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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Nouveaux modèles sociaux et développement. Tome 2. (1972)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jacques Grand’Maison, Nouveaux modèles sociaux et développement. Tome 2 (pp. 231 à 491) Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH ltée, 1972, 491 pp. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi.

[9]

Jacques Grand’Maison

Des milieux de travail à réinventer

INTRODUCTION

NOTRE DÉMARCHE ET SES LIMITES

Un premier regard sur certaines expressions privilégiées dans notre société est déjà gros de toute une philosophie de la vie. Par exemple, « les biens de consommation » qualifient toute une façon de voir très répandue. On dira : j'ai du travail, des diplômes, de la santé, du plaisir. L'activité proprement humaine est résorbée dans une possession superficielle, en quelque sorte extérieure à l'homme, à son être, à sa dynamique de vie. Même le vouloir est substantivé, « chosifié », comme le note Y. Illich. L'éducation est un bien, une chose à acquérir et non une activité autolibérante, autoconstructrice de l'homme, Et que dire du travail devenu un pur instrument pour obtenir des biens de consommation. Le travail moderne a pris de plus en plus les caractéristiques de la machine. Chez bien des gens, il ne fait plus partie intégrante du projet de vie. Les centres d'intérêts humains sont ailleurs.

Au nom de la civilisation postindustrielle, d'aucuns croient que le travail a perdu ses lettres de noblesse. À quoi bon instaurer un procès des organisations industrielles, alors que le centre de gravité n'est plus là. Peu importe si l'activité laborieuse a été vidée de ses contenus humains, il faut chercher des solutions dans d'autres champs d'expérience.

Et pourtant, nous sommes encore dans un monde qui continue d'industrialiser et de commercialiser toutes les dimensions de la vie individuelle et collective. L'homme est plus industrialisé que jamais, et cela, selon des modèles de plus en plus aliénants. Les milieux de travail soumis aux nouvelles contraintes de l'administration programmée révèlent une insatisfaction croissante. Mauvaise utilisation de ces précieux apports technologiques ? Le problème est plus profond. Il appelle une critique non seulement politique, mais aussi philosophique. « L'homme est plus grand que ses œuvres », disait récemment G. Friedmann. Qu'arrive-t-il quand celles-ci l'écrasent ou lui enlèvent ce qu'il y a de plus cher dans [10] son humanité ? Ne songeons pas uniquement au dossier noir des guerres incessantes, des pollutions sans retour. Ne nous limitons pas non plus aux servitudes de l'automobiliste dans le centre-ville, à la passivité du téléspectateur, à l'aliénation du travailleur à la chaîne. Il y a plus : l'exploitation de l'homme par l'homme, au travail comme ailleurs, la réification de la plupart des activités personnelles et sociales.

Nous ne rêvons pas l'homme « total » des sociétés primitives ou l'autosuffisance de la commune idéalisée. Il faut garder prise sur le pays réel. Que faut-il faire pour que l'outil lui-même n'échappe pas au contrôle de l'homme, pour vaincre une organisation qui fait de celui-ci un pur instrument ? Avouons d'abord que les robots de Huxley et de tant d'autres techno-futuristes ont la vérité de certaines caricatures. Même au moyenâge on rêvait de fabriquer un homoncule en laboratoire, pour remplacer des serfs encore trop intelligents et critiques. D'une époque à l'autre, depuis la plus lointaine antiquité, les conceptions négatives du travail se sont imposées dans la plupart des cas. Les aspects positifs venaient de l'extérieur, par exemple, le succès matériel des efforts comme bénédiction divine chez les puritains. Il s'agissait toujours d'une vertu extra-déterminée. Déterminismes et conditionnements ont pris tout simplement d'autres visages. Le néo-behaviorisme d'un R. Skinner nous montre les énormes possibilités nouvelles de manipulation des hommes par des techniques sociales de plus en plus raffinées ; ce qui ajoute aux révélations inquiétantes des autres structuralismes scientifiques.

Vue sous l'un ou l'autre angle, la question du travail nous renvoie aux principaux défis de notre civilisation et plus profondément à nos conceptions de l'homme et de la société, au sens de l'agir humain, aux options fondamentales des aventures personnelles et collectives. Certains se contentent de viser une humanisation interne au travail sans accepter de critiquer les conditions structurelles et idéologiques qui aliènent le travailleur et son activité propre. D'autres se placent carrément dans une perspective politique, souvent de type révolutionnaire, où la libération du travail dépendra de l'instauration d'un nouveau système socio-politique. Quelques-uns formulent des points de vue plus stratégiques. Tel ce syndicaliste qui disait récemment : « Le consomme et tais-toi est la règle d'or du néo-capitalisme. Nous ne nous résignons pas a ce que la finalité de la production reste ce qu'elle est. L'affranchissement de la pauvreté, les moyens de vivre à l'extérieur de l'entreprise, l'utilisation des loisirs ne sauraient masquer la nécessaire libération dans le travail, c'est-à-dire la démocratisation du processus de production. »

[11]

Le mouvement ouvrier a payé cher le dur combat qu'il a soutenu depuis les débuts de l'industrialisation. Se peut-il qu'on ait perdu en cours de route certaines pratiques et intentions du départ ? A-t-on compris le retournement philosophique et politique que Marx voulait opérer dans les vieux modèles culturels ? Nous pensons ici a la « . praxis » vue comme modèle de connaissance et de transformation du monde. Tout le contraire de la fausse conscience idéologique dont se servaient les pouvoirs dominateurs pour maintenir des vieux modèles de soumission au coeur des rapports sociaux. Nous avons souvent fait le jeu des superstructures imposées en adoptant des réflexions critiques et des stratégies « d'en haut ».

Chez Marx, l'expérience du travailleur, de son travail, de son milieu de vie offrait le premier terrain d'exercice de la dynamique historique, à la fois critique et créatrice, du monde ouvrier. D'où l'importance qu'il accordait à une démarche praxéologique capable d'articuler le vécu, l'action et la pensée, le savoir être, vivre, dire et faire collectif des travailleurs, l'expérience réfléchie, la conscience de classe et la création collective. Bien sûr, nous ne retenons ici qu'un aspect de sa riche vision de l'homme et du monde qu'on a si souvent réduite dans l'une ou l'autre filière de nos descriptions modernes : sociologie, économie, politologie ou philosophie. Idéologue attardé, prophète du XXIe siècle, penseur éclectique, que n'a-t-on pas dit pour faire l'économie de cette praxéologie qui exige un retournement anthropologique radical. Et, c'est précisément par une réflexion critique sur les praxis de travail et sur les rapports sociaux correspondants que Marx a opéré un tel renversement de perspective.

Notre propre démarche emprunte à cette intelligence historique transformante, peut-être d'une façon bien maladroite. Les spécialistes des disciplines précitées, à tour de rôle, pourront nous servir de sévères critiques. Le terrain circonscrit de notre réflexion s'y prêtera fort bien. Nous n'avons pas évoqué ici le vieux Marx pour nous couvrir artificiellement et prétentieusement d'une grande autorité ou pour nous donner des petits airs de gauche. Nous savons notre propos très limité et très vulnérable. Il s'agit plutôt ici de signaler où nous avons trouvé cette dynamique de la praxis. Depuis longtemps, cette influence a joue sur notre façon de penser et d'agir. Nous avons découvert, dans de multiples expériences en milieux populaires, comment les praxis vécues étaient des lieux privilégiés d'une analyse, d'une pédagogie et d'une stratégie d'action inséparables. Évidemment, il existe d'autres voies de pensée et d'action. La diversité des sciences humaines en témoigne. Mais nous croyons qu'il faut toujours retourner à cette liberté concrète de l'expérience réfléchie, surtout quand on aborde des questions comme celles du milieu de travail, des praxis quotidiennes, des cadres familiers d'existence.

[12]

Est-ce nous condamner à de courts horizons ? Nous avons tenté d'éviter cette chausse-trappe en prospectant certains grands courants culturels qui commencent à féconder le sous-sol des milieux de vie. Cette gestation n'a pas encore produit des fruits visibles. Ce sont des intuitions, des aspirations, et même des anticipations qui n'ont pas encore des formes sociales ou politiques bien définies. Mentionnons ici quelques-unes de ces grandes tendances praxéologiques qui peuvent contribuer à inventer de nouveaux milieux de vie et de travail.

LES POINTES ACTUELLES
DES PRAXIS NOUVELLES


1. Une dynamique d'autodétermination et d'autodéveloppement collectifs. qui mise d'abord sur les ressources du groupe ou du milieu. Ce n'est un secret pour personne, nos sociétés modernes en « surspécialisant » l'homme, le travail, les institutions ont accru le coefficient de dépendance. Nos grandes villes, dans une nouvelle économie de pénurie, connaîtront peut-être des crises encore plus graves de ravitaillement, de congestion. Pensons à nos expériences de panne d'électricité. Plus grave encore est la situation du citoyen de la mégalopolis et de l'automation. Il sait faire peu de chose surtout pour ce qui a trait aux activités et aux besoins primaires. Il a perdu cette plasticité de l'homme des communautés autosuffisantes de jadis. Les progrès techniques nous empêchent d'idéaliser les communautés primitives dont nous connaissons les servitudes. Par ailleurs, on pose trop rarement ce problème de la vulnérabilité de l'homme, de la ville, de la société moderne. Le modèle chinois est un exemple d'invention sociale d'une nouvelle forme d'autosuffisance collective. Il existe sans doute d'autres possibilités plus accordées à nos sensibilités et particularités culturelles. C'est ce que suggérait récemment R. Dumont dans l'Utopie ou la mort (Seuil, 1973). Une telle orientation commence souvent par un autre style de travail, comme premier jalon d'un nouveau projet de société. Nous retrouvons ici une préoccupation de Marx. Et nous voulons reprendre à notre compte cette visée praxéologique.

2. Une dynamique transhiérarchique. Notre démocratie libérale, en dépit de ses prétentions récentes à la participation, montre des modèles hiérarchiques descendants. Les pouvoirs, les savoirs et les avoirs suivent cette échelle hiérarchique. On a multiplié les strates, les statuts, les structures intermédiaires, les paliers de décision au point de faire oublier le vieux modèle autarcique toujours prévalant. C'est sans aucun doute dans l'organisation économique que ces fictions démocratiques peuvent [13] être dénoncées  le plus crûment. Sous un angle positif, cela laisse entendre que des gains du côté d'un travail autogéré auraient des effets catalyseurs de mutations profondes.

Les appoints de la technocratie pour servir les pouvoirs dominants sont parvenus à des limites critiques. Par exemple, on en arrive à des terribles congestions bureaucratiques. Il faut réinventer des structures courtes. Le monde de l'organisation du travail, comme nous le verrons, nous apparaît comme un premier test de vérité et un premier banc d'essai. Déjà les programmations de l'ordinateur révèlent leurs limites quand il s'agit d'organiser le travail quotidien d'une usine, d'une banque, d'un hôpital ou d'une école. C'est à la base, dans le milieu de travail lui-même, que ça ne fonctionne plus. Encore ici, nous avons acquis la conviction qu'une technique ne suffit pas pour inventer une praxis collective dans un champ humain d'activité. Il serait illusoire de croire qu'il s'agit tout simplement d'aider les travailleurs à maîtriser cette nouvelle technologie, sans pour cela remettre en cause les hiérarchies de pouvoir, les monopoles de l'expertise technocratique et les labyrinthes bureaucratiques.

3. La fonction critique libératrice. C'est en éducation surtout que certains changements culturels révolutionnaires s'expriment. Des modèles d'imitation, de soumission et d'assimilation, on est passé à des modèles d'adaptation fonctionnelle pour déboucher sur des modèles critico-créateurs. Moins soumis à certaines contraintes économiques, les milieux d'éducation ont vu l'émergence d'une fonction critique libératrice véhiculée par une jeune génération qui jouissait d'une liberté inédite, peut-être, dans l'histoire. D'où cette révolution culturelle qui s'exprime dans ce champ privilégié. Bien sûr la fonction critique s'exerce aussi sur le plan politique. Certains analystes voient ce phénomène comme une caractéristique de l'époque actuelle. Le sens critique s'est aiguisé. Il s'est même donné des formes poussées de contestation. Il a défini des dynamiques historiques de libération. La pédagogie en éducation essaie de harnacher cette tendance diffusée partout dans la société. Or, qu'arrive-t-il dans un milieu de travail traditionnel envahi par une jeune génération autrement plus critique que les précédentes ? On a très peu évalué ce choc psychologique et culturel et ses conséquences politiques dans le contexte actuel, et surtout dans un avenir rapproché. Combien de théories et de pratiques de l'administration ne résisteront pas à cette poussée ?

4. La création collective. Y a-t-on jamais cru ? Ce qu'il y a de sûr, c'est que notre société libérale a misé sur un darwinisme individualiste. En matière culturelle, on continue d'exalter le génie personnel ou le héros [14] au-dessus de la plèbe. Le chef reste un symbole clef. Bref, plusieurs hésitent à s'engager dans le risque des créations collectives. Cela sert bien les visées idéologiques et potestatives des « élites - » bourgeoises. Visées que partagent d'une façon non critique beaucoup d'hommes du peuple. Le mouvement ouvrier l'a compris en faisant précéder cette deuxième phase d'une première expérience de libération collective. Les militants ont appris le prix et l'importance de la solidarité ouvrière. Mais, à notre avis, ils tardent trop à mettre à profit les dynamismes refoulés de créativité collective. Il nous faudra d'abord faire la preuve par la négative en montrant les conséquences énormes d'un statut de pur exécutant au travail, en pointant aussi les possibilités d'expériences collectives fécondes avec leurs retentissements sur les autres dimensions de la vie privée et publique. La créativité collective est constitutive d'une praxis sociale du travail. Son absence est désastreuse dans un itinéraire humain et dans une classe sociale. Peut-il même y avoir une politisation à long terme sans elle ? Nous ne sommes pas sûr que beaucoup de militants ont pris au sérieux cette question ? Des mouvements de base ont pourtant indiqué clairement cette orientation de leurs aspirations et de leurs praxis sociales. Ils ont dû se créer des terrains autonomes ou même des structures parallèles pour libérer la créativité collective. De grandes institutions de combat comme les partis et les syndicats ont mis du temps à comprendre cet élan nouveau qui véhicule des dynamismes indéniables. Ne faut-il pas faire pénétrer ceux-ci dans les grands circuits collectifs, dans le trafic quotidien ordinaire pour une plus large diffusion ?

5. Le nouveau statut de citoyen. Une simple observation de l'évolution sociale et politique récente, chez nous, nous fait découvrir une conscience nouvelle et plus accusée du statut de citoyen. Est-ce un résultat des efforts plus ou moins réussis de démocratisation de l'école, de l'hôpital, du service social, des partis, des regroupements régionaux ou encore des rénovations urbaines ? Les sources viennent de phénomènes plus profonds, comme ceux que nous venons de mentionner. Même des citoyens juges conservateurs deviennent plus critiques, plus vigilants. Des minorités de plus en plus larges revendiquent des responsabilités d'évaluation et de contrôle. Elles veulent exercer, au nom d'une citoyenneté plus démocratique, une influence plus déterminante sur les choix et les décisions dans les divers secteurs de la vie collective. Évidemment, il y a des contre-courants chez des majorités silencieuses qui favorisent un pouvoir unifié, contraignant et sécuritaire. Les crises récentes ont projeté le balancier d'un extrême à l'autre. Mais nous croyons, au bilan, que la conscience du citoyen est devenue plus alertée, plus active. Elle aspire à d'authentiques responsabilités, à un exercice plus poussé de sa liberté.

[15]

Des tendances idéologiques commencent à mieux se dessiner en dépit des énormes forces de manipulation et de neutralisation de l'opinion publique. Les débats autour de l'information en font foi. De même, l'impact des scandales politiques et financiers. Les crises économiques récentes, celles de la monnaie ou du pétrole, ont forcé les grandes entreprises privées à sortir de leur underground insaisissable. C'est souvent par le biais des problèmes de consommation que des questions importantes ont fait surface sur la scène publique. Il s'agit d'une bien timide percée qui n'a pratiquement pas mordu sur le monde si important de la production et sur les pouvoirs économiques décisifs. Ici, le nouveau statut de citoyen reste périphérique. Mais l'évolution marquée sur d'autres terrains pourrait ou devrait refluer au cœur de l'activité économique comme telle.

Fallait-il passer par cette première phase ? A-t-on commencé par le bon bout ? S'enferme-t-on dans une démocratisation résiduelle et inoffensive ? Le mouvement ouvrier, historiquement, n'a-t-il pas visé l'univers de production comme cible prioritaire ? Est-ce que ce nouveau statut du citoyen ne sert pas d'écran à l'aliénation du travailleur, de son travail, de sa classe sociale ? Est-ce que l'univers privilégié de la consommation engendre une psychologie apolitique de classes moyennes ? Atteint-on les problèmes de fond en développant parallèlement des politiques sociales de redistribution des richesses selon les prétendus minima démocratiques, le revenu garanti par exemple ? Autant de questions qui surgissent chez les travailleurs les plus lucides. Elles les amènent de plus en plus à interroger leur expérience de travail comme principal carrefour critique.

6. Les nouveaux modèles sociaux. Nous avons tenté de les décrire et de les analyser dans un ouvrage récent (Nouveaux modèles sociaux, H.M.H., 1972). Retenons une constatation importante en l'occurrence, à savoir leur quasi absence dans l'organisation du travail. Comment expliquer que, cette activité quotidienne a été peu touchée par les militants et les créateurs sociaux ? L'explication semble être facile : on agit plus difficilement sur des terrains qu'on ne possède pas. Alors les forces sociales, culturelles et politiques se concentrent sur des institutions qui relèvent déjà de la propriété collective. « Mauvais calcul, diront certains, puisque les forces économiques étrangères à la collectivité et à ses intérêts gardent un pouvoir décisif, pour défaire, neutraliser ou marginaliser ces nouvelles formes de solidarité, d'action et de vie collective. » Et pourtant, n'y a-t-il pas en celles-ci un stock impressionnant d'expériences précieuses ? Le milieu de travail est-il si différent des autres milieux de vie quand il s'agit de certaines praxis sociales fondamentales ? Voyons un exemple.

[16]

Certaines démarches sociales ou politiques sont marquées par des attitudes qui révèlent la primauté de l'un ou l'autre modèle social.

Attitudes « contractuelles » qui s'ajustent sur le contrat provisoire négocié, formulé, exécuté, contrôlé, par les parties dans un champ très circonscrit. Attitudes « juridiques » toutes centrées sur le code comme modèle clé de pensée et d'action.

Attitudes « Politiques » dont le modèle principal est le projet-cadre, qui initie au processus démocratique comportant des fonctions fondamentales : formulation démocratique de divers diagnostics sur la situation commune, façonnement d'un cadre cohérent de débats, établissement d'objectifs et de priorités, programmation et contrôle de l'exécution.

Cette typologie non exhaustive et un peu simpliste a du moins l'avantage de nous alerter sur les modèles plus ou moins implicites qui sustentent certaines praxis. Pensons ici à l'activité syndicale où l'on est passé tour à tour du contrat au code du travail avant de déboucher récemment sur des modèles plus politiques comme le projet-cadre. Mais dans quelle mesure plusieurs milieux de travail ne sont-ils pas restés enfermés dans le contrat libéraliste privé ? Les travailleurs de base ont-ils été initiés à de vraies démarches politiques dans l'exercice quotidien de leur expérience de travail ?

Il existe d'autres faisceaux de modèles sociaux qu'il faut mieux connaître parce qu'ils interviennent invisiblement dans certaines confrontations entre les travailleurs.

Modèles hiérarchiques centrés sur les valeurs d'autorité, de stabilité, de fidélité et de sécurité.

Modèles fonctionnels qui valorisent l'efficacité, la rentabilité, l'adaptation, la capacité individuelle.

Modèles relationnels plus attachés aux valeurs de solidarité, de liberté gratuite, de vie communautaire.

Modèles interactionnels qui articulent fonction critique et fonction créatrice, technique et politique, sécurité et risque, liberté et responsabilité, participation et efficacité.

Ceux qui ont une certaine expérience de l'intervention collective dans l'une ou l'autre aire de notre société, savent ce qu'il en coûte pour façonner une cohérence politique minimale, soit dans les débats ou dans les luttes, soit dans les projets, soit dans les expériences de concertation. Les milieux homogènes sont plutôt rares, même dans ses secteurs limités de la base. Il faut donc mieux s'équiper pour assumer une complexité sociale grandissante.

[17]

L'ARCHITECTURE DE L'OUVRAGE

 Voilà nos principales orientations de recherche et d'expérience. Notre travail va se déployer en deux temps, d'abord une approche plus analytique sur la praxéologie du travail, puis une approche plus opérationnelle dans l'expérimentation d'un cas type. Cet ouvrage est consacré au premier temps.

Nous commençons par cerner le champ historique actuel des praxis sociales Par rapport au monde du travail. Un deuxième chapitre prospectera les dynamiques collectives du travail.

Nous aborderons ensuite certaines grandes études qui analysent les expériences récentes de réorganisation du travail. Un cadre critique d'évaluation viendra jauger les différentes tendances dégagées auparavant.

Enfin, nous traiterons du milieu de travail comme tel. À quelles conditions peut-il être un vrai milieu de vie ? Comment le transformer par des démarches d'animation ? Quelles praxis culturelles, économiques et politiques précèdent, accompagnent et dépassent une organisation du travail qui se déploie dans des milieux toujours circonscrits, surtout au niveau des travailleurs de base.

En conclusion, nous renouons avec le cadre praxéologique de la première partie pour ouvrir des nouveaux horizons au champ d'action des praxis collectives actuelles dans le mouvement ouvrier.

L'ampleur de tels objectifs contraste avec la pauvreté de nos moyens et le caractère inchoatif de notre recherche-action. Mais ne sommes-nous pas dans un domaine où la plus petite contribution peut avoir un certain intérêt ? Il n'existe pas beaucoup de travaux de ce genre au Québec. Cette modeste introduction incitera peut-être à aller à des sources plus fortes, à des études plus poussées et plus satisfaisantes.



Retour au texte de l'auteur: Jacques Grand'Maison, sociologue québécois (1931 - ) Dernière mise à jour de cette page le jeudi 23 mai 2013 5:16
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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