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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La langue politique et la Révolution française.” (2005)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jacques Guilhaumou, “La langue politique et la Révolution française.” Un article publié dans la revue Langage & Société, no 113, septembre 2005, pp. 63-92. Numéro intitulé: “Le politique en usages, 14e-19e siècles”. Paris: Les Éditions de la Maison des sciences de l’homme. [Autorisation accordée par l'auteur le 17 août 2008 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

Au cours du débat à l'Assemblée Nationale sur le veto royal, les premiers jours de septembre 1789, Rabaud Saint‑Étienne s'inquiète de « la pauvreté de notre langue pour exprimer les idées politiques absolument neuves pour la masse de la nation » [1]. Sieyès, présent à ce débat, approuve l'intervention de son collègue, tout en considérant qu'il a été, dès 1788 et tout particulièrement avec Qu'est‑ce que le Tiers-État ? le principal inventeur de « la nouvelle langue politique », selon sa propre expression (Guilhaumou, 2002a). 

Au terme de son parcours intellectuel, il revient sur cette question au cours des années 1810 dans les termes suivants : 

« Ceux qui forment une science dans laquelle doivent se ranger et se fondre des foules d'idées qui existent déjà bien ou mal dans la langue usuelle sont bien embarrassés. Ces idées ou plutôt les mots qui les expriment sont sujets à de nombreuses acceptions, pour ainsi dire mobiles. Les nuances nécessaires manquent de signes précis et propres. Les notions elles-mêmes ont été mal faites dans l'origine, ou ont été altérées par le temps. Et cependant il faut parler, observer les faits exacts, les lier entre eux, les analyser, en tirer des notions générales, retrouver ces notions dans des conséquences rigoureuses, enfin raisonner. Tout cela suppose qu'on crée une langue nouvelle avec des matériaux confusément épars, et qui résistent à recevoir un emploi déterminé » [2]. 

Un tel processus de création d'une « langue nouvelle » de « la science politique » est le propre de la Révolution française. Nous considérons présentement qu'il importe d'en confronter la connaissance que nous en avons (Guilhaumou, 1989a) aux avancées historiographiques récentes, avec une attention particulière à la manière dont s'y déploie, entre usages réflexifs des acteurs et concepts des historiens, les notions‑concepts. 

Constatons d'abord que l'événement révolutionnaire, contexte principal de la créativité politique, n'est pas exempt d'un arrière plan social. C'est à ce titre que nous sommes d'emblée confronté à un univers de notions qui correspondent à une manière usuelle d'interpréter, chez les êtres humains, leur expérience du monde de façon quasi‑naturelle. Il s'agit du terrain des « moeurs », selon l'expression usitée à l'époque, mais que Sieyès qualifie de façon éphémère, mais significative par le terme de « sociologie » (Guilhaumou, 2006a). 

Ce terrain commun de la langue usuelle, descriptible sous la notion-concept d'utilité, est d'un constant secours : il constitue en effet « le socle sociologique » du nécessaire processus de généralisation de la langue politique, dans la mesure où il permet aux notions d'acquérir une dimension conceptuelle sur la base d'une systématisation abstraite, tout en conservant un lien à l'observation empirique des faits. Une telle présence permanente de « l'organisme social » confère au domaine de « l'art social », où se fabrique les notions artificielles de la langue politique, une tournure réaliste par la présence singulière des expériences individuelles. 

Certes les révolutionnaires héritent des Lumières le principe de la connexion entre la réalité et le discours comme seul moyen d'exercer un contrôle sémiotique, donc de fixer des règles rationnelles d'usage des mots, dans le domaine de l'expérience humaine (Formigari, 1993). Mais ils évoluent dans un univers de notions qui sont à la fois usages et concepts, constituant ainsi, par la multiplication des mises en argument, un maquis de notions marquées contextuellement. Qui plus est, le chercheur actuel se démarque à son tour de cette profusion par souci de clarté, tout en multipliant, contre son gré, les « usages dispersants et mutants » selon l'expression de Maurice Tournier [3] de ce nous appelons les notions‑concepts. 

Évoluer dans le monde des « usages conceptuels », devenant « concepts en usage » n'est donc pas une affaire aisée. Ferdinand Brunot (1967), avec son Histoire de la langue française, avait ouvert la voie. Les travaux de lexicologie politique de ces trente dernières années l'ont singulièrement élargi tant sur le plan des matériaux que des problématiques. Retraçons rapidement les principales étapes éditoriales de ce cheminement à l'intérieur des études sur les notions‑concepts de la Révolution française. 

Alors que se met en place en Allemagne la vaste entreprise, toujours en cours de publication, du Handbuch politisch-sozialer Grundbegriffe in Frankreich (1680-1820) sous la direction de Hans-Jürgen Lüsebrink, Rolf Reichardt et Eberhard Schmitt, c'est d'abord en France le temps du projet par la publication en 1987 par l'équipe « 18ème et Révolution » de l'ENS de Saint-Cloud du second fascicule du Dictionnaire des usages socio-politiques du français entre 1770 et 1815 sur les notions-concepts, où se formule, sous notre plume, l'objectif de rendre compte de mots à valeur notionnelle souvent cités, mais plutôt méconnus dans leur réalité discursive. Cette perspective est développée par Hélène Dupuy dans sa brève intervention au colloque bilan de l'Institut d'Histoire de la Révolution française (Voyelle, 1991) sous le titre significatif, « Pour une redécouverte du politique à travers les notions-concepts ». La publication en 1995 du colloque de Saint‑Cloud sur les Langages de la révolution (1770-1815) accentue l'importance des études sur l'expression langagière des concepts, toujours sous l'égide de « l'équipe 18ème et Révolution » du laboratoire de lexicologie politique de l'ENS de Saint-Cloud, véritable cheville ouvrière de l'ensemble de cette entreprise française. Enfin le tout récent volume (2003), sur Des notions-concepts en révolution, sous la direction de Raymonde Monnier et moi‑même marque une nouvelle étape de la recherche par l'établissement d'une liaison régulière, dans le cadre du réseau international « History of Political and Social Concepts Group », entre l'histoire linguistique des usages conceptuels pratiquée désormais par les chercheurs français, l'histoire du discours, initié dans les années 1970 par John Pocock et Quentin Skinner au sein de la recherche anglophone, et l'histoire sémantique, autour de Reinhart Koselleck et Rolf Reichardt, dans le monde allemand [4]. Enfin, le bilan proposé relève de la problématique de l'événement linguistique, c'est-à-dire nous renvoie à la part de réflexivité langagière au sein des événements révolutionnaires, dans la perspective développée de notre première publication (1989) sur La langue politique et la Révolution française à notre ouvrage le plus récent (2006b) sur Discours et événement. 

Cependant nous nous limitons, à l'intérieur de ce vaste champ discursif, à l'univers des notions‑concepts spécifiques de la langue politique de la Révolution française, tout en le contextualisant selon les moments de la Révolution française, tels que nous les avons mis en évidence, de concert avec Françoise Brunel (1991). À la présentation des résultats de l'analyse discursive des notions en usage s'ajoute donc un souci de rendre compte des configurations successives de la synthèse politique sur le terrain proprement discursif Parcours déséquilibré par le fait de la répartition très inégale des travaux lexicologiques selon chaque moment, et qui nous incite à marquer un intérêt particulier pour le moment inaugural des années 1770-1780, peu connu et qualifié à tort de prérévolutionnaire.


[1] Archives Parlementaires, tome VIII, p. 68 [texte disponible sur Gallica2].

[2] Note manuscrite intitulée Onéologie, Archives Nationales, 284 AP 5 (3).

[3] Dans sa Préface à Des notions-concepts en révolution, sous la dir. de J. Guilhaumou et R. Monnier (2003).

[4] Voir l'ouvrage collectif sous la direction de Hans Erich Bödelcer (2002), et plus particulièrement notre intervention sur « L'histoire linguistique des usages conceptuels à l'épreuve des événements linguistiques » p. 123-158.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 14 septembre 2008 7:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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