RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La décentralisation en pratique. Quelques expériences montréalaises, 1970-1977. (1979)
Introduction générale


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gérard DIVAY avec la collaboration de Jacques T. Godbout et la participation de Jean-Pierre Collin et Gérald Fortin, La décentralisation en pratique. Quelques expériences montréalaises, 1970-1977. Québec : INRS-urbanisation, mars 1979, 363 pp. Rapport de recherche, no 5. [Autorisation confirmée par l’auteur, le 11 août 2005, de diffuser cet article.]

[1]

La décentralisation en pratique.
Quelques expériences montréalaises, 1970-1977.

INTRODUCTION GÉNÉRALE

1. L'évolution des services publics [5]
2. Changements institutionnels et évolution des services [11]
2.1. Les variables institutionnelles [12]
2.2. L'évolution des services [15]
2.3. Le pouvoir dans les unités locales [18]
2.4. Différences intersectorielles dans la nature du service [20]
3. Présentation du rapport [23]

[2]

[3]

Depuis le milieu des années soixante, les changements se succèdent dans les institutions locales québécoises. Dans plusieurs secteurs, affaires municipales, affaires sociales, éducation, aide juridique, des organismes à caractère régional ont été mis en place, des unités locales ont été créées, fusionnées ou réorganisées plus ou moins complètement, en conformité totale ou très partielle avec les projets qui avaient été élaborés. Le réagencement institutionnel s'est opéré en même temps que croissait l'intervention publique dans ces secteurs d'activité.

À partir du milieu des années soixante-dix, la réorganisation locale retient toujours l'attention des dirigeants, mais elle est présentée et s'inscrit dans le cadre d'une préoccupation plus générale, qui était déjà présente dans les réformes antérieures, mais n'en constituait pas comme maintenant le thème principal : la décentralisation. Au moment où ce rapport est écrit (été 1978), des projets de décentralisation ont été annoncés pour les affaires municipales, les affaires sociales et l'éducation, mais leur contenu définitif n'est pas encore choisi ; ces projets ne s'inspirent d'ailleurs pas toujours d'une définition précise de la décentralisation [1], et manifestent seulement le souhait d'une plus grande responsabilité locale, au niveau le plus proche des citoyens.

L'idée de la recherche dont nous présentons ici les résultats a été proposée à la fin de 1975, au moment où prenaient forme les velléités de décentralisation, du moins en éducation et dans les affaires sociales. Nous pensions qu'une analyse des résultats des réformes antérieures fournirait des informations utiles pour l'évaluation des nouveaux projets de décentralisation, surtout si elle était centrée sur les convergences et les spécificités des expériences menées dans les différents secteurs concernés.

[4]

C'était là une entreprise fort ambitieuse, que nous avons conscience de n'avoir réalisée que partiellement. Étant donné la variété des formes prises par la réorganisation locale, nous postulions que leur comparaison permettrait de cerner l'influence spécifique éventuelle des variables institutionnelles sur les résultats de la réorganisation, sur leur degré de conformité à ses deux objectifs principaux : l'amélioration des services et l'accroissement de la participation locale dans le cadre des unités locales de service. D'après les énoncés officiels, cette participation se situe d'ailleurs sur deux plans distincts, puisqu'elle est conçue comme un simple mécanisme de "feedback" devant servir à l'amélioration des services, ou comme une pratique démocratique à valoriser pour elle-même. La décentralisation, dans ses versions officielles, implique d'ailleurs au moins implicitement un accroissement de la participation, tout en restant vague et ambiguë sur son ampleur ; car elle ne dit rien ou presque sur les participants, sur ceux dont on veut accroître la participation : élus, notables locaux, ou ensemble des citoyens ? Il est donc utile de cerner le lien effectif entre degré de décentralisation et degré de participation. Des structures formellement décentralisées ne sont pas une garantie de forte participation ni même d'élargissement des responsabilités locales. Selon nous, un véritable processus de décentralisation devrait signifier une généralisation de l'auto-prise en charge. Mais dans quelle mesure la favorise-t-elle effectivement, à supposer d'ailleurs qu'elle fasse partie de ses objectifs officiels ?.

Cette intention de recherche ne nous englue pas dans la problématique officielle des réformes locales ; elle ne débouche pas seulement, le cas échéant, sur un constat d'écart entre r6sultats et objectifs initiaux. L'analyse de la production des résultats et de leur distance par rapport aux objectifs fait intervenir les rapports de forces entre les différents acteurs affectés par les réformes, fait percevoir l'importance des institutions locales pour la satisfaction de leurs divers intérêts et de leur volonté de puissance. De cette façon, l'analyse des modalités et des difficultés de la mise en œuvre des réformes fournit des éléments partiels d'explication de ces réformes mêmes, de leur adoption et de leur contenu. Pour compléter l'explication, il faudrait analyser en profondeur le contexte socio-politique de leur adoption et le cheminement de leur élaboration. On serait alors en mesure d'interpréter les réorganisations locales et les projets de [5] décentralisation en fonction de l'évolution de différentes composantes de l'ensemble sociétal. Nous ne nous proposons pas de le faire ici ; néanmoins, il nous paraît opportun, avant de présenter le plan spécifique de recherche, de rappeler quelques repères pour situer les réformes dans cette évolution générale.

1. L’évolution des services publics

Au cours des dernières années, les services publics, surtout locaux, ont fait l'objet d'un regain d'intérêt, sans doute concomitant aux problèmes sociaux structurels qu'ils soulèvent. Dans la littérature foisonnante qui traite le sujet [2], on peut sommairement distinguer deux courants, trop souvent séparés par une cloison étanche, même si les questions privilégiées par l'un ne sont pas sans conséquences pour le traitement des questions retenues par l'autre. Le premier courant, à dominante politico-gestionnaire, englobe d'abord une série de recherches sur la mesure et l'évaluation des services et sur les moyens d'améliorer leur qualité, mais aussi un certain nombre d'études sur l'organisation politique qui serait la mieux appropriée à leur fourniture adéquate. Les travaux qui peuvent être rattachés à ce premier courant s'en tiennent à l'analyse interne du système politico-administratif, ou de l'une ou l'autre de ses composantes, de ses intrants, de ses structures ou de ses extrants. Dans le deuxième courant, à dominante sociologique, les analyses sont plutôt centrées sur les relations entre le système politico-administratif et les autres sous-systèmes sociaux, sur la place du secteur public dans un ensemble social donné. Les travaux qu'il inspire contiennent déjà un certain nombre de repères pour comprendre l'évolution des services publics, pour répondre aux deux questions centrales qu'elle pose : comment expliquer l'extension des services publics et pourquoi, à des moments donnés de leur extension, insiste-t-on sur leur décentralisation ? Rappelons très brièvement ces repères.

[6]

L'extension des services publics s'inscrit fondamentalement dans un processus plus général d'institutionnalisation des activités, par lequel l'État devient responsable de leurs modalités d'exercice, devient partenaire obligatoire dans leur accomplissement. L'institutionnalisation réduit et stabilise les formes que peuvent prendre ces activités, normalise les relations des acteurs qu'elles mettent en présence. L'extension des services publics doit donc être analysée dans le cadre de l'expansion de l'État [3], et non pas seulement dans le cadre de l'accroissement des fonctions gouvernementales, à quelque niveau qu'il se produise (mais le niveau où il se produit n'est pas un phénomène marginal).

Mais quels facteurs engendrent ce processus d'extension des services publics, de multiplication des institutions locales de services publics ? Celles‑ci se trouvent à la frontière du système politique et de l'organisation sociale, relèvent des centres de décisions politiques et cristallisent certaines formes d'organisation sociale. Elles ne peuvent être réduites à de simples appareils idéologiques d'État, car même si elles exercent des fonctions idéologiques et répressives, elles le font à travers la production de valeurs d'usage, qui est leur fonction première et qu'on ne peut négliger pour comprendre la façon dont les fonctions connexes sont remplies.

Pour expliquer la multiplication des institutions locales de services publics, certains auteurs font directement appel à l'évolution du secteur productif ; la multiplication répondrait aux intérêts des fractions dominantes de la bourgeoisie, aux exigences posées à un moment donné par l'accumulation du capital vis-à-vis de la reproduction du travail. Ces exigences détermineraient la création et les  [7] formes des institutions locales de services, du moins en "dernière instance". Mais alors, ce sont les déterminations de première instance qui deviennent intéressantes ; car à un même niveau de développement économique correspondent des institutions passablement variées.

De cette argumentation, il faut toutefois retenir que l'analyse de l'évolution du secteur public s'articule à celle de l'évolution des structures socio‑économiques et du rythme des activités économiques ; ces facteurs exercent des contraintes sur le secteur public, sur ses ressources, sur son financement et sur les modèles de consommation qu'il préconise. En effet, les engagements financiers de l'État dans l'orientation ou la réorganisation du secteur de production des biens marchands peuvent limiter les ressources disponibles pour les services publics, mais par ailleurs, le développement de ces services peut aussi favoriser l'accumulation de certains capitaux ; en outre, la généralisation de la consommation privée des marchandises crée des habitudes de comportement auxquelles peuvent se heurter des tentatives d'implantation de nouvelles modalités de production des services publics. De toute façon, et c'est le point important, la manière dont s'exercent ces contraintes économiques dépend du rapport des forces socio‑politiques, de leurs orientations et de leur capacité de mobilisation. Les résultats de ce rapport de forces s'inscrivent entre autres dans un contexte idéologique et dans un mode particulier de fonctionnement politico-administratif du secteur public dont on peut penser qu'ils exercent une influence spécifique.

Les démocraties admettent le principe de l'égalité politique, au moins formelle, des citoyens. Ce principe ne sert pas seulement à légitimer les procédures de choix des représentants, il joue sans doute aussi un rôle moteur dans le développement des services publics. La revendication d'égalité s'étend aussi aux extrants du système politique, surtout lorsqu'ils concernent des biens ou des situations dont la jouissance est reconnue comme un droit [4], [8] analogue au droit de vote. L'État est ainsi amené à créer des services publics qui assurent une égalité d'accessibilité à un certain nombre de valeurs d'usage et qui légitiment, cette fois-ci par les résultats, le système politique. Cette égalité reste bien sûr dans un certain nombre de cas formelle, c'est une égalité d’ "opportunités". Mais sa reconnaissance officielle n'est pas sans effets. Elle peut alimenter une critique des inégalités réelles qui amène éventuellement les pouvoirs publics à étendre ou à améliorer certains services [5]. Le principe d'égalité qui garantit l'existence légitime de l'État facilite ainsi son expansion, notamment par l'accroissement du secteur public.

Par ailleurs, celui‑ci tend, en raison de son fonctionnement, à s'auto-développer. Ce fonctionnement se caractérise par le renforcement mutuel de certaines pratiques de défense professionnelles et syndicales et des comportements techno‑bureaucratiques. Il consiste en une complémentarité partielle de leurs intérêts et en vient à activer la croissance du secteur public, croissance qui, à la fois, ouvre des débouchés à certaines catégories de professionnels et satisfait la volonté de puissance des techno-bureaucrates.

Pour forcer cette croissance, ceux‑ci disposent en plus de deux autres atouts. Ils peuvent s'appuyer sur leurs clientèles, qu'ils s'efforcent éventuellement, face au centre politique de décision, de défendre et de représenter tout en les servant et en les disciplinant ; ils peuvent en outre [9] s'imposer comme les experts des conditions de la survie collective, rôle valorisé dans un contexte de fortes interdépendances, de menaces extérieures d'ordre environnemental et économique. En définitive, la réponse à la première question, celle de savoir comment expliquer la croissance des services publics, est à rechercher dans le jeu de ces divers facteurs [6].

Maintenant, comment expliquer qu'à un moment donné de cette croissance, qui résulte surtout de décisions centrales, la nécessité d'une décentralisation se fasse sentir ? Les discours officiels abondent en justifications : les services deviennent inadaptés, déshumanisés ; les décideurs s'éloignent des citoyens, et le secteur public tombe en discrédit. Cet état de fait (dont on ne sait d'ailleurs pas toujours s'il correspond à des représentations d'hommes politiques ou à des opinions très largement répandues parmi les citoyens) peut résulter de deux séries de causes, relatives à la gestion politico‑administrative des services et à l'évolution de la conjoncture politico‑économique.

Le mode de fonctionnement du secteur public crée des difficultés réelles de gestion qui alimentent les thèmes des justifications officielles. Le penchant des techno-bureaucrates à la normalisation centrale suscite effectivement des insatisfactions locales. Mais à elles seules, si elles ne sont pas généralisées, elles ne suffisent sans doute pas à provoquer une décentralisation ; car elles peuvent même avoir un effet indirect d'accentuation de la centralisation en augmentant l'utilité des élus centraux comme relais entre le local et le central. La décentralisation serait un défi à leur rôle, car elle représenterait surtout un aveu d'incapacité pour les techno-bureaucrates ; ils s'empresseraient de transformer officiellement la décentralisation en une simple méthode de raffinement de la gestion, née de leur propre génie innovateur.

La décentralisation témoigne aussi d'un nouveau partage, entre niveaux de gouvernement, des fonctions socio-économiques de l'État. Le partage est plus ou moins important [10] selon le contenu de la décentralisation et correspond à la volonté du niveau central de se consacrer surtout aux interventions à plus forte incidence économique.

L'utilité de ce nouveau partage peut paraître plus évidente dans certaines périodes économiques. En effet, une des conséquences majeures du jeu des deux tendances motrices dans le développement du secteur public est l'accroissement des coûts, donc de la part du budget de l'État dans le PNB. Dans une période d'assez forte croissance, cette conséquence ne pose guère de problèmes. Mais tout autre est la situation dans une période de difficultés économiques, Les demandes du secteur public viennent en plus forte concurrence avec les besoins financiers de la relance ou de l'assainissement de certains secteurs économiques, et leur rythme peut ne pas coïncider avec celui de la croissance des revenus gouvernementaux.

Dans ce contexte [7], la décentralisation, en plus d'entraîner des effets bénéfiques sur la gestion des services, a une utilité supplémentaire : elle représente un moyen de limiter la croissance des coûts du secteur public, tout en faisant mieux accepter les compressions budgétaires et en contribuant à restaurer la confiance du public dans les institutions publiques.

Mais une fois la décentralisation décidée, comment la faire ? Quel objectif et quelle forme institutionnelle [11] lui donner ? La décentralisation, dans les discours officiels, peut signifier, soit la simple gestion des questions locales à un niveau local, mais dans le cadre de directives nationales et d'un financement central, soit l'octroi d'une véritable autonomie de décision locale dans les affaires locales, comportant un effort local.

Le choix de l'une ou l'autre de ces solutions est-il neutre par rapport au maintien, sous une forme renouvelée, ou à la transformation du mode antérieur de fonctionnement du secteur public et d'expansion étatique, ou ne préjuge-t-il pas d'une orientation précise dans un contexte donné des forces socio-politiques ? Notre recherche voudrait indirectement apporter des éléments de réponse à cette question, à partir des résultats des expériences de réorganisation locale déjà réalisées.

2. Changements institutionnels
et évolution des services


Selon notre hypothèse, les changements institutionnels influenceraient l'évolution des services, de manière directe, en autorisant leur développement, et de manière indirecte, en modifiant la répartition du pouvoir au sein des unités locales de service ; plus spécifiquement, la nature et l'ampleur des conséquences des changements institutionnels pour les services et la répartition du pouvoir dépendraient des nouvelles caractéristiques institutionnelles.

Cette hypothèse initiale ne reposait sur aucun déterminisme et sur aucune neutralité institutionnelle ; les institutions ne créent pas les résultats des réformes, mais elles ne sont pas étrangères à leur apparition ; conçues dans un état particulier du rapport des forces socio‑politiques sans être de simples instruments à la disposition de certaines d'entre elles, elles déterminent un champ de résultats possibles dont l'actualisation partielle dépend de l'évolution de ce rapport des forces. Les institutions locales s'enracinent dans des processus sociaux plus généraux, dont elles cristallisent, de manière plus ou moins stable, les formes particulières d'expression. Dans cette recherche, nous avons tenté de cerner cet effet [12] structurant des institutions locales [8]. Nous exposerons maintenant les différentes variables qu'impliquent les relations exprimées dans l'hypothèse initiale.

2.1. Les variables institutionnelles

Dans notre recherche, les organismes régionaux mis en place  [9] et les unités locales dans lesquelles on a introduit des citoyens [10] ne présentent pas les mêmes caractéristiques d'un secteur à l'autre [11]. Pour mieux cerner l'influence éventuelle des différences institutionnelles, nous avons regroupé ces caractéristiques en trois blocs de variables, indépendantes dans notre démarche.

Le premier bloc comprend des variables que nous qualifions d'organiques ou de "constitutionnelles". ("Constitutionnelles" serait le qualificatif sans doute le plus exact, puisque ces variables se rapportent aux dimensions constitutives des unités locales ; mais l'usage courant réserve ce qualificatif aux niveaux supérieurs de l'organisation étatique ; d'ailleurs, les unités locales sont des créatures provinciales. Nous emploierons donc plutôt le qualificatif "organique".) Ces variables établissent l'identité d'une unité locale dans l'ensemble des réseaux [13] d'institutions publiques, et définissent sa juridiction et sa position. Elles ont donc trait aux relations verticales entre le palier local et le palier central. Elles resituent l'unité locale dans l'ensemble des forces sociales et renseignent sur les rapports de force. Trois grandes dimensions sont susceptibles d'avoir des effets particuliers :

  • Les compétences (champ d'activité et pouvoirs dans ce champ d'activité) permettent de caractériser l'unité selon la diversité des services qu'elle offre (selon son uni- ou sa multi-"fonctionnalité"), selon le degré d'exclusivité dont elle jouit dans la prestation du service (qui peut aller du monopole au partage - ou même à la concurrence - avec d'autres organismes publics ou privés), selon l'extension de sa clientèle (universelle ou restreinte à des groupes particuliers), selon la nature et l'ampleur de l'effort local (fiscal ou autre) qu'elle peut imposer et enfin, pour le palier régional, selon le pouvoir de contrainte dont dispose l'organisme régional vis-à-vis des unités locales.

  • Le territoire à desservir varie en fonction de la population et en fonction de sa (non-)correspondance avec d'autres découpages politico-administratifs.

  • La dépendance à l'égard du gouvernement central est fonction de la position hiérarchique de l'unité dans le réseau (a-t-elle des relations directes ou indirectes avec le ministère ?), de la marge d'autonomie qui lui est accordée au moment de définir les variables organiques (s'il y a des compétences facultatives) et les variables organisationnelles (structures administratives), et de procéder au choix et à l'affectation des ressources.

Le deuxième bloc comprend les variables qualifiées d'organisationnelles et sert à comparer les unités locales selon leurs structures politiques et administratives internes.

  • Les instances décisionnelles se distinguent selon leur différenciation (en conseil d'administration, comité exécutif, comités consultatifs), selon leurs rapports (répartition des prérogatives), selon leur composition (nombre de membres et procédures de choix de ces membres) et enfin selon les modalités du contrôle exercé sur les services administratifs et sur les producteurs.

[14]

  • L'appareil "bureaucratique" désigne ici seulement les unités administratives et non les unités de production du service. Ces unités administratives peuvent être plus ou moins différenciées, plus ou moins importantes en taille et, selon les organismes, plus ou moins distinctes des unités de production. On pourrait donc inclure ces dernières parmi les variables organisationnelles. Mais étant donné leur importance et notre insistance sur l'analyse du produit, nous préférons les isoler.

Le troisième bloc de variables se rapporte à l'organisation de la production du service, aux services producteurs. Il ne figure pas normalement dans les caractéristiques institutionnelles formelles ; mais certaines formes d'organisation de la production des services deviennent de plus en plus institutionnalisées. Plusieurs aspects sont à prendre en considération, en particulier :

  • La composition des producteurs selon leur spécialisation et leur compétence, et selon leur statut (de salariés, de contractuels, de bénévoles) dans l'unité locale.

  • Le genre d'organisation professionnelle et syndicale des différentes catégories de producteurs et les contraintes éventuelles que les clauses des ententes collectives professionnelles ou syndicales peuvent imposer à la prestation des services.

  • Le genre de relations entre les producteurs au sein d'une même unité (juxtaposition, interaction, pratique individuelle ou d'équipe).

Tel est l'ensemble des variables institutionnelles que les projets de réorganisation locale ou de décentralisation modifient en entier ou partiellement et dont nous supposons qu'elles influencent les résultats des réformes dans une conjoncture politique locale donnée. Le grand nombre de ces variables institutionnelles, posées comme indépendantes au début de notre démarche, en montre d'emblée les difficultés, que nous soulignerons encore davantage dans cette introduction. Ces variables institutionnelles sont supposées influencer l'évolution des services, de manière directe, en autorisant leur fourniture au niveau local, et surtout de manière indirecte, en infléchissant la répartition du pouvoir au niveau local, donc en interagissant avec les variables politiques locales.

[15]

2.2. L’évolution des services

Malgré les différences institutionnelles formelles, les réformes dans les divers secteurs considérés ont au moins un dénominateur commun : celui de transformer les services locaux, de les "améliorer". Cette volonté d'amélioration recouvre dans les faits des objectifs variés, poursuivis simultanément ou difficilement conciliables :

  • Rendre le milieu environnant plus favorable à l'unité locale de service, à la réception du service par la clientèle bénéficiaire, même si le service reste inchangé. Cet objectif, qui consiste à "améliorer" les opinions plutôt que le service, ne figure pas dans les exposés officiels, mais n'en est pas moins présent dans certains cas.

  • Augmenter l'efficience interne de l’ "entreprise" de services publics dans la production du même genre de service que celui qui existait avant la réforme. Cette efficience exprime la relation entre les intrants (personnel et équipement) et la performance de l'entreprise (ou le nombre d'actes posés, qu'il s'agisse d'examen clinique ou d'intervention policière). L'amélioration de cette efficience résulte d'un accroissement de la productivité du personnel ou d'innovations techniques.

  • Augmenter l'efficacité des entreprises de services publics en leur faisant améliorer leurs résultats dans la production de services traditionnels. Cette amélioration peut venir d'une adaptation des modalités de prestation du service aux particularités locales, rendant la clientèle plus réceptive, ou d'une meilleure distribution socio-spatiale des services, concentrés là où les besoins sont plus grands (où les résultats sont plus faciles à obtenir ? ...), ou d'innovations dans le mode de production des services, accroissant leur efficacité intrinsèque.

  • Faire produire de nouveaux services par les entreprises de services publics, selon les mêmes modalités que pour les anciens.

  • Fournir des services d'un autre genre. Le caractère distinctif de l’ "autre genre" peut être difficile à définir synthétiquement ; il apparaîtra mieux dans l'exposé des degrés d'approximation dans la mesure du service (voir ci-dessous) ; disons pour l'instant que ces [16] services d'un autre genre se définissent prioritairement par rapport à la formation du client plutôt qu'en fonction de la production de l'organisme, visent en quelque sorte à réduire la dépendance du client vis-à-vis de l'entreprise productive, et qu'en voulant agir sur les causes, ils suscitent une mobilisation collective de la clientèle en plus (sinon au lieu) du traitement cas par cas.

  • Redistribuer les coûts des services par rapport à leur mode antérieur de répartition.

Vers lesquels de ces objectifs s'oriente effectivement l'évolution des services après les changements institutionnels ? Pour répondre avec précision à cette question, il faudrait être capable de mesurer et d'évaluer les services avant et un certain temps après la réforme institutionnelle ; mais des problèmes de méthode et surtout de disponibilité de données, rendent cette opération difficile sinon impossible. Sans reprendre ici toutes les questions de mesure des services, il faut se rappeler que le niveau de service peut être saisi à au moins trois degrés d'approximation distincts, du plus au moins satisfaisant :

  • Le degré de disponibilité du service, ou encore, en d'autres termes, le niveau de capacité de sa production organisationnelle. À ce degré d'approximation, on saisit d'abord la présence ou l'absence d'activités contribuant à la prestation du service, ensuite, de manière plus ou moins approximative, le volume de clientèle pouvant être satisfait compte tenu des intrants (personnel et équipement), et enfin, certaines caractéristiques de disponibilité et d'accessibilité.

  • Le niveau de production-consommation du service. Il ne s'agit plus de service potentiel, mais de service réel (la relation entre potentiel et réel est loin d'être simple, vu la nature des indicateurs de potentiel). Le niveau de production-consommation peut être exprimé sur le plan quantitatif, il peut être saisi par les modalités de prestation du service, principalement, ici, par diverses caractéristiques de comportement des producteurs et des clients, étant donné que le "service" résulte de l'interaction des deux. L'usager, même si on lui commande l'obéissance pure et simple, n'est pas entièrement passif ; la valeur d'usage du service n'apparaît qu'avec la collaboration de l'usager, que s'il adopte certains[17] comportements. Dès ce niveau de la production-consommation, il apparaît comme coproducteur.

  • L'état du milieu, qui, dans les secteurs considérés, définit le bien collectif recherché. Son évolution incorpore les résultats du service. Mais ces résultats ne sont pas seulement dus à l'impact du service proprement dit ; ils sont aussi attribuables à d'autres facteurs exogènes par rapport au service, aux éléments constitutifs du milieu. La combinaison de cet impact et des autres facteurs peut varier selon les activités considérées, le service étant au moins une condition nécessaire, mais plus ou moins suffisante, de l'évolution du milieu. Le problème bien connu d'analyse et de mesure vient du fait que l'état du milieu ou bien collectif est l'étalon ultime de l'efficacité du service, mais qu'il ne peut être imputé simplement et uniformément à un service ; il peut dépendre d'un ensemble de services ainsi que d'autres facteurs. Cette multiple détermination souligne l'importance, d'une part, des interdépendances dans les effets des services et, d'autre part, des comportements privés comme coproducteurs de cet état du milieu ou du bien collectif.

La mesure de l'évolution des services ne serait possible que si des indicateurs, et les données correspondantes, étaient disponibles en série chronologique, à chacun de ces degrés d'approximation. Leur mise en relation permettrait ensuite de procéder à des évaluations en termes d'efficience, d'efficacité ou d'adéquation. En fait, ces séries de données n'existent pas pour les secteurs et pour la période, étudiés (cette période commence avant la réorganisation et couvre les quelques années qui la suivent). Pour limiter la collecte des données qu'il était possible d'obtenir ou de faire reconstituer et qui étaient nécessaires pour une évaluation minimale de l'orientation des changements de service, nous avons privilégié trois genres de changements, d'ailleurs non exclusifs :

  • Les innovations, qui désignent les nouvelles techniques ou méthodes de production ou les nouveaux actes professionnels censés améliorer le service.

  • Les adaptations, qui désignent les mesures prises pour faire correspondre les activités de l'unité de service aux caractéristiques du milieu, au point de vue de l'accueil des clients, des horaires d'ouverture, du type d'activités offertes, des modalités de réalisation de ces activités.

[18]

  • Les transformations, qui indiquent, soit un débordement par rapport aux activités traditionnellement confiées à une unité en raison de sa ou de ses spécialités principales, soit des tentatives de dépassement du mode traditionnel de prestation du service (à savoir le service-traitement) tendant vers un nouveau mode où l’auto-prise en charge est expérimentée. La combinaison de ces deux axes de transformation relève d'un processus de transfonctionnalisation, c'est-à-dire d'une critique et même d'un refus de la spécialisation et de l'autorité institutionnelles fonctionnelles, au profit d'une approche plus intégrée tant au niveau du citoyen "usager multiple" qu'au niveau de la collectivité locale et des institutions locales.

 À défaut de fournir une certitude, étant donné la faiblesse des données, l'observation des changements de l'une ou l'autre de ces trois catégories donne une idée du ou des objectifs initiaux de service vers la réalisation desquels s'oriente concrètement l'évolution de la fourniture des services. Les innovations donnent une présomption d'amélioration de l'efficience. Les adaptations représentent une des conditions indispensables à l'amélioration de l'efficacité, et les transformations ou la transfonctionnalisation correspondent directement au dernier objectif de fourniture de services d'un nouveau genre.

Les changements dans les services sont considérés comme les variables dépendantes dans notre plan d'analyse. L'explication de leur ampleur et de leur nature fait intervenir les changements institutionnels comme variable indépendante et les modifications effectives dans la répartition du pouvoir local comme variable intermédiaire.

2.3. Le pouvoir dans les unités locales

La réorganisation des unités locales de service affecte plusieurs catégories d'acteurs, tant au niveau local qu'au niveau central : citoyens usagers, producteurs (professionnels où non), administrateurs et élus locaux, technobureaucratie centrale et élus nationaux. Sans négliger le rôle des acteurs centraux, nous avons surtout examiné les modifications que les réformes institutionnelles ont [19] pu entraîner dans la répartition du pouvoir entre les acteurs locaux au sein des unités locales ou régionales. Pour les besoins de notre plan d'analyse et sans nous justifier ici en faisant référence à l'abondante littérature qui porte sur les problèmes de définition et de mesure du pouvoir et de l'influence, nous avons cerné le pouvoir de chaque catégorie d'acteurs par une combinaison de méthodes réputationnelles et décisionnelles, et nous avons adopté la définition suivante du pouvoir : la capacité qu'a un acteur, par sa participation au processus décisionnel, d'imposer ses vues sur la ligne d'action (la politique d'intervention) de l'unité locale, autrement dit sa capacité de contrôler les décisions relatives aux programmes et aux activités (c'est‑à‑dire au produit) et aux ressources nécessaires (budget, personnel, équipement). Le pouvoir est ainsi défini par rapport au stade décisionnel d'autorisation et de sanction.

Mais la variable dépendante (les services fournis et leurs modalités de prestation) se situe moins au niveau décisionnel qu'à celui des modalités empiriques, très concrètes de la mise en application des décisions, à celui du produit. Nous avons donc dû considérer, outre le pouvoir d'un acteur, son influence, entendue ici comme sa capacité de façonner le produit.

Les conséquences pour les services d'une modification de la répartition du pouvoir entre les acteurs locaux ne sont compréhensibles que si l'on prend aussi en considération les orientations de service de ces acteurs, leur prédisposition et leur attachement à la réalisation de tel ou tel objectif de service visé par la réforme institutionnelle. Au point de vue du service, du produit de l'unité locale, deux grandes orientations peuvent être distinguées : l'une, que l'on pourrait qualifier d'organisationnelle, prend la "performance" des producteurs (ce qu'ils font quantitativement et qualitativement) comme critère ultime d'évaluation et valorise donc le service en tant que traitement ; l'autre, que l'on pourrait qualifier de collective, prend au contraire comme repère d'évaluation la finalité de l'organisme, l'état du milieu (le service n'étant qu'un moyen), et insiste donc sur le service en tant qu'aide à la formation individuelle et collective. D'autres orientations peuvent être centrées non plus sur le produit, mais sur les modalités techniques et administratives de production.

[20]

Les changements dans les variables institutionnelles ont-ils favorisé ou non l'accession au pouvoir au ont-ils renforcé le pouvoir de certains acteurs ayant une orientation de service donnée ? Ont-ils induit des configurations particulières de relations de pouvoir ? Telle est la principale question relative au lien entre les variables indépendantes et la variable intermédiaire. On doit l'examiner toutefois sans faire abstraction des rapports de chaque acteur impliqué dans l'unité locale avec son milieu. Ces rapports peuvent être une importante ressource politique pour certains acteurs, en particulier les représentants des usagers et les élus locaux. Leur appartenance à des associations, à des partis, ou même leur simple notabilité sont susceptibles d'accroître leur pouvoir dans l'unité locale. Les caractéristiques socio-économiques, l'organisation du milieu doivent donc être prises en considération, mais il ne faut pas oublier que les variables institutionnelles jouent sur le degré de perméabilité de l'unité locale de service à son environnement.

En définitive, le schéma des relations possibles entre les trois séries de variables est fort complexe. Leur analyse, dans cette recherche, est encore rendue plus difficile par le fait que les unités étudiées se situent dans des secteurs où la nature des services diffère ; et il faut être conscient de cette source de variation supplémentaire, à défaut de pouvoir la contrôler parfaitement.

2.4. Différences intersectorielles dans la nature du service

En effet, en plus de se différencier sur le plan formel et institutionnel, les unités locales et régionales se distinguent aussi par d'autres dimensions socio-politiques du service, dont il importe de cerner les effets spécifiques possibles et complémentaires sur les changements observés. Ces dimensions socio-politiques typifient les principaux agents mis en confrontation directe par les unités locales de dispensation de services : les usagers, les producteurs. Nous parlons d’ "usagers" et de "producteurs", mais il est bien évident qu'à l'intérieur [21] d'un même secteur, ces acteurs ne constituent pas des groupes homogènes. En particulier, les usagers d'un même service peuvent en fait l'utiliser différemment selon leurs autres appartenances socio‑économiques ; de telles variations ont déjà été montrées pour la plupart des services publics. Le statut d'usager recouvre, certes, des statuts sociaux différenciés, mais il faut s'interroger aussi sur ses effets spécifiques éventuels.

La relation service-usagers varie d'un secteur à l'autre et influence sans doute le potentiel et la forme de mobilisation des usagers par rapport à la dispensation du service. Les groupes d'usagers des divers secteurs se trouvent ainsi dans des situations différentes à plusieurs points de vue :

  • La fréquence d'utilisation du service peut être tantôt occasionnelle, tantôt régulière sur une longue période. L'avocat de l'Aide juridique n'est consulté qu'en cas de problème, de même que le médecin et le travailleur social du CLSC ; par contre, l'école fait partie de l'environnement quotidien des parents pendant de longues années et, dans une moindre mesure, le centre d'éducation populaire est aussi éventuellement fréquenté sur une longue période. On peut penser que plus l'utilisation sera continue, plus l'usager trouvera intérêt à se préoccuper de la dispensation du service.

  • Le degré de dépendance technique dans la jouissance du service est lui aussi variable. Le patient qui se fait soigner ne connaît souvent rien à la pharmacologie et il est bien obligé de se fier aux ordonnances des médecins, d'autant plus qu'il est rarement conscient de sa capacité d'agir sur son état de santé. Par contre, par rapport au professeur, le parent soutient éventuellement la prétention d'avoir développé une méthode efficace de traitement de son enfant. On peut faire l'hypothèse que moins la dépendance technique existera et sera perçue, plus l'usager sera porté à vouloir donner son point de vue sur la dispensation du service.

  • Le service peut être relativement neutre ou au contraire intervenir dans l'expression des convictions personnelles et la valorisation sociale de l'usager. La médecine dominante à tendance techniciste ne remet habituellement pas en cause l'usager, en ne lui donnant guère de conseils sur son mode de vie. Par contre, l'enseignement scolaire [22] ne peut faire abstraction des valeurs de l’usager et de ses projets d'insertion sociale. Les résultats d'une cause défendue par l'avocat peuvent aussi avoir des répercussions sur de nombreux aspects de la vie de son client, entre autres son niveau de vie et son image sociale. On pourrait donc avancer que plus la relation du service aux valeurs est apparente et plus les services mettent en cause les convictions personnelles et la valorisation sociale de l'usager, plus celui-ci sera porté à s'impliquer dans leur dispensation. Autrement dit, les différents aspects des rôles d'usagers dans lesquels se trouve impliqué le citoyen n'ont pas tous la même importance pour lui.

Ces différentes dimensions de la relation service-usager, schématiquement esquissées, paraissent commander un potentiel de mobilisation différent selon les secteurs.

Par ailleurs, les caractéristiques de la position des producteurs ne les rendent pas tous aussi ouverts aux conséquences d'une actualisation du potentiel de mobilisation des usagers, donc aussi favorables aux expériences de participation. Deux caractéristiques paraissent essentielles à ce point de vue : le degré de compétence technique et le genre de pratique de défense professionnelle. Le degré de compétence technique du producteur a pour corollaire la dépendance technique de l'usager. La compétence technique se fonde sur les éléments objectifs de possession de connaissances et d'habiletés rares ; mais elle repose aussi sur une reconnaissance sociale, assurée de plus ou moins longue date et plus ou moins fermement. La compétence du médecin n'est guère contestée ; celle de l'avocat non plus. Par contre, celle des professeurs est déjà plus incertaine, surtout lorsqu'ils s'adressent aux adultes ; on les considère alors plus volontiers comme des "personnes ressources". Ce sont les travailleurs sociaux et les organisateurs communautaires qui sont le plus difficilement reconnus comme experts ; les travailleurs sociaux ont déjà été vivement contestés par certains groupes populaires et les organisateurs communautaires sont encore en quête d'une reconnaissance de leur légitimité professionnelle. On pourrait avancer que moins sa compétence est fermement établie, plus un professionnel aura tendance à se méfier d'une possibilité d’intervention des usagers dans le contrôle de ses activités. Mais, par ailleurs, les experts les plus reconnus sont aussi susceptibles de trouver dérisoires et naïves, sinon dangereuses, les tentatives d'immixtion [23] des citoyens dans leurs affaires. Le degré de compétence reconnu ne donne donc pas d'effets univoques sur les attitudes des producteurs à l'égard de la participation des citoyens. Ces effets dépendent essentiellement de leurs orientations personnelles de service.

Avant d'entreprendre une recherche sur les conséquences des changements institutionnels, il eût été souhaitable de disposer déjà d'études approfondies sur les divers aspects de la relation producteur-usager dans les différents services sectoriels. Faute d'en avoir suffisamment à notre disposition, nous ferons attention de ne pas imputer aux seules variables institutionnelles des effets qui pourraient aussi provenir de la nature du service et de la relation producteur-usager. La complexité du plan d'analyse et le champ restreint d'investigation empirique de cette recherche lui confèrent un caractère exploratoire qu'on ne saurait assez souligner.

3. Présentation du rapport

Ce rapport est composé de deux parties, ayant des démarches d'exposé différentes. La première partie est consacrée aux trois organismes métropolitains mis en place dans l'agglomération de Montréal : la Communauté urbaine de Montréal, sur le plan municipal, le Conseil scolaire de l'île de Montréal, sur le plan de l'éducation, et le Conseil de la santé et des services sociaux de Montréal métropolitain, dans le domaine des affaires sociales. Comme il n'existe qu'un seul organisme métropolitain par secteur, nous procédons directement, dans un premier chapitre, à une comparaison des changements apportés par chacun et, dans un deuxième chapitre, ces changements sont mis en relation avec les caractéristiques institutionnelles des trois organismes.

Dans la deuxième partie sont analysées les expériences de participation dans les unités locales de fourniture des services : écoles, bureaux d'aide juridique, centres locaux de services communautaires et centres d'éducation populaire. Comme, pour chaque secteur, il existe plusieurs unités à l'intérieur de l'agglomération montréalaise, nous menons d'abord une analyse sectorielle à partir des quelques cas [24] retenus. L'étude des CLSC a drainé la majeure partie des ressources du projet, parce que, jusqu'à maintenant, ces organismes ont fait l'objet de peu d’investigations empiriques et que, formellement et d'après les objectifs mêmes de la réforme des affaires sociales, ils représentent à première vue le prototype des expériences de modification des produits et des relations de pouvoir ; deux chapitres, dont l'un à caractère plus descriptif, leur sont donc consacrés. Un autre chapitre porte sur les autres expériences sectorielles, et un chapitre synthèse tente une comparaison intersectorielle des caractéristiques institutionnelles et des changements dans les services.

Ce rapport est donc consacré uniquement aux nouvelles expériences organisationnelles tentées au niveau métropolitain ou à un niveau supra-"local", depuis 1970. Ce sont ces expériences qui concrétisent le processus de décentralisation, objet spécifique de l'analyse, dans ses manifestations locales. Ce rapport n'offre donc pas un bilan synthétique de tous les organismes décentralisés, puisque les municipalités et les commissions scolaires, qui demeurent les éléments les plus importants du système local, ne sont pas étudiés en tant que tels.

Enfin, soulignons que la période examinée s'arrête en 1974. Mais les évolutions se poursuivent...



[1] "La décentralisation administrative territoriale implique trois éléments essentiels qui la spécifient comme telle : le pouvoir de réglementation, l'autofinancement et l'élection des titulaires" : Andrée Lajoie, Les Structures administratives régionales. Déconcentration et décentralisation au Québec, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1968, p. 5.

[2] Une revue de cette littérature fait l'objet d'un autre document en cours de réalisation.

[3] Il ne s'agit cependant pas de fétichiser ni de personnaliser l'État. Selon H. Lefebvre, ‘’L'État n'a aucune existence substantielle (...) Il n'existe socialement que par des liaisons et des réseaux dans l'espace national engendré par lui et pour lui : édifices dits publics, réseaux de relations officielles, fiscales, policières, juridiques, couverts par des institutions. C'est ainsi que l'État, devient coextensif à la société". H. Lefebvre, De l'État, tome III, Le Mode de production étatique, Paris, 10/18, 1977, p. 179.

[4] Et leur liste s'allonge : droit à la santé, à la sécurité, à l'éducation, au logement, à l'eau potable, à un environnement sain..., ce qui renvoie à l'analyse de la définition socio‑politique des besoins. Pour expliquer cet accroissement des aspirations publiques, il faut recourir à d'autres notions que celle des "exigences de la reproduction de la force de travail", chère à certains marxistes et qui manifeste un fonctionnalisme conservateur, puisqu'elle permet de justifier par exemple qu'un intellectuel jouisse de meilleures conditions de vie qu'un manœuvre.

[5] Par exemple, les études sur la mesure des services locaux aux États‑Unis ont reçu une très forte impulsion après les poursuites légales intentées par certains quartiers noirs contre leur municipalité qui ne leur accordait pas la même qualité de service qu'ailleurs.

[6] Étant entendu par ailleurs que les arguments techniques ne semblent pas peser lourd dans la décision de faire d'une activité un service public.

[7] Les projets actuels de décentralisation se situent dans ce contexte. Ils ont commencé à mijoter d'ailleurs à peu près en même temps que les efforts gouvernementaux pour, ralentir l'augmentation des dépenses à caractère social. Il faut noter aussi une certaine tendance à la décentralisation des programmes sociaux du niveau fédéral vers le provincial, et on peut se demander si celui‑ci n'essaiera pas d'en faire assumer une partie par le niveau local, ou du moins ne déplorera pas d'avoir pris à sa charge les responsabilités municipales en matière de bien‑être social ... Pourtant, dans la conjoncture antérieure plus favorable, tout le monde s'accordait à penser, à la suite des économistes, que la redistribution devait être effectuée au niveau le plus central.

[8] Nous avons, dans un autre travail, commencé à explorer aussi leur enracinement social, à le traiter comme un produit social. G. Divay, Réforme institutionnelle locale et fourniture des biens collectifs locaux. Une approche socio‑politique, Université Laval, Faculté des sciences sociales, 1977, thèse de doctorat. Le cadre analytique général de cette recherche provient également de ce travail antérieur.

[9] Dans le domaine municipal, la Communauté urbaine de Montréal ; en éducation, le Conseil scolaire de l'île de Montréal ; dans les affaires sociales, le Conseil de la santé et des services sociaux de Montréal métropolitain.

[10] Les écoles, les bureaux d'aide juridique, les centres locaux de services communautaires, les centres d'éducation populaire.

[11] Ces organismes ou ces unités sont brièvement présentés au début de chaque partie.



Retour au texte de l'auteur: Jacques T. Godbout, sociologue, INRS-urbanisation. Dernière mise à jour de cette page le mercredi 30 décembre 2015 9:44
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref