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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Nationalisme et religion. Tome I: Nationalisme et révolution culturelle (1970)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de M. Jacques Grand’Maison (1931-), Nationalisme et religion. Tome I: Nationalisme et révolution culturelle. Montréal: Librairie Beauchemin ltée, 1970, 221 pp. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi.

Introduction

Recherche d'identité

S'il y a une note dominante dans les intentions explicites des révolutions modernes, c'est bien la libération des masses, des peuples pauvres. Les succès obtenus et même les échecs de ces grandes entreprises politiques et humanistes nous amènent peut-être au seuil d'une révolution mondiale autrement radicale. On ne parle pas en vain d'un homme nouveau et d'une société nouvelle au-delà des grands progrès scientifiques et techniques. Les contemporains du voyage à la lune sont bien conscients d'une tâche à peine amorcée, celle de la libération de la terre des hommes. La plus grande partie de l'humanité connaît encore les asservissements de la faim, de l'analphabétisme, de la maladie, enfin de tous ces maux d'une nature qu'on n'a pas réussi à maîtriser totalement. Mais il ne semble pas que ces défis majeurs soient la source immédiate de la conscience révolutionnaire actuelle. En effet, celle-ci s'alimente davantage aux procès des structures et des pouvoirs humains oppresseurs. Il s'agit surtout des obstacles créés volontairement par des hommes, par des groupes privilégiés, par des puissances politiques au économiques. Des impérialismes nouveaux exploitent d'énormes ensembles humains avec autant, sinon plus, de dureté que ceux des civilisations de l'histoire passée. Ils ont en main des dispositifs de contrôle et de domination d'une ampleur et dune force inédites. Mais en contre-courant, jamais la conscience des droits et des besoins humains fondamentaux n'a été aussi vive, aussi impérative. Grâce à l'extension décuplée des moyens de communications, les hommes se sont fait une meilleure idée de la situation réelle du monde, des forces en présence, des inégalités inouïes qui s'accroissent. On ne peut plus cacher la misère des uns ou la richesse des autres, ni taire les conflits ou les alliances des grands, ni ignorer les multiples foyers révolutionnaires qui suscitent l'espérance des opprimés. 

Le drame prend des proportions inattendues quand il s'étend au cœur des pays les plus riches où apparaissent des phénomènes nouveaux de pauvreté, d'aliénation humaine, de domination beaucoup plus subtile et contraignante. Quoi, les solutions trouvées par les plus forts ne vaudraient même pas pour eux-mêmes ! Pourquoi cette révolte des nantis, des jeunes favorisés qui rejettent à la fois les modèles d'abondance et de rationalité technologique ? Aurait-on perdu l'essentiel, à savoir des raisons de vivre valables ? Les objectifs de croissance économique maximale qui mobilisent les meilleures ressources matérielles et humaines des nations, ne suffisent pas ; ils semblent même aliéner les hommes davantage. Ce n'est pas sans raison que les uns parlent de la mort de l'homme, après celle de Dieu, que d'autres y voient la plus grande crise d'identité de toute l'histoire. L'expression : révolution culturelle ne rend pas encore tout à fait le sens de ce qui se passe aujourd'hui. En deçà de la culture ou des cultures, l'homme tout court s'interroge sur son vrai visage, sur les véritables significations de son être, de ses multiples relations, de son destin individuel et collectif. Il se rend compte davantage des profondes ruptures de sa condition présente. Le cosmos et l'histoire, les philosophies et les systèmes politiques et idéologiques, lui renvoient des images de lui-même tronquées, contradictoires, caricaturales, un peu à la façon d'un miroir brisé. Après les grands enthousiasmes des conquêtes scientifiques et techniques, il passe vite au désespoir intérieur là où se posent les grandes questions : Qui es-tu ? Pourquoi vis-tu ? Quelle place occupes-tu dans le monde ? Que peux-tu faire devant les énormes défis de l'humanité ? Qu'est-ce qui te rapproche ou t'éloigne des autres ? Comment vas-tu vivre de véritables solidarités ? Où sont les raisons de vivre, d'espérer, de lutter ? 

On nous dira que ce tableau reste sommaire, partiel et peu objectif. Combien d'autres facteurs entrent en ligne de compte dans l'évaluation de la vie contemporaine et de ses nombreuses composantes. Nous avons accompli à dessein cette première démarche. Tout homme, quel qu'il soit cherche à se situer et à s'identifier non seulement dans son milieu immédiat, mais dans l'ensemble du monde et de l'histoire tels qu'il les perçoit dans sa propre actualité. Il se façonne en quelque sorte une idéologie à même celles de son temps, de ses milieux d'appartenance. C'est peut-être la façon la plus fondamentale de s'identifier. Nous-même, nous ne pouvions entreprendre ce travail, et le présenter aux autres sans expliciter notre propre cadre de perception des problèmes que nous allons aborder. Une autre raison s'ajoute ici. En effet, les questions de culture, de nationalisme, de religion et de politique ont beaucoup à voir avec ce concept d'identification qui nous semble situé au centre de la conscience moderne. Si nous abordons aujourd'hui ce problème du nationalisme, c'est qu'il nous apparaît être un pôle très important de référence dans l'humanité actuelle, dans notre contexte politique immédiat, et dans notre propre itinéraire. Il en est de même de la question religieuse qui, elle aussi, se pose en termes d'identité. Elle n'a pas perdu de son actualité malgré tous les procès et tous les affaissements des dernières décennies. Beaucoup d'interrogations modernes comportent au moins implicitement des dimensions d'ordre religieux. Les rejets comme les attitudes d'indifférence ne doivent pas nous leurrer. Tous, d'une façon ou de l'autre, nous ne pouvons passer à côté de ce qui a été jusqu'ici une des principales formes d'identification des individus et des communautés humaines dans l'histoire. Aucun sociologue n'a observé une disparition décisive d'intérêt de ce côté. Au contraire, il y a même ici des résurgences au cœur du processus de radicalisation de la pensée et de l'agir des hommes d'aujourd'hui. Ceux qui ont liquidé cette forme d'expérience humaine ne l'on pas sans confrontation. À moins de s'isoler de l'histoire et des contemporains, il est impossible de fermer définitivement le dossier.

Nationalisme et catholicisme québécois

Évidemment, notre recherche est née de préoccupations plus immédiates. Chez nous, au Québec, notre histoire repose sur deux idéologies principales qui ont été en synergie constante surtout au cours des deux derniers siècles, à savoir un nationalisme et un catholicisme de type particulier. Depuis quelques années nous avons vu naître à la fois un mouvement d'éclatement de celle société traditionnelle bien près des régimes d'avant les révolutions modernes, un nouveau pluralisme où l'on cherchait d'autres critères d'identification, et enfin un néo-nationalisme d'esprit laïque et socialisant, qui rejoint les efforts actuels de décolonisation et certains aspects des révolutions culturelles en cours. Tout citoyen de notre milieu ne saurait esquiver les questions soulevées par ces phénomènes récents. Qui niera par exemple que le problème de la souveraineté du Québec a occupé une place très importante dans la plupart de nos débats et de nos efforts collectifs des dernières années ? Tout honnête citoyen de chez nous, quelles que soient ses allégeances politiques, doit se faire un jugement politique cohérent et sujet à révision vis-à-vis de ce défi de plus en plus déterminant dans notre communauté. Nous-même, nous le rencontrons quotidiennement dans les luttes sociales où nous sommes engagé, qu'il s'agisse de l'émancipation des milieux prolétaires, du développement régional ou des affrontements avec les pouvoirs politiques ou économiques en place. 

Nous avons aussi tenté de revoir une dimension trop négligée de notre vie collective, celle de la religion. Certains en sont venus à penser que cet héritage est presque liquidé, du moins en voie de l'être à plus ou moins brève échéance. L'Église institutionnelle a perdu la pluplart de ses moyens d'action. Ses biens passent progressivement à la société civile. L'État récupère les secteurs où s'exerçait une suppléance religieuse. L'appartenance à l'Église se relâche chez un nombre grandissant de Québécois francophones. Les luttes anticléricales sont devenues des combats d'arrière-garde, sauf peut-être dans le domaine scolaire. Mais la sécularisation semble gagner tout le terrain de façon quasi-automatique, en nous épargnant ainsi des querelles inutiles et des diversions de tâches plus urgentes pour la promotion collective. Voilà un diagnostic clair et net, mais trop superficiel. Mentionnons quelques exemples très révélateurs qui indiquent jusqu'à quel point nous ne sommes pas sortis de la phase de transition entre la chrétienté et la pleine laïcité. 

Il existe en beaucoup d'institutions des zones grises très significatives. Certains journaux, par exemple, ont gardé le statut officiel catholique de leur fondation. Les exigences nouvelles de la sécularisation et du pluralisme amènent des ententes officieuses, des aménagements provisoires. On laisse en plan des questions qui menaceraient l'équilibre et la continuité de l'institution. D'où ces compromis, tantôt explicites, tantôt implicites, à l'intérieur de l'institution. Nous nous demandons si toute cette part d'informel ne crée pas plus de problèmes qu'elle n'en résout. Elle risque de ne satisfaire ni les uns, ni les autres ; les conflits latents qu'elle engendre, deviennent parfois explosifs quand s'ouvrent des brèches favorables. Il n'y a pas de principes absolus ni d'un côté, ni de l'autre. Il se peut que des politiques d'accommodement provisoire se justifient. Mais nous avons remarqué que très souvent, en pareil cas, on néglige de considérer les retentissements d'une pareille situation dans l'opinion publique, ou dans la population directement impliquée par ces institutions. Les gens de l'extérieur ne savent pas à quoi s'en tenir. Ils soupçonnent facilement toutes sortes de subterfuges ou de pressions indues, ou de camouflages plus ou moins honnêtes, surtout quand les facteurs religieux et les droits de propriété privée entrent en ligne de compte. Les préjugés ou les pressentiments s'additionnent. L'Église se cache-t-elle derrière cela ? Se comporte-t-elle encore en propriétaire intouchable ? Détourne-t-elle les vraies fins de l'institution ? Nous pensons, ici, à ces anciennes institutions catholiques qui sont devenues publiques ou semi-publiques, comme c'est le cas de beaucoup d'hôpitaux, à certains organismes du type des Caisses populaires ou de la Saint-Jean-Baptiste (mouvement nationaliste), et encore plus aux écoles confessionnelles qui ont des administrateurs, des éducateurs et des étudiants d'options religieuses ou areligieuses très diverses. Voilà autant de points chauds qui montrent jusqu'à quel point la situation présente est beaucoup moins claire qu'on ne le pense. On trouvera parfois difficilement une pensée et une pratique politiques ou religieuses cohérentes, vraiment démocratiques, et soucieuses du bien commun. Or, si ces ambiguïtés se maintiennent trop longtemps, on peut s'attendre tout à l'heure à des crises beaucoup plus graves que celles d'aujourd'hui, particulièrement dans le domaine scolaire. 

Nous ne pouvions aborder toutes ces questions dans ce travail. Mais nous avons retenu quelques interrogations majeures. Dans quelle mesure, en deçà des aspects structuraux et des manifestations extérieures, le catholicisme exerce-t-il encore une influence d'ordre culturel, plus ou moins importante, dans les comportements profanes, plus précisément politiques ? Est-ce que la religion, chez nous, est restée homogène et en continuité avec le passé ? Connaît-elle, elle aussi, des ruptures, des praxis nouvelles ? Comment se situe-t-elle dans les transformations récentes de notre communauté nationale, dans les débats politiques de notre société ? C'est à ce plan surtout que nous ferons porter notre attention. Inutile de dire l'importance de l'analyse des idéologies anciennes et nouvelles, sous-jacentes aux univers politiques et religieux qui nous intéressent ici. Ainsi avons-nous cru nécessaire de confronter les deux composantes principales de l'idéologie dominante de notre histoire : le nationalisme et le catholicisme. 

Un phénomène universel

Avant d'établir ici des rapports, il fallait assurer l'examen des deux termes de la relation, celui du nationalisme d'abord, parce que, dans ses formes nouvelles chez nous, il est au premier plan, beaucoup plus que le catholicisme ne semble l'être. Mais nous nous sommes vite rendu compte de l'ampleur de notre recherche. Impossible de limiter notre investigation à notre propre contexte. Quelle place occupait le nationalisme dans la situation politique mondiale, vis-à-vis des phénomènes de pointe actuels ? Qu'est-ce que l'histoire nous en dit ? Comment se situe-t-il vis-à-vis des grands mouvements qui ont façonné nos sociétés modernes : les révolutions des derniers siècles, les régimes d'État moderne, l'avènement de la démocratie, et surtout la grande poussée socialiste des derniers cent ans ? 

Au premier abord, le nationalisme apparaît comme une idéologie totalisante, continue dans le temps, dans la conscience, dans l'espace humain d'un groupe donné. Ce serait un phénomène à la fois naturel et historique, universel et particulier, culturel et politique. Certains en cherchent les composantes dans la convergence de diverses combinaisons d'éléments particuliers : peuple, territoire, histoire, culture, langue et État. Il s'agirait d'une forme fondamentale d'identification de l'homme, de ses solidarités, de ses façons de penser et de vivre, de son aventure spirituelle et même de ses conditions matérielles d'existence. Nous voilà bien au delà d'un projet politique déterminé. Nous comprenons aussi pourquoi le meilleur et le pire peuvent sortir du nationalisme. Sa force d'impact est ambivalente. Beaucoup d'avatars historiques ont servi à le condamner. Par ailleurs, sa valeur positive a été souvent ignorée. Serait-ce parce que les hommes se souviennent davantage de leurs malheurs ? De toute façon, nul ne saurait nier l'universalité du phénomène. Pourtant certains des nôtres qualifient le nationalisme d'illogisme ou de régression, comme si cette aspiration était un non-sens. Que faire alors du nationalisme anglais, américain, russe, allemand ou français ? Où sont les vrais aliénés ? Rien n'indique que l'homme de demain deviendra inexorablement un apatride. Déjà l'homme d'aujourd'hui se révolte devant une culture technique uniformisante et asséchante. Ainsi, le regain de nationalisme accompagne la crise d'identité, le besoin de communautés à taille humaine, et de solidarités culturelles enrichissantes. Les mouvements de décolonisation, l'affirmation et la révolte des petites nations, l'illégitimité décriée de toute forme d'impérialisme, pèsent tout autant que les péchés historiques du nationalisme lui-même et l'idolâtrie du dieu-Nation. La sécularisation du phénomène contribuera peut-être à le désabsolutiser et à mieux le limiter dans son cadre politique et culturel. Signalons ici qu'il en va tout autrement des ambiguïtés instinctuelles du racisme surtout quand la religion vient y apporter une fausse transcendance. Dans l'aventure hitlérienne, il s'agissait davantage d'un racisme radical érigé en religion. Des anti-nationalistes se permettent ces confusions pour mieux frapper leurs adversaires. Non seulement ils simplifient le phénomène par la négative, mais ils ont tendance à le considérer comme un résidu du passé, comme une idéologie monolithique, identique à elle-même dans le temps et dans l'espace.

Le nationalisme québécois d'une même coulée  ?

Allons-nous aligner dans la même lancée : Papineau, Mercier, Parent, Bouchette, Paquet, Groulx et Monpetit ? De même le souverainisme de Barbeau, Chaput, Bourgault, Chamberland, Aquin, Grégoire et Lévesque ? Au siècle dernier, les Patriotes s'inspiraient plus de la Révolution française que de l'épopée missionnaire de l'Ancien Régime. Des sources diverses ont donc alimenté notre nationalisme et celui-ci s'est exprimé dans des écoles parfois parallèles ou même opposées. Notre légendaire unanimité reste bien contestable ; du moins elle a tardé à venir et n'a pas duré longtemps. L'idéologie catholique, la plus déterminante de toutes nos idéologies, a suscité des compromis douteux, des allégeances parfois bien superficielles et bien des luttes internes. Elle a eu un caractère plus unitaire que notre nationalisme. 

Une idéologie catholique déterminante 

C'est elle qui a exercé l'influence la plus profonde dans notre vie collective. C'est peut-être à cause d'elle que le nationalisme n'a pas trouvé d'expression politique efficace. Elle a constitué une sorte d'écran qui empêchait de voir le rôle-clef qu'aurait pu jouer un véritable État québécois. Les compromis du clergé avec l'establishment anglo-saxon renforcent cette hypothèse. En effet, les intérêts de l'Église passaient avant tout. Il s'adresse donc autant aux chefs religieux ce reproche que Groulx lançait à notre bourgeoisie politique en 1939 ; reproche d'avoir expulsé le national du politique, d'avoir fait passer l'intérêt du parti avant celui de la nation. (L'avenir de notre bourgeoisie, pp. 107-110). Les élites religieuses et politiques n'ont pas nécessairement boudé le nationalisme, mais elles l'ont surtout neutralisé en l'asservissant à d'autres fins. 

L'Église l'a en quelque sorte domestiqué et émasculé ; elle l'a engagé sur des voies d'évitement et dans des conceptions très conservatrices de la société ; elle bloquait aussi l'esprit d'entreprise, et l'instauration de politiques audacieuses à la mesure de toute la communauté et selon les exigences des régimes politiques contemporains. Évidemment bien d'autres facteurs ont contribué à buriner les principaux traits de notre nationalisme traditionnel ; mentionnons, à litre d'exemple, la situation de minoritaires, les conséquences de la conquête anglaise, la multiplicité des appartenances (françaises, britanniques et nord-américaines). En dépit des apports positifs de l'institution religieuse au Québec, nous ne pouvons honnêtement atténuer les erreurs et les méfaits historiques que tant de procès de notre idéologie religieuse ont déjà soulignés. Retour vain et stérile sur notre passé ? Nous ne le croyons pas. Ce recours nous paraît nécessaire pour comprendre la situation religieuse actuelle et certaines ruptures brutales. Un néo-nationalisme de tendance laïque nous le rappelle et, peut-être encore plus, tous ceux qui considèrent d'une façon ou l'autre, l'Église comme un obstacle dans la recherche d'une société progressive. Il nous est arrivé assez souvent de voir des québécois de tendances politiques ou idéologiques très différentes faire front commun pour rejeter l'Église et le catholicisme d'hier et d'aujourd'hui. Nous avons participé à trop de débats de ce genre pour entretenir quelqu'illusion que ce soit. En deçà des plaidoyers parfois injustes et unilatéraux, nous ne pourrions nier ce fond de vérité à assumer courageusement et lucidement.

Un nationalisme religieux 

Celui-ci s'est attaqué d'abord au libéralisme politique non seulement parce qu'il était d'inspiration anglo-saxonne, mais aussi parce qu'il appartenait tout autant à l'esprit de la Réforme protestante qu'à celui de la Révolution française. 

« L'esprit de la Réforme a faussé les notions de la justice, du droit, de l'État et de son autorité, les relations des classes, du capital et du travail ; l'on sait comme on y sacrifie facilement à l'État des droits naturels du père de famille sur l'éducation des enfants ». 

« Nul ne me persuadera qu'un peuple de deux à trois millions de catholiques existe au Canada pour dire la même chose que les autres, se contenter de la même presse, du même théâtre, de la même législation sociale, de la -même philosophie de la vie, quand ces autres sont des chrétiens séparés de la vraie foi par le grand malheur de la Réforme» (L. Groulx, Orientation, Montréal, 1935). 

Nous sommes bien loin de l'évolution œcuménique récente. Mais tel n'est pas le point fondamental ici. L'argumentation politique de Groulx se ramène à son option idéologique catholique. Celle-ci, en l'occurrence, n'a que faire des catholiques d'expression anglaise. C'est aux protestants que l'historien décoche ses flèches. L'affirmation sociale, culturelle et politique des québécois doit donc passer par une conception déterminée du catholicisme. Celle-ci apparaît, dans son esprit, comme le facteur déterminant de toute l'organisation de la vie collective. Et le nationalisme se fonde d'abord sur cette assise religieuse. Mais quelle était-elle dans le domaine proprement politique ? 

Nous rejoignons, au delà du courant ultramontain de Veuillot, les positions politiques de l'Église catholique au XIXe siècle, en face des révolutions socio-polifiques, de l'émancipation des masses, des nouvelles structures démocratiques, de la lutte des classes laborieuses, de l'expansion industrielle et urbaine, des libertés civiques et religieuses. Rejet à la fois du socialisme et du libéralisme politique. C'est ce dernier qui prévalait chez nos hommes politiques anglais et français. Telle était la trahison majeure que dénonçait Groulx. Sans doute avait-il de bonnes raisons de flairer l'inhumanité du capitalisme et de son expression politique. Mais comme l'Église au XIXe siècle, il rejetait les leviers révolutionnaires nécessaires à l'émancipation d'un peuple et de ses classes pauvres particulièrement.

Des tendances totalitaires  ? 

Cette idéologie catholique véhiculait aussi une méfiance plus ou moins avouée de la démocratie, du suffrage universel, du vote populaire. Les révolutions française et socialiste restaient toujours des épouvantails anti-catholiques. Derrière l'élitisme d'un Bourassa et d'un Groulx, il y avait une vision hiérarchique et très autocratique de la société. La voix du peuple ne pouvait venir de Dieu, parce que l'autorité de celui-ci ne s'exprimait que par les chefs, ces élus de la divine Providence. Groulx parlait souvent du peuple en terme de masse humaine soumise à tous les vents capricieux. Seuls des chefs charismatiques éclairés le sauveraient de lui-même, de cet esprit de parti qu'a favorisé le suffrage universel (Voir aussi E. Minville, dans L'avenir de notre bourgeoisie, p. 41). * 

Vincemt Lemieux et André Bélanger se demandent s'il n'y a pas ici une influence maurrassienne qui reliait nationalisme et monarchisme. [1] Si oui, elle ne se traduisait pas au Québec sous forme d'un projet politique quelconque. Devons-nous conclure que ce nationalisme traditionnel aboutissait à une stérilité politique navrante ? Il faudrait y mettre un bémol. Certains progrès sociaux des années 30 lui devaient une certaine inspiration. Mais tant d'ambiguïtés idéologiques venaient brouiller le tableau politique. Tout se passait comme si le messianisme nationaliste se reconnaissait davantage dans les fascismes de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal. Pensons aux allusions admiratrices à l'égard de Mussolini et de Salazar. 

«Et vous, jeunesse... faites que par tous vos labeurs et par toutes vos prières, nous arrive ce qui, pour tout peuple trop affaissé, est une indispensable condition de ressaisie, faites que nous arrive ce qui est arrivé au Portugal, à l'Espagne, à l'Irlande, à la Pologne, à l'Italie, même à la Turquie : un chef, un entraîneur, un incitateur d'enthousiasme et de volonté » (Lionel Groulx, dans l'Avenir de notre bourgeoisie, p. 125). 

Groulx ne voit d'équivalent que dans le cas de Papineau, le seul chef national qui nous « donna le sens d'une collectivité » (Directives, Montréal, 1937, p. 164). Mais ne soyons pas injustes envers lui. Une telle attitude relève aussi de la condition de toute société traditionnelle, de la psychologie des minorités ou des peuples pauvres et humiliés. Ceux-ci peuvent-ils se permettre les longs débats démocratiques des pays riches déjà assurés de leur existence matérielle et spirituelle ? Certains se posent la question encore aujourd'hui dans un Québec français toujours aliéné et menacé au plus profond de son identité nationale. Ils parlent de leaders charismatiques, d'autorité forte, de pressions inévitables sur un peuple incapable par lui-même d'une politisation démocratique rapide. Devant ces propos, d'autres craignent avec raison une inclination inavouée vers une dictature surtout de droite. Des observateurs plus subtils soulignent que les extrémistes de gauche ressemblent beaucoup à ceux de droite. Serait-ce parce que les uns et les autres puisent dans ce même fond culturel que nous venons d'analyser ? Nous sommes porté à le penser. Chez des jeunes révolutionnaires de chez nous, malgré leurs attitudes anti-religieuses, il y a des emprunts implicites et inconscients à l'idéologie totalitaire du nationalisme catholique du passé. D'où l'importance pour les uns et les autres, d'exorciser ces influences latentes et de bien reconnaître ce qui est à retenir dans notre expérience historique. Une sorte de mysticisme collectif alimenté par des modèles étrangers n'a jamais débouché dans notre cas, sur de vrais projets collectifs. Nous n'écartons pas ici un tremplin possible. Encore faut-il reconnaître les faits réels et leur leçon. Sinon tous les mouvements actuels de contestation et le néo-nationalisme lui-même resteront longtemps des phénomènes marginaux à la périphérie des forces politiques décisives. Et nos efforts de politisation des classes populaires tourneront à vide. Nous avons déjà un exemple d'absence de praxis politique chez les leaders étudiants, les militants de gauche, divisés en chapelles révolutionnaires. Le « politique d'abord » s'appuie sur une culture et une pratique politiques trop peu réalistes.

Absence d'une dynamique politique

Ces remarques nous ramènent à notre première constatation ; le nationalisme religieux, chez nous, fut souvent apolitique et même antipolitique. Son expression abstraite d'une unanimité purement nationale écartait la perception juste des rapports de force qui s'inscrivaient dans la réalité de noire collectivité et de ses structures sociales. Les nationalistes du passé se sont souvent plaints, par exemple, du désintéressement du monde ouvrier vis-à-vis de la question nationale. Pourtant celui-ci souffrait de la domination étrangère. Mais il ne pouvait pas, pour autant, s'identifier à une idéologie qui faisait bon marché de sa situation propre dans la nation et noyait les vraies conjonctures conflictuelles internes. Son agressivité, au moins latente, vis-à-vis des curés, des professionnels, des hommes politiques, des petits bourgeois, ne s'est jamais résorbée dans l'idéologie dominante. Le corporatisme catholique autant que la littérature nationaliste n'avaient aucun attrait sur lui. On lui demandait une foi aveugle en la nation et en l'amour égalitaire de la charité chrétienne. Il pressentait la fumisterie d'une telle mystique qui ne changeait rien à son sort. Après avoir travaillé pendant de nombreuses années dans ce milieu, nous savons que le monde prolétaire de chez nous sent très bien le mépris dont il est l'objet, un mépris d'autant plus humiliant qu'il vient des élites de sa propre communauté culturelle. Les élites nouvelles, disons-le, ne font pas mieux que les anciennes. De même en est-il de ceux qui se repaissent des multiples romans, pièces de théâtre et films québécois qui montent en épingle les moindres travers des gens du peuple. Ceux-ci retrouvent-ils leur dignité et leurs vraies valeurs dans cette dépréciation systématique ? Relève-t-on quelqu'un en l'assommant davantage ? Ces nouveaux définisseurs rejoignent ceux du passé. Avec eux, ils partagent la même carence d'un sens politique averti. 

Mais qu'en est-il du comportement politique lui-même au cours de notre histoire ? Il semble que les québécois aient accordé leurs suffrages aux formations politiques qui utilisaient davantage la corde nationaliste, par exemple, aux libéraux fédéraux face à leurs oppo­sants conservateurs, à l'Union nationale autonomiste, aux libéraux provinciaux de la révolution tranquille. Mais comment expliquer la victoire des conservateurs fédéraux au Québec en 1958, l'émergence tenace des créditistes, la défaite du cabinet Lesage en 1966, le succès duit Trudeau peu québécois en 1968 ? Comment comprendre ces votes populaires contradictoires qui élisaient successivement des autonomistes à Québec et des centralisateurs à Ottawa ? On ne nous convaincra pas facilement qu'il s'agissait là d'un calcul politique clairement voulu par le peuple québécois. 

Si des partis ont pu marquer des points grâce à des positions nationalistes, nous ne saurions conclure que cette carte a été le plus souvent décisive dans l'itinéraire politique du Québec. C'est souvent à cause de conditions internes de pouvoir, de manœuvres électorales et de bien d'autres problèmes que les renversements ont été provoqués, et cela même au moment des vagues nationalistes comme dans les années 30. Même au cœur des votes dits nationalistes, il y avait des incongruités peu rassurantes. Comment les québécois s'identifiaient-ils à Laurier, à St-Laurent, à Trudeau lorsqu'ils les ont élus ? Les attitudes centralisatrices de ces derniers rencontraient difficilement les aspirations propres du Québec. Par ailleurs, depuis quelques décennies, les positions autonomistes des gouvernements provinciaux réussissaient davantage quand un parti adverse dirigeait à Ottawa. Duplessis en a bénéficié, les libéraux provinciaux de 60 aussi, de même que leurs successeurs. Bélanger et Lemieux, dans leur travail déjà cité, notent ici que les rapports Québec-Ottawa passaient au second plan dans les périodes de crise interne socioéconomique, administrative ou électorale. Par exemple, au seuil de 60, l'Union nationale ne pouvait plus exploiter l'épouvantail de la centralisation, tellement la politique québécoise avait accumulé des problèmes de tout ordre. 

Une autre constante se révèle dans le type d'exploitation nationaliste des partis traditionnels. Ils l'ont toujours utilisé soit à partir de questions secondaires, soit de manière à faire oublier leurs propres insuffisances ou les problèmes internes les plus cruciaux. Nationalisme et religion ont subi à peu près les mêmes traitements de la part des hommes politiques québécois. Ils s'en servaient surtout pour les besoins de la cause, du parti. Allons-nous conclure qu'ils étaient moins marqués par les idéologies traditionnelles que le peuple lui-même l'a été ? Si oui, ce ne fut sûrement pas à cause d'une vision politique plus haute et plus critique. 

Ces jugements sévères mériteraient d'être nuancés. De plus, nous voulons donner à la réalité humaine une cohérence qu'elle n'a pas. Que d'impondérables échappent à nos interprétations les plus scientifiques. Nous présupposons implicitement et naïvement que les comportements politiques ou autres obéissent d'abord à la rationalité, à la logique des moyens et des fins, à l'application d'une échelle des valeurs. Tous nos points de repère restent précaires. Voilà pourquoi nous nous méfions de ceux qui proposent des cadres analytiques trop rigides ou trop simples, encore plus des idéologues nationalistes ou anti-nationalistes qui groupent tout, autour d'un seul pôle de référence. Pour ce qui nous concerne au Québec, le moins que nous puissions dire, c'est que nous avons eu rarement de vraies politiques avant 1960, encore moins une politique nationaliste cohérente et dynamique. Et même depuis ce tournant, les progrès accomplis ne rencontrent pas les exigences politiques dont nous sommes de plus en plus conscients.

Par delà des jugements superficiels

Nous venons d'accumuler toute une masse de questions qui sont restées en filigrane de ce premier examen. Au seuil d'options politiques peut-être décisives au Québec, nous devons procéder à une évaluation plus sérieuse des forces nationalistes et religieuses, anciennes et nouvelles, dans leurs rapports avec les autres forces d'ordre politique ou idéologique, dans leurs incidences au sein des conjonctures passées et présentes, et aussi dans leurs dynamismes d'avenir. Un second regard nous les fera découvrir sous un angle plus positif que celui des procès que nous venons d'évoquer. Elles nous révéleront leurs ambivalences, leur caractère polymorphe. Sans doute faudra-t-il y démêler l'archaïsme latent et les phénomènes de pointe qui semblent co-exister dans leurs formes actuelles, les éléments réactionnaires et les valeurs de dépassement. Nationalisme et religion connaissent des mutations profondes que ne voient pas des esprits superficiels ou obnubilés par des préjugés. Nous ne les rapprochons pas ici pour les assimiler l'un à l'autre, mais pour signaler des attitudes semblables chez certains opposants au premier comme à la seconde. Ceux-ci ont trop vite fait de les condamner en bloc. De part et d'autre, ne risque-t-on pas de céder à un globalisme qui bloque toute démarche rationnelle, à la fois critique et constructive. 

Une dynamique du provisoire

Des phénomènes aussi complexes, réfractés dans les situations les plus diverses, susceptibles d'évoluer comme de régresser, ne laissent pas prise à des jugements tout faits. Notre analyse, par exemple, du néo-nationalisme actuel dépasse difficilement le plan des hypothèses. Il en va autrement quand il s'agit de passer à des décisions et à des engagements. Là nous devons accepter les impondérables inévitables de toute action politique ou autre, même si nous avons pesé avec le plus de soin et de rigueur possibles les différents aspects de la question. Il y a toujours un minimum de décalage entre l'analyse d'une option et l'option elle-même. Nous en avons pris particulièrement conscience dans cette recherche. Mais l'honnêteté intellectuelle nous amène à fouiller les creux et les ombres aussi bien que les reliefs et les points lumineux, de telle sorte que le lecteur connaîtra peut-être à soit tour la tension dune telle dialectique, surtout s'il a des options politiques ou religieuses bien définies. Il trouvera dans ce travail ni thèse, ni synthèse, mais des points de repère qui le renverront à son propre jugement. 

Tout au plus ambitionnons-nous un essai qui se veut une dynamique du provisoire, un essai multi-disciplinaire qui reprend parfois les mêmes événements, les mêmes réalités sous des modes d'approche différents, Inutile de dire les limites duit tel projet surtout quand il est poursuivi par le même homme. Mais ne sommes-nous pas réduits les uns et les autres, dans nos options politiques, religieuses ou autres, à une démarche qui doive tenir compte des principales dimensions de toute réalité humaine et de l'éclairage de diverses disciplines ? Pensons aux implications économiques de l'option souverainiste chez nous, si nous nous en tenons à la logique de certains plaidoyers, seuls les économistes chevronnés pourront tout à l'heure parler sûrement de nationalisme ou de fédéralisme, ou voter judicieusement. Pensons aussi aux réformes de l'Église ; certains clercs et chrétiens ne semblent pas comprendre qu'en dehors du Pape et des évêques, il y a d'autres sources de discernement et d'authentification, que des athées peuvent critiquer la religion avec justesse et honnêteté. 

Approche multi-disciplinaire et praxis 

Cette dernière observation nous introduit dans la seconde partie de cet ouvrage où d'autres mises au point nous apparaissent nécessaires. Ceux qui connaissent un tant soit peu les débats du dernier siècle chez les spécialistes du phénomène religieux, soupçonnent déjà les difficultés que représente l'articulation d'une analyse qui veut respecter à la fois les méthodes et les fins de la théologie et des autres sciences. Il s'agit de deux univers scientifiques dont les artisans respectifs se sont longtemps méconnus. Certains nient toute valeur scientifique aux recherches théologiques. À l'opposé, des théologiens refusent, par exemple, les critiques des modèles sociologiques ou autres qui sous-tendent leurs propres travaux. Au moment où la théologie s'interroge sur elle-même, sur ses instruments de réflexion, sur ses finalités propres, nous croyons qu'elle bénéficierait beaucoup d'une plus grande attention aux apports très précieux des sciences humaines d'observation. Des théologiens n'ont pas hésité à engager le dialogue avec les diverses écoles de philosophie ; mais souvent ils ne sont pas allés plus loin. Or, c'est précisément ce cran d'arrêt qui a empêché l'exercice d'un rôle très important de la réflexion théologique, à savoir l'explicitation des praxis chrétiennes et ecclésiales en rapport avec les autres formes de praxis dans le passé comme dans le présent. 

L'absence dune exégèse bien articulée de l'actualité historique laisse les croyants à eux-mêmes devant la plupart des défis concrets de l'existence chrétienne contemporaine, et maintient la pauvreté des points d'appui de certaines orientations données par les autorités religieuses. Nous le constatons sans peine à chaque fois que nous abordons des problèmes particuliers. C'est le cas du sujet que nous traitons ici. Les récentes élucubrations théologiques sur les relations entre le christianisme et la politique restent bien peu utiles pour éclairer les rapports entre nationalisme et catholicisme, par exemple, ou pour répondre aux questions du croyant dans ses engagements temporels, surtout politiques. Est-ce que l'Évangile et la foi sont incompatibles avec une pensée et une action de type révolutionnaire ? Trop souvent la réflexion chrétienne vient coiffer une culture et une praxis politiques très pauvres chez des théologiens. C'est parfois l'inverse chez des militants chrétiens. Deux mondes parallèles viennent ici se superposer au divorce qui existe déjà entre les chrétiens de pointe, les témoins prophétiques, les dynamismes charismatiques actuels, d'une part, les structures et les autorités officielles, d'autre part. Un dialogue cohérent ne saurait reprendre que sur des terrains plus limités, mieux circonscrits. C'est ce que nous allons tenter de faire dans cette deuxième partie de l'ouvrage.

Religion et culture

Les sciences humaines de la religion ont étudié les relations étroites qui ont existé entre la religion et la culture dans les sociétés traditionnelles. Il était même évident qu'on ne pouvait étudier l'une sans l'autre, tellement leurs composantes respectives s'entremêlaient de façon inextricable, du moins au premier regard. C'est sur cette toile de fond que se tissaient les rapports sociaux et politiques. Nous en trouvons des exemples saisissants dans les communautés primitives comme dans les sociétés pré-industrielles les plus près de nous. Sans doute faudrait-il nuancer à l'infini chacune des considérations que nous suggère un domaine aussi complexe. Songeons, par exemple, aux diverses incidences de la variable économique dans l'organisation socio-politique, dans la vie culturelle et religieuse de telle ou telle société. Les nombreuses disciplines scientifiques ont multiplié thèses et hypothèses pour expliquer les différents types de rapport entre ces dimensions de l'existence que l'on retrouve dans toutes les communautés humaines. Personne ne saurait prétendre à une vue globale et exhaustive de cet ensemble de phénomènes qui comporte tant de variantes dans le temps et dans l'espace. Plus la recherche scientifique avance, plus les théories se relativisent, se complètent, ou se contredisent. Nous récusons plus facilement aujourd'hui les schémas unitaires qui voudraient enfermer dans leurs frontières un aussi vaste éventail d'expériences humaines individuelles et collectives. Par ailleurs, nous ne nions pas ici l'importance des idéologies, des visions du monde que l'homme ou les groupes humains toujours en situation particulière, essaient de fabriquer pour unifier leur vie et assurer la meilleure intégration possible à tous les plans. Il s'agit plutôt d'un refus critique de toute explication globale qui se couvrirait du manteau d'une science ou l'autre ou d'une quelconque dogmatique indiscutable. Partout où l'expérience humaine est impliquée, nous devons dépasser, sans les écarter, les schèmes mécanicistes et organicistes qui ne rendront jamais compte totalement des intentionnalités sous-jacentes aux structures et aux praxis même les plus claires et limpides. Cette affirmation s'applique davantage à l'univers culturel et religieux qui véhicule tant d'impondérables et de valeurs difficilement saisissables. Nous serons donc obligé non seulement de bien circonscrire nos objectifs, mais aussi de relativiser sans cesse nos démarches et leurs contenus. 

Nous retiendrons surtout la tradition judéo-chrétienne, et en celle-ci, le catholicisme. Nous les interrogerons sous un angle bien déterminé, à savoir le nationalisme, tel qu'il s'est révélé sous ses multiples formes depuis le XIXe siècle. Comme point de référence et de vérification, nous porterons une attention particulière à l'expérience québécoise du nationalisme et du catholicisme. Le pôle politique recevra un traitement privilégié en regard du pôle culturel, même s'ils sont inséparables dans le cas du nationalisme. Un tel examen nous a forcé à une nouvelle confrontation entre le christianisme et la politique et à un regard critique sur la situation de l'Église catholique dans le monde actuel, et particulièrement dans le contexte nord-américain et québécois. Par ailleurs, il était difficile d'éviter certaines incursions comparatives dans d'autres champs d'expérience. A ce plan, nous avons risqué certaines hypothèses qui invitent à une prudence très critique puisqu'il s'agit de terrains moins bien connus par l'auteur. L'évolution du catholicisme, en Amérique latine, par exemple, aurait exigé de notre part une investigation beaucoup plus poussée. La consultation de d'autres études semblables à la nôtre permettra de mieux cerner un sujet aussi vaste et d'y apporter les correctifs nécessaires. On se rappellera que ce travail reste un essai qui cherche à dégager non pas une synthèse, mais des points de repère pour un discernement spirituel et un jugement politique sur le nationalisme et la religion dans des aires bien déterminées. 

Notre dernière remarque comporte un autre rappel. Nous nous sommes situé carrément dans notre appartenance judéo-chrétienne, tout en assurant une certaine distance critique surtout d'ordre sociologique. Nous ne voulons en aucune façon camoufler nos options religieuses et politiques, et notre approche principalement théologique dans la seconde partie. Ce n'est donc pas la vision d'un chercheur qui regarde les choses de l'extérieur avec cette objectivité hélas ! très souvent naïve, surtout quand il y va d'une ou l'autre dimension de la condition humaine. Nos consciences modernes sont trop averties des multiples formes de conditionnement pour laisser prise aux illusions faciles d'un scientisme pur. Loin de nous la tentation de mépriser les efforts d'objectivation scientifique des phénomènes humains. Mais comme bien d'autres, nous en mesurons les terribles limites. Certains maîtres nous ont trop leurré en ce domaine, malgré toutes leurs bonnes intentions d'honnêteté intellectuelle. N'y a-t-il pas ici une des sources de la crise actuelle des sciences humaines et surtout de celle des théologies qui laissaient en veilleuse la critique de leurs emprunts et de leurs conditionnements historiques, culturels et idéologiques ? Nous ne voulons pas passer à côte de ce défi pour éviter un reproche de cet ordre, ou pour laisser entendre qu'il est insurmontable. Nous respectons tous ces efforts actuels d'objectivation dans les sciences humaines avec les recours à des dispositifs critiques de plus en plus raffinés. Mais nous affirmons simplement que notre propre réflexion s'inscrit dans des appartenances et des engagements qui seront explicites au cours de celle analyse. Ce que nous contestions plus haut, c'est toute la part d'implicite et d'inavoué que comportent trop d'études de ce genre, surtout quand leurs auteurs se réclament de la science la plus pure et d'un désintéressement total.


* Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[1] Nous nous inspirons ici d'un travail présenté par V. Lemieux et A. Bélanger à un colloque sur le nationalisme, à l'Université Laval, en février 1969 (texte ronéotypé).


Retour au texte de l'auteur: Jacques Grand'Maison, sociologue québécois (1931 - ) Dernière mise à jour de cette page le samedi 29 avril 2006 10:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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