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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

“ Présentation. Les différents types de famille et leurs enjeux ”. (1993)
Intrroduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de M. Jacques Grand’Maison, “ Présentation. Les différents types de famille et leurs enjeux ”. Présentation de l’ouvrage publié sous la direction de Bernard Lacroix, Vive la famille!, pp. 9-32. Montréal : Les Éditions Fidès, 1993, 225 pp. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 15 mars 2004]

Introduction

«Les gens heureux n'ont pas d'histoire.» Allons donc! Voici dix familles très diversifiées qui vivent une dure mais passionnante conquête du bonheur, parfois dans des conditions extrêmement difficiles. Pourquoi confondrions-nous le bonheur avec l'eau de rose! Bâtir un couple, une famille, c'est une formidable aventure pleine d'humanité avec tout ce que celle-ci comporte de chair et d'esprit, de tensions et de dépassements, et surtout d'apprentissages fondamentaux: amour, discernement, identité, altérité, art de vivre. Les rapports de sexe, de générations, sont des infrastructures humaines plus pro-fondes que celles de l'organisation matérielle et politique de société. En sommes-nous assez conscients?

Souvent on associe la famille au quotidien banal, habitué et pesant. Même les petits mots amoureux et tendres dans un couple ou dans une famille apparaissent «niais» a quelqu'un du dehors. Et pourtant, qu'est-ce qu'ils peuvent révéler de délicieuses complicités patiemment tissées au fil des jours dans une aventure unique! Il faut plutôt un regard autre en prise sur sa propre histoire pour accueillir celle de l'autre dans sa richesse singulière. Ce que j'aime dans la famille d'aujourd'hui, c'est son souci de permettre à chacun, chacune d'engager sa propre histoire. Les touches éducationnelles que les témoins de cet ouvrage ont développées en ce sens sont à noter avec une attention particulière.

On pourra découvrir un autre trait commun, a savoir l'importance accordée aux profondeurs morales et spirituelles pour fonder des engagements et des liens durables, toujours en instance de renouvellement. Et pourtant on y trouve souvent des conditions existentielles qui rendent difficile ce genre d'expériences. Les impératifs de survie, les contraintes matérielles, une vie urbaine agitée, arythmique, hachée, des conditions de travail peu accordées à la vie familiale, tout cela ne se prête pas beaucoup à l'intériorité et à une vie spirituelle personnelle ou familiale. Mais nos témoins en ont compris l'importance pour donner élan, force et densité à leur aventure commune et pour surmonter épreuves et défis. Ils font la preuve que la famille d'aujourd'hui peut être un lieu intense d'âme, d'esprit, de culture et de foi, peu importe la diversité des conditions d'existence. Pensons ici à la diversité des familles qui se racontent dans ce livre: famille traditionnelle, reconstituée ou monoparentale, famille d'immigrés, de réfugiés, famille d'accueil ou d'adoption. Toutes, elles ont en commun de fortes racines spirituelles qui fondent de longues foulées. De cela, il est rarement question dans la société médiatique si friande de recettes psychologiques, de situations insolites et spectaculaires, de vedettariat qui se donne autorité en tous domaines. Et que dire du zapping dans tant de comportements pour en faire une suite d'instants sans aucune prise sur le parcours de sa vie. On verra comment ces longs itinéraires de couples, de familles ont été ressaisis par leurs acteurs avec une philosophie de la vie patiemment cons-truite. Tout le contraire d'une société ou d'un style de vie passoire où l'on passe d'une expérience à l'autre, d'une réforme à l'autre, sans en laisser mûrir une seule.

La famille est présentement un des rares lieux où l'on peut apprendre à mûrir, à se situer dans la durée, dans l'histoire (eh oui!). Car elle réclame du temps, de la sagesse, de la force d'âme, de la foi, de l'engagement durable. Comment ne pas reconnaître que nous avons besoin de ces valeurs pour affronter un avenir difficile après la révolution facile où l'on a mis sans cesse les compteurs à zéro, comme si on pouvait réinventer le monde à tous les tours d'horloge? Un enfant peut-il se construire dans une culture psychologique du court terme et un univers émotionnel livré tout entier à ses pulsions immédiates sans distance sur soi?

Cette absence de distance sur soi finit par nier les différences de rôles, de sexes, de générations et de quoi encore! «Papa, des amis j'en ai en masse, un père je n'en ai qu'un seul, joue pas au copain avec moi, j'ai besoin d'autre chose.»

Les témoins de cet ouvrage m'ont ravi par leur étonnante capacité de trans-former les épreuves, les coups durs en tremplin de nouvelle qualité d'être, d'amour et d'agir, à la source de dépassements bien au-delà de la famille. On y verra comment l'engagement social des parents a suscité chez leurs enfants des personnalités fortes, équilibrées, ouvertes, responsables, libres et altruistes. Voilà une autre orientation précieuse pour aujourd'hui. «Faire son bonheur à plusieurs», disait l'un d'entre eux avec du feu dans la prunelle.

On a beaucoup parlé de la famille nucléaire avec son noyau réduit... explosif. Cet ouvrage nous révèle ce que peut apporter une fratrie de deux enfants ou plus pour limiter et équilibrer un pouvoir parental tenté de surinvestir l'enfant d'attentes impossibles de tous ordres.

Les recours aux tiers est fréquent dans les familles monoparentales pour compenser leur noyau social plus réduit, pour l'ouvrir sur l'extérieur, pour éviter tout encoconnement étouffant, fusionnel.

J'ai bien aimé aussi les touches éducationnelles de ces familles qui ont assez bien réussi à surmonter deux travers désastreux: la permissivité et l'autoritarisme. je tiens ici à citer une autorité en la matière: Louis Roussel, dans La famille incertaine, écrit ceci:


Dans nos sociétés, la collectivité a besoin de la famille surtout parce que celle-ci est la seule instance où l'enfant reçoit des mêmes personnes la satisfaction de ses désirs et l'ordre de les limiter; où la loi prend le visage des êtres les plus proches. Grâce à cette association originelle et stable de «plaisir» et de la «réalité», garçons et filles entrent progressivement dans l'autonomie de l'âge adulte. Autrement dit, la famille rend la société acceptable, en témoignant que celle-ci n'est pas tout et que la loi laisse sa place au bonheur [1] .

Peter et Brigitte Berger vont plus loin en soutenant que sans ces deux apprentissages inséparables de la loi et du bonheur, du plaisir et de l'effort, de la liberté et de la responsabilité, de l'autorité et de l'initiative personnelle, de l'autonomie et du sens de l'autre, il n'y a pas de véritable démocratie possible, (et j'ajouterais) pas d'institutions ni de société viables. Un amour sans exigences ne vaut pas mieux que des exigences sans amour. Autrement, la permissivité débouche paradoxalement sur une multitudes de règles, de lois, de contrôles pour compenser. Combien d'utopies des dernières décennies ont opposé bêtement norme et liberté, plaisir et effort, autorité et autonomie personnelle. La famille a payé cher cette dissociation, ainsi que l'école, les milieux de travail et la société tout entière.

Certaines familles reconstituées ont développé des pratiques de transactions qui peuvent être un atout précieux pour une démocratie et des citoyens adultes capables de résoudre les problèmes entre gens immédiatement concernés. Nous en avons de beaux exemples dans cet ouvrage. C'est un long apprentissage qui doit commencer dès la famille et l'école. Il n'y a pas de véritables transactions de jugement, d'altérité, de respect mutuel, de liberté et de responsabilité dans un contexte permissif ou autoritaire.

Ce que Bruno Bettelheim dit de l'école s'applique bien à la famille:

Les éducateurs qui essayent d'atteindre leurs élèves uniquement sur la base du principe de plaisir sont étonnés de constater à quel point les enfants apprennent beaucoup de choses et vite. Mais les mêmes élèves se découragent dès qu'ils cessent de tirer un plaisir facile et immédiat de ce qui leur est enseigné.

Comme professeur à l'université depuis trente ans, j'ai pu prendre la mesure de ces utopies désastreuses sur l'éternel enfant-roi qui s'est longtemps vanté d'avoir réussi sans étudier, au grand ébahissement de ses parents qui semblent plus apprécier le talent naturel que le talent cultivé. Sans se rendre compte, sinon trop tard, qu'ils ont fait un être mou, fragile, décrocheur, incapable de persévérance, de résistance, d'engagement, incapable de supporter la moindre frustration, incapable de s'évaluer. L'enfant-roi est déjà construit, bien avant son entrée à l'école. Plus tard, il dira à ses parents: «Si j'ai des mauvaises notes, c'est que le professeur ne m'aime pas.» Il est sûr que ses parents permissifs vont lui donner raison! Comment peut-il rebondir dans le mou? Ou bien, il ira chercher dans une gang des rites initiatiques durs, souvent violents et même sauvages pour compenser une fonction qui n'a pas été exercée dans sa famille, dans les apprentissages fondamentaux mentionnés plus haut.

En positif, il faut signaler ici que toutes les recherches récentes chez nous ont noté chez les jeunes leur quête d'adultes solides et cohérents, leur besoin de repères fermes, clairs et sensés. Les jeunes accordent une importance majeure à la famille. Ils se donnent comme un de leurs premiers objectifs celui de réussir leur propre famille. «J'ai trop souffert de ma famille toute croche, moi je veux à tout prix réussir la mienne.» Un beau signe d'espoir!

Les mentalités par rapport à la famille sont en train d'évoluer dans le sens d'une revalorisation. Pensons aux premiers temps de notre modernisation où l'un établissait une adéquation entre famille et esprit traditionnel, conservateur, passéiste. Plusieurs ont maintenant le goût de vivre une expérience familiale qui va chercher le meilleur de la modernité et le meilleur des héritages culturels familiaux. Ils ont aussi une conscience vive de la famille comme un des rares lieux où l'on peut conjuguer les diverses dimensions de la vie dans une société sectorialisée, dans des conditions d'existence, de travail, de communication sans rythmes, sans suivi, sans cohérence, sans profondeur, sans horizon, sans direction. Bien sûr s'y glisse la tentation de faire de la famille une zone de repli, un petit monde en soi, fusionnel. Nous en parlerons plus loin. Notons encore ici un certain mûrissement: par exemple, l'émouvante fidélité à leurs enfants, chez bien des adultes, même chez ceux et celles qui ont vécu des profondes blessures ou ruptures de couple. Comme si l'enfant était le socle le plus stable de leur vie tumultueuse, hachée, éparpillée. À partir de quarante ans, on relativise un peu plus l'argent, les biens matériels, le prestige social, la performance du superman ou de la superwoman; mais les enfants, eux, ne cessent de prendre de l'importance jusqu'au bout de la vie. C'est une des meilleures assises de santé physique, psychique, morale et spirituelle. Les gens de famille, selon les statistiques, vivent plus longtemps que les célibataires! Les pires pauvretés sont solitaires, et davantage, quand la vie avance. Pensons à la souffrance de ces gens du troisième âge qui n'ont pas de petits-enfants. Pensons au bonheur des grands-parents. La dénatalité a des conséquences plus tragiques qu'on ne le dit. Comme si on avait perdu de vue l'importance fondamentale des liens de générations.

J'ai écrit ces premières pages d'un seul trait, habité que j'étais par la lecture brûlante des propos de ces témoins conviés ici à la barre. J'étais aussi habité par une recherche que je dirige depuis cinq ans sur les orientations culturelles, sociales, morales et spirituelles de la population québécoise. Mais c'est aussi ma tâche d'éducateur, de «prof», d'intervenant social et pastoral depuis quarante ans qui m'a inspiré ces propos verts, entêtés de confiance envers et contre tout, mais sans complaisance, sans «flattage de bédaine». je sais qu'on met beaucoup de choses sur le dos des parents. Comme me disait l'un d'entre eux: «Trop souvent la société, les médias, les modes folles du jour défont ce que je bâtis à bout de bras et de cœur dans ma famille.» C'est dur d'être parent, d'être «prof» aujourd'hui. je le dis souvent aux jeunes. Ils ont besoin de tiers pour leur dire pareille chose. A chaque fois, je suis étonné de leur réceptivité, comme s'ils me remerciaient de leur rappeler cette réalité on ne peut plus vraie dans le contexte actuel.


(1) Éditions Odile Jacob, 1989, p. 287.

Retour au texte de l'auteur: Jacques Grand'Maison, sociologue québécois (1931 - ) Dernière mise à jour de cette page le lundi 17 avril 2006 19:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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