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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Du jardin secret aux appels de la vie. Réenchanter la vie.
Tome II.
Réconcilier l'intériorité et l'engagement. (2004)
Approches symboliques du jardin secret


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jacques Grand’Maison, Du jardin secret aux appels de la vie. Réenchanter la vie. Tome II. Réconcilier l'intériorité et l'engagement. Montréal: Les Éditions Fides, 2004, 360 pp. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi. [Le 15 mars 2004, M. Jacques Grand'maison me confirmait, dans une lettre manuscrite qu'il m'adressait, son autorisation de diffuser la totalité de ses oeuvres dans Les Classiques des sciences sociales.]


[15]

Du jardin secret aux appels de la vie.
Réenchanter la vie. Tome 2.
Réconcilier l’intériorité et l’engagement

Approches symboliques du jardin secret
Approches symboliques
du jardin secret


Pour poursuivre dans le sillage de l'ouvrage précédent qui s'intitulait Réenchanter la vie, j'aborde celui-ci sous un mode symbolique qui se prête bien à l'évocation poétique qu'éveille en nous la métaphore du « jardin secret ». Qui n’a pas son propre paysage intérieur ? Un jardin secret où se loge le meilleur de soi-même et ce fond d'espérance envers et contre tous les aléas de sa vie. C'est là que l'âme trouve son langage, sa parole unique, le sens qu'elle donne à la vie. C'est aussi là où se tissent les liens entre notre intériorité et nos engagements, nos projets et nos rêves, nos soucis et nos espoirs. Sans compter les luttes « intestines » de ce qu'on appelait jadis ses démons intérieurs !

Eh oui, il y a en chacun de nous un jardin secret qui chante et enchante notre vie, nos amours et nos luttes. Comme tous les jardins, il est le fruit de patients labeurs à la « sueur de notre front ». Qu'il est bon de travailler la terre de ses mains ! On y retrouve le fil de la vie. Mais il faut de l'âme pour en goûter la saveur et la beauté.

La romancière Colette disait que « le jardinage lie les yeux et l'esprit à la terre ». il en va de même de notre jardin secret, qui relie nos sentiments et nos pensées à l'intimité de notre corps et de nos sens. Des expressions familières en témoignent. « On ne voit bien qu'avec le cœur. » « Écouter son cœur. » « Les yeux, miroir de l'âme. »

Le regard et l'écoute tiennent leur finesse d'une intériorité cultivée.

[16]

Saint-Exupéry dit que l'essentiel est invisible. Peut-être minimise-t-il notre condition charnelle, nos rapports à la matérialité du monde ? Le « jardin secret » figure magnifiquement l'enracinement de notre âme incarnée. Le spirituel humain est toujours incarné. C'est dans cette matrice première de l'unité intime et personnelle du corps et de l'âme que s'inscrit le mystère chrétien de l'incarnation de Dieu. Mais n'anticipons pas.

C'est avec ces expériences-là qu'on renoue avec sa vie intérieure et qu'on constitue son jardin secret en soi.

C'est de là d'abord que viennent nos désirs profonds de mieux vivre, de mieux aimer, de mieux s'orienter.

C'est là où se loge le plus humain en nous

Dans notre jardin intérieur...

La brise, c'est le souffle de notre âme

La pluie, nos larmes

Le soleil, nos amours

Les nuages, nos épreuves

Le sous-bois, notre intimité

Les sentiers, nos traces de vie

Les arbres, nos liens entre terre et ciel

Les fleurs, nos désirs les plus chers

Les feuilles tombées, nos souvenirs comme semences d'avenir.

Notre jardin secret est de toutes les saisons. Comme les conifères toujours verts, même dans les plus rigoureux froids de l'hiver.

Comme les sources d'avril qui distillent les parfums de mai.

Comme les bourgeons du printemps qui font éclore les feuilles, les fleurs et les fruits.

Comme les couleurs de l'automne déjà cachées dans la verdure des feuilles de l'été.

C'est dans notre jardin secret que notre âme trouve son langage, sa parole unique, le sens qu'elle donne à la vie.

Eh oui, il y a quelque part, mystérieusement, au plus intime de soi, un jardin secret. Un jardin secret pour intérioriser sa vie, pour l'habiter, l'enraciner, capter les sucs et les sources de sa terre et pour patiemment éclore, fleurir, mûrir et porter fruit.

[17]

Un jardin secret pour se ressourcer, se ré-inspirer, rebondir en confiance, repartir à neuf et en neuf, pour réenchanter sa vie, retrouver la joie et le goût de vivre, d'aimer, de lutter et d'espérer. Pour découvrir de nouvelles harmonies avec nos cordes les plus sensibles du coeur et de l'âme.

Un jardin secret où l'on peut se retirer au moment des coups durs, des épreuves, des mauvaises passes.

C'est dans son jardin secret qu'on découvre en soi des richesses intérieures insoupçonnées, des sources tenues en réserve pour de nouvelles soifs.

C'est dans son jardin secret qu'on se parle à soi-même avec plus de vérité et qu'on poursuit le dialogue avec les êtres que l'on aime et qui nous aiment.

Une légende hindoue raconte qu'il y eut un temps où tous les hommes étaient des dieux. Mais ils abusèrent tellement de leur divinité que Brahmâ, seigneur de toutes les créatures, décida de leur ôter le pouvoir divin et de le cacher à un endroit où il leur serait impossible de le retrouver. Le grand problème fut donc de lui trouver une cachette.

Lorsque les dieux mineurs furent convoqués à un conseil pour résoudre ce problème, ils proposèrent : « Enterrons la divinité de l'homme dans la terre. - Non, répondit Brahmâ, cela ne suffit pas, car l'homme creusera et la trouvera. »

Alors les dieux répliquèrent : « Dans ce cas, jetons la divinité dans le plus profond des océans. - Non, dit de nouveau Brahmâ, car tôt ou tard l'homme explorera les profondeurs de tous les océans, et il est certain qu'un jour il la trouvera et la remontera à la surface. »

Alors les dieux mineurs conclurent : « Il ne semble pas exister sur terre ou dans la mer de lieu que l'homme ne puisse atteindre un jour. » À quoi Brahmâ répondit : « Voici ce que nous ferons de la divinité de l'homme : nous la cacherons au plus profond de lui-même ; c'est en effet le seul endroit où il ne pensera jamais à la chercher. »

Depuis ce temps-là, conclut la légende, « l'homme a fait le tour de la terre, il a fouillé le sol, il a exploré les astres et creusé à la recherche de quelque chose qui se trouve en lui ».

 [18]

Heureux celui qui a trouvé le chemin qui mène à son jardin secret. C'est là où se loge la toile des fils qu'il a tissés au cours de sa vie. S'y maillent ses expériences les plus profondes et marquantes, ses liens les plus chers d'amour et d'amitié, les épreuves qu'il a eues à surmonter. Bref, tout son paysage intérieur dans ce qu'il a de plus réel et de plus vrai.

Jardin secret sacré de notre âme et conscience où même Dieu ne vient que sur invitation, tellement il respecte ce sanctuaire du plus intime de nous-mêmes. Il a mis en chacun de nous une étoile de divinité assez proche de Lui pour le rencontrer intimement, assez lointaine pour que rien ne puisse la ternir dans sa beauté première. C'est à partir de sa propre étoile que l'on façonne son propre « Je crois », ouvert sur l'horizon infini et éternel d'un Dieu qui nous aime inconditionnellement et qui nous attend sans s'imposer. Et cela, dans la plus radicale gratuité pour traverser avec nous la vie, la mort et son au-delà. C'est avec Lui que nos humbles efforts d'humanité deviennent des semences d'éternité.

Notre jardin intérieur ouvre sur de multiples paysages et demeures. Il est tantôt musique qui chante en soi, tantôt poème qui réenchante notre cœur. Qui da pas au fond de lui-même une fibre qui vibre à ce qu'il y a de beau dans la vie, avec une riche gamme de sentiments humains, de valeurs positives qui rehaussent et ré-aventurent notre séjour sur la terre ?

Oui, un jardin secret qui nous rappelle que nous venons de plus loin que nous-mêmes et que nous allons plus loin que notre courte vie terrestre, dans un au-delà où Dieu nous attend, sur l'autre rive de la rivière de nos jours. Ce sont ces horizons toujours neufs qui nous amènent à des dépassements, à des engagements, à travers cette vocation qui nous est propre, cette mission particulière que Dieu confie à chacun de nous pour améliorer et embellir notre terre.

Ce qui n'a pas de secret n'a pas de charme, disait un vieux mystique. Viens, Seigneur, éclairer et féconder avec moi mon jardin secret. Aide-moi à faire de ma vie un potager nourrissant et généreux, un lieu floral qui parfume ma main des fleurs qu'elle donne.

[19]

Un puits qui se renouvelle en donnant sans compter. Et surtout, apprends-nous à garder secrets nos propres secrets et ceux des autres, et à résister à ces étalages et déballages narcissiques sur les ondes et les écrans qui ne savent plus respecter l'intimité des gens, alors que toi-même, Seigneur Dieu, tu te veux si discret, si réservé devant notre jardin secret sacré.

Sans jardin secret, il n'est point de prière vraie.

Sans jardin secret, on ne sait vivre en paix.

 Sans jardin secret, il n'y a pas de liberté intérieure.

 Sans jardin secret, on ne peut apprivoiser ses peurs.

C'est ton jardin secret qui t'enseigne l'intimité avec toi-même et avec les dits intimes venus du coeur ou de l'amitié. En ton jardin secret, tu apprends la beauté du silence, son sens, son bienfait. Car la vie pousse sans bruit. Les moines ont raison de dire que le silence est la plus belle, la plus profonde cérémonie de l'âme recueillie, de l'intériorité partagée, de la rencontre du temps et de l'éternité, de l'humain et du divin en nous. Comme le souffle ténu de l'Esprit évoqué par le prophète Élie. C'est dans cette intimité que ton jardin secret brode ta propre histoire au fil de ta mémoire, écrit ton propre roman avec tes rêves, et enchante tes amours avec leurs sortilèges et envoûtements.


Heureux celui qui cultive

son jardin intérieur

comme le plus grand trésor

de sa vie et de sa foi.

Car c'est avec lui qu'on anticipe

l'Éternel rendez-vous avec Dieu,

et son bonheur promis dans les cieux.


La Bible s'ouvre sur un jardin où Dieu offre son amitié et son alliance à l'être humain qu'il a créé à sa ressemblance, libre comme Lui, au point d'accepter de le perdre.

Et dans les pires déserts où l'humanité s'est égarée, Dieu n'a cessé de se présenter comme une oasis pour relancer la vie et l'espoir. Sans relâche, Dieu vient nous chercher pour nous arracher à toutes  [20] nos servitudes. Et voilà qu'en Jésus de Nazareth il se fait l'un des nôtres, parmi les plus petits, parmi ceux qui n'ont que leur humanité à mettre dans la balance, comme s'il n'avait d'autre but que de sauver et promouvoir l'humain en nous. Et voici que dans un monde qui fonctionne sans lui, il se love discrètement dans notre jardin secret, à la racine de notre vie, de notre terre la plus intime pour recommencer avec le meilleur de nous-mêmes.

Le joyau des psaumes de la Bible, c'est justement le jardin secret de l'âme humaine, de son mystère où le croyant trouve sa vérité intérieure, entend les appels les plus profonds de la vie et de Dieu, et se repose en Lui.

Il y voit d'un autre oeil le monde et sa beauté. Bien sûr, les mystiques nous alertent sur nos démons intérieurs et sur les opérations vérité à faire en soi. Mais que serait cette ascèse sans les beautés cachées  de notre jardin secret, avec des harmonies plus fortes que les dissonances de nos imperfections, et sa paix bienfaisante, guérisseuse et revitalisante. Jadis on en parlait peu, tellement cette visite en soi était toute commandée par un examen moral de sa conscience. La foi « contemplante » et sa belle joie intime n'y trouvaient pas leur compte, si ce n’est le temps d'un éclair sur l'écran immense de la nuit noire des péchés. On nous a peu appris l'aube du veilleur  et le plaisir de son guet.

C'est peut-être la grâce de notre époque moderne que cette redécouverte de notre jardin intérieur, que l'on peut amener avec soi partout, en plein centre-ville, dans la rue, ou au travail, ou dans  une salle d'attente, ou en voyage.

Mais le jardin secret n'a rien d'un enclos, sourd aux appels et aux cris de la rue, aux requêtes de la cité. Rien d'un canot de sauvetage de l'homme désaffilié. Rien d'un refuge de l'individu en rupture d'appartenance. Rien d'un moi dans le soi où l'autre est sans visage, sans appel. Rien d'un bonheur solitaire, réfractaire à tout engagement durable. Rien d'une esquive des tâches d'humanisation de la vie et de la société.

Dans le jardin de Dieu, de son humanité en Jésus, il y a plus que des biens à partager.

[21]

Nous sommes appelés à nous partager nous-mêmes comme Lui s'est fait pain à partager. Pain de vie, d'amour, de justice. Humble pain quotidien de nos modestes efforts d'humanité que Lui seul peut transformer en semence d'éternité.

C'est toujours à partir de là que Dieu ne cesse de recommencer avec nous. Oui c'est repartir à neuf, comme avec l'enfant de nos amours.


Quand le jardin secret se fait prière

Ton Évangile, Seigneur, nous laisse entendre qu'il en est de nos âmes et de la foi comme de la vie, avec ses temps de semence, ses temps de mûrissement, ses temps de moisson.

Il en est parmi nous qui en sont aux semences dans leur jardin intérieur, d'autres qui renouent avec lui, et d'autres qui sont à l'heure des récoltes. Mais tous ces jardins secrets ouvrent sur l'immensité de ton ciel et enfoncent leurs racines dans l'obscurité de la terre. C'est ainsi que se joignent au fond de nous ta lumière, ton mystère et le nôtre.

Tu nous as tout donné en semence avec la noble tâche d'en cultiver les fleurs et les fruits pour ré-enchanter la vie, l'embellir et la partager dans la justice, la paix et la fraternité.

Que ta grâce soit toujours avec nous pour nous élever sans cesse en humanité, pour mener nos amours jusqu’au bout, jusqu'à ton ultime et chaleureux rendez-vous. Que déjà ta paix, source de liberté intérieure, soit avec nous.

Aide-nous Seigneur à t'être reconnaissant de nous avoir confié cette merveilleuse terre, toutes ses couleurs, ses saveurs, ses parfums qui enchantent nos regards et nos cœurs. Terre, jardin de fleurs pour la fête de nos yeux. Terre, potager pour assouvir nos faims. Terre du grain de blé qui se reproduit au centuple avant de devenir pain de nos vies, de nos amours à partager. Terre, jardin secret de nos âmes et de notre intimité. Terre bien-aimée de nos mémoires et de nos histoires. Terre de chez nous où chaque mois est une nouvelle saison. Terre de tous tes dons et tes pardons.

[22]

Merci, mon Dieu, pour la musique et le chant qui nous permettent de te célébrer et de nous ré-enchanter.

Merci, mon Dieu, pour l'univers que tu as créé et l'intelligence que tu nous as donnée pour l'explorer.

Merci, mon Dieu, pour notre merveilleuse planète bleue d'où tu as fait surgir la vie et pour ton souci constant de nous rendre heureux.

Merci, mon Dieu, de venir chez nous pour nous accompagner, nous inspirer et nous inviter librement, gratuitement dans ton Royaume éternel.

Merci de ta longue patience avec l'humanité, pour qu'elle avance par elle-même et s'élève en dignité, en bonté, en justice et en amour.
Merci de nous avoir tout donné en semences, et pour la capacité de les cultiver, de les rendre fécondes.

Merci pour tes grâces, qui ont bonifié notre vie et nous ont soutenus dans les épreuves de notre itinéraire terrestre.

Merci pour les êtres qui nous ont aimés, nourris, soignés, éduqués et conduits à voler de nos propres ailes.


Oui, merci, mille mercis pour tant de tes dons généreux et pour ton émouvante fidélité à la vie, à la mort et à l'au-delà où tu nous attends à bras ouverts. Amen.


Enfin, bref..

C'est dans ton jardin secret que le Dieu d'amour et de paix t'attire et te refait.

C'est dans ton jardin secret que tu te recueilles et te tais pour mieux entendre son murmure au cœur et sentir son souffle inspirateur.

C'est dans ton jardin secret que. tu renoues avec le matin du monde, les sources de vie les plus profondes et les plus fines longueurs d'onde.

C'est dans ton jardin secret que ton plus intime mystère s'éclaire de sa divine lumière.

C'est dans ton jardin secret que le chant de la terre se fait en toi prière.

C'est là où, avec Lui, tu panses tes blessures, apaises tes fureurs, où tu trouves ton coeur pur et sa promesse de bonheur.

[23]

Il vient par ton jardin secret frapper à la porte de ta demeure pour partager avec toi son pain et le tien et veiller sur toi jusqu'à ta dernière heure.


À la source de l'engagement

Il y a dans la nature des lieux privilégiés dotés d'un microclimat plus clément qui, sans être ce petit paradis qu'est l'oasis au désert, offre un adoucissement des âpretés de la vie qui l'entoure. Voilà une belle métaphore du jardin secret en soi. Celui-ci invite à la paix intérieure, à la sage lenteur, à la contemplation, à la cicatrisation des blessures. Comme la musique qui adoucit les moeurs. Comme les anticorps qui rétablissent l'équilibre organique et sa dynamique. L’oreille de l'âme s'y fait plus fine. On y goûte mieux la vie. Le jardin secret a quelque chose de l'été indien, avec sa tendresse de la terre, de l'air ambiant et d'un soleil plus caressant. S'y marient le plus charnel et le plus spirituel en nous. On comprend pourquoi on y loge le jour d'action de grâce, tellement cette beauté soudaine et gratuite est perçue par les croyants comme un cadeau de Dieu. Il nous arrive d'envier nos frères animaux et leurs sens plus développés pour capter les odeurs, les bruits sourds, les plus furtifs signes de la vie. L’été des indiens nous redonne cette acuité de nos sens tout autant que de notre âme. Le jardin secret en soi peut faire vibrer toutes les cordes sensibles à n'importe quel moment de l'année et dans toutes sortes d'environnement, y compris l'agitation des villes.

Bien sûr, ce microclimat est tributaire de l'importance qu'on accorde à son jardin secret, à sa vie intérieure. Les herbes folles envahissent si vite un jardin qu'on néglige de cultiver. Il cesse d'être fécond en fleurs et fruits. C'est ainsi qu'une vie projetée fébrilement en maintes activités sans ordre et sans liens se reproduit dans un univers intérieur sens dessus dessous. Le dedans devient alors aussi désarticulé que le dehors.

Ainsi faut-il se refaire d'abord au-dedans, faire la vérité en soi, mieux identifier ses manques, revoir ses objectifs de vie. N'est-ce pas une requête première de son jardin secret ?

[24]

D'aucuns diront, non sans raison, que ce recentrement sur soi peut élever des murs d'isolement, d'autoprotection qui nous rendent sourds aux appels de la vie et des autres. Nous reviendrons sur ce travers fort répandu chez nos contemporains. Nous en sommes tous marqués.

Le jardin secret selon l'Évangile n'oppose pas ces deux requêtes, mais au contraire les unit l'une à l'autre. Chez Jésus de Nazareth, l'alternance de la prière et de la mission était d'une même mouvance d'esprit, et les deux se renforçaient mutuellement.

Ce jardin secret n'est donc pas un espace clos, on n’y trouve pas de culs-de-sac. Tout est ouvert sur le monde, sur le ciel. Il accueille le tout-venant. Il sait qu'il reçoit plus qu'il ne donne. Il s'alimente à des sources qui ne viennent pas de lui. Il n'est pas là uniquement pour lui-même. Comme la maison de Dieu, qui n’exclut personne.

Pourtant, et c'est là son paradoxe, il est aussi un sanctuaire sacré, inviolable, unique, transcendant, qui échappe au temps et à l'espace. Il porte de ces choses inconditionnées dont on ne dispose pas à sa guise, de ces horizons qu'on ne se donne pas soi-même. L’Évangile a des paroles rudes à ce chapitre : « On ne jette pas des perles aux pourceaux. » Le règne du n'importe quoi et du n'importe comment, du tout est égal, abolit la dignité, le respect, première assise du sacré et du saint de la vie et du sens humain. Après la mort de Dieu, la mort de l'homme, et puis le nihilisme du « rien là ». Il me semble que cette dérive fataliste est une des plus pernicieuses tentations d'aujourd'hui. Parce qu'elle tue les racines du jardin secret de l'être humain, ce qu'il a de plus précieux.

Ce qui m'amène à penser que la revalorisation du jardin secret tient d'une urgente priorité, y compris pour faire face aux grands défis du monde actuel. Combien de grands discours et de grandes manoeuvres sont peu éprouvés au feu d'une conscience plus critique d'elle-même ; autrement dit, sans âme. Je dirais la même chose de bien des styles et pratiques de la vie courante.

Mais en même temps, quand je me retrouve dans la rue, au milieu d'inconnus, je me dis souvent que chacun a son jardin secret, et que c'est à partir de là qu'il y a de l'espoir. Aucun pouvoir, même le plus [25] oppresseur, ne peut extirper ce jardin de la conscience et de l'âme. Toutes mes critiques sur le consumérisme, l'individualisme, l'aliénation des êtres, la profanation de ce qu'il y a de plus sacré, ne sauraient rendre compte de cette réalité profonde qu'est le jardin secret, ce lieu de grâce qui remet sans cesse de l'avant notre humanité la plus intime, même là où les démons intérieurs font des ravages. C'est ce que nous avons de plus précieux en nous. Et pour nous, croyants, le plus beau cadeau terrestre qui anticipe le Royaume de Dieu.

Redisons-le, l'intériorité n’a rien d'un moi sublime dans un soi où l'autre est sans visage. Rien d'un jardin hautement clôturé et sourd aux requêtes de la rue et de la cité.

Le bonheur solitaire finit par ne plus supporter aucun engagement durable, et par ne voir le rapport à l'autre que comme une contrainte qui nuit à son plein épanouissement personnel. Bref, une esquive du pays réel, de la cité à bâtir, de l'incessante tâche de l'humanisation. Il arrive que cette esquive se drape d'une prétendue sagesse réaliste, à la manière de Sénèque dans la Rome décadente. Plus près de nous, Tocqueville et Camus ont su voir venir ce « calme inespoir » conforté aujourd'hui par certains philosophes de salon. Tout cela fait le jeu du décrochage politique et du conservatisme qui l'accompagne. Ne sont pas en reste plusieurs nouveaux courants religieux ou spiritualistes qui renforcent cette mouvance de repli sur soi. Autant de « courtoises démissions », au demeurant faciles, émollientes et hédonistes, à cent lieues de la vigueur réclamée par les défis contemporains. Je m'étonne particulièrement que ces modes religieuses ignorent à ce point les premières leçons bibliques. Celles-ci, dès le départ, mettent en cause le mythe du paradis terrestre illusoirement conçu sans souffrance, sans mort, sans bien ni mal, sans passé ni futur, sans lutte ni achèvement à poursuivre. Ce genre d'intériorité paradisiaque pave le chemin d'une insensibilité à la souffrance de l'autre, et parfois même à l'humiliation qu'on lui inflige.

Je me méfie tout autant d'un engagement sans intériorité. Il s'accompagne lui aussi de plusieurs dérives : incapacité de voir le mal [26] qui est en soi, comme le rappelle si souvent l'Évangile ; justification de n’importe quel moyen au nom d'une lutte dite légitime ; renvoi de toutes les responsabilités aux autres ; assèchement du cœur et de l'âme au nom d'une idéologie aussi dure que pure ou d'une realpolitik imparable ; mépris de ceux qu'on prétend libérer ou sauver ; travestissement vertueux du pouvoir qu'on exerce. Il n’y a pas que la science sans conscience qui soit ruine de l'âme.

Dans cet ouvrage nous verrons comment au meilleur des grandes traditions culturelles et spirituelles, et de la modernité, on a sans cesse recomposé et renouvelé les rapports entre intériorité et engagement.

[27]

EN GUISE DE TRANSITION


Reboiser son jardin secret pour mieux retenir l'eau vive de nouvelles fécondités capables de reverdir les temps de sécheresse de notre âme trop souvent désertée...

Eh oui, à la manière de l'arbre, qui sait si bien capitaliser les sources de son terreau et la lumière du ciel ! N'est-ce pas un des plus précieux trésors dans notre jardin secret, et aussi l'élan premier pour le cultiver, pour en partager les fruits ?

Comme le puits qui se renouvelle en se donnant.

Comme le grain semé qui se reproduit au centuple.

Comme la source qui ne sait pas par quels chemins elle ira à la mer, mais qui en a la certitude.

Le recueillement et la générosité, l'espérance et la créativité sont déjà là dans la nature, notre première demeure. Il y a de l'âme en elle. Une foi entêtée. Un mystérieux miracle qui nous dépasse. Mais surtout une inspiration chez ceux qui savent l'écouter, la goûter, la méditer. Elle est à la portée de tous. C'est notre matrice commune. Bienfaisante, quand on la respecte et la chérit. Même son âpreté nous enseigne la force d'âme et la résilience de notre fibre morale.

Heureusement, l'écologie commence à faire école dans nos consciences modernes et nos enjeux d'aujourd'hui. Encore ici, l'intériorité et l'engagement s'appellent, se renforcent mutuellement. Avec cette dimension particulière qui réintègre la beauté dans les luttes pour la vie et les combats pour plus de justice. Mais il y a plus.

L'être humain, comme la vie, vaut par lui-même et pour lui-même. On ne peut comprendre cela quand il n'y a plus rien de gratuit. Alors, comment prier et croire en l'Autre, en ses dons et pardons sans retour ?




Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 14 janvier 2012 14:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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