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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Luc Gouin,De la malhonnêteté intellectuelle (aussi nommée mauvaise foi). Mot d’humeur / mot de rigueur.” Un texte originalement publié, dans une version préliminaire, dans Vigile en mai 2005. Texte revu par l’auteur, janvier 2010. [Autorisation accordée par l'auteur le 26 mai 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Jean-Luc Gouin

PhD, Philosophe québécois et infatigable polémiste

De la malhonnêteté intellectuelle
(aussi nommée mauvaise foi)
.
Mot d’humeur / mot de rigueur.

Un texte originalement publié, dans une version préliminaire, dans Vigile en mai 2005. Texte revu par l’auteur, janvier 2010.

Jean-Luc Gouin
(diatribun pour l’occasion)


Fréquentant à l’occasion les discugroupes de Cyberpresse parmi quelques aires cybernéennes de caractère analogue, je me vois le plus souvent très étonné par la « pompance » de nombreux textes (très pro-Canada la plupart du temps) qui se penchent sur la sempiternelle Question – la Réponse viendra un jour, il faut l’espérer – dite québécoise (entendez : le projet d’indépendance politique du Québec). Un certain Daniel Laprès, par exemple, semble depuis quelque temps trouver en ces lieux un plaisir certain – sous couvert d’un vertueux dont visiblement le brave homme détiendrait le secret en exclusivité (par les ressorts de la « formation réactionnelle », dirait sans doute le clinicien) – à déployer l’art de souffler l’hélium dans le condom de la jouissance paligraphique. Mais c’est en lisant la lettre from Ottawa de Gabriel Racle dans La Presse montréalaise du 11 mai 2005 (et qu’il a comme à son habitude reproduite sur d’autres tribunes, dont celle des forums du quotidien de qualité Le Devoir où il sévit pour ainsi dire en permanence) que je me suis dit qu’il était peut-être temps d’y aller à mon tour de mon petit laïus. D’où l’idée de ce mémo sur la malhonnêteté intellectuelle. *


Voici d’abord ce que j'entends par malhonnêteté intellectuelle :

Viser sous le couvert de notions réputées nobles (le vrai, le bien, la liberté, l’amour, le beau, le digne, à titre d’exemples) à affaiblir, invalider ou discréditer sinon terrasser un adversaire - au plan discursif - par des procédés et des méthodes qui relèvent en apparence de l'outillage probe de la pensée et de la réflexion : faits avérés, connaissance réelle de l’ensemble des éléments du dossier en débat, logicité, démonstration, écoute effective du vis-à-vis (audi alteram partem...) et, de manière plus générale, volonté de vérité par distinction de la volonté de domination, voire d’assujettissement. C’est au nom de la raison même chercher sciemment – par opposition à l’erreur, commise de bonne foi, ou à l’ignorance, intransitive par définition – à promouvoir une opinion dont on ne méconnaît pas soi-même, à part soi, les insuffisances et ou le tendancieux, sinon l’inanité.

Il existe dans ce créneau de la tromperie intellectuelle deux types fonciers de « malhonnête », nullement exclusifs l'un de l'autre au demeurant. D'abord, celui qui sait ou intuitionne d'emblée que les assertions de son discours ne font pas le poids face aux arguments ou contre-arguments du collègue ou « concurrent », actuel ou hypothétique (fragilité des thèses) ; ensuite, celui qui sait ou présume que son argumentaire ne soutiendra pas la confrontation face à la puissance intellectuelle irriguant les positions adverses (modicité intellectuelle). Devant cette alternative, l'« honnête homme » retournera à ses travaux avec l’espoir, dans certains cas, de revenir à la charge. Le moins honnête ira tout de même de l'avant en espérant que le plus grand nombre, à défaut de tous, n'y verra que du feu quant aux faiblesses rédhibitoires de sa démarche.


Premier cas de figure :
Plan des idées (fragilité des thèses) 

L'individu cherchera à parvenir à un certain « équilibre », ou dosage, entre la puissance apparente de son verbe (moult propositions, liens de tous ordres susceptibles d'égarer l'interlocuteur, techniques diverses de « séduction » et de « diversion », dont l’éloquence, maîtrise supérieure de la langue, etc.), d’une part, et l'indigence du propos en son fond (rarement totale, plus souvent diffuse ou ponctuelle), d’autre part. Quelquefois (tantôt pour un temps, tantôt auprès d'une audience circonscrite ou plus ou moins captive), le doué de la contrefaçon mentale parvient par ces ressorts à gagner l'assentiment de son allocutaire par le biais d'assertions qui – quelque fausses, erronées ou chétives qu'elles fussent (voire malheureuses, ridicules sinon malsaines ou dangereuses) – auront été présentées dans une superbe telle (fougue, conviction, sophistique raffinée, séduction...) que celle-ci aura pu en quelque sorte faire office d'intelligence réelle des idées en question. Les opinions du débateur auront alors réussi à investir l'esprit de l'auditeur non tant par le filtre de la raison (la réflexion qui purifie la matière brute de ses scories) qu’à la manière d'un microbe ou d'un virus : à son insu. D'où les conséquences pas toujours heureuses, on le devine, de ce type d'exercice (qui n’est somme toute autre chose que de l’esbroufe). En particulier auprès d’oreilles moins favorisées à l’échelle cognitive, auprès des foules aussi et/ou, enfin, dans tout contexte spécialement émotif.


Second cas de figure :
Plan de l'argumentation (modicité intellectuelle)

Ce cas, plus rare, moins familier, se révèle tout à la fois plus ondoyant, d’une part, et nettement plus risqué pour le protagoniste, d’autre part. Tout d’abord, il n’est pas dit que l’inaptitude plus ou moins marquée à présenter avec adresse ou brio un « dossier » signifiât du coup que celui-ci ne tient pas la route sous l’angle des faits ou de la solidité intrinsèque des thèses avancées. Reste toutefois qu’à la lumière de ce handicap – ce vice dans la forme, pour ainsi dire – l’agent qui persiste à aller de l’avant n’aura d’autre choix que de tabler sur la diversion afin de détourner le regard de ses propres lacunes ; c’est-à-dire, focaliser l’attention sur les carences – réelles, présumées ou inventées de toutes pièces – de l’interlocuteur. L’ennui c’est que voilà une tâche qui exige, pour s’avouer efficace pour la peine, une dextérité conceptuelle dont l’individu, précisément, ne se voit point pourvu outre mesure. D’où l’éventualité de coups d’épée dans l’eau et de dérapages divers susceptibles de se retourner tôt ou tard contre son auteur, alors piégé dans des manoeuvres pas toujours élégantes. Faute de jouer de finesse au plan de l’argumentation, ne reste plus en effet qu’à miser sur des façons, disons, un tantinet maladroites et certainement contre-productives à terme : une certaine rudesse dans les propos et les procédés rhétoriques, mesquinerie, excès de langage, procès d’intention, affirmations douteuses ou hors propos, voire mensongères, débordements de tous ordres, y compris, à l’occasion, l’attaque ad hominem, etc. C’est ici que l’on saisira dans toute son acuité le mot fameux de Nietzsche :

Celui qui sait défendre sa cause et qui en a conscience fait généralement preuve d'un esprit conciliant envers ses adversaires. Mais croire que l'on a pour soi la bonne cause [à raison ou à tort] et savoir que l'on manque d'habileté pour la défendre, cela provoque une haine féroce et implacable envers l'adversaire de sa propre cause. Que chacun suppute d'après cela où il doit chercher ses pires ennemis. (Aurore, § 416)

*  *  *

De quelque étiquette qu’elle ressortît – le plus souvent nous assistons à une prestation issue, dans des proportions variables, de la combinaison « savante » des deux mondes ci-décrits sommairement – la personne de mauvaise foi n’a cure, ou fort peu, des hautes valeurs dont elle se réclame, et d’ordinaire avec force ostentation. Celles-ci lui sont toutefois nécessaires à titre instrumental dans l’élaboration de son plan d’« occupation » du territoire des idées par ses propres opinions. Opinions qu’elle sait irrecevables en tout ou en partie, sans quoi, on l’aura compris, la mauvaise foi – ou l’art de refiler un moi pour un mieux – s’avérerait parfaitement inutile.

C’est que l’on baigne ici dans le combat verbal à finir, où l’enjeu réside dans le triomphe ou l’échec des opinions. Nonobstant, puisqu’elles se voient réduites à prétextes, la qualité congéniale ou l’envergure des idées dont celles-ci prétendent s’inspirer. Pour le coup, lesdites « notions nobles » et universelles confectionnent le costume d’Arlequin sous lequel le phraseur, alors masqué, avance d’un pas pesant.

Puissent les André Pratte, les Lysiane Gagnon et les Alain Dubuc de ce monde – tous employés fidèles, incidemment, du puissant conglomérat de presse Gesca (d’aucuns diront : escadron de propagande) – en prendre un peu de la graine.

Et se gouverner en conséquence.


JLG

Québec, ce 13 mai 2005
(léger peaufinage en Février 2010)


Lecture auxiliaire suggérée : Le « Rond de Science »

(variations sur la notion d’Encyclopédie)



* Il faut préciser que le commentaire récent et bien senti de M. Jean Dunois, et que l’on peut lire dans « La vertu qui tue » chez l’excellent Vigile (voir les deux textes tout au bas de cette longue page numérique), m’a sans aucun doute insufflé ce surcroît d’énergie nécessaire à l’écriture, qui, chez moi, tardait à émerger dans cette atmosphère que je me dois d’identifier comme délétère.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 26 janvier 2010 16:01
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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