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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jacques Grand’Maison, La seconde évangélisation. Tome II-2. Outils d'appoint. (1973)
Sommaire


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jacques Grand’Maison, La seconde évangélisation. Tome II-2. Outils d'appoint. Montréal: Les Éditions Fides, 1973, 325 pp. Collection: Héritage et projet, no 2. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi.

[307]

LA SECONDE ÉVANGÉLISATION.

TOME II-2. LES OUTILS D’APPOINT.

SOMMAIRE

Lignes de force


C'est au nom du témoignage évangélique que nous appelons une profonde révision du modèle actuel de l'Église catholique. Celle-ci, aux yeux de bien des chrétiens et non-chrétiens, a cessé d'être un signe lisible. Étrange paradoxe, au moment où ses théologiens la redéfinissent comme sacrement de salut. Voyons certaines lignes de force de cette restructuration, et cela à divers paliers de profondeur.

1. De la référence cléricale
à la référence communautaire

Le modèle clérical n'a plus de congruence culturelle et sociale. Il est même contre-signe en évangélisation. Il appartient à un mode de rapports sociaux décalé, sinon révolu. Même la complémentarité clerc-laïc n'a plus tellement de signification. Or voici qu'on amorce des réformes qui aboutissent à une clergification des laïcs promus. Autre paradoxe par rapport au mouvement de sécularisation des prêtres. Il faudra une ou deux générations pour transformer des rôles aussi profondément dessinés dans les tissus sociaux et mentaux des communautés catholiques. Un nouveau partage des responsabilités dans la communauté avec une certaine liberté d'expérimentation est nécessaire. Comment ne pas voir un signe de l'Esprit dans les mouvements communautaires récents qui ont instauré de nouveaux rapports socio-ecclésiaux, de nouveaux modes d'être évangéliques dans le monde ? Voilà un lieu privilégié de redéfinition de l'Église, des ministères et des tâches missionnaires. Devant les tensions entre Rome et des épiscopats on a instauré des collaborations [308] plus étroites entre les évêques et le pape. On a fait de même entre les prêtres et l'évêque. Ces solutions par le haut apparaissent tout à coup ambiguës quand, dans leur foulée, on définira de nouvelles collaborations des laïcs avec le prêtre. La vraie cassure du modèle clérical est ici. L'avons-nous prise au sérieux ? C'est pourtant à ce niveau que se situe la faille principale du système ecclésiastique en contradiction avec l'écclésiologie ré-interprétée. On maintient ainsi dans la « pastorale » un énorme malentendu.

2. Re-ouvrir les contenus

Tout le renouveau spirituel et théologique nous y invite. Tel l'écart eschatologique entre le Royaume, d'une part et d'autre part, l'Église et le monde. Comment annoncer la Bonne Nouvelle dans une institution arrivée, dans une doctrine toute définie, dans une culture religieuse figée ? Il n'y a plus de place ni pour l'inédit de l'Esprit ni pour la nouveauté de l'histoire. Déjà la théologie négative nous renvoie à la liberté dans la quête de sens et la recherche de Dieu, tout comme dans la création d'un avenir plus accordé à l'instance du Royaume. Le catholicisme a accumulé de forts décalages culturels et sociaux qui exigent une ré-interprétation judicieuse de ses symboliques, de ses langages, bref de ses principaux contenants. À chacun des tournants d'évangélisation, il y a toujours eu confrontation entre culture nouvelle et ré-interprétation évangélique. La patrologie nous offre un modèle, parmi d'autres, d'économie de transmutation de la tradition et de l'Écriture. On n'évitera pas ici les impératifs de la critique scientifique, les questionnements des expériences chrétiennes nouvelles, et certaines ruptures de définitions dogmatiques trop rigides et étroites.

3. Primat des spiritualités

Certains disent qu'il faut plus s'inquiéter du « quoi » que du « comment » de l'évangélisation, puisqu'il s'agit surtout d'une crise interne de la foi. Encore ici, on pose mal le problème. Dans l'économie chrétienne, on n'isole pas dans l'intelligence de l'expérience chrétienne, son interprétation, son expression, son agir apostolique, sa dimension communautaire et ecclésiale, sa pertinence culturelle et historique, son rapport aux sources chrétiennes. Voilà [309] ce qui constitue une spiritualité, une praxis chrétienne. Un savoir dire-faire-vivre-être collectif selon une lecture particulière de l'Évangile. Ce sont ces spiritualités qui ont façonné les traductions collectives de la Révélation historique. Elles précédaient, accompagnaient et dépassaient les codifications juridiques, théologiques, liturgiques ou autres. On le comprend en pensant à la langue parlée qui se donne des cohérences vitales bien avant l'établissement d'une grammaire. Celle-ci doit revenir toujours à la langue parlée pour se redéfinir. Il serait dommage que l'Église ressemble à l'Académie française en ce domaine. Nous préférons une dynamique semblable à celle des langues allemande et anglaise moins soumises à un code rigide, plus ouvertes à la créativité et à la spontanéité. Retenons ici l'importance de libérer des vécus évangéliques ré-interprétés, exprimés, partagés et agis. Voilà quatre coordonnées essentielles à relier en Église dans l'ensemble de la Tradition. Ainsi, par les spiritualités, on saura mieux relier le contenu, la pédagogie et la dynamique de l'évangélisation.

4. Des politiques pastorales plus cohérentes

Humanae Vitae est un exemple tragique. Cette encyclique a brisé une des plus belles expériences chrétiennes du XXe siècle : la spiritualité conjugale. Combien de laïcs chrétiens ont été scandalisés par le peu de confiance qu'on a accordé à leur discernement spirituel sur un terrain où ils vivaient une expérience originale et spécifique. On leur a servi le vieux code moral avec certains fondements anthropologiques très contestables, sans compter l'absence de rapport justifiable avec les sources chrétiennes. La rupture a eu un caractère tragique. Chez nous, le peuple chrétien a arrêté de se confesser. Un exemple entre plusieurs. Bien sûr, le problème soulevé ici a des connotations plus complexes, mais ce n'est pas une raison pour éviter la question majeure que nous soulevons.

L'enjeu va jusqu'à la redéfinition du magistère qui a monopolisé les tâches de discernement. Il ne s'agit pas de nier ici le rôle d'authentification de la hiérarchie, mais d'élargir la participation ecclésiale dans l'œuvre de discernement. Si la majorité des croyants pensent encore longtemps qu'ils ne peuvent changer une seule idée de leur curé, de leur évêque ou du pape, on parlera vainement de l'implication des chrétiens comme membres de l'Église. Les politiques pastorales resteront exclusivement cléricales. Or, l'Église est [310] le lieu privilégié pour établir la cohérence de dynamismes évangéliques qui déborderont toujours les instances institutionnelles et surtout cléricales. Celles-ci cherchent à se réserver les débats de fond et le pouvoir d'interprétation. Elles marchent à coup de décrets. Encore si le modèle clérical avait gardé sa cohérence. Pour une restructuration de l'institution et de la pastorale, on devra accepter un certain chevauchement de plusieurs modèles et praxis, et non pas attendre qu'un autre modèle idéal remplace l'ancien. Ce serait maintenir un pouvoir clérical de statu quo au grand dam de l'évangélisation. Les nouveaux comités « consultatifs » n'accordent vraiment pas aux chrétiens et aux communautés une participation de plain-pied

5. Un christianisme populaire

Arrêtons de parler des marginaux et des distants. L'enjeu véritable, c'est de retrouver un style évangélique et ecclésial accordé à la foi du petit peuple, des croyants ordinaires. Le christianisme originel s'est bâti par là. Voilà le test de vérité évangélique et politique de l'Église. L'auto-développement et l'auto-libération des masses populaires valent autant dans l'Église que dans le monde. Encore plus dans l'Église. C'est pour nous une priorité pastorale évidente. Un peuple qui décroche ne revient pas. Il faut redonner la parole et l'initiative au peuple chrétien. Les dévotions ont permis à celui-ci de maintenir vivante sa foi malgré la scolastique ecclésiastique et la liturgie latine. Les réformes récentes ont brisé ici les symboles, les pratiques, les liturgies quotidiennes. On ne les a pas remplacés. Or, dans les milieux populaires naissent actuellement de nouvelles praxis. L'Église doit s'en inspirer plutôt que de nous affliger de cette nouvelle orthodoxie de contre-réforme qui sacrifie l'évangélisation à un dogmatisme de formules. On n'évitera pas une phase de « joual chrétien » et de cheminements nécessaires avant de nouvelles codifications institutionnelles. Tant de renouveaux autour de la Parole et si peu de « parlants » chrétiens. Comment envisager une dynamique de témoignage quand l'autorité a si peur d'une parole autonome à la base !

Poser le problème d'un christianisme populaire, c'est aussi évoquer l'autonomie nécessaire aux aires culturelles, aux Églises particulières. Une certaine politique romaine bloque l'inévitable tâche d'auto-interprétation collective dans l'évangélisation des peuples. Un faux universalisme qui camoufle l'impérialisme d'une [311] culture particulière, appauvrit les traductions humaines diversifiées des langages de l'Esprit. La théologie de la Pentecôte en témoigne. Il faut retrouver ces dialectiques fondamentales des spiritualités particulières et du christianisme universel dans l'évangélisation. Combien de décrets romains ont pour effet de « déculturer » la foi des peuples. Le « peuple de Dieu » devient alors une abstraction à cause de l'absence de prises historiques sur les ensembles humains concrets exprimes par la mission : aller aux nations, c'est-à-dire aux collectivités, aux cultures, aux divers visages humains. Si Dieu nous donne un nom à chacun, comment pourrait-il se désintéresser de nos identifications collectives ? Le Magistère reconnaissait récemment le danger d'une « parole unique » dans la pensée sociale de l'Église. Ira-t-il jusqu'à reconnaître le même danger dans la vie interne de l'Église, dans son langage, dans ses politiques ?

6. Un christianisme plus communautaire

Les poussées de l'Esprit vont en ce sens. Nous nous contentons ici de citer ces remarques judicieuses de R. Dulong, dans Une Église cassée (Ed. Ouvrières, 1971)  « Le christianisme est d'abord un phénomène social. L'enseignement de Jésus de Nazareth ne constitue pas à lui seul la révolution chrétienne dans le monde antique, et si cet enseignement ne s'était pas incarné dans un groupe social, symbolisant, par ce qu'il vivait comme par ce qu'il disait, le Royaume de Dieu, cet enseignement n'aurait pas pris racine... L'originalité du christianisme primitif ne tient pas dans un enseignement révolutionnaire, mais dans le fait que cet enseignement était vécu dans des groupes sociaux présentant un nouveau modèle de relations sociales ». Nous suggérons ici cinq démarches de développement communautaire en évangélisation.

1 . Une reconnaissance plus confiante de l'expérience et du discernement des croyants dans les cheminements personnels, les rapports communautaires et les engagements collectifs de la vie chrétienne de base.

2. Une reprise radicale et innovatrice des relais que la tradition ecclésiale primitive avait su inventer en respectant les structures essentielles de la foi.

3. Un investissement sérieux pour soutenir et instiguer des cellules ou pelotons prophétiques de militants capables de témoignages [312] collectifs, de force d'entraînement pour le peuple de Dieu et les hommes à libérer.

4. Des plates-formes ecclésiales ouvertes à une plus libre circulation des expériences, à une confrontation plus honnête des intelligences de la foi et de la vie contemporaine pour faire progresser le patrimoine commun et révéler l'inédit évangélique de l'Esprit et de la Bonne Nouvelle au cœur des avancées de la petite et de la grande histoire.

5. Des politiques pastorales où les fonctions de cohérence, d'authentification, d'établissement des moyens et des fins prioritaires s'inscrivent dans le rapport soutenu entre les concertations communautaires et les concertations hiérarchiques. Vatican II a à peine amorcé cette démarche ecclésiale.

7. Un christianisme plus intériorisé

Dans la révolution culturelle et spirituelle des temps présents, les croyants veulent reprendre au fond d'eux-mêmes l'itinéraire des témoins bibliques et évangéliques de l'histoire, à même leurs propres sensibilités spirituelles. Il n'y a pas de conversion sans ce raccord profond entre une lecture évangélique autonome de sa propre vie et la lecture en Église de l'Écriture et de la tradition dans l'actualité historique. Une certaine pastorale exténue cette dialectique fondamentale en dissociant l'institutionnel et le charismatique. Un père conciliaire à Vatican Il disait : « Nous, en Orient, nous avons fait du message une mystique, et vous, en Occident, un code ». On comprend pourquoi des croyants font le détour par l'Orient pour retrouver les chemins mystiques de l'expérience religieuse. Les mouvements charismatiques nous interrogent. Ils sont l'envers positif de la crise de la prière, des spiritualités et des liturgies quotidiennes. Bien sûr, ils comportent des dangers. L'Église pourrait être coincée entre une mystique décrochée de l'histoire et une politique d'engagement sans intériorité. L'évangélisation ne saurait séparer mystique et politique, pas plus que mission et institution, pastorale ecclésiale et praxis chrétienne. Mais en dessous de ces enjeux, il y a cette énorme révolution spirituelle où à l'Ouest comme à l'Est des hommes reprochent au libéralisme comme au communisme de laisser pour compte les grandes questions de sens, de vie, de mort, d'amour, de destin dans l'aventure humaine. Les [313] témoins évangéliques de l'intériorité ont ici un rôle prophétique d'une immense portée.

8. Un christianisme plus prophétique

Alors que l'Église doit contester le monde au nom de l'Évangile, voici que le monde conteste l'Église au nom de ce même Évangile. Une affirmation a nuancer sans doute. Mais sa part de vérité est peut-être le plus grand défi de la seconde évangélisation. On nous reproche de n'être pas nous-mêmes. Et si c'était vrai que l'Église actuelle sacrifie l'Évangile à un système historique devenu contresigne. Et si c'était vrai que le christianisme n'a pas encore commencé sa vraie révolution dans le monde. Au creux de cette interrogation, une espérance folle nous monte au cœur. Voilà une grande tâche historique qui se présente à l'horizon, celle d'un christianisme ferment d'un avenir nouveau en connivence avec ce qui nous rattache profondément à l'Évangile. Rêve triomphaliste d'une nouvelle chrétienté ? Mais non. Il s'agit plutôt de ce petit quelque chose d'autre qu'on sait capable de transformer profondément la vie et le cœur des hommes. Rien d'un nouveau pouvoir ou d'un savoir irréfutable. Mais plutôt un espoir, au cœur d'une nouvelle civilisation à bâtir avec nos frères humains, à partir de la libération décisive des asservis. Nous portons une grâce, une « dynamis » de salut capable de faire des égaux, ou du moins de rapprocher l'histoire du Royaume.



Retour au texte de l'auteur: Jacques Grand'Maison, sociologue québécois (1931 - ) Dernière mise à jour de cette page le jeudi 23 mai 2013 19:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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