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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jacques Godbout, “Les limites des statistiques du logement et l’illusion d’une statistique du vécu.” In revue Interventions économiques pour une alternative sociale, LA QUESTION RÉGIONALE, pp. 145-149. Montréal : Revue Interventions économiques pour une alternative sociale, no 8, printemps 1982, 160 pp. [Madame Diane-Gabrielle Tremblay, économiste, et professeure à l'École des sciences de l'administration de la TÉLUQ (UQÀM) nous a autorisé, le 25 septembre 2021, la diffusions en libre accès à tous des numéros 1 à 27 inclusivement le 25 septembre 2021 dans Les Classiques des sciences sociales.]

[145]

Nos 8.
LA QUESTION RÉGIONALE
DÉBAT

LES LIMITES DES STATISTIQUES
DU LOGEMENT ET L’ILLUSION
D’UNE STATISTIQUE DU VÉCU
.”

Commentaires sur l’article de Marc Choko

Par Jacques Godbout

On ne peut qu’accueillir avec beaucoup de satisfaction toute tentative de démystification des statistiques, notamment dans le secteur du logement. C’est pourquoi nous avons lu avec plaisir l’article de Marc Choko dans le dernier numéro de la revue. Le présent texte vise d’une part à ajouter d’autres remarques, sur les limites que comportent les statistiques actuelles du logement, limites importantes qui n’ont pas été mentionnées dans cet article. D’autre part nous nous poserons des questions quant à la possibilité de recueillir les « statistiques du vécu » appelées par l’auteur dans sa conclusion.

Mais reprenons d’abord, afin surtout de les compléter, les différents problèmes identifiés dans l’article.

État du logement

On ne peut qu’abonder dans le sens de l’auteur pour souligner les limites des données officielles qui existent sur l’état des logements. D’ailleurs les organismes officiels comme Statistique Canada, ont cessé de fournir des données sur l’état des logements dans le recensement, comme le souligne d’ailleurs Choko. Mais il existe d’autres types de données que les données officielles. C’est ainsi qu’à l’I.N.R.S.-Urbanisation nous avons mené une enquête dont nous parlerons plus loin. Quoiqu’il en soit, il semble certain que l’état du logement s’est progressivement amélioré depuis le début du siècle pour l’ensemble de la population.

Taille et occupation du logement

Choko souligne avec raison la faiblesse de la mesure de surpeuplement utilisée actuellement. Il note que dans d’autres pays on tient compte de l’âge et du sexe des enfants, ce qui constitue un préjugé évident. Historiquement le préjugé était encore plus grand, puisque Engels accordait un besoin d’espace plus faible — qu’il avait mesuré — à une femme plutôt qu’à un homme... De plus l’auteur aurait dû mentionner ici d’autres problèmes dans la mesure de surpeuplement. Le fait de diviser le nombre de personnes par le nombre de pièces revient à considérer [146] toutes les pièces communes équivalentes. Ce problème a été en partie résolu par la mesure suédoise : depuis 1965, en Suède, on exclut la cuisine et la salle de séjour dans le nombre de pièces pour établir les normes de surpeuplement. Quant à la grandeur des pièces la limite est évidente. On verra que cela fait partie des limites intrinsèques à toute mesure statistique. Dans ce cas précis cela peut être contrebalancé par des données sur la superficie totale du logement, ou même sur la surface par pièce.

L’équipement du logement

S’il est vrai comme l’affirme l’auteur, que les questions du recensement sur l’eau courante, l’existence de baignoires, de douches et de toilettes ne sont plus tellement discriminantes, elles ont l’avantage de montrer l’évolution dans le temps. Par ailleurs il reste un équipement qui demeure discriminant : c’est le chauffage central, qui devient de plus en plus courant, mais qui n’est pas encore généralisé et qui peut constituer un indicateur important de l’état du logement. Indicateur approximatif, comme tout indicateur (voir plus loin).

L’auteur affirme ensuite que ce qui devient pertinent, ce sont des problèmes comme le toit qui fuit ou le chauffage insuffisant, la plomberie rouillée, la toilette qui bouche, etc. Choko mentionne avec raison qu’aux États-Unis on a maintenant des statistiques précises et longitudinales sur ces indicateurs. Au Québec l’I.N.R.S.-Urbanisation a réalisé une étude qui utilise le même type d’indicateurs. Il est important que les groupes ne recourent pas seulement aux statistiques officielles.

Les logements vacants

On a effectivement souvent tendance à oublier que les statistiques sur les logements vacants ne s’appliquent pas à toutes les catégories de logement. L’auteur mentionne ici la théorie du « filtering down », processus par lequel une certaine proportion du stock de logement passe des ménages à revenus plus élevés à des ménages à revenus plus bas. S’il est peu probable que les ménages à faible revenu obtiennent des logements de meilleure qualité pour un même prix grâce au « filtering down », par contre il est vrai que c’est par ce système que les logements leur deviennent accessibles et que, comparé à d’autres systèmes — tel le logement public —, il est loin d’être le pire [1].

Concernant le taux d’effort, l’auteur ne souligne qu’un aspect, qui ne tient pas à la mesure mais à son interprétation, qui ne fait pas partie des statistiques... Mais il existe aussi des problèmes importants de mesure du taux d’effort qui rende cette donnée statistique difficile à manier. Les principaux problèmes sont les suivants [2] :

- loyer brut ou loyer net : lorsqu’on mesure le loyer divisé par le revenu, on ne tient pas compte des mêmes éléments. Certains loyers incluent la taxe d’eau, d’autre le poêle et le réfrigérateur, d’autre le chauffage, etc. Cela varie de plus en fonction du niveau de loyer et donc des revenus des locataires. Il est bien connu que plus le loyer est bas, plus on risque de ne pas avoir de chauffage central et donc moins le chauffage est inclus dans le loyer ; même chose pour le poêle et le réfrigérateur. Donc lorsqu’on ne considère que le loyer monétaire, non seulement on mesure des services différents, mais l’erreur est systématiquement défavorable pour les ménages à faible revenu, qui se retrouvent avec un taux d’effort inférieur à leur taux réel ; surtout lorsqu’on pense que ces services non inclus (chauffage) sont ceux qui augmentent le plus depuis quelques années, tout cela pose donc des problèmes de comparaison entre les locataires et les propriétaires qui sont encore plus difficiles puisqu’une [147]  partie du montant mensuel versé par le propriétaire peut être considéré comme un investissement (paiement du capital) ; inversement le versement initial (le comptant) donné par le propriétaire au moment de l’achat peut être considéré, lui, comme un placement sans intérêt. Mentionnons enfin tous les avantages fiscaux dont bénéficient les propriétaires qui, tout en étant moins important qu’aux États-Unis, demeurent élevés : épargne logement, non-taxation du gain de capital au moment de la revente, possibilité de déduire une partie des dépenses, des intérêts, et des taxes locales pour un propriétaire de duplex et triplex, programme québécois d’accession à la propriété. On pourrait aussi discuter du contenu même des dépenses de logement : les dépenses de réparation, d’amélioration, et même les dépenses de transport au travail ne devraient-elles pas être prises en considération ? Nous reviendrons plus loin sur ce point.

- Revenu brut ou revenu net : le taux d’effort est un rapport entre les dépenses de logement et le revenu ; c’est pourquoi un problème similaire se pose quant au choix du revenu. Les statistiques officielles n’ont pas toujours la même base : revenu brut (avant impôt) ou revenu net (une fois déduit). Il est évident que ce choix a des conséquences sur l’importance du taux d’effort.

- Effort moyen ou moyenne des taux d’effort : mentionnons en terminant un autre problème de mesure proprement dite : les statistiques présentées par Statistique Canada (dans la série « Dépenses des ménages », par exemple) fournissent le taux d’effort moyen et non pas la moyenne des taux d’effort. C’est-à-dire : ils additionnent tous les loyers des ménages, puis ils additionnent tous les revenus et ils divisent ces deux chiffres l’un par l’autre, ce qui donne le taux d’effort moyen. La moyenne des taux d’effort, elle, consiste à prendre chaque loyer de chaque ménage, à le diviser d’abord par le revenu du ménage ce qui donne le taux d’effort individuel, et à additionner tous ces taux d’effort et à les diviser par le nombre de ménages. Ce charabia statistique semble purement technique ; au contraire, le taux d’effort moyen a pour effet de sous-estimer l’importance du taux d’effort réel des ménages aux extrêmes de la courbe, si cette dernière n’est pas normale. Plutôt que de rentrer dans des détails techniques, donnons une illustration : dans l’enquête sur les nouveaux développements résidentiels menée à l’I.N.R.S.-Urbanisation, la différence entre le taux d’effort moyen et la moyenne des taux d’effort est la suivante dans les nouveaux développements résidentiels de l’agglomération montréalaise :



On voit que les différences sont suffisamment importantes pour accroître la moyenne des locataires et faire en sorte qu’elle dépasse celle des propriétaires.

Ce sont là quelques limites importantes au taux d’effort tel que calculé couramment, limites qui n’étaient pas mentionnées dans l’article de Choko. Dans nos enquêtes nous tenons compte de ces limites et nous tentons de les corriger.

Par ailleurs l’auteur mentionne un autre aspect important : les dépenses de logement, même si l’on y ajoute le poêle, le réfrigérateur, la taxe d’eau, le chauffage et qu’on réussit à homogénéiser le montant pour tous les ménages, ne sont pas nécessairement liées à un même type d’autres dépenses. Elles peuvent même entraîner des dépenses indirectes, soit à cause de la localisation trop éloignée, soit parce que, étant mal construit, le loyer de départ est plus bas, mais les réparations [148] sont ensuite plus élevées. Si bien que ce qui apparemment est épargné par le ménage est en fait dépensé sous une autre forme. L’auteur mentionne par exemple le cas « d’un jeune ménage qui s’installe et devra en plus supporter le mobilier, les tapisseries... et, si c’est en banlieue, une ou deux autos » (p. 116). Nous avons évalué ces dépenses que nous avons appelé les dépenses induites : notamment les frais de déménagement, les frais de réparation, d’amélioration et les frais de transport au travail. Nous en sommes arrivés à la conclusion suivante : cela n’a pas d’effet compensatoire, même si le montant absolu est effectivement important et fait passer la moyenne du taux d’effort de 19,4 à 29,5 pour les propriétaires et de 21,3 à 23,4 [3] pour les locataires habitant les développements résidentiels [4] des années 1970, à Montréal.

Statistiques sur les propriétaires

L’auteur mentionne avec raison qu’il y a souvent confusion entre propriétaire occupant et propriétaire tout court. Ceci dit, il faut quand même aussi noter que le nombre de propriétaires occupant augmente, dans la région de Montréal, par rapport au nombre de locataires. Certes, comme l’affirme l’auteur, ce n’est pas nécessairement souhaitable. C’est une question de valeurs ou, comme le dit Choko, une question « idéologique ». L’auteur affirme par ailleurs que l’accession à la propriété représente souvent plus un cauchemar qu’un rêve, à cause des augmentations des coûts. Dans notre étude sur les nouveaux développements résidentiels, nous avons pu vérifier que, jusqu’à tout récemment tout au moins, cela est faux [5]. D’ailleurs cela ne peut s’appliquer qu’à la maison unifamiliale.

L’auteur confond ici, de la même façon que le discours officiel, statut d’occupation [6] et type de logement [7]. Il est certain que, jusqu’à maintenant, on incitait surtout les ménages à accéder à la maison unifamiliale. Or, dans ce cas, en même temps qu’on change de statut d’occupation, on accroît énormément sa consommation de logement ce qui peut poser des problèmes importants en termes financiers. Mais si le ménage avait le choix d’accéder à la propriété du même type de logement que celui dont il est locataire, il y a toutes les chances qu’il n’augmente que très peu ses dépenses de logement, bien au contraire. Ce qui me semble important, c’est que tous les ménages aient le choix d’être locataires ou propriétaires, et non pas, comme actuellement qu’ils soient obligés d’être locataires s’ils désirent soit consommer peu de logement, soit avoir une certaine localisation plus près du centre-ville. Nous préférons que tous les locataires aient un choix de statut d’occupation, et nous croyons de plus que le statut de propriétaire non orienter vers un seul type de logement comporte plusieurs avantages :

  • en plus d’avoir le choix pour tout type de logement, comme il élimine le profit d’un intermédiaire, il diminue probablement les coûts pour les ménages qui occupent : les coopératives d’habitation en sont une preuve. À consommation égale, les dépenses sont moins élevées. Comme on l’a déjà dit, l’auteur confond le statut d’occupation (locataire ou propriétaire) et le type de logement (maison unifamiliale isolée en banlieue).

  • enfin nous favorisons le statut d’occupation de propriétaire parce qu’une partie du travail de gestion de la maison est remplie par l’occupant lui-même et non pas par des gestionnaires ce qui va contre la division du travail actuelle et constitue un progrès en soi dans un nouveau type de société. Mais c’est une autre question.


[149]

Conclusion : une statistique du vécu ?

L’auteur conclut par un appel à une « autre statistique » (p. 121). Il y a là confusion. Certes on ne peut qu’abonder dans le sens de Choko lorsqu’il affirme la nécessité de disposer de données plus complètes, d’indicateurs plus sensibles à la situation de logement de l'ensemble de la population ; d’accord aussi pour évaluer la situation de logement de la majorité par comparaison aux « conditions de logement vécues par les classes possédantes ». D’ailleurs, par rapport à ce critère précis tout indique que l’écart entre les conditions de logement des uns des autres a diminué, et c’est plutôt reporté sur d’autres types de biens [8]. Et de toute façon il s’agit là de critères, de normes pour interpréter, pour juger, pour évaluer les données statistiques, et non pas des statistiques elles-mêmes. On a souvent noté dans les pages qui précèdent que les critiques de Choko portaient plus sur l’interprétation des données que sur leur cueillette ou leur mesure. Et quand l’auteur, en conclusion, prend pour principale cible des statistiques actuelles les seuils (des taux d’effort) définis par les différents auteurs et les différents gouvernements, et qu’il propose comme remède un autre statistique. Les statistiques, il se trompe soit de cible, soit de remède. Les statistiques ne fournissent pas et ne fourniront jamais de norme ni de seuil. Ce sont ceux qui les utilisent qui définissent, en fonction de leur idéologie, de leur besoin, de leurs intérêts les seuils qu’ils considèrent les plus profitables. Toute la discussion qui est contenue dans la conclusion ne porte pas sur un problème de statistique, mais d’utilisation et d’interprétation des statistiques. L’auteur fonctionne comme s’il croyait à une sorte de vérité scientifique qui émanerait directement des statistiques. Ce faisant on peut se demander s’il ne contribue pas à répandre la mystification qu’il voulait précisément dénoncer. Il n’y aura jamais adéquation entre la statistique et le vécu et il sera toujours vain de reprocher à une moyenne de ne pas tenir compte des différences individuelles... Ceci dit, les difficultés et le caractère nécessairement subjectif des interprétations de données statistiques qui « trahissent » toujours le vécu d’une façon ou d’une autre ne font que renforcer la nécessité d’améliorer la qualité et d’accroître la sensibilité des indicateurs dont nous disposons actuellement dans le domaine de logement, indicateurs dont la piètre qualité est à juste titre dénoncée par Marc Choko.

Jacques Godbout
I.N.R.S.- Urbanisation, Août 1981


[1] Ce problème fait l’objet d’une publication de l’I.N.R.S., par Georges Mathews, à paraître, automne 1981. Voir aussi, la conclusion du rapport sur l’accessibilité aux nouveaux développements (I.N.R.S.-Urbanisation. 1981).

[2] Ces problèmes sont longuement discutés dans Jacques Godbout, « L’accessibilité aux nouveaux développements résidentiels », Montréal, I.N.R.S.- Urbanisation.

[3] 26,5 si l’on inclut l’ameublement.

[4] Développements résidentiels construits entre 1971 et 1977 dans l’agglomération montréalaise (données : 1977).

[5] La situation s’est sûrement modifiée depuis.

[6] Locataire ou propriétaire.

[7] Maison unifamiliale, duplex, tours, etc.

[8] Voir à ce sujet le rapport sur l’accessibilité (Godbout, op. cit.).



Retour au texte de l'auteur: Jacques T. Godbout, sociologue, INRS-urbanisation. Dernière mise à jour de cette page le lundi 13 mars 2023 19:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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