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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Luc Gouin, “DER INSTINKT DER VERNÜNFTIGKEIT. • DE L’INALIÉNABILITÉ DE LA RATIONALITÉ • (Pour s’introduire à/dans l’univers hégélien) .” (2010/2009). [Ultime version de référence (très légèrement peaufinée) de l’article publié initialement en 2009 dans le Band 44 des Hegel-Studien / 15 feuillets de format A4 – 29 janvier 2010]. [Autorisation accordée par l'auteur le 26 janvier 2010 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Jean-Luc Gouin (Québec)

DER INSTINKT DER VERNÜNFTIGKEIT

– De L’Inaliénabilité de la Rationalité –

(Pour s’introduire à/dans l’univers hégélien)

[Ultime version de référence (très légèrement peaufinée) de l’article publié initialement en 2009 dans le Band 44 des Hegel-Studien / 15 feuillets de format A4 – 29 janvier 2010.] *


À mon frère Serge Gouin, artiste-sculpteur de son état,
qui fut la référence salutaire de mes jeunes années


SOMMAIRE : Bien que l’on associât traditionnellement pensée hégélienne et affirmation péremp­toire de la rationalité de la réalité (die Vernünftigkeit der Wirklichkeit), il n’est pas inopportun de tenter de saisir le fil d’Ariane qui, progressivement, conduit le philosophe de l’Idéalisme absolu à littéralement arraisonner la Raison. C’est ainsi que chemin faisant on comprendra que cette Raison constitue peut-être moins un fiat originel né de l’arbitraire – fût‑il celui, génial, d’un puissant esprit pensant – qu’une simple constante du réel : nous sommes de raison dans la Raison. Aussi lutter contre celle-ci, ne serait-ce que dans la posture plus ou moins atone de l’ignorance volontaire ou de la dénégation hâtive, témoigne sans doute non tant d’une authen­tique volonté de vérité, voire de liberté, que de l’espoir d’un apaisement existentiel sous l’égide d’une véritable nolonté de savoir. Reste donc à se faire une raison. Il nous faut en conséquence épouser Athéna, et die Vernunft als die Rose im Kreuze der Gegenwart zu erkennen – cultiver la raison comme la rose dans la croix du présent.

ABSTRACT : We will analyze how Hegel leads us from Absolute Idealism to the well-known thesis : Reality is Rationality. We will see thus that Reason is not produced by an arbitrary and theoretical decision but, on the contrary, that Reason reveals itself as a constant of Reality. The struggle against Reason cannot appear, therefore, as an act of freedom but as a form of the stubbornness which characterizes the activity of Reason. In this process, Reason is its own ally.

« Die Gedanken nicht bloß unsere Gedanken,
sondern zugleich das Ansich der Dinge sind. »


Il s’agit pour le philosophe de « transformer l’évidence universelle de l’être du monde (pour lui la plus grande des énigmes) en quelque chose qui se comprenne ».

Ces lignes ne sont pas de Hegel. Pourtant elles pourraient aisément se voir introduites en son texte sans qu’il n’y paraisse. Cette éventualité revêt un sens d’autant plus lourd que Husserl, le penseur qui a énoncé cette idée [1], connaissait à peine son non moins réputé compatriote d’un siècle son aîné [2]. Au fond, il n’y a peut-être là rien qui doive... étonner si, comme le prétend une commentatrice de notre auteur, « le propre de la philosophie est d’aborder ce qui est en sa totalité en recherchant d’un même mouvement ce qui fait que ce qui est est tel [3]. »

Certes, il n’est point aisé de créer le consensus autour du concept même de philosophie. Il semble toutefois qu’il y ait en général accord sur deux dimensions capitales, à savoir : elle consiste en un question­nement qui cherche la vérité, mais encore, et plus spécifiquement, la vérité de la totalité. C’est dire dès l’abord son caractère radical : la philosophie aspire à dépasser l’opinion et, d’autre part, à ne pas réduire sa réflexion à des domaines repliés sur eux-mêmes, étanches à tout autre. Elle cherche de la sorte à éviter le ghetto des savoirs qui ne mettent pas ces différents plans en relation, entre eux et/ou avec la totalité.

L’objet de la philosophie, c’est donc nulle autre chose que le monde bien réel dont on cherche le sens. De fait, le philosophe pose à celui-ci la laconique mais combien troublante question : « Que fais-tu là, monde  ? » Posture spéculative que le penseur présente dans une formule qui tout humble qu’elle soit n’en cache point pour autant ses ambitions : « Saisir et comprendre ce qui est, telle est la tâche de la philosophie [4]. »

Le sens et la totalité constituent les deux pôles du penser philosophique. Telles les abscisse et ordonnée du graphe à la conquête de l’espace, il est essentiel de considérer le projet hégélien dans toute l’amplitude de ce balayage à la fois horizontal et vertical du réel. Aussi l’avertissement suivant se voit-il justifié :

La fidélité à ce qui fait l’essentiel de l’entreprise hégélienne impose de la sorte une prise en compte première des perspectives les plus vastes (celles où la totalité se donne à connaître comme totalité) avant que l’on vienne à braquer l’objectif sur telle partie du tout [5].

Hegel insista longuement sur cette dimension de totalité – qu’il nous faudra ne jamais perdre de vue, sans quoi notre regard et notre compréhension du texte mutileront irrémédiablement sa pensée. D’où l’arrêt en forme d’axiome : « Tout ce qui mérite le nom de philosophie a toujours eu à son fondement / la conscience d’une unité absolue [6]. »

Par ailleurs, si la philosophie vise le comprendre et cherche le sens, que s’ingénie-t-elle à appré­hender sinon la vérité de la réalité – la signification des choses ? Or s’il y a quelque chose à comprendre, et que par là il est impliqué qu’il y ait de la vérité et du sens, nous optons de suite pour la rationalité.

Déjà le « bon sens » (der gesunde Menschenverstand) dont chacun s’estime bien pourvu, comme le faisait remarquer Descartes dans le Discours de la méthode, se fonde sur cette évidence de la rationalité – c’est-à-dire la présence d’un coefficient d’intelligibilité transitant les choses. L’univers des sciences, pour sa part, la reçoit avec empressement sous ses lois et ses théories. Et les réfutations de celles-ci tout au long de l’histoire du savoir témoignent non pas de la faillite de la raison, mais bien plutôt de son dépassement en des appréhensions toujours plus affinées et en des champs toujours plus vastes : « La transformation des opinions scientifiques est évolution, progrès, et non démolition », écrira le Freud de L’Avenir d’une illusion.

Reste maintenant l’« au-delà » de cet espace. Car si de fait il est généralement admis que la raison « règle » la nature au point où « nous y sommes accoutumés et nous n’en faisons pas grand cas [7], » il nous faut ou bien tracer la ligne et poser la limite de la raison, ou bien identifier sa présence par delà les frontières plus ou moins justifiées établies jusque-là. La raison, en déduit Hegel dans une envolée aux intonations augustiniennes (et son oeuvre s’en veut la démonstration continue), est partout ou nulle part. Or si déjà un coin du réel ne lui échappe point, le défi de la totalité rationnelle s’en trouve par là même lancé [8]. Car si les mots « comprendre », « connaître » et « vérité » ont un sens, « comprendre ce qui est » implique que ce qui est soit en quelque façon compréhensible. C’est-à-dire : rationnel. Du coup on saisira sans difficulté le message exprimé par le professeur dès sa leçon inaugurale à Berlin : « Le courage de la vérité, la foi en la puissance de l’esprit, sont la première condition de l’étude philosophique [9]. »

Cela dit, ne devons-nous pas consigner ici, d’emblée, l’existence d’un postulat qui par sa brutalité de « fait premier » s’expose à être réfuté ou pour le moins âprement interrogé ? Hegel ne dénature-t-il pas la raison elle-même, en la fondant somme toute sur un acte de foi, lorsqu’il maintient que « la seule idée qu’apporte la philosophie est la simple idée de la Raison – l’idée que la Raison gouverne le monde [10] » ?

On se doute qu’une telle proposition ne fit pas l’unanimité au sein des milieux intellectuels et philosophiques. Des pans entiers du réel, objecte-t-on à l’auteur, ne peuvent être considérés absolument rationnels. La réalité de manière générale n’est-elle pas tout au contraire un jeu confus, un va-et-vient invraisemblable où le mal, la souffrance, l’exploitation de l’homme, la bêtise et la violence possèdent en permanence les meilleures mains ?

D’autre part, dans la lignée de la tradition idéaliste, on a tôt fait de rappeler à Hegel que la sphère de la raison reste distincte de la réalité « sensible ». La scissure entérinée par Platon entre le monde des Idées et celui de ses ombres se poursuit chez René Descartes (jusque-là essentiellement véhiculée dans sa forme christianisée, du moins en Occident), qui la radicalise en la fondant sur l’ego cogito d’où émane le dualisme bien connu, et racinal, de la pensée et de l’étendue. Kant se penche de façon méthodique sur cette opposition en tentant de rapprocher les deux univers par les catégories de la raison et les formes de la sensibilité. Il perpétue toutefois la ‘tradition’ en maintenant que la rationalité dans le monde est toujours celle que la pensée – c’est-à-dire l’homme – y a introduit elle-même. Conséquemment, ce monde reste pour ainsi dire viscéralement chaotique dans son être-propre.

Devant tant d’assurance, Hegel ne perd pas pied. Imperturbable, il réplique incontinent que la raison demeure en réalité l’unique juge : l’Histoire est-elle rationnelle, le geste ‘irréfléchi’ est-il rationnel, la réalité sensible est-elle rationnelle... ? Qui peut le dire sinon la réflexion, la pensée, l’exercice de la raison en commerce avec son objet et ses questions. On ne saurait en effet opiner sérieusement sur quelque objet sans avoir préalablement réfléchi celui-ci, sans l’avoir littéralement interrogé. Le vrai et le faux sont par définition les enfants d’une réflexion [11].

Dès lors, ou bien la prise de position découle elle-même d’un mouvement irrationnel exhalé depuis un sentiment ou une conviction – et c’est alors une forme de gageure qui ne peut donner sur le « véridique » (tout au plus ce pari peut-il s’estimer hypothétique, assertorique si on veut, et en tous les cas problématique). Ou bien elle est l’œuvre du travail de la raison par les ressources de laquelle ce jugement parvient au vrai. Or si par un examen de cette sorte on était amené à appréhender une « tranche » de la réalité comme non rationnelle (ou a-rationnelle), cette a-rationalité resterait tout de même tributaire de la raison qui l’énonce.

Il apparaît donc que l’a-rationalité ne revêt de sens que dans un discours de raison sans lequel nous aboutirions à une « a-rationalité irrationnelle », parce que susceptible d’acquiescement ou de rejet selon des critères eux-mêmes insaisissables sinon farfelus – nommément la simple certitude ou prétention de dire vrai sans qu’il soit possible d’interroger la validité du propos. Procéder à une certaine investigation de la réalité de manière à reconnaître s’il y a ici ou là effectivement ou non « rationalité » revient donc constamment à buter contre un faux problème. En l’occurrence : la raison peut-elle être autre que rationnelle ?

Par ailleurs, et plus spécifiquement, maintenir l’opposition entre le monde sensible et celui de la raison conduit au même titre à s’enquérir plus avant de la source de cette aliénation réciproque. À cet égard, et malgré tout ce qui les distingue, Husserl rejoint une fois encore son illustre prédécesseur. C’est qu’ils poseraient certainement de concert l’inéluctable question : « Est-ce que la raison et l’étant doivent être séparés, alors que la raison connaissante détermine ce qui est étant [12] ? »

La thèse de la « raison pure », c’est-à-dire se suffisant à elle-même (face au sensible), se trouve donc marquée elle aussi du fer rouge de la réflexion qui l’a enfantée. Car en effet, ou cette raison présumée pure se dévoile à notre connaissance de cette façon (par raison/nement), ou bien elle est simplement postulée. Or postuler une théorie ne constitue rien de plus qu’un vouloir-être, une assertion susceptible d’être révoquée par une autre dont l’auteur maintiendrait également le bien-fondé.

Bref, le pronunciamiento du divorce pensée/réalité-sensible s'arc-boute au fond sur une simple opinion. Et si d’aventure ce rapport d’exclusion devait s’avérer réel, authentique, il ne saurait s’avouer tel qu’au nom de la raison qui pour le coup en fournirait l’argumentation. À la limite, la raison se prouverait elle-même en prouvant son contraire. Elle revient ainsi à son rôle constitutif et à sa détermination initiale, à savoir : source de tout jugement de sens sur le monde.

Affirmer que la raison reste en retrait, isolée du monde, est donc une position qui ne résiste pas à l’analyse : elle renvoie au foyer de sens qui (pré)autoriserait sa propre validité. La raison supposément retranchée du monde sensible provient, émane, de la raison qui l’a pensée. Aussi n’apparaît-elle nullement originaire ou indépendante, et de la sorte la thèse se voit déboutée. Une raison autosuffisante face à un monde qui en serait pour ainsi dire la matière aveugle, selon le mot de Kant [13], nous projette vers une raison plus englobante dans laquelle ce monde « matériel » cesse d’incarner le spectre de l’irréductible.

La “césure”, ou clivage, est tout au plus un instrument utilitaire pour une gnoséologie locale – qui s’embrouille aussitôt qu’elle prétend à l’universalité [14]. En toute cohérence, et en dernière analyse, ce que nous appellerions le dichotomisme ontologique ne peut éviter de reposer sur l’unité du rapport auquel il nous convie. Quelle que soit la nature de leurs différends les protagonistes, tous ordres du réel confondus par ailleurs, belligèrent fatalement dans un « ring » unique. Infailliblement. Un champ de bataille est toujours un champ d’amour – de la bataille, de la victoire ou de la liberté – avant que d’être à l’occasion un champ d’honneur (et vice versa sans doute : de l’amour à la bataille). Hegel a exprimé cette réalité dans une puissante formule : « L’Identité de l’identité et de la non-identité (die Identität der Identität und der Nichtidentität) » [15].

Un discours sensé nous plaque rigoureusement au mur de la rationalité. L’interrogation sur l’a‑rationalité elle-même n’échappe pas à cette exigence, sans quoi la question s’évapore en un flatus voci où tout un chacun a beau jeu d’estimer posséder le vrai – puisqu’il demeure le seul à comprendre le sens de sa propre parole. Or « savoir n’est pas savoir si personne ne sait ce que l’on sait [16] », ainsi que l’écrivait jadis le poète Caïus Lucilius.

D’aucuns reviendront pourtant à la charge contre de telles conclusions en avançant une suprême barricade : l’Absolu. La raison, affirme-t-on, ne sait pas tout. À l’image du sable fin glissant entre les doigts la vérité sinue entre les rets de ses fumeuses démonstrations, de ses invraisemblables argumentaires et de ses obscures déductions, sinon de ses amblyopes intuitions. Pourquoi ? Eh bien parce que l’ « essentiel » ne s’adresse pas à la raison ! Peu importe ici que cet Absolu soit nommé Dieu, l’Amour, le Sacré, la Vie, le Beau, la Substance, le Sens, l’Être ou l’Un. Ce qu’il faut retenir, c’est le sort privilégié que l’on réserve à un type de connaissance qui considère la raison comme une « faculté » quelque peu anémique, voire indésirable.

Ici ce sera l’irrationalisme romantique (ou les philosophies du sentiment) qui, plus particu­lièrement, fera l’objet des foudres de l’auteur. Bien qu’il ne soit pas toujours aisé de départager en son texte la cible visée, Hegel semble à cet égard regrouper sous un même tenant les « nouveaux » idéalismes allemands de son temps : dans la forme esthétique d’un Schiller ou des frères Schlegel (Friedrich surtout), religieuse d’un Jacobi et/ou sentimentale d’un Schleiermacher. Le tableau critique comprendra aussi Schelling, son grand ami d’avant 1807. Même la poésie d’Hölderlin et l’« idéalisme magique » d’essence fichtéenne de Novalis n’échappent point au stylet du compatriote.

De façon générale, on assisterait chez eux à une réaction systématique au moralisme abstrait de Kant ; d’où « cet idéalisme, qui remplacerait le dogmatisme des affirmations [entendez le kantisme], / par un dogmatisme des assurances subjectives (als ein versichernder Dogmatismus) [17]. »

Sans doute parce que cette conception caractéristique de l’Absolu demeure profondément enracinée dans les esprits, Hegel travaillera ardemment sa vie durant (et bien avant Marx et Nietzsche, et leurs coryphées ensuite) à démystifier ce monde-vérité inaccessible à la raison [18] ; en vertu duquel, à l’instar de l’ensemble des parathèses développées jusqu’ici, on maintient derechef une dualité.  Il y a la réalité – mais qui cette fois intégrerait la raison – puis l’au-delà de la raison, et donc de la réalité. Il s’ensuit que nous sommes par cette voie conduits à devoir admettre que la raison ne peut discourir de cet Absolu dont elle est exclue. On ne réfléchit pas l’Absolu : on le reçoit, on le sent, on le vit, car il se révèle intérieurement par la belle âme (die schöne Seele), « cette génialité morale qui “sait” que la voix intérieure de son savoir immédiat est voix divine (göttliche Stimme[19]. » Et puisque la raison se voit contestée au départ, tout commentaire devient du coup totalement superflu sinon dérisoire.

En définitive, c’est un : « à prendre ou à laisser ! » À cette croisée des chemins, Pascal conclut qu’il faut parier sur Dieu. De toute façon, on ne saurait perdre à ce jet de dés puisque, bien sûr, l’infini nous attend en promesse. Rousseau va dans le même sens en avançant par la bouche du vicaire savoyard que l’homme « se décide malgré lui de manière ou d’autre, et il aime mieux se tromper que de ne rien croire » – quitte à opter pour le néant [20].

Suspendre le Vrai, le Suprême, Dieu même, le cas échéant de son existence, à une loterie de la sorte apparaît aux yeux du penseur allemand comme un contresens. Il y a là une contradiction tout à fait insoutenable. On dépose l’univers du Sens sur le tapis vert du monde à la manière d’une vulgaire somme d’argent. Bref on assujettit le Vrai à un acte de foi qui, par définition, peut revêtir tous les masques sans admettre aucune réflexion sur les conditions de sa légitimité. En ce sens il y a une vérité pour chaque conscience, qui au reste se replie sur sa conviction. Or si la vérité devient histoire de conscience, peut-on persister à conserver le concept même de vérité ? Comme il est dit : « Une assurance nue a autant de poids qu’une autre »... Nous sommes dans l’indétermination de la conviction [21].

Le rapport entre la conscience et ce monde – que l’on considère privilégié dans l’exacte mesure où il est strictement personnel – laisse ainsi la porte ouverte à tous les possibles et donc à toutes les erreurs. Nous sombrons, dit Hegel, dans une voie où « tout ce qui est / superstition et service des idoles (Aberglaube und Götzendienst) est qualifié de vérité [22]. » Si le référent de la vérité de ma certitude réside en ma propre conscience, tout contenu de celle-ci se découvre dès lors marqué du sceau de la « vérité ». D’où cette déduction pour le moins antinomique, à savoir que le faux correspond au vrai : tout ce qui brille devient or !

Ainsi la thèse qui soutient que la raison ne peut légiférer ni se prononcer sur l’Absolu – qui serait pourtant lui-même la source dernière de tout sens – se fourvoie dans des implications totalement contradictoires. Il faut en conséquence se rendre à l’évidence que soustraire l’Absolu à la raison signifie le remettre tout bonnement au premier venu.

Il est de plus très étonnant que l’on conserve tout de même à la raison ses droits « en dehors » de cet univers tabou. La raison, en effet, peut continuer à philosopher, à manipuler les théorèmes mathé­matiques et à s’échiner à comprendre le monde. Pourtant le Vrai, le Sens, lui échappe. L’auteur de la Phénoménologie a cerné ce paradoxe dans une formule extraordinairement démystificatrice, où il constate que cette « vision » du vrai :

présuppose que l’Absolu se trouve d’un côté, et elle présuppose que la connaissance se trouvant d’un autre côté, pour soi et séparée de l’Absolu, est pourtant quelque chose de réel. En d’autres termes, elle présuppose que la connaissance, laquelle étant en dehors de l’Absolu est certainement aussi en dehors de la vérité, est pourtant encore véridique [23].

On est définitivement empêtré dans un non-vrai vrai et un vrai non vrai. La raison est vraie en son lieu, local, hors duquel elle tomberait dans l’erreur. D’autre part, l’Absolu, qui est le vrai, devient l’illustration même du faux en ce qu’il se réduit au contenu particulier de la conscience individuelle. C’est à ne plus s’y retrouver.

Un dernier rempart semble toutefois résister sur les vestiges de cette problématique de l’Absolu-Vrai. On prétendra dans ce cas de figure que la déconstruction hégélienne rate son objectif, car il n’y aurait de fait qu’un Absolu ; quoique celui-ci, convient-on, puisse à la rigueur s’avérer en quelque manière objet de la conscience personnelle. D’où l’inanité apparente des vues du philosophe, qui voit plutôt dans ce dédale la multitude des absolu‘s’ de toutes les consciences. Fort bien ! répond l’auteur. Mais alors, comment s’assurer que l’Absolu dont on parle est bien le même pour tout un chacun, et qu’il incarne ce vrai sans lequel toute certitude – de la foi comme de la raison – s’estompe dans l’aléatoire ?

À nouveau deux possibilités s’offrent à nous, poursuit-il. Ou bien je maintiens ma conviction, et je glisse vers les contradictions que l’on vient tout juste d’évoquer ; ou bien je travaille à circonscrire cet Absolu de façon à établir un dialogue avec les autres « croyants », dialogue qui se révèle d’une importance cruciale dans le projet d’élucidation du contenu de cet Absolu. Comment savoir, en effet, si réellement il n’y a qu’un seul Absolu – auquel répondraient toutes les consciences – s’il demeure, précisément, absolument inconnu ?

Affirmer que cet Absolu se nomme Dieu, le Vrai ou le Sens ne nous avance guère, une fois de plus. Car si l’on s’en tient à ces termes nominaux, on laisse derechef à la conscience la liberté de leur assigner les contenus qu’il lui plaira bien de favoriser. Et faute de leur « soutirer » une signification claire, précise, nous choyons dans la généralité vide. L’Absolu, Dieu ou le Vrai sont des concepts ‘merveilleux’ dans l’univers de la représentation. Mais quelle est donc leur véritable identité ? Pris en eux-mêmes désignent-ils réellement plus qu’un assemblage de lettres, si l’on sait que « les mots de divin, d’absolu, d’éternel, etc., n’expriment pas ce qui est contenu en eux » ? C’est pourquoi il devient ici fondamental, continue le dialecticien, de prendre conscience que « le commencement, le principe ou l’Absolu, dans son énonciation initiale et immédiate, est seulement l’universel [24]. »

Si ces concepts possèdent une quelconque signification, il s’avère nécessaire de la révéler. Or, est-il dit, révéler le sens de Dieu ou de l’Absolu c’est ravaler celui-ci aux catégories de notre raison qui le dénature. Dieu est infini et dépasse tout entendement qui chercherait à le dé-finir, et de ce fait à le dé-limiter. Dieu est insaisissable. Soit ! rétorque encore le penseur. Mais alors notre embarras reste entier. S’il est impossible d’identifier l’Absolu, il apparaît immédiatement évident, en corollaire, qu’on ne saurait prétendre que c’est cet Absolu-là même que ‘fréquentent’ les consciences qui estiment en faire l’expérience. On revient inlassablement aux mêmes apories : l’insaisissable est perméable à tous les prédicats et ainsi, inévitablement, à la contradiction intrinsèque.

Le refus de réfléchir l’Absolu autorise la réduction de celui-ci à des abstractions, sinon sa prosti­tution derrière le rideau des différents discours dont chacun l’affublera. Un Absolu « intouchable » demeure à jamais le résultat d’une fuite – de « la peur de la vérité », écrira froidement le philosophe. En un mot : un simple refuge [25]. Littéralement, l’inexprimable ne dit rien. C’est ce qui lui permet d’en dire déjà trop. L’auteur rend l’idée par des rédigés d’une rare justesse :

L’indicible – sentiment, sensation – n’est pas ce qu’il y a de plus excellent, de plus vrai, mais ce qu’il y a de plus insignifiant, de moins vrai [...] car là où il n’y a aucune déterminité, aucune connaissance non plus n’est possible. La lumière pure est l’obscurité pure [26].

Ces « exhortations » à la raison parcourent le corpus hégélien de façon récurrente, depuis la Phénomé­nologie : « Ce que l’on nomme l’inexprimable n’est pas autre chose que le non-vrai, le non-rationnel, / le seulement visé (das bloß Gemeinte) », jusqu’aux derniers souffles de l’Encyclopédie : « Croire (Glauben) ne signifie rien d’autre que ne pas progresser jusqu’à une représentation déterminée, / ne pas vouloir s’intéresser davantage au contenu (auf den Inhalt sich weiter nicht einlassen wollen[27]. »

Or ce contenu, loin d’être envisagé comme la limite du philosopher en constitue à l’inverse le véritable point de départ et ne cessera d’en être l’objet [28]. Puisque rien de signifiant ne peut être dit hors de la raison, et que celle-ci apparaît en tant qu’irréductible source de sens en deçà et au-delà de laquelle la vérité se fait légère comme neige au vent, il devient clair que l’entreprise philosophique braquera son discours sur la raison elle-même. Si en effet la philosophie cherche « la vérité des choses », elle cherche nulle autre chose que leur raison – le sens qui les habite.

Il s’agira donc de saisir la rationalité du réel en n’oubliant pas un instant – désormais – que là où l’on sera tenté le cas échéant d’égarer, d’oblitérer ou de “dissimuler” la raison, ce mouvement de retran­chement ne pourra à son tour se voir pénétré de quelque sapience que s’il s’appréhende, se comprend et se justifie. Et devant quel assesseur une fois encore cette attitude pourrait-elle s’interroger, se critiquer, sinon la raison même [29] ?


postlude


"L’instinct de pensée est lui aussi un instinct vital.“

Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain


À l’aune de cette instruction quasi judiciaire, un constat s’impose : la Raison n’est point un postulat du penser hégélien. Au contraire. La Raison configure l’horizon sur lequel se dessinent tous les possibles – connus ou à connaître. Horizon – où que nous soyons et vers quelque destination que nous nous dirigeassions – à jamais damasquiné « là », au bout de mon champ. De mon champ de vision, de pensée, d’existence. Ou de betteraves. Indifféremment.

Hegel n’a pas « choisi » la rationalité comme d’autres philosophes « optent » pour la vertu, la substance, le verbe, l’amour, la liberté, les Idées, le divin, le chiffre, l’esprit, la matière ou que sais-je encore. Comme nous tous il est choisi – j’allais dire empoigné – par elle. De la sorte, par le pistage obstiné de cette intelligibilité inhérente, immanente, au réel (et ce jusque dans les retranchements les plus reculés d’icelle, voire les plus inattendus), il récupère déjà pour ainsi dire tout discours de sens. À ce titre l’auteur demeure indépassable. Aussi n’en finirons-nous sans doute pas de sitôt de débattre avec et autour de lui. Car si à la rigueur on peut penser contre Hegel, on ne peut en dernier ressort penser que tout contre lui. Et en aucun cas vraiment sans lui. Aussi sûrement que le navire ne saurait voguer sans eau ou l’avion voler sans air. Du moins tant qu’il y aura de l’air dans l’eau (et capitaine en vaisseau), préciserait pour le coup le grand Gilles Vigneault de Natashquan.

Certes, la préhension hégélienne de la raison reste celle d’un homme, être de finitude. Elle se déploie imprégnée d’ambiguïtés, de maladresses aussi, auxquelles nul n’échappe. Y compris le plus chevronné des doués. Cette imperfection, indéracinable, adamesque, ne saurait cependant se voir épinglée que par le pertuis de la perfection elle-même. C’est-à-dire de la vérité. Fille de la raison…

On comprendra mieux maintenant la profondeur des propos qu’il tint quelques jours à peine avant sa mort, à Berlin, lorsque, au sujet des catégories de la raison, il affirmait que loin de les posséder, nous étions plutôt « possédés par elles (sie uns im Besitz haben) ». « La logique, ajoute-t-il eu égard à l’homme, constitue sa nature même (seine eigentümliche Natur selbst[30]. » Dès les premières lignes de son maître ouvrage, l’idée s’annonçait d’ores et déjà comme phare sur l’infinitude : « Tout ce qui est humain est humain en ce que, et seulement en ce qu’il est produit au moyen de la pensée [31]. »

Cette descente vertigineuse vers la Raison, non moins impressionnante qu'inéluctable, ne nous amène pourtant qu’à l’orée du travail à accomplir. Car bien pauvre raison serait celle que l’on découvrirait, tel un oreiller douillet, pour mieux s’y endormir à nouveau comme en un Dieu-refuge qui apaise les angoisses et calme les insomnies [32]. Recherchant le vrai, la Raison se tient en état de veille permanent : elle est constamment tendue, pour reprendre l’expression de Malebranche (et à l’exemple d’un puissant mouvement giravionnel, pour bien faire anachronique), par son désir de comprendre [33]. D’où sa quête perpétuelle d’elle-même – telle une oraison adressée aux sources vives de l’être – invoquant son propre dedans pour sans cesse aller plus loin devant.

Aussi il ne suffit plus d’affirmer que le monde est rationnel simplement parce que maintenir l’absence totale ou partielle de la raison s’avère une position intenable. Dans le présent essai, nous avons en quelque sorte « récolté » la raison en déchiffrant, ou repérant, son rôle – théorique – en tout verbe de sens. En d’autres termes, nous nous sommes ‘contenté’ d’appréhender (ou plus justement, de recevoir) la raison sous l’angle assez large de foyer de sens et source d’intelligibilité. Or si effectivement la réalité n’est pas étrangère à la rationalité, il nous reste à comprendre de quelle façon la première manifeste la seconde. C’est que par le détour synthétique de la confrontation de la rationalité à l’« a-rationalité » (c’est-à-dire par voie indirecte, ou seulement négative), on a découvert en effet que le rationalisme hégélien ne constitue pas un point de départ à légitimer, mais bien une « conséquence » à expliciter. Cadeau de Grec ! Ancien, bien sûr.

La Raison gouverne le monde... ?

À la bonne heure !

Sauf qu’il s’agira maintenant de savoir positivement comment. Ce n’est qu’à la faveur d’un pareil exercice d’investigation que l’on pourra espérer parvenir à identifier l’architectonique et de la réalité et de la raison, et par là retrouver l’essentiel des matériaux qui nourrissent le chemin du sens et de la vérité. Car, comme le professait Hegel avec force concision, parler de la raison demeure au fond une banale et plutôt vaine entreprise. En revanche,


« Die Vernunft in ihrer Bestimmung gefaßt,

dies ist erst die Sache » ! [34]


Jean-Luc GOUIN

LePeregrin@yahoo.ca

Montréal (Québec), le 29 Janvier 2010

Cet article paru dans les Hegel-Studien de 2009 (Band 44) constitue le premier d’une série de trois (3) textes unifiés portant sur l’oeuvre du philosophe Hegel. Il s’agit en l’occurrence d’une Introduction tout à la fois à la pensée hégélienne et à la « rationalité philosophique » de manière plus générale. Il s’adresse à un auditoire averti aussi bien qu’à un public élargi. Le second article (voir note no 34) a été édité également dans une revue allemande (à l’été de 2009), alors que la troisième étude de ce Triptyque paraîtra en 2011 (voir aussi la note 34) dans la revue suisse alémanique Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie sous le titre suivant : « Die Dialektik des Staates. Hegel ou de la Liberté constitutive de la Raison ». [retour au liminaire du texte]


MOTS-CLÉS : Raison (Vernunft - Reason), Rationalité (Vernünftigkeit - Rationality), G. W. F. Hegel, Liberté (Freiheit / Selbständigkeit - Freedom / Liberty), Dialectique (Dialektik - Dialectic), Négativité (Negativität - Negativity), Logique (Denkkraft - Logic)


Quelques textes homologues du même auteur

 

Le Commissaire et le Détective 

     (compte-rendu de deux biographies sur Hegel – En guise d’intromission à l’univers hégélien)

• « Radicalité du sens et altérité en tous sens. Entropie et philentropie chez Georg W. F. Hegel » 

     (incursion au coeur du penser hégélien) [Triptyque - II]

• « Die Dialektik des Staates. Hegel ou de la Liberté constitutive de la Raison » 

     (les impératifs politiques de la rationalité telle que comprise par Hegel – à venir en 2011) [Triptyque - III]

Être ou Peut-Être. Penser a(u)près (de) Hegel

     (Dialogue avec moi-même. Ou le fin mot attentatoire de : Hegel ou de la Raison intégrale)

• « Aimer Penser Mourir : Hegel, Nietzsche, Freud en miroirs »  (extrait)

• « Hegel en débat – Monodialogue Michel Onfray / J.-L. Gouin »

     (un quasi échange épistolaire portant sur le philosophe Hegel)

Le « Rond de Science »  (variations sur la notion d’Encyclopédie)

De la malhonnêteté intellectuelle  (mot d’humeur de rigueur)

Recensions / analyses critiques  (essais / littérature)

Bibliographie introductive à l’œuvre hégélienne  (Hegel sans coups ni blessures…)


notes complémentaires


2Husserl a toujours maintenu ne pas (vouloir) lire Hegel, comme pour ne pas « troubler » l’originalité de sa propre réflexion. Ces deux puissants esprits germains demeurent, on le sait, les dignes sommités du rationalisme philosophique ; d’où peut-être l’intuition du puîné († 1938) de se préserver du grand’frère (Freud adopta semblable attitude face à Nietzsche). Notons au passage que ces illustres maîtres de l’« Idée » se voyaient secoués par une même horripilation devant tout formalisme. On n’aura qu’à retenir à cet égard les catégories de Lebenswelt (« monde de la vie ») et d’intentionnalité, fondamentales chez Husserl, par lesquelles il tenta inlassablement de paver la voie de l’homme – ‘donateur de sens’ – jusqu’à la raison. Et réciproquement. Pour lui comme pour Hegel le rationalisme cohérent, truisme de bon aloi, représente l’antithèse de la rationalisation. Les deux hommes sont d’ailleurs les co-fondateurs, chacun à sa façon et à un siècle d’intervalle, du fameux courant de la Phénoménologie. Lequel devait baigner tout le XXe siècle. A minima les deux premiers tiers, jusqu’à l’émergence de la « Déconstruction » du Sujet (et le conflit conceptuel frontal, voire à saveur idéologique à l’occasion, qui en résulta)  érigée en nouveau mantra intellectuel du temps.

L’affrontement cogitatif Husserl–Hegel reste dans une large mesure à l’origine de ce que la philosophie contemporaine – continentale européenne – produisit de mieux construit avec Heidegger, Merleau-Ponty, l’École de Francfort, Sartre, et Ricoeur, pour ne nommer que ceux-là. Nietzsche et Marx, Kierkegaard aussi, se joindront bientôt à la conversation et aux grands débats par filles et fils spirituels interposés. La Phéno­ménologie se fera de plus en plus psychologique, d’une part, politique d’autre part, en concomitance ou en diachronie. Elle deviendra enfin Existentialisme pour la génération d’après-guerre, avant son éclatement (final ?) et pour ainsi dire sa dilution. 


18 Par opposition à l’idée largement répandue, nous irions même jusqu’à prétendre que ce combat contre l’abstrait atteint son objectif plus radicalement encore chez Hegel que chez ces « Maîtres du soupçon ». Modifier le « contenu » de la divinité-en-soi ne nous en libère pas pour autant : occire ou nier Dieu pour le remplacer par le Prolétariat (ou l’Histoire, sinon le Parti : « Nos athées sont de pieuses gens, » ironisait Max Stirner), par le Surhomme ou, pour continuer dans la lignée dudit soupçon, par l’Inconscient du psychanalyste (« Dieu est inconscient», dit le Lacan du Séminaire xi), nous enferme en un Absolu nouvelle mode qui se présente comme le « véritable lieu » d’où le reste tire son sens comme à sa source. On demeure ainsi dans l’abstraction d’un dualisme entre le « Vrai » et ce qu’il conditionne – c’est-à-dire, en langage hégélien, dans un Ab‑solu d’entendement. Ce qui, sur le plan formel, nous ramène exactement à la foi du charbonnier, sinon à la symbolique du blanc barbu de notre petite enfance cousue du gros fil mauve de la catholicité des “Monseigneurs”. « Il ne résulte pas encore d’une pensée, d’une conviction personnelle, écrit le philosophe avec lucidité, que l’on soit affranchi de l’autorité [...] car notre propre révélation intérieure est une sorte d’autorité (Eigenes Denken, eigene Überzeugung macht es also noch nicht, daß man frei von Autorität sei [...] denn daß es aus unserer eigenen inneren Offenbarung komme, ist eine Weise der Autorität). » Philo., p. 224 et 223 (196 et 195), nous soulignons. Or chez Hegel l’Absolu cesse préci­sément de s’affirmer comme ce lieu – ce trône : qu’il se trouve au fond du coeur, aux il‑limites de l’infini, dans les usufruits de la chair ou dans les moyens de production – d’où se révélerait le sens. Il se manifeste au contraire, partout et nulle part à la fois, en tout ce qui est et par ce qui est. Et c’est pour ainsi dire sa tâche propre – l’Absolu n’« incarne » point une entité fainéante et/ou imbue d’elle-même : il ne mijote pas l’éternité durant, et comme du haut d’une autarcie hautaine présumée, dans les tièdes liqueurs d’une morgue vaine et désoeuvrée – de le démontrer.

Si par ailleurs, inversement, l’on prétendait que l’Absolu n’est que le simple résultat, par exemple, de l’absolutisation de la raison humaine, et donc une pure fantasia de l’esprit, on reviendrait tout de même alors à une compréhension unifiée et autonome de la raison. En l’occasion l’Absolu hégélien n’acquerrait certes pas un statut identique chez les critiques – avant la lettre chez un Diderot notamment, digne représentant des Lumières crues françaises, dans le positivisme fin XIXe ou dans le cadre de la réflexion effectivement décapante des Marx et des Nietzsche –, mais tout ce gratin indigné des bondieuseries en vigueur scellerait sans contredit le pacte hégélien que voici : « Il n’y a qu’une raison, il n’en est pas une seconde, surhumaine ; elle est le divin dans l’homme (Die Vernunft ist nur eine ; es gibt keine zweite, übermenschliche Vernunft. Sie ist das Göttliche im Menschen). » Philo., p. 146 (123), nous soulignons.

Quelque absolu qu’il soit l’« Idéalisme » de Hegel, ainsi que nous l’apprend le passage d’allure condil­lacienne qui suit, reste à cet égard plus près du matérialisme manière de La Mettrie ou de d’Holbach que de l’exaltation ou de l’illuminisme : « Dans la sensation, est présente la raison tout entière – le matériau intégral de l’esprit (In der Empfindung ist die ganze Vernunft – der gesamte Stoff des Geistes vorhanden). » Enc.‑3,  § 447, add., p. 546 (X, 248). Ce qui cependant ne retient nullement son concepteur d’accorder une très large place à Jakob Böhme, et admirative encore, dans son Histoire de la Philosophie. Les grandes pensées, on ne le dira jamais assez, ne se réduisent pas à deux ou trois entourloupettes de manuels didactiques, fort peu pédagogiques le plus souvent. Parce que la pensée, c’est vivant. Comme le lombric dans un sol humide. Comme eine schöne Seele follement éprise de sa bien-aimée.


23 La portée retentissante du commentaire nécessite la version originale complète : « Sie setzt daß das Absolute auf einer Seite stehe und das Erkennen auf der andern Seite für sich und getrennt von dem Absoluten doch etwas Reelles [sei], oder hiermit, daß das Erkennen, welches, indem es außer dem Absoluten, wohl auch außer der Wahrheit ist, doch wahrhaft sei. » Ph., p. 66-67 (III, 70). Hegel ne manquera pas, après 1807, de revenir régulièrement sur cette universelle et persistante contradiction. Depuis l’introduction de sa Logique en 1812 : « Résultat étrange, étant donné que l’infini est le rationnel, que de dire : la raison n’est pas capable de connaître le rationnel (Ein sonderbares Resultat, indem das Unendliche das Vernünftige ist, zu sagen, die Vernunft sei nicht fähig, das Vernünftige zu erkennen), » jusqu’à l’avant-propos de la 3e édition de L’Encyclopédie, en 1830 : « La religiosité, tout ensemble celle qui est pieuse et celle qui réfléchit, / en est venue à trouver la satisfaction la plus haute là où il n’y a pas de contenu (dazu gekommen ist, die höchste Befriedigung ohne Inhalt zu finden) », en retenant au passage l’allocution de 1818 : « On ne connaîtrait rien de vrai (daß nichts Wahres erkannt), mais que seul ce qui est sans vérité (Unwahres), temporel et passager jouirait en quelque sorte de l’avantage d’être connu. » Ce qui implique, nous dit le « Concept général » de la Logique, achevé à l’automne de 1831 : « L’absurdité qu’il ne serait pas nécessaire de connaître un objet tel qu’il est en soi pour en avoir une vraie connaissance (So ungereimt ist eine wahre Erkenntnis, die den Gegenstand nicht erkennte, wie er an sich ist). » Respectivement : Log.‑1, p. 28 (27), Enc.‑1, p. 143 et 147 (VIII, 37 et X, 402), et Log.(1831), p. 31 (V, 39).

Nous ne résistons pas à l’impulsion de revenir soudain à Platon, quelque 2 400 ans en arrière, ne fût-ce que pour jauger à l’aune de nos piétinements la lenteur et les atermoiements du concept dans l’histoire des hommes (bien qu’à certains égards, il est vrai, le pupille de Socrate soit notre exact contemporain : l’univers a tout de même exigé 15 milliards d’années, en effet, pour nous offrir la poiêsis d’un être capable de poésie – filiation étymologique riche d’enseignement, et au surplus implacable désaveu du poète... qui ne “fait” rien). C’est le Sophiste (248e-249a, traduction d’Émile Chambry) qui retentit comme en écho de désespérance du fond des siècles :

Mais par Zeus ! nous laisserons-nous si aisément persuader que le mouvement, la vie, l’âme, la pensée n’ont vraiment pas de place en l’être absolu, qu’il ne vit ni ne pense, et que, vénérable et sacré, dénué d’intelligence, il reste figé et sans mouvement ?

Éternels orphelins de sens que nous sommes, par indigence de totalisme. Par Kronos ! qu’il est loin le coeur de la tendresse des choses.


28 « La raison aborde le monde avec la croyance absolue de pouvoir poser l’identité et élever sa certitude à la vérité, et avec l’impulsion à poser aussi comme du néant l’opposition qui est pour elle en soi du néant. Ce processus est d’une façon générale la connaissance (Die Vernunft kommt an die Welt mit dem absoluten Glauben, die Identität setzen und ihre Gewißheit zur Wahrheit erheben zu können, und mit dem Triebe, den für sie an sich nichtigen Gegensatz auch als nichtig zu setzen. Dieser Prozeß ist im allgemeinen das Erkennen). » Enc.‑1, §§ 224 et 225, p. 454 (VIII, 378). Ce qui est divisé ou séparé, ajoute le Herr professor dans son style inimitable, « la philosophie l’unifie, unissant ainsi le dimanche de la vie à la journée ouvrable (das Faßt die Philosophie in Eins zusammen und vereint so den Sonntag und Werktag des Lebens). » Philo., p. 250 (220).

Il est fait remarqué que l’on commet souvent « l’inversion consistant en ce que ce qui est nommé rationnel est ce qui relève de l’entendement, / alors que ce qui est nommé irrationnel est bien plutôt un commencement et une trace de rationalité ([...] aber irrational, vielmehr ein Beginn und Spur der Vernünftigkeit ist). » Enc.‑1, § 231, rem., p. 458 (VIII, 384). On constate à nouveau que la soi-disant « impitoyable » raison chez Hegel (impie non moins que pitoyable, diront d’aucuns) ne constitue pas une Néron de la personnalité humaine. Si réellement rien n’échappe au rationnel, on ne saurait conclure pour autant, en effet, que “tout le reste” – disons : la non-raison – n’est que bavardage ou catinage. C’est l’inverse qui s’impose à l’‘intelligeance’ du réel. Ailleurs, le philosophe avance que « le moment vrai et spéculatif est celui où l’entendement se refuse à entrer, lui qui précisément appelle le concept l’incon­cevable [car...] L’entendement ne trouve dans la spéculation que des contradictions, il en reste à la distinction et ne peut comprendre le concret (das Wahre und Spekulative [Moment] ist es, in welches einzugehen sich der Verstand weigert, der immer gerade den Begriff das Unbegreifliche nennt [...] Der Verstand findet überall in dem Spekulativen nur Widersprüche ; er bleibt beim Unterschied stehen, kann das Konkrete nicht fassen). » Droit, § 7, rem., p. 76 (VII, 55) et Philo., p. 239 (210), nous soulignons. Pour l’entendement, la raison n’est pas moins fugitive, insaisissable ou fuyante, voire rebutante à l’occasion, qu’un cri, une impulsion, un grommellement, un pleur.

Aussi lorsque Hegel pourfend le “sentiment” avec la dernière énergie, ainsi que nous venons de l’entrevoir, ce n’est pas dans l’espoir de l’annihiler, ou idéalement de s’en libérer comme d’une tare. Si on a déjà lu que « le réel est rationnel » [Droit, p. 55 (VII, 24)], qu’il n’y a « qu’une raison en l’homme » [Philo., p. 146 (123)] et qu’elle « gouverne le monde » [Raison, p. 47 (28)], en revanche il ne fut jamais affirmé que cette rationalité était ou devait être mandatée (fût-ce par quelque obscure détermination interne) pour ignorer, désavouer, mépriser, évacuer ou dissoudre ce réel dans sa dimension présumée (plus ou moins spontanément, et en tous les cas a priori) a‑rationnelle. Il s’agit au contraire de comprendre que raison, sentiment et monde sont saisis, traversés, d’une même rationalité fondamentale. C’est la séparation, la dichotomie, qui pour Hegel est indéfendable. Parce que rigoureusement injustifiable. Celui-ci parlera de « la vérité du coeur et du vouloir et, ce qui revient au même, leur rationalité effective (die Wahrheit und, was dasselbe ist, die wirkliche Vernünftigkeit des Herzens und Willens). » Au même paragraphe, il ajoute : « Le rationnel, qui se trouve dans la structure de la rationalité comme quelque chose de pensé, / est le même contenu (ist derselbe Inhalt) que celui du bon sentiment pratique, mais (aber) dans son universalité et sa nécessité, / dans son objectivité et sa vérité (in seiner Objektivität und Wahrheit). » Enc.(G), § 471, rem., p. 420 (X, 291), nous soulignons.

La raison ne survole donc pas « ce qui est » : elle embrasse cette ‘étantité’ et la com‑prend dans toute l’extension de ces termes. Ce qui lui est d’ailleurs en quelque sorte une activité congénitale (par distinction d’un acte second), ainsi que l’a magistralement démontré la Phénoménologie. La « conscience insignifiante du ceci », prégnante et pour tout dire “absolue” en début d’humanité (au sens animalien : présence entière à l’immédiateté) – sur le plan ontogénique aussi bien que phylogénique – se révèle d’emblée happée, dès l’abord, par le ressort de sa propre raison. La conscience est entraînée par delà elle-même, ne sachant pas encore qu’elle est tirée vers l’avant par elle-même – et moins encore qu’en bout de route elle rencontrera un grand Autre qui s’appelle Moi. En termes concis : « Un tel chemin vers la science est lui-même déjà science (Ist dieser Weg zur Wissenschaft selbst schon Wissenschaft). » Ph., p. 77 (III, 80).

Hegel l’a fort bien exprimé dès le début de l’ouvrage, en préface : « L’intelligible est ce qui est déjà connu, l’élément commun de la science et de la conscience non scientifique, laquelle peut ainsi s’ouvrir immédiatement un passage vers la science (Das Verständige ist das schon Bekannte und das Gemein­schaftliche der Wissenschaft und des unwissenschaftlichen Bewußtseins, wodurch dieses unmittelbar in jene einzutreten vermag). » Ph. p. 14 (III, 20) / Ph.(66), p. 37 (36). En un mot : la conscience pré‑scientifique est par soi pré-scientifique. La raison peut être enfouie, inconsciente, répugnante, ridicule, affolée, paresseuse ou violente, et que sais-je encore ? Mais elle n’est jamais « à côté ». Toujours dedans, fût-ce derrière comme... une arrière-pensée. Littéralement : « Die Logik hinter dem Bewußtsein [...] hinter seinem Rücken » (« La logique derrière la conscience [...] derrière son dos » : véritable symétrique - ou anté-calque ? - au rapport Es Ich freudien, et sur laquelle, à la lumière de l’Esprit subjectif de l’Encyclopédie, nous aurions aimé revenir dans un texte qui, hélas, restera en rade). Ph., p. 77 (III, 80) et/ou Enc.‑1, § 25, rem., p. 290 (VIII, 92).

L’auteur loupe rarement l’occasion de tancer « l’esprit de sérieux ». La raison, loin d’être un dessiccatif de la vie en est le grenouillement même. C’est toute la nuance entre la Raison (Vernunft) et son second, certes indispensable mais insuffisant, à savoir l’Entendement (Verstand) – qui est à la première, dans le langage de Conan Doyle, ce que Dr. Watson est à Holmes : c’est bien Sherlock qui cogite, échafaude les spéculations et résout, ultimement, les problèmes.

La raison hégélienne est partout non pas parce qu’elle aurait tout asséché, aseptisé ou détruit sur son passage, mais parce qu’elle imprègne tout. Elle n’est pas une Guerrière, raffolant de sang et de souffrance, mais une Amoureuse. Quoique attention ! pas une nymphette alanguie de pop cinéma, prélassée dans les draps de soie naturelle, vie‑sionnant distraitement l’existence paradant devant (ou autour) d’elle. Elle s’apparente plutôt – ce qui au demeurant n’est pas sans rappeler l’Athéna des Grecs – à cette alter ego de la Marianne qui tient les couleurs dans la si belle et si puissante Liberté guidant le peuple, d’Eugène Delacroix (toile qu’il peignit en commémoration des « Trois Glorieuses » de la monarchie dite de Juillet) ; et incidem­ment à la même époque où Hegel écrivait, ou peaufinait, en 1830, nombre des textes cités à l’instant.

Déesse Raison n’a cure des draps et des miroirs. Elle a trop à faire avec l’embellie du monde pour se préoccuper de prétendants transis à ses pieds devant sa superbe, sa fougue, sa vigueur et sa rigueur. C’est peut-être pour cette raison, au reste, qu’Homère fit de la jeune femme casquée une vierge farouche, toute fin prête pour le combat dès sa naissance du cerveau de son père, Zeus. Et par Éros ! d’autant plus désirable. Jeanne d’Arc avant Jeanne d’Arc.


33 « L’éternel féminin nous aspire vers le haut (Das Ewig Weibliche zieht uns hinan) », écrit Goethe en coda du Second Faust. Hegel tient un propos analogue eu égard à la raison – dût-on entre-temps en passer par l’abysse. Il nous semble voir l’un se laisser guider par l’Adagio d’Albinoni, l’autre par la poésie de Schiller en finale de la Neuvième Symphonie de Beethoven, au reste composée dans les années où le penseur était lui-même au sommet de son art (on se souviendra rétrospectivement que le philosophe a également couronné le « Savoir absolu » de ces mêmes vers de l’Hymne à la Joie). Si on nous autorise à poursuivre la digression on apprendra que les deux compatriotes, et ponctuels frères temporels (qui, sauf erreur, ne se connaissaient que de réputation), composèrent respectivement leur premier grand ouvrage, soit la 5e Symphonie et la Phénoménologie, exactement au même moment (pendant ce temps, à Weimar, Goethe achevait le premier Faust !). Nous étions en 1806, alors que Napoléon brillait au firmament étoilé de « l’Esprit de la Révolution», naguère saluée avec une émotion presque religieuse par nos... artistes. Pour l’anecdote, et comme par surcroît, on remarquera que les deux inouïs personnages soulignent des traits, et physiques et psychologiques, à certains égards étonnants de similarité.

Terminons sur une note blanche, une suggestion, avant que d’allonger à l’indéfini le point d’orgue : la lecture et l’écoute synchrone des deux œuvres mythiques citées. Nous ne saurions trop déconseiller pareil amalgame, cependant, à la lecture des travaux pointus de maturité. S’il est vrai que M. Ludwig est sans doute, avec Richard Wagner, le plus philosophe des compositeurs, et Georg Friedrich Wilhelm le plus konkret des théoriciens, la Logik et la Symphonie en do mineur se disputant – de concert – un même bulbe rachidien font à nos yeux figure de hölzernes Eisen, pour ressaisir au vol le mot déjà rapporté en apostille 29.


34 « Saisir la raison dans sa détermination, voilà la chose ! » Raison, p. 69 (49), nous soulignons en traduction. S’inspirant de l’Apocalypse de Jean de Patmos, dit l’Évangéliste, (en III, 16), Hegel insiste sur le fait que « la raison ne se contente pas de l’approximation, car celle-ci n’est ni chaude ni froide et doit être vomie (die Vernunft sicht nicht mit der Annäherung, als welche weder kalt noch warm ist und darum ausgespien wird). » Droit, p. 58 (VII, 27). « La tâche de la philosophie est d’appréhender rationnellement la raison », dit par ailleurs fort justement Bernard Bourgeois dans un commentaire de sa traduction de l’Enc.‑1, note 8, p. 285. Pour le dire d’un seul élan : « La Science a seulement pour tâche d’amener à la conscience ce travail propre de la raison de la Chose (Die Wissenschaft hat nur das Geschäft, diese eigene Arbeit der Vernunft der Sache zum Bewußtsein zu bringen). » Droit, § 31, rem., p. 90 (VII, 85).

Et c’est là très précisément le programme réalisé, nous aimerions en tout cas le croire, dans notre article paru récemment dans les Archiv für Rechts- und Sozialphilosophie (Vol. 95 [2009], No 3, 359-383), sous le titre : « Radicalité du sens et altérité en tous sens. Entropie et philentropie chez Georg W. F. Hegel ». En outre, on pourra depuis ce contrefort supplémentaire, et pas exactement accessoire en l’occasion (et par le biais duquel la résilience constitutive de la raison – Ce qui s’oppose me repose / Ce qui me nie me nourrit, ainsi que nous venons de l’observer tout au long de ces pages – prendra son sens jusqu’au vertige même), poursuivre plus avant l’« aventure » spéculative hégélienne en visitant un autre essai à paraître en 2011, et intitulé : « Die Dialektik des Staates. Hegel ou de la Liberté constitutive de la Raison ».

On comprendra alors comment les cales théoriques de la pensée du philosophe de Stuttgart se prolongent, s’incarnent puis se déploient dans le réel dit concret. Et ce, depuis l’Être de manière générale (Sein) jusqu’à l’État et l’Histoire (Staat / Geschichte), par les sentiers sinueux, pas toujours lumineux, méandresques et souvent tortueux, mais non moins nécessaires, de l’Esprit (Geist) et de la Liberté (Freiheit). Puisque en vertu de la saisie compréhensive du monde selon les modalités de la Philosophie de l’Esprit, et plus particu­lièrement de la Philosophie du Droit qui en constitue un ‘moment’ obligé (voire souverain dans l’ordre de la Cité des hommes) : « C’est un but absolu de la raison de faire de la liberté une réalité effective (Es ist absoluter Zweck der Vernunft, daß die Freiheit wirklich sei). » Droit, § 258, add., p. 260 (VII, 403). [retour à la note explicative finale]


œuvres de hegel

(Sources principales de référence / Traductions françaises)

sigles

Tous les textes, sauf items en caractères gras, renvoient à l’édition suivante : werke in zwanzig bänden, Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1969-1971 (en attendant la complétion de l’édition critique de grande ampleur des gesammelte werke – en cours depuis 1968 chez Felix Meiner Verlag, à Hambourg). La pagination de l’édition allemande (entre parenthèses et précédée du tome le cas échéant) suit celle de la traduction.


Enc.-1, 2, 3 Encyclopédie des sciences philosophiques. I. La Science de la Logique ; II. La Philosophie de la Nature ; III. La Philosophie de l’Esprit [(1817, 1827), 1830]. Traduction, présentation et annotations de Bernard Bourgeois, Paris, Vrin, 2007 [1970], 2004 et 1988.
Enc.(G) Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé [1830]. Traduction de Maurice de Gandillac, Paris, Gallimard, NRF, 1970.
Hist. La Philosophie de l’Histoire [1822-1831]. Traduction collégiale sous la direction de Myriam Bienenstock, appareil critique de Norbert Waszek, Paris, Le Livre de Poche, Pochothèque, 2009. Texte établi (pour une bonne part) par l’Académie des Sciences de Rhénanie/Westphalie pour les gesammelte werke, Hambourg, Felix Meiner Verlag (Band 27 à paraître).
Philo. / ‑2 Leçons sur l’histoire de la Philosophie. « Introduction » : Système et histoire de la Philosophie [1816, 1820-1830]. Traduction de Jean Gibelin, Paris, Gallimard, nrf, 1970 [1954], 2 T. Traduction de : geschichte der philosophie (Einleitung). Texte établi par Johannes Hoffmeister, Hambourg, Felix Meiner Verlag, 1959 [1940-1944]. Voir aussi la traduction fort bienvenue de ces Leçons [1825-1826] par Gilles Marmasse (Paris, Vrin, 2004).
Ph. / Ph.-2 La Phénoménologie de l’Esprit [1807]. Traduction et notes de Jean Hyppolite, Paris, Aubier-Montaigne, 2 tomes, 1939 et 1941. Voir également autres traductions beaucoup plus récentes de Bernard Bourgeois (Paris, Vrin, 2006), de Jean-Pierre Lefebvre (Paris, Flammarion, 2008 [1991]) ou de Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière (Paris, Gallimard, nrf, 2002 [1993]).
Ph.(66) La Phénoménologie de l’Esprit [1807] : « Préface ». Nouvelle traduction, introduction et notes de Jean Hyppolite, Paris, Aubier (édition bilingue), 1966. Autres versions bilingues plus récentes de la « Préface » en format poche : traduction de Jean-Pierre Lefebvre (Garnier-Flammarion, 1996) ou de Bernard Bourgeois (Vrin, 1997, « Introduction » ici également comprise).
Droit Principes de la Philosophie du Droit ou Droit naturel et science de l’État en abrégé [1821]. Traduction, présentation et commentaires de Robert Derathé et Jean-Paul Frick, Paris, Vrin, 1990 [1975]. On pourra également en référer aux traductions plus récentes de Jean-François Kervégan (Paris, PUF, Quadrige, 2003 [1998]) et de Jean-Louis Vieillard-Baron (Paris, Garnier-Flammarion, 1999).
Raison La Raison dans l’Histoire. Introduction à la Philosophie de l’Histoire [1822-1830]. Traduction, introduction et notes de Kostas Papaioannou, Paris, U.G.É., 10/18, 1965. Traduction de : die vernunft in der geschichte. Texte établi par Johannes Hoffmeister, Hambourg, Felix Meiner Verlag, 5e édition, 1955.
Log.‑1, 2, 3 Science de la Logique. I. L’Être [1812] ; II. La doctrine de l’Essence [1813] ; III. La doctrine du Concept [1816]. Traduction, présentation et notes de Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière, Paris, Aubier, 1972, 1976 et 1981. Le tome I (2e éd. revue et ‘corrigée’ en 2006, chez Kimé) renvoie aux gesammelte werke. Texte établi par l’Académie des Sciences de Rhénanie/Westphalie, Hambourg, Felix Meiner Verlag, 1978 [Band 11].
Log.(1831) Science de la Logique. I. La doctrine de l’Être [2e éd. : 1831-1832]. Traduction de Samuel Jankélévitch, Paris, Aubier-Montaigne, 1972 [1947]. La traduction nouvelle de G. Jarczyk et P.-J. Labarrière (Paris, Kimé, 2007) est appelée désormais à faire référence.



[1] Edmund Husserl, La Crise des sciences européennes et la Phénoménologie transcendantale, Paris, Gallimard, NRF, 1976 [1936 / 1954], § 53, p. 205. Idée au reste qui renvoie à une qualité fondamentale bien connue des enfants comme des philosophes authentiques, Aristote en particulier : « Le commencement de toutes les sciences, c’est l’étonnement de ce que les choses sont ce qu’elles sont. » Métaphysique, Alpha, 2. Par-delà Heidegger et Leibniz, jusqu’aux présocratiques, il faudrait demander, plus fondamentalement encore : pourquoi y a-t-il de l’étant plutôt que rien...? Le « Der Instinkt der Vernünftigkeit » du titre signifie : « L’instinct de rationalité ». Extraordinaire oxymore que naguère Jean Gibelin [Philo., p. 232 (203)] préféra traduire par le syntagme : « instinct rationnel ». La citation en exergue pose par ailleurs que « les pensées ne sont pas simplement nos pensées, mais en même temps l’en-soi des choses. » Enc.‑1, § 41, add. # 2, p. 499 (VIII, 116). [voir le code des sigles et des références en toute fin de texte]

[2] Voir la note complémentaire en fin de texte.

[3] G. Jarczyk, Système et Liberté dans la Logique de Hegel, Paris, Aubier-Montaigne, 1980 (rééd. chez Kimé en 2001), p. 21.

[4] « Das was ist zu begreifen, ist die Aufgabe der Philosophie. » Droit, p. 57 (VII, 26). « Dans la connaissance, il s’agit d’une façon générale d’ôter son caractère étranger au monde objectif qui nous fait face et, comme on a coutume de dire, de nous retrouver en lui, ce qui signifie la même chose / que ramener l’être objectif au concept, qui est notre Soi le plus intime (als das Objektive auf den Begriff zurückzuführen, welcher unser innerstes Selbst ist). » Enc.‑1, § 194, add. # 1, p. 608 (VIII, 351). Cf. aussi Enc.‑3, § 447, add., p. 546 et Droit, § 4, add., p. 72. Note : Le trait oblique en citations (/) indique le début de la section immédiatement rendue par le texte original allemand lorsque celui-ci ne restitue pas l'intégralité du passage.

[5] G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, dans leur Présentation à Log.‑1, p. XX-XXI.

[6] « Das Bewußtsein einer absoluten Einheit. » Enc.‑1, § 213, add., p. 616 (VIII, 369).

[7] « Wir sind dergleichen gewohnt und machen nicht viel daraus. » Raison, p. 56  (37). Cf. Philo., p. 144-145 et 199, ainsi que Droit, Préface, passim.

[8] « De même le germe porte en lui la nature entière de l’arbre ainsi que le goût et la forme des fruits, de même les premières traces de l’Esprit contiennent virtuellement toute l’histoire (Und wie der Keim die ganze Natur des Baumes, den Geschmack, die Form der Früchte in sich trägt, so enthalten auch schon die ersten Spuren des Geistes virtualiter die ganze Geschichte). » Raison, p. 83 (61).

[9] Dans la seconde (ainsi que la troisième et dernière) édition de l’Encyclopédie, Hegel intégra en présentation ce discours académique officiel prononcé le 22 octobre 1818 à l’Université de la capitale prussienne. Enc.‑1, p. 148, nous soulignons. On lira également « que la forme de la pensée est la forme absolue (Daß die Form des Denkens die absolute ist) et que la vérité apparaît en elle comme elle est en et pour soi, c’est là l’affirmation de la Philosophie en général. » Enc.‑1, § 24, add. # 3, p. 480 (VIII, 87). Aussi, cf. Philo., p. 112.

[10] « Der einzige Gedanke, den sie mitbringt, ist aber der einfache Gedanke der Vernunft, daß die Vernunft die Welt beherrscht. » Raison, p. 47 (28). Formule qui résume à elle seule tout le projet philosophique de notre auteur, et qui va à la rencontre de cette autre non moins fracassante : « Ce qui est rationnel est effectif, et ce qui est effectif est rationnel (Was vernünftig ist, das ist wirklich ; und was wirklich ist, das ist vernünftig). » Droit, p. 55 (VII, 24). Effectivité (réalité effective ou véritable : Wirklichkeit) est ici à distinguer notamment de Existenz, Realität (réalité), Dasein (être-là), Sein (être) ou Wesen (essence, ou parfois : être), a fortiori de Manifestation, de Äusserung (extériorisation), de Schein (apparence) ou de Erscheinung (phénomène, sinon : apparition).

[11] D’où il résulte, en parallèle aux canons de la note précédente, que « ce qui n’est pas rationnel n’a aucune vérité, ou ce qui n’est pas conceptuellement conçu n’est pas (Was nicht vernünftig ist, hat keine Wahrheit, oder was nicht begriffen ist, ist nicht). » Ph.‑2, p. 100 (III, 404). Sur ce point fondamental, comme sur de nombreux autres d’ailleurs, Nietzsche se convaincra plus tard de cette ‘évidence’ dans un phrasé aux accents on ne peut plus hégélianicisants. Et c’est Götzen-Dämmerung [1889] qui pour la circonstance s’empressera de rafraîchir notre mémoire : « Tout ce qui est bon est hérité. Tout ce qui n’est pas hérité est imparfait, n’est qu’un commencement ».

[12] Edmund Husserl, op. cit. § 5, p. 17. Un commentateur de Hegel reprendra à toutes fins utiles le mot à mot du même énoncé : « Mais qui a éloigné le monde sensible de la pensée sinon la pensée elle-même ? » Eugène Fleischmann, La Philosophie politique de Hegel, Paris, Plon, 1964, p. 278.

[13] « Des intuitions sans concepts sont aveugles, » écrit-il dans la « Logique transcendantale » de sa Kritik der reinen Vernunft [1781].

[14] On citera de mémoire la pertinente remarque du regretté Arthur Koestler, auteur naguère du célébrissime et audacieux Zéro et l’Infini : « Il est naturel que les spécialistes se spécialisent ; l’erreur survient lorsqu’ils généralisent ».

[15] Entre autres passages, Log.(1831), p. 63 (V, 74). On comprendra mieux maintenant ce que le philosophe voulut signifier : « Au fondement de tout notre agir, se trouve / la présupposition de l’unité de la pensée et de l’être (die Voraussetzung der Einheit des Denkens und des Seins zugrunde). Nous faisons cette présupposition en tant qu’êtres rationnels, / en tant qu’êtres pensants (als denkende Wesen). » Enc.‑3, § 465, add., p. 561 (X, 284). Incidemment, la polysémie de ring sert bien notre propos : l’arène est également une alliance (bague, anneau). Le maître aurait sans doute apprécié, Sacha Guitry aussi. Well said ! old Moles.

[16] L’universalité du savoir, dit le Hegel de la Phénoménologie, est « la vérité susceptible d’être possédée par toute raison consciente de soi (Wahrheit [ist], / welche fähig ist, das Eigentum aller selbstbewußten Vernunft zu sein), » car « toute vérité n’est telle que pour une conscience qui sait (alle Wahrheit ist nur als wissendes Bewußtsein), » précise celui de l’Esthétique. Ph., p. 60 (III, 65), et Esthétique, traduction de Samuel Jankélévitch. Paris, Flammarion, Champs, 1979 [1944], tome I, p. 199 (XIII, 191). [retour à la note 26]

[17] Ph.(66), p. 129 (128). Bien qu’elles puissent s’apparenter à l’aspect dogmatique de la religion chrétienne, Jacobi insistera toutefois avec force détails pour marquer la distance qui sépare ses thèses de ladite certitude intérieure.

[18] Voir la note complémentaire en fin de texte.

[19] Ph.‑2, p. 186 (III, 481), nous soulignons. Cf. Enc.‑3, § 471, rem., p. 269.

[20] C’est nous qui soulignons cet extrait de L’Émile. Nietzsche, rousseauiste à ses heures, ne tenait pas un autre discours : « L’homme aime mieux vouloir le néant que ne pas vouloir. » La Généalogie de la morale [1887], III, § 28.

[21] « Ein trockenes Versichern gilt aber gerade soviel als ein anderes. » Ph., p. 68 (III, 71). La « certitude immédiate de soi-même [...] d’une façon générale est l’arbitraire de l’être singulier et la contingence de son être naturel inconscient (unmittelbare Gewißheit seiner selbst [...] überhaupt die Willkür des Einzelnen und die Zufälligkeit seines bewußtlosen natürlichen Seins), » ajoute l’auteur en Ph.‑2, p. 179 (III, 473). C’est dire qu’elle « met un contenu arbitraire (beliebigen Inhalt) dans son savoir et son vouloir. » Ibidem, p. 186 (481).

[22] Enc.‑1, § 72, p. 337 (VIII, 162). Cf. aussi Enc.‑1, §§ 74 et 77, p. 338 et 341‑342.

[23] Voir la note complémentaire en fin de texte.

[24] « Die Worte des Göttlichen, Absoluten, Ewigen usw. das nicht aussprechen, was darin enthalten ist [...] Der Anfang, das Prinzip oder das Absolute, wie es zuerst und unmittelbar ausgesprochen wird, ist nur das Allgemeine. » Ph., p. 19 (III, 24 et 25), nous soulignons.

[25] Voir notre « Hegel, Nietzsche, Freud en miroirs. Penser aimer mourir ». In revue Science et Esprit, 1996, Vol. 48, # 2.

[26] « Das Unsagbare, Gefühl, Empfindung, ist nicht das Vortrefflichste, Wahrste, sondern das Unbedeutendste, Unwahrste [...] denn wo keine Bestimmtheit ist, da ist auch keine Erkenntnis möglich. Das reine Licht ist die reine Finsternis. » Enc.‑1, § 20, rem., p. 287 et § 36, add., p. 492 (VIII, 74 et 105), nous soulignons. Il faut bien sûr entendre ici le mot « in‑signifiant » ([Un]bedeutendste) dans son sens strictement étymologique (soustrait à la signifiance), et ne pas lui insuffler une valeur moralisatrice ou psychologisante. Hegel écrira également que « si quelqu’un, à propos de quelque chose, en appelle [...] à son sentiment, la seule attitude à prendre est de le laisser là où il est, car de la sorte / il se refuse à la communauté de la rationalité (er sich dadurch der Gemeinschaft der Vernünftigkeit verweigert), il se retranche dans sa subjectivité isolée, dans la particularité. » Enc.(G), § 447, rem., p. 401 (X, 248). Cf. supra, note 16.

[27] Ph., p. 91 (III, 92), nous soulignons, et Enc.(G), § 573, rem., p. 498 (X, 391). Et en outre : « Nous plaçons Dieu au delà de notre conscience rationnelle, nous nous trouvons du même coup affranchis du souci de connaître sa nature et de recon­naître la présence de la Raison dans l’histoire. La voie est ainsi libre au jeu des hypothèses arbitraires : la pieuse humilité sait fort bien ce qu’elle gagne à de tels renoncements (Wird Gott jenseits unseres vernünftigen Bewußtseins gestellt, so sind wir davon befreit, sowohl uns um seine Natur zu bekümmern, als Vernunft in der Weltgeschichte zu finden ; freie Hypothesen haben dann ihren Spielraum. Die fromme Demut weiß wohl, was sie durch ihr Verzichten gewinnt). » Raison, p. 60 (41), nous soulignons. Dans les termes de Paul Bourget (Le sens de la mort, Paris, Plon, 1915, p. 72), l’expédient pourrait s’énoncer comme suit : « Il n'y a rien d'absurde dans le monde, puisqu'il n'y a rien que de déterminé. Mais ne saisissant pas la concomitance des phénomènes, quand deux séries se croisent, nous appelons cette rencontre un hasard. Nous prononçons le mot de mystère... ». Or « le mystère est une position trop favorable pour qu’un esprit bien élevé s’y maintienne, » confirme aussitôt le Cocteau du Rappel à l’ordre (Paris, Stock, 1926). L’inexprimable (das Unaussprechliche), dit encore Hegel, « n’acquiert de la clarté (Klarheit) que lorsqu’il peut / accéder à la parole (zu Worte zu kommen). » Enc.‑3, § 462, add., p. 560 (X, 280). En venir aux mots en quelque sorte, dans le combat de sens, comme on en viendrait aux mains. Et à cet égard il faut admettre que le senti... ment.

[28] Voir la note complémentaire (bien garnie) en fin de texte.

[29] « Quand l’on parle des bornes de la raison (Schranken der Vernunft), c’est encore pis que de parler de fer en bois (hölzernem Eisen) [...]/ La raison ne peut tolérer rien d’autre à côté d’elle et encore moins au-dessus d’elle (Die Vernunft kann nichts Anderes neben sich, noch viel weniger über sich leiden). » Enc.‑3, § 441, add., p. 540 (X, 233) et Philo., p. 226 (197). Et pourquoi donc ? La réponse tombe comme fruit mûr dans l’escarcelle de l’intelligence des choses : « On ne peut se demander la signification de la pensée, parce que sa signification c'est elle-même [:] il n’y a rien derrière (Bei dem Gedanken kann nicht nach einer Bedeutung gefragt werden, weil er selbst die Bedeutung ist ; es steckt nichts dahinter) ». En outre, lirons-nous ailleurs, « l’élément vrai de la pensée n’est pas à chercher dans des symboles arbitrai­rement choisis, mais seulement dans la pensée elle-même (Das wahrhafte Element des Gedankens ist nicht in willkürlich gewählten Symbolen, sondern nur im Denken selbst zu suchen). » Philo., p. 142 (120), puis Enc.‑1, § 104, add. # 3, p. 541 (VIII, 222). [retour à la note 33]

[30] Log.(1831), p. 17 et 12 (V, 25 et 20). « Les déterminations logiques (logischen Bestimmungen) en général peuvent être regardées comme des définitions de l’Absolu, comme des définitions métaphysiques de Dieu (metaphysischen Definitionen Gottes). » Enc.‑1, § 85, p. 348 (VIII, 181).

[31] « Ist alles Menschliche dadurch und allein dadurch menschlich, daß es durch das Denken bewirkt wird. » Enc.‑1, § 2, p. 164 (VIII, 42). « Il n’est pas possible de renoncer à la pensée (Das Denken einmal können wir nirgend unterlassen), » dit-il encore dans Raison, p. 43 (25). De même, « c’est une grande obstination (ein Großer Eingensinn), l’obstination qui fait honneur à l’homme, de ne rien vouloir reconnaître dans sa conviction qui n’ait été / justifié par la pensée (durch den Gedanken gerechtfertigt ist). » Droit, p. 58 (VII, 27). En un mot, penser est indis‑pensable.

[32] Thème cher à Nietzsche notamment, qui redit combien nous savons « préserver notre ignorance pour jouir, à un degré presque inconcevable, de la liberté, de l’insouciance, de l’imprudence, de la vivacité, de la joie de la vie. » Par-delà bien et mal [1886] § 24, nous soulignons. Traquer la raison pour en faire ultimo l’objet d’une religion serait, de fait, le comble de l’absurde : la traque précédant le troc.

[33] Voir la note complémentaire en fin de texte.

[34] Voir la note complémentaire en fin de texte.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 5 février 2010 12:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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