Paquet, Gilles, 1989, « Hubert Guindon, Hérisson », Recherches sociographiques, vol. XXX, no 2, pp. 273-283.

[3] Guindon, Hubert, 1989, « L'héritage toujours en quête d'une place », in Marc Lesage et Francine Tardif (sous la direction), Trente ans de révolution tranquille : entre le je et le nous, itinéraires et mouvements, Montréal, Bellarmin.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 7 avril 2011 18:02
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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