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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jacques Grand’Maison, La seconde évangélisation. Tome II-2. Outils d'appoint. (1973)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jacques Grand’Maison, La seconde évangélisation. Tome II-2. Outils d'appoint. Montréal: Les Éditions Fides, 1973, 325 pp. Collection: Héritage et projet, no 2. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi.

[7]

LA SECONDE ÉVANGÉLISATION.

TOME II-2. LES OUTILS D’APPOINT.

INTRODUCTION

L'étape précédente était consacrée à l'élaboration d'un ensemble intégré et finalisé de démarches en évangélisation. Une perspective de reprise spirituelle commande toujours un second regard, une re-interprétation et des pistes neuves d'action. C'est un peu l'intuition des militants chrétiens populaires lorsqu'ils parlent de révision de vie au cœur de leur engagement évangélique dans la cité. Il s'agit donc moins d'un nouveau « bag » spirituel que d'un renouvellement radical du cœur, de la tête et des mains sous la mouvance gratuite de l'Esprit. Tout se passe comme si nous étions sollicités par les extrêmes de l'Incarnation, par la fine pointe spirituelle du Verbe et par la libération de la chair, par les enjeux les plus matériels et les plus spirituels. Nous n'éviterons pas les requêtes dialectiques du désert et de la cité, de la transfiguration et du combat pascal.

Quand on considère l'itinéraire concret de la plupart des hommes, on se rend compte que ces extrêmes trouvent bien peu de place dans leur vie « mangée » par tant de besognes apparemment inutiles et sans signification. Un certain style de vie occidental nous a aliénés autant du pain quotidien authentique que de la vie intérieure. Le mot « artificiel » nous vient tout de suite en tête. Les enfants de l'abondance jouent leur vie un peu à la façon du couple dans « Blow up » d'Antonioni. Ils font comme si.... mais la balle n'est pas là. Les cris de la « civilisation heureuse » résonnent dans le vide de l'âme. Suffit-il de restaurer la fête et le jeu pour retrouver le goût de vivre et une densité d'âme ? Une certaine [8] théologie à la mode nous semble se prêter à un flirt, par delà un élan authentique d'espérance. Il y a bien des façons de fuir la crise brutale que nous vivons. La praxis évangélique nous remet paradoxalement les pieds sur terre pour nous ouvrir à l'ineffable du Mystère de l'homme et de Dieu.

Il faut restaurer les vraies visées de l'Incarnation pour surmonter non seulement la crise d'une civilisation de l'artifice, mais aussi le split entre le spiritualisme décroché et le matérialisme aveugle. Beaucoup de contemporains n'arrivent pas à confronter leurs aspirations et leurs besoins, leur cœur et leurs mains. A gauche comme à droite, on ne vit pas comme on pense. Voici que l'interpellation évangélique bien comprise vient nous rappeler les rapports les plus simples et les plus fondamentaux de l'aventure humaine et de l'histoire. L'homme est à la fois chair et esprit. Le mystère jaillit de leur mutuelle inclusion. La négation de l'un ou de l'autre est à la source des faux humanismes comme des hérésies.

L'Évangile ne répond pas à ces défis sans cesse renaissants à la façon d'une philosophie savante. Il nous ramène d'abord à la qualité de notre quotidienneté la plus familière. Qu'en est-il de ton levain, de ton sel, de ton pain ? Réintégrer le levain dans la pâte, le grain de semence dans la glèbe, peut paraître un cliché au moment où on a perdu la trace et du pain et du sens. Ne faut-il pas s'attarder à séparer le bon grain et l'ivraie ? Les identifier, les analyser ? Rejeter l'un et retenir l'autre ? Jésus a bien vu le danger ici. Les siens n'anticiperont pas les dépassements du Royaume en dehors de l'histoire et de la condition humaine réelle. On entrera dans la béatitude avec son corps et son âme. Ce n'est pas le monde rêvé qu'il faut sauver... ni ses bonnes intentions. La foi ne se passe pas de mains. L'Évangile c'est d'abord une praxis où l'intelligence spirituelle du cœur s'exerce à même les travaux du pain. Ce réalisme évangélique vaut pour notre spiritualité de la semaine comme pour l'eucharistie du dimanche. Voilà la conviction qui nous a habité tout au long de la première étape (Les témoins) et de la seconde (Les outils majeurs). Nous avons parlé d'outils pour bien marquer notre souci de rétablir les premiers fondements du réalisme biblique et évangélique. Cela assuré, la contemplation du Seigneur et l'engagement chrétien dans les luttes séculières éviteront de prendre de fausses tangentes.

[9]

Qui dit outil suggère à la fois intelligence et action, distance critique et imagination, réflexion et sens pratique. Les fondamentalistes en restent à la matière première, à la spontanéité idéalisée, alors que les structuralistes s'obsèdent sur les ordres et les cadres à assurer. Une praxis bien outillée comprend les choses en les transformant, et cela en assumant la vie d'une façon intelligente et dynamique. En régime chrétien, Dieu se confie à nous et nous révèle à nous-mêmes, en nous associant à la transformation pascale de sa création. Faire l'histoire, voilà un lieu théologique capital de la Révélation. Au cours des âges, bien des croyants ont tenté d'isoler l'histoire du salut. Même aujourd'hui certains accents tantôt révolutionnaires, tantôt eschatologiques, quittent subtilement les humbles sentiers de « l'homme ordinaire » tiraillé entre les requêtes du présent et ses grands élans.

Oui, les hommes ordinaires restent démunis face aux grands débats des anciennes et nouvelles élites. Leur savoir pratique n'est pas reconnu. Les voilà coincés entre les idéologues révolutionnaires et les pouvoirs établis. Ils ont perdu confiance en leurs humbles outils, en leur propre expérience. Le boulot du jour est insignifiant par rapport aux festivals de la T.V. du soir. Même le dialogue conjugal cède au panthéon envahissant des stars de toute sorte. On n'écoute plus son voisin, son proche… l'écran masque la vie... la vie vraie et la vraie vie. Il n'y a plus de sens intérieur à l'existence concrète. Quelque chose de semblable se passe chez les croyants ordinaires. Eux aussi n'ont plus de praxis chrétienne à leur portée. Aucun laboratoire spirituel ne remplacera le réapprentissage d'une vie évangélique dans l'exercice quotidien des responsabilités. C'est là une condition de base de la seconde comme de la première évangélisation. La deuxième étape de ce travail nous l'a rappelé de diverses façons.

Faut-il pour autant mettre en veilleuse les phénomènes spirituels de pointe, les grandes interrogations de fond de l'expérience contemporaine ? Bien sûr que non. Après avoir bien établi les bases de l'évangélisation, nous voulons nous attarder à prospecter ce contexte inédit de la reprise du projet évangélique dans le tournant historique actuel. Nous retenons trois grands axes  praxéologiques contemporains comme des tests de vérité majeurs des débats et des efforts dans les temps présents : le façonnement de véritables communautés humaines, la possibilité de l'auto-détermination et enfin la prospective comme dépassement d'une société bloquée.

[10]

1. Le principal clivage social pourrait bien être celui de ces deux catégories :

- ceux qui croient pouvoir changer les choses

- ceux qui n'y croient pas.

Du coup, nous affirmons la crise actuelle qui se répercute dans toutes les institutions, particulièrement dans celles de l'éducation. Les uns parlent ici de l'échec radical de la transformation des hommes et du monde par le système d'éducation. D'autres voudraient revenir aux rituels de l'école d'hier qui assurait la continuité et la stabilité des structures sociales. Certains voient le dépassement dans une nouvelle carte à jouer : l'homme s'auto-éduquant, s'autodéterminant comme acteur social, responsable, libre, créateur et solidaire. Les instances institutionnelles, les modèles et les systèmes seraient soumis à la créativité libérée des hommes. Une idée comme la liberté n'aurait de sens vital et concret que dans l'homme qui se libère à partir de son vécu et de sa propre dynamique. Cette ligne de force reflue sur notre univers chrétien et nous force à revoir nos conceptions « reçues » du christianisme. Surtout un christianisme de « dépendance » qui bloque l'initiative du croyant. Nous avons un chemin énorme à parcourir pour que les chrétiens se définissent avant tout comme des agents spirituels de libération historique et de construction du Royaume. Il ne suffit pas de redistribuer ou d'élargir les responsabilités dans l'Église. Les croyants ont à retrouver une spiritualité d'initiative et de créativité. Nos pastorales doivent les aider à s'auto-éduquer évangéliquement à même leur propre expérience, à se percevoir comme premier agent évangélique d'intervention dans leur propre milieu. Plusieurs ne savent pas comment vivre leur foi en dehors des terrains proprement religieux. Peut-être parce qu'ils n'ont jamais eu conscience d'être « envoyés », d'être « chargés » de mission. On nous dira qu'il faut d'abord viser leur conversion. Pourtant, la Bible et l'Évangile nous présentent les conversions à l'intérieur d'un coup d'envoi, d'une responsabilité, comme lieu premier de salut. Jésus s'est d'abord révélé comme un chargé de mission. De même, dans la Genèse, Dieu en créant l'homme l'investit d'une responsabilité inaliénable d'assumation du monde pour le libérer du chaos.

C'est ce tandem libération-création qu'il faut remettre en valeur dans l'éducation de la foi. Non pas d'une façon exclusive, comme nous le verrons. Mais cette conviction est à la source d'une foi [11] consciente de son pouvoir pascal pour changer la vie et influencer profondément son milieu immédiat et même la civilisation. La puissance créatrice du grain de sénevé garde toujours sa qualité d'évocation. Il suggère l'auto-propulsivité spirituelle que l'Esprit nous apporte pour faire de nous des intendants pleinement responsables, des témoins libres, des créateurs d'histoire, des forces irrésistibles de vie et d'amour et même des agents subversifs pour bouleverser le monde. Bien sûr, les fruits nous échapperont. Les changements profonds et durables sont peu visibles. C'est là la forme de pauvreté la plus difficile en évangélisation. La Bonne Nouvelle ne concurrence pas les sept merveilles du monde. De même la démesure de l'Esprit, la folie de la croix et le risque de la foi. Démesure du Christ par rapport au fils de Joseph, démesure du Royaume par rapport à l'Église historique. Mais aussi démesure du monde par rapport à la petite mèche évangélique qui doit l'enflammer. Nous sommes bien petits face à notre tâche spirituelle. Pourtant, savons-nous la force qui nous habite ? Voilà la source vive de l'éducation évangélique. Il y a des timidités et des incroyances à l'origine de certaines stérilités spirituelles. Dieu n'a pas voulu se passer de nous pour féconder l'histoire et préparer le Royaume.

2. La démarche précédente parlait des déterminations du cœur, du croyant debout, en marche, à l'œuvre. Il est une autre dynamique évangélique qui refait surface, celle de la fraternité et de la communauté. Encore ici, nous rencontrons à la fois des requêtes et des expériences contemporaines passionnantes, et cela du quartier à la communauté des nations. Les hommes ont perdu la trace de leur proximité, en deçà et par delà les péchés de rupture. Même les cellules et les rapports humains les plus familiers sont compromis. Pensons à la crise du couple, à la destruction des réseaux quotidiens de solidarité. On ne sait plus se retrouver comme des frères. Les analystes doivent recourir à l'ethnologie, à la zoologie pour saisir ces phénomènes enterrés par la technopolis. De là cette « new quest for communities », comme pierre de touche d'une société qui veut redevenir vraiment humaine. Certains critiques y ont vu un défi semblable pour l'Église et les chrétiens. Même destructuration et même aspiration. Mais la relecture de l'Évangile a fait plus. Elle a mis en lumière la force extraordinaire de la foi pour rassembler les hommes... Les fils dispersés. Des diagnostics de la sociologie religieuse camouflent mal un empirisme de [12] courte vue. Souvenons-nous de ces études bêtement terminées par le constat d'absence de communauté chrétienne dans la grande ville comme dans l'institution religieuse elle-même. Aucune praxis, aucune piste nouvelle, aucune prise sur les dynamismes communautaires de la foi elle-même. La vie a une fois de plus précédé les « définisseurs de situation ». Patiemment, humblement, des chrétiens ont refait ou assumé des solidarités nouvelles que la science n'avait pas détectées. Il nous faudra en rendre compte dans cette troisième étape.

3. Enfin, nous essaierons de repérer les brèches d'un avenir ouvert. N'est-ce pas d'ailleurs le lieu d'inquiétude des contemporains ? Les échéances planétaires en témoignent. Aussi l'angoisse des parents devant leur enfant. Serions-nous dans une civilisation bloquée ? Au seuil du troisième millénaire, les vues apocalyptiques sont fréquentes, comme aux deux autres d'ailleurs. Ce sont des moments de l'histoire où les hommes interrogent plus fiévreusement l'avenir.   Nous avons préféré ici une praxis de prospection, plutôt qu'une simple visée de prospective. Nous voulions indiquer par là une orientation évangélique de pensée et d'action face au futur. En effet, notre espérance s'alimente d'abord à des germes spirituels en gestation dans tous les filons de l'histoire. Bien sûr le Royaume sera tout autre. Il appelle une vision dégagée de nos courts horizons de croyants. Mais c'est mal comprendre l'Évangile que de ne pas miser d'abord sur la semence sous nos pieds. Le chrétien avance dans l'histoire en creusant. Le prophète est sourcier. Le témoin révèle ce que Dieu a fait... et est en train de faire. L'évangélisateur est à l'affût des brèches et percées de l'Esprit dans un univers peut-être plus opaque que jamais. La science, pu ses succès, a montré paradoxalement ses limites. L'homme, surtout, reste plus mystérieux que jamais... même après qu'on a démonté tous ses mécanismes biologiques, psychologiques ou autres. Nous avons choisi trois brèches du mystère : l'incroyance, la culture, la politique au sens de praxis historique. Ce sont des ouvertures, des quêtes mais aussi des lieux de prospective, des catalyseurs de saut qualitatif, du moins dans l'histoire récente. Comment les chrétiens vont-ils vivre évangéliquement ces dramatiques de recherche de nouveaux destins ? Qu'ont-ils à dire devant l'incroyant, le révolutionnaire, le jeune de la contre-culture ou de la nouvelle ? Qu'ont-ils à faire dans ces luttes et ces débats qui charrient tant d'enjeux radicaux ? Et l'Église ? Sera-t-elle un corps étranger, un [13] anti-corps, un corps marginal, un corps intégré sans identité propre, dans la nouvelle société en construction ? Il ne suffit pas de réaffirmer son rôle de levain ou de ferment, encore moins ses droits et son autorité morale. Il lui faut d'abord mettre en œuvre des praxis évangéliques pour les hommes d'ici.

Nous proposons donc des outils d'appoint pour assumer ces tâches de fond de la seconde évangélisation. Nous n'avons pas la prétention de présenter une synthèse exhaustive ou une stratégie complète. Tout au plus, nous nous voulons un témoin parmi d'autres... et un modeste coopérateur dans ce vaste chantier de l'Église. Mais on comprendra qu'en évangélisation, il arrive que l'Esprit presse le pas. Espérons que c'est la vraie source de certaines de nos impatiences devant des pastorales officielles. De toute façon nous tenons à réaffirmer l'engagement évangélique et ecclésial qui sous-tend toute cette démarche.



Retour au texte de l'auteur: Jacques Grand'Maison, sociologue québécois (1931 - ) Dernière mise à jour de cette page le jeudi 23 mai 2013 19:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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