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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La participation contre la démocratie. (1983)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jacques T. Godbout, La participation contre la démocratie. Montréal: Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1983, 190 pp. Collection: Pratiques sociales.. [Autorisation confirmée par l’auteur, le 13 août 2004, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[7]

Introduction





La participation contre la démocratie. Nous espérons que le lecteur, en refermant ce livre, sera convaincu qu'il ne s'agit pas là d'un titre provocateur destiné à faire mousser la vente... C'est plutôt la formule qui résume le mieux quinze ans de recherches sur certaines expériences de participation des usagers, expériences généralement mises en branle par les responsables et les permanents d'une organisation, et visant à faire entrer dans son fonctionnement les personnes qui sont touchées par son produit, à titre de clients, d'usagers ou de résidants du territoire où elle oeuvre. J'ai dû admettre que-la participation, dans les faits, n'était pas, le plus souvent, un supplément de démocratie; au contraire elle se révélait en être le substitut, une manière de se passer des mécanismes démocratiques pour ceux que le jeu démocratique dérange dans leur travail. Dans les organisations, ce sont les technocrates, les professionnels, les bureaucrates, autrement dit tous ceux qui détiennent un pouvoir dont la source est étrangère au processus démocratique, tous ceux dont la légitimité n'est pas fondée sur la représentation politique.

Participation contre démocratie, donc, d'abord parce que l'utilisation des mécanismes de la participation diminue la plupart du temps

Futilité de l'institution démocratique, au sens qu'il est moins nécessaire d'y recourir dans la prise de décision. Mais participation contre démocratie, aussi, dans un sens plus profond, qui explique le premier : [8]  c'est que la démocratie entendue au sens de mécanisme fondant la légitimité et l'autorité des gouvernants (d'une organisation ou d'une société) sur leur représentativité, telle qu'elle ressort du choix libre des gouvernants par l'ensemble des gouvernés - au moyen d'élections périodiques - est une technique très efficace pour maximiser le pouvoir en minimisant la participation. En effet, collectivement, les gouvernés exercent ainsi un pouvoir très étendu, proportionnellement, par rapport à la participation qui est exigée d'eux, qui est minime et peut se réduire, à la limite, à aller déposer un bulletin de vote dans une boîte une fois par lustre. C'est là le grand intérêt du mécanisme démocratique pour tous ceux qui ne sont pas intéressés à participer: la plupart des individus impliqués dans une organisation sont dans ce cas, à l'exception des militants et des technocrates. Mais, inversement, c'est précisément ce que ces derniers supportent difficilement dans la démocratie : qu'on ait si peu besoin de mobilisation (les militants) ou de « compétence » (les technocrates) pour détenir autant de pouvoir. C'est pourquoi la tendance spontanée du technocrate et du militant sera toujours d'accroître les exigences de participation des gouvernés par rapport aux pouvoirs dont ces derniers disposent, de rendre plus difficile l'accès aux mécanismes du pouvoir et, à la limite, de restreindre l'utilisation de la démocratie à ceux qui sont les plus mobilisés ou les plus compétents.

Pourtant la démocratie a besoin de militants pour fonctionner et, inversement, le militant a besoin d'une base; sinon il n'est rien. Lorsque le militant s'attaque à un mécanisme démocratique, il coupe la branche sur laquelle il est assis et ouvre toute grande la porte au remplacement du militant par la bureaucratie et la technocratie. Car le mécanisme le plus intéressant et le plus efficace - mais aussi le plus menaçant à court terme pour le militant - qu'on ait trouvé jusqu'à maintenant pour relier le militant à sa base, c'est l'institution démocratique, c'est la représentation par l'élection.

Le Compétent, le Militant, la Base : ce trio est au cœur de toute étude de la participation. Car l'équilibre dynamique et instable entre ces trois instances est au centre de toutes les tentatives de compréhension du fonctionnement du pouvoir politique. Ces trois pôles de la tension démocratique seront progressivement situés dans les chapitres qui suivent.

Participation contre démocratie : c'est donc à cette conclusion que j'ai abouti après quinze ans d'analyse des expériences de participation au Québec. J'y ai d'abord été impliqué directement, en 1965, au Bureau d'aménagement de l'est du Québec (BAEQ), à titre de chercheur étudiant les structures décentralisées et les structures du [9] plan de développement. Depuis ce temps, j'ai observé et effectué [1] des recherches sur plusieurs expériences de participation qui ont eu lieu au Québec. Quelle perspective a guidé ces recherches depuis le début ?

D'abord une précision : ces recherches n'ont pas porté sur une analyse du discours; elles n'avaient pas pour objet l'idéologie, que ce soit celle des instigateurs d'une expérience de participation ou celle des différents types d'agents impliqués dans une expérience ou un programme de participation. Tout en partant de l'idéologie, ces recherches et les réflexions qui suivent sont centrées sur l'analyse de la pratique, l'observation des résultats des expériences de participation. De quels résultats s'agit-il ?

D'abord, au delà précisément du discours, nous nous demandons quel rôle, quelle fonction réelle remplit la participation dans les expériences observées. Autrement dit, pour employer un vocabulaire plus actuel, nous nous interrogeons sur les enjeux réels de la participation, sur ses effets non voulus, ses effets pervers par rapport aux objectifs fixés au départ. Nous essayons de vérifier, d'une manière assez classique dans les analyses organisationnelles, si la réalité correspond aux discours, aux objectifs. Un des objectifs les plus constants contenus dans le discours sur la participation est le suivant : la participation cherche à aller au delà de la démocratie. « Il ne suffit pas de voter tous les quatre ans, il faut aller au delà. » Comme on le verra, il s'agit là d'un des slogans que les acteurs impliqués dans des expériences de participation formulent le plus fréquemment. Nous avons voulu vérifier si, effectivement, la participation allait au delà de la démocratie, et à quelles conditions. Cette question est à l'origine du présent ouvrage. Dans ce contexte, l'objet d'analyse n'est donc pas le discours des acteurs qui sont impliqués dans les organisations et dans les expériences de participation; ce discours est un élément parmi d'autres à analyser et, surtout, à confronter avec la réalité de l'expérience.

Voilà donc une première raison qui explique que cet ouvrage est centré sur les résultats des expériences de participation. Mais il en existe aussi une autre. En effet, nous avons fait le postulat que si la participation ne modifie rien dans ce que réalise une organisation, dans ses résultats, alors il n'y aura pas de participation, ou la participation ne sera jamais très importante. Nous pensons en effet que les individus qui s'impliquent dans une expérience de participation veulent obtenir des résultats. Si l'organisation fonctionne de la même façon sans leur participation, la participation n'a aucune chance de se maintenir, de s'installer dans une organisation en tant que mécanisme [10] possédant à la fois une certaine stabilité et un certain dynamisme. Dire que la participation est insignifiante si elle ne change rien à l'activité de l'organisation relève sans doute du sens commun et peut même paraître.... insignifiant. Et pourtant une telle affirmation est nécessaire ici. Car, comme on le verra à plusieurs reprises tout au long de ce texte, la plupart des responsables des organisations qui entreprennent des expériences de participation procèdent avec une approche pédagogique qui vise à changer les participants, et s'intéressent à ce que la participation peut apporter à l'organisation. Ils négligent, voire rejettent, la relation inverse, c'est-à-dire ce que la participation apporte au participant, de son point de vue : en quoi elle lui accorde la possibilité de modifier le produit et l'action de l'organisation, en quoi elle constitue pour lui un moyen qui irait plus loin que, par exemple, l'élection de ses représentants. Cela nous conduit à accorder une importance capitale à la notion de changement, à l'analyse et à l'observation la plus précise [2] possible des modifications que la participation introduit dans l'organisation, et surtout dans son produit, dans les services qu'elle rend à sa clientèle, dans son «output », dans ses résultats. Quand nous parlons de changement, nous nous référons donc au changement quotidien, au changement réel concret dans les services rendus par l'organisation. Nous croyons d'ailleurs que la seule raison d'être des autres changements, c'est-à-dire des grandes réformes, des changements de structures, des changements politiques, c'est ultimement les changements qu'ils peuvent entraîner dans la vie quotidienne. Ces changements sont cependant très difficiles à évaluer, je ne dis même pas à mesurer. Un grand effort a été consacré au développement de méthodes et de concepts permettant d'arriver à saisir ce qu'une organisation fait, et singulièrement ce qu'une organisation de services produit et réalise, qui constitue son produit (ou output). Une organisation de services ne produit pas d'allumettes ni de voitures. Elle produit des services, résultat beaucoup plus difficile à apprécier. L'évaluation quantitative du nombre de services rendus ou d'actes posés par les membres et les praticiens des organisations est à exclure dans la plupart des cas. Elle n'est pas adaptée aux objectifs et à la pratique des organisations présentées dans les chapitres qui suivent; en outre, une telle évaluation quantitative introduit un biais qui empêcherait de saisir les changements produits par l'organisation. Ainsi, dans une organisation de santé comme les centres locaux de services communautaires qui sont analysés plus loin, se contenter d'une quantification du nombre d'actes médicaux posés par les praticiens reviendrait à minimiser et à négliger les programmes collectifs organisés par le centre local, la [11] prévention, la qualité de l'intervention; bref, ce serait passer à côté de la plupart des objectifs de l'organisation, ces objectifs que nous avons précisément pour but d'évaluer. D'ailleurs, lorsqu'une telle approche est adoptée par les autorités gouvernementales, elle incite les membres de l'organisation à s'orienter en fonction de critères bureaucratiques, sans référence aux besoins spécifiques du milieu; car les indicateurs quantitatifs, une fois introduits dans le système, deviennent des normes et remplacent la pression des besoins, pression qui peut passer par le canal de la participation.

En fait, toute évaluation d'une organisation de services est confrontée au dilemme suivant : on est en présence d'un côté d'un milieu sur lequel l'organisation veut agir, de l'autre côté d'une organisation qui agit. Deux approches sont donc possibles : soit mesurer la transformation du milieu, soit mesurer l'activité de l'organisation. En mesurant la transformation du milieu par rapport à des objectifs qui ont été fixés, on pourra établir la correspondance entre les objectifs fixés et l'état évalué du milieu; mais on ignorera si ce résultat est dû à l'action de l'organisation, ou plutôt à un ensemble d'autres facteurs nécessairement présents dans le milieu au moment de l'observation. Au contraire, en mesurant l'action de l'organisation, on pourra observer une certaine performance; mais on ignorera si la performance a pour résultat la transformation du milieu. Il n'existe aucune solution théorique à ce dilemme. La seule approche pratique, concrète, qui demeure possible, c'est de procéder aux deux types d'évaluation, d'apprécier à la fois l'activité de l'organisation et la transformation du milieu qu'elle semble opérer. Idéalement, cette opération doit être complétée par une mesure de la satisfaction des usagers, qui constitue une synthèse des deux démarches précédentes, au sens qu'elle cumule les avantages et les inconvénients de chacune...

Il n'est donc pas facile de se faire une idée précise des services dispensés par les organisations de services. Mais les difficultés ne doivent pas arrêter l'observateur. Car elles servent souvent d'écran derrière lequel se cache l'organisation de services pour justifier le fait qu'elle n'ait de comptes à rendre qu'à elle-même. L'importance d'un service peut d'autant plus facilement être amplifiée que le service ne se mesure pas ou se mesure mal, pour peu qu'il soit dispensé par des personnes jouissant d'un certain prestige.

Une difficulté supplémentaire est introduite par la nouveauté de la plupart de ces expériences et de ces institutions au moment où elles ont été étudiées. Dans ces circonstances le chercheur, à l'instar des acteurs engagés dans l'expérience qu'il est appelé à observer, [12] doit notamment éviter le double écueil de la naïveté et du cynisme qui marque le passage de la théorie à la pratique. Comme le praticien, le chercheur est d'abord séduit par le discours nouveau et l'emballement des acteurs qui caractérisent toute expérience inédite; survient ensuite une phase de désillusion où, face aux difficultés de la mise en application des nouvelles idées, aux multiples « rechutes » dans la pratique traditionnelle, on subit fortement la tentation de conclure qu'au fond, rien n'a changé. Mais contrairement au praticien, le chercheur n'a pas la compensation de constater quotidiennement certains changements réels qui remplacent progressivement « les grandes idées ». Il a cependant à sa disposition un ensemble d'instruments et l'approche « scientifique », c'est-à-dire un effort de rigueur systématique et patient, qui lui permettent de comparer, le moins subjectivement possible, ces nouvelles expériences, entre elles et avec les autres pratiques plus traditionnelles. Il va sans dire qu'une telle démarche demeure le plus souvent assez éloignée des débats qui surgissent au sujet des grands changements, des bouleversements structurels et politiques. Située dans le champ de l'expérimentation sociale, une telle analyse essaie de rendre compte des « petits changements quotidiens » que produit une institution nouvelle, changements qui font souvent plus plaisir aux « clients » qu'aux membres de l'organisation, de sorte qu'on en entend généralement peu parler.

Ces difficultés nous ont amené à distinguer certains termes et expressions pour l'analyse des organisations et de leurs produits. Il importe de préciser ces termes.

Dans l'analyse des organisations, les expressions « pouvoir formel » et « pouvoir réel », de même que « structure formelle » et « structure réelle », sont utilisées de façon classique pour faire ressortir la différence entre, d'une part, le pouvoir et les différents éléments de la structure d'une organisation tels qu'ils sont décrits dans les organigrammes et les définitions officielles et, d'autre part, la division du pouvoir et le fonctionnement de la structure tels que le chercheur les observe sur le terrain. Une autre distinction, moins courante, est aussi introduite entre les différents éléments et instances de l'organisation où se concentrent les organes décisionnels et la représentation des différents intérêts (assemblée générale, instances élues, conseil d'administration, etc.), d'une part, et les organes d'exécution directe, qui produisent les services dispensés par l'organisation, qui sont chargés de son « output » (services, divisions, etc.). Les éléments du premier type forment la structure de représentation, alors que les différents secteurs et services de l'organisation constituent la structure opérationnelle. Cette distinction est fondamentale [13] dans l'analyse. Car nous avons pu constater que les effets de l'introduction de la participation dans une organisation sont très différents selon que la participation est rattachée à la structure de représentation ou à la structure opérationnelle. Nous verrons qu'il s'agit là d'un résultat important de la recherche, sur lequel nous reviendrons à plusieurs reprises,

Voilà les principales notions utilisées pour analyser le fonctionnement des organisations et la participation. En ce qui concerne les services dispensés par l'organisation, désignés par les termes « produit » ou « output », pour bien montrer qu'il s'agit du résultat pour la clientèle, leur analyse est centrée sur la notion de changement: la présence éventuelle des changements dans les services dispensés est-elle liée au phénomène de participation des usagers ? Voilà la question qui nous préoccupe ici. Comment cerner ces changements ?

Précisons d'abord que ces services peuvent être individuels ou collectifs. Ainsi, dans le secteur de la santé, qui sera décrit dans un des chapitres, il peut s'agir d'un acte médical, ou d'une activité de prévention. Mais il s'agit toujours du produit final tel qu'il existe pour l'usager, pour l'utilisateur. Ainsi, un programme de prévention n'est. pas encore un produit de l'organisation ; son produit, ce sera plutôt le nombre de personnes atteintes par ce programme et les changements que le programme a entraînés chez ces personnes. L'analyse de ce produit nous a conduit à distinguer des types de changements. Même si toute catégorie est relativement arbitraire et dépend ultimement du système de valeurs de l'observateur, il est aussi évident que tous les changements ne revêtent pas la même importance et ne se situent pas dans le même registre. C'est pourquoi trois types de changements ont été distingués : les innovations, les adaptations, les transformations.

Les innovations ont trait à l'ensemble des modifications introduites dans le mode de production et de fonctionnement d'une organisation en vue d'améliorer le rendement et la qualité du service dispensé, sans que ce service soit lui-même remis en cause. Ainsi, dans le domaine de la santé, l'introduction de nouveaux appareils, le travail multidisciplinaire, la relance, la consultation lente fournissent quelques exemples d'innovations où l'on constate que le produit lui-même, la consultation médicale en vue de guérir une maladie, n'a pas changé.

Par rapport à ces innovations, on a souvent tendance à négliger des changements moins spectaculaires, ne correspondant pas à une démarche théorique propre à chacune des disciplines impliquées, et qui font en sorte que l'organisation est plus réceptive et s'ajuste [14]  mieux aux caractéristiques spécifiques du milieu et de la clientèle. Ces changements seront désignés par le terme adaptations.

Enfin, certaines modifications ne concernent pas une amélioration, quantitative ou qualitative, de la façon de dispenser le service. Elles constituent plutôt un nouveau produit, ou un nouveau service dispensé. C'est le type de changements que nous avons appelé transformations. Cette catégorie de changements est nécessaire, particulièrement pour analyser les relations entre le changement et la présence des usagers, la participation des usagers. Elle permet en effet de sortir d'une problématique propre aux professionnels impliqués dans l'organisation et d'observer tous les types de changements, même ceux qui peuvent remettre en question certaines pratiques des membres de l'organisation.

Ces distinctions sont importantes pour évaluer l'impact de la participation sur l'organisation, et ainsi comprendre les effets réels de l'introduction de cette volonté de rapprochement entre les gouvernants et les gouvernés que constitue le mouvement de participation de la dernière décennie, dont ce livre veut rendre compte. Il heurtera sans doute ceux qui, ayant vécu ces expériences, croient encore à la participation. Ils sont nombreux. Pourtant, si cet ouvrage porte un jugement négatif sur la pratique de la participation telle qu'elle a été observée, il ne constitue pas une condamnation de l'idée de participation ; cette grande idée, depuis Rousseau, Tocqueville et même Marx, nourrit la plupart des pensées politiques critiques de la société industrielle capitaliste ou bureaucratique. C'est peut-être d'ailleurs cette idée qui remet le plus radicalement en question la société actuelle, la croissance économique comme objectif quasi unique, la division abrutissante du travail, etc. Mais comme toute grande idée, elle est nécessairement utilisée, récupérée par le système qu'elle peut, ultimement, renverser. Nous terminerons d'ailleurs cet ouvrage en suggérant l'analogie suivante : de même que la représentation par le suffrage a été, historiquement, un instrument de légitimation du pouvoir de la bourgeoisie avant d'être utilisée, cette fois dans leur intérêt, par ceux à qui elle accordait un pouvoir formel, de même l'idée de participation, après avoir été utilisée pour légitimer le pouvoir d'un groupe social montant (phase analysée dans cet ouvrage), sera peut-être ultérieurement reprise par ceux à qui elle aura obligatoirement donné un nouveau pouvoir formel. La participation s'appellera alors le pouvoir des usagers contre celui des producteurs.

Si ce livre risque de heurter ceux qui croient à la participation, il ne plaira pas non plus aux penseurs mécanistes, pour qui tout changement vient précisément de la sphère de la production, la sphère [15] de la consommation ne faisant que répondre aux exigences objectives de la reproduction de la force de travail. D'ailleurs, on sera peut-être étonné de constater qu'un livre sur la participation parle peu de classes sociales. Je crois en effet qu'il y a une logique organisationnelle de la participation, logique relativement autonome par rapport aux classes sociales. Il y a une logique du pouvoir dans une société industrielle, qu'elle soit capitaliste ou non sur le plan économique, et quel que soit le groupe, la classe ou la fraction de classe sociale qui domine sur le plan politique : capitalistes, intellectuels, militaires, etc. Certes, les classes sociales, entendues au sens de l'importance du rôle des individus dans le système de production d'une société et de la coïncidence des intérêts et de la solidarité qui peuvent en découler, sont fondamentales dans l'explication des changements sociaux. Cependant ce n'est pas nécessairement la solidarité première; ce n'est que lorsque la solidarité territoriale et la solidarité de classe se retrouvent ensemble qu'on est en présence d'une situation révolutionnaire. De plus, traversant cette dynamique, le phénomène organisationnel et institutionnel possède une autonomie et une pertinence certaines pour rendre compte d'un ensemble de résultats obtenus par les expériences de participation. Cette conviction s'est développée à la suite des recherches dont je rends compte ici.

Dans ce livre, sans négliger le fait que les classes sociales traversent les phénomènes de participation, nous abordons donc ce phénomène du point de vue organisationnel, du point de vue de la position de l'acteur. On verra que le même schéma s'applique, des « colonies » de la Gaspésie aux maires de l'agglomération métropolitaine de Québec, en passant par les permanents syndicaux de la Confédération des syndicats nationaux, les comités de citoyens et les organismes populaires, les centres locaux de services communautaires et les comités d'école. C'est la constatation la plus étonnante qui ressort de l'analyse comparative de ces diverses expériences. Lorsqu'on dépasse l'idéologie de la participation pour en observer le fonctionnement, certaines constantes apparaissent, certaines lois, peut-être, qui existent dans toutes les expériences observées indépendamment du contexte et même de la classe sociale et des idéologies des acteurs. Cela n'empêche pas la classe sociale d'être importante. Mais sa relation avec le phénomène de participation ne fait pas l'objet du présent ouvrage, qui vise plutôt à faire ressortir ces constantes.

Après avoir circonscrit l'objet d'analyse et après avoir fourni une définition provisoire de la notion de participation telle qu'elle se dégage d'une analyse critique de la littérature sur le sujet, nous décrirons les expériences de participation dans différents secteurs. [16] En conclusion, la réalité de la participation sera confrontée avec l'idée de participation et sa capacité de remettre en question, ultimement, les bases de la société industrielle actuelle.



[1] Avec plusieurs collègues, que je tiens à remercier ici : d'abord avec Gérald Fortin, Francine Dansereau et Jean-Paul Gagnon, plus récemment avec Jean-Pierre Collin et Gérard Divay. Je tiens aussi à remercier Jean-François Léonard, qui a bien voulu lire une première version de ce texte, et Johanne Archambault, qui a traduit les citations et fait la révision.

[2] Cela ne veut pas nécessairement dire mesures quantitatives : voir plus loin.



Retour au texte de l'auteur: Jacques T. Godbout, sociologue, INRS-urbanisation. Dernière mise à jour de cette page le dimanche 27 février 2011 18:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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