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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Du jardin secret aux appels de la vie. Réenchanter la vie.
Tome II.
Réconcilier l'intériorité et l'engagement. (2004)
Propositions liminaires


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jacques Grand’Maison, Du jardin secret aux appels de la vie. Réenchanter la vie. Tome II. Réconcilier l'intériorité et l'engagement. Montréal: Les Éditions Fides, 2004, 360 pp. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi. [Le 15 mars 2004, M. Jacques Grand'maison me confirmait, dans une lettre manuscrite qu'il m'adressait, son autorisation de diffuser la totalité de ses oeuvres dans Les Classiques des sciences sociales.]


[9]

Du jardin secret aux appels de la vie.
Réenchanter la vie. Tome 2.
Réconcilier l’intériorité et l’engagement

Propositions liminaires



Nous sommes les enfants d'un siècle
fou et d'une terre patiente.
 Les SÉGUIN, chansonniers


Cette chanson célèbre de la jeune histoire des nouveaux troubadours québécois marque bien les sensibilités et la conscience de notre culture moderne. Ce sentiment de vivre dans un monde sens dessus dessous et le désir de retrouver un pas plus accordé au rythme de la vie, aux battements réguliers du cœur et à la musique de l'âme.


  • Réinscription dans le temps et la beauté du mûrissement.
  • Renouement avec l'essentiel de la vie pour mieux la goûter.
  • Quête de liberté intérieure et d'un socle pour mieux la fonder.
  • Appel à de nouveaux engagements plus larges, plus profonds et plus soutenus.


S'y disputent, bien sûr, la tentation fataliste et l'espérance envers et contre tout, le trop de réel angoissant et la méfiance des utopies qui prétendent le surmonter.

Et ces questions brûlantes : peut-on savoir vivre dans tant d'incertitudes sans le contrepoint de quelques modestes certitudes, de quelques convictions qui dépassent les opinions du jour ?

[10]

Étonnamment, de vieux mots spirituels refont surface : l'âme, la transcendance, le sacré, le jardin secret au fond de soi, la rédemption, la vocation, la foi...

Et par-delà les lourds contentieux qui pèsent sur nos héritages religieux, nous sommes conviés à une revisitation des trésors amassés par l'âme humaine dans la vaste histoire qui habite encore notre mémoire.

Et que dire des requêtes d'un avenir de plus en plus imprévisible qui appelle le risque d'y croire pour consentir dès aujourd'hui à le bâtir.

Et puis, il y a ce défi d'arrimer une pluralité inédite de chemins à l'impérative finalité d'une nouvelle communauté humaine de destin.

Pourrons-nous y accéder sans le recours à ces dimensions spirituelles encore trop sous-estimées que sont la compassion et le pardon, l'hospitalité et l'universelle fraternité, au-delà de la vertu qu'on leur accorde encore dans notre vie privée ?

Nous savons comptabiliser tous nos déficits. Peut-être nous faudra-t-il mieux mettre à profit ces progrès plus ou moins souterrains de notre nouvelle conscience que je viens d'évoquer ? Il me semble qu'elle est plus répandue et partagée que l'on n'ose l'avouer.

J'ai fait ici le pari de nouveaux liens et rapports à tisser entre une plus profonde intériorisation de ces enjeux et nos engagements dans la cité.

Notre riche et longue histoire occidentale nous offre des éclairages et des fondements précieux. Tel est le cas de nos souches premières comme la Bible et la civilisation gréco-romaine, comme la pensée de saint Augustin qui a amorcé la première mouvance du cheminement historique à l'origine de notre modernité. Pensons à ses « confessions » intérieures révélatrices des richesses insoupçonnées du « moi », et la dramatique des deux cités qu'il met en scène. Chez lui, il y a déjà la distinction, la distanciation et l'altérité entre intériorité et engagement, entre le sanctuaire de notre jardin secret [11] et les appels de la vie hors de soi, entre le privé et le public, entre le religieux et le politique. Comment ne pas reconnaître que ces rapports sont à repenser ? Comment ranimer ces rapports, qui font partie de notre réalité historique la plus chaude, dans notre monde contemporain et dans notre propre société ? À ce chapitre, la pensée est souvent bien courte. Aussi bien la pensée laïque que la pensée religieuse. Marcel Gauchet a-t-il raison de dire que « la laïcité est déjà épuisée  spirituellement et que ce déficit pave le chemin des intégrismes politico-religieux » ?

Mais n'anticipons pas. Je pense que beaucoup de contemporains occidentaux sont tributaires d'une culture historique et d'un héritage spirituel qui a fait émerger l'importance de l'individu, de la conscience personnelle, de l'être humain qui vaut par lui-même et pour lui-même, et des profondeurs morales et spirituelles du moi. Bref, un humanisme de la  transcendance de la personne.

Qu'on me permette de rappeler ici le tournant majeur de la conscience des croyants dans l'histoire biblique, où ceux-ci ont compris que Dieu n'a voulu être représenté que par l'être humain transcendant. Il y avait là un déplacement radical : le sacré fondamental devenait celui de l'être humain lui-même... tout être humain sans exclusive. Au point que Dieu lui-même s'efface en quelque sorte pour mettre de l'avant cette transcendance de la personne humaine.

Dans la philosophie et la tragédie grecques on trouve aussi des déplacements en ce sens, tel le passage de la bataille entre les dieux, qui enfermait les humains dans la fatalité du destin, à l'émergence de la conscience autonome, libre et responsable de l'individu. L’évolution de cette dynamique libératrice est particulièrement frappante quand on passe d'Eschyle et de Sophocle à Euripide.

Plus près de nous, même le matérialiste Marx disait, dans son ouvrage sur l'économie politique, qu'une révolution qui n’aboutit pas à la libération de l'individu est une révolution avortée.

Plus largement, c'est toute notre histoire occidentale qui nous a amenés à une haute et profonde conscience de la transcendance de  [12] la personne humaine. Le philosophe juif Georges Steiner clamait  récemment : « Aucun bâtard de tortionnaire ne peut nous enlever notre plus intime conscience intérieure personnelle. » Notre jardin secret.

Que plusieurs contemporains ressaisissent actuellement leur aventure humaine à partir d'une réappropriation de leur jardin secret ne doit donc pas nous étonner. Toute notre histoire occidentale est porteuse de cette dynamique. Reste aussi à voir comment le sens de la cité et les engagements qu'elle appelle peuvent s'apparier avec une intériorité qui s'est donné un solide socle d'autodétermination. La culture et la pratique démocratiques ne sont-elles pas tributaires de la qualité de la conscience du sujet humain libre, responsable, interprète, acteur et décideur, debout en lui-même et dans la cité ?

Cela dit, nous ne sommes pas que des citoyens, nous valons par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Les autres aussi. Comme la vie, d'ailleurs. Le beau, le bon, le juste, le vrai sont plus denses  que nos calculs et raisons. Notre âme les transcende avec ses ouvertures sur plus grand que nous-mêmes, sur des horizons au-delà de notre finitude.

Notre jardin intérieur a toute la terre comme lieu d'enracinement et tout le ciel qui l'illumine, le transfigure. Sa petite histoire a besoin de la grande pour conjuguer son passé, son présent et son avenir. Et le silence de notre jardin secret ne saurait être sourd aux appels de nos voisins, de la rue et de nos cités en mal d'un nouveau vivre ensemble plus  juste, plus solidaire, plus fraternel. Tout utopique que soit cette visée, elle n'en demeure pas moins un appel au plus quotidien de notre vie, et jusqu'au plus intime de nous-mêmes. Nous sommes des êtres de sens, et le sens que je privilégie dans cet essai, je le tire de l'historien Jean Delumeau qui, inspiré de sa foi chrétienne, soutient dans son livre, Guetter l'aurore, que « la bonté est plus profonde que le mal ». Plus « profonde » au sens qu'il est plus facile de faire le mal, alors que la bonté exige un surcroît de conscience, [13] d'âme et d'humanité. Il faut bien admettre qu'au cours des derniers siècles nos héritages culturels, religieux et idéologiques ont été marqués d'une conception plutôt pessimiste de l'être humain. Il y a de quoi s'étonner qu'on ait accordé relativement peu d'attention au fond de positivation de la conscience humaine, qui a permis d'admirables rebondissements, même au creux des pires épreuves.

À tort ou à raison on peut penser qu'aujourd'hui comme hier on joue trop souvent la carte du misérabilisme. Comment le pauvre, par exemple, peut-il se reprendre en main individuellement et collectivement si on l'enferme dans une image de lui-même misérable et toute négative ! Pensons aussi à la pathologisation tous azimuts de tant de problèmes mentaux. De la vingtaine de types de maladies mentales il y a trente ans, on est passé à plusieurs centaines, sans compter une médicalisation intempestive, par ailleurs, traitée en parent pauvre dans notre système de santé.

On peut alors se demander si les dynamiques éducatives et spirituelles de l'intériorité ne sont pas laissées pour compte dans la construction de la personnalité, dans les épreuves individuelles, dans les processus de réhabilitation et dans la pratique sociale.

Nietzsche n'avait pas tort de dire que sans solides assises intérieures on peut difficilement s'engager durablement ou accéder à une espérance entreprenante. Certes, l'intériorité elle-même est aussi tributaire de conditions matérielles et sociales accessibles qui relèvent d'une éthique et d'une politique de véritable justice. De cela aussi nous serons préoccupés dans cet ouvrage.

Mais le jardin secret et les appels de la vie ont bien d'autres sens à explorer et à inscrire dans nos aventures individuelles et collectives. Déjà les approches symboliques que nous présentons dans une prochaine étape nous ouvrent sur des richesses humaines inépuisables. L’imaginaire, le culturel et le spirituel n'ont-ils pas été de formidables ferments de civilisation tout au long de l'histoire connue ? N'ont-ils pas été aussi précieux pour de passionnantes aventures [14] intérieures de l'âme humaine ? Nous verrons comment ces richesses concernent concrètement et existentiellement nos pratiques, nos styles et nos objectifs de vie, nos rêves, nos luttes et nos espoirs les plus chers.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 14 janvier 2012 14:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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