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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jacques T. Godbout, “Les « bonnes raisons » de donner” (1995)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jacques T. Godbout, “Les « bonnes raisons » de donner”. Un article publié dans la revue Anthropologie et Sociétés, vol. 19, no 1-2, 1995, pp. 45-56. Québec : département d'anthropologie de l'Université Laval. [Autorisation confirmée par l’auteur, le 13 juillet 2007, de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

 
Le serment est à l'origine de la garantie d'un accord, et dans la conscience des hommes, la force qui lie deux contractants ne se sépare pas facilement de la fidélité et de la foi ; même si, en réalité, celles-ci ne sont exigées en aucune façon, et si la simple considération de l'intérêt personnel suffit pour représenter au sujet raisonnable la nécessité de remplir cette condition fondamentale de la vie sociale. Il n'est pas facile d'éclairer et de comprendre ce point de vue. Mais dans l'examen et la pénétration de sa signification, on découvrira la clef de la solution des problèmes les plus importants de l'évolution et de la culture humaine.
 
Ferdinand Tönnies 1977 : 269 

 

Le don est-il rationnel ? Pour Derrida (1991), non. C'est une folie, nécessairement. Et même une impossibilité. Pour les utilitaristes, oui, car le don obéit à la rationalité instrumentale puisque l'on donne dans le but de recevoir, la seule spécificité du don étant que souvent on cache cet objectif aux autres, quand ce n'est pas à soi-même. Le vrai don au sens de don gratuit n'existe pas (Godbout et Caillé 1992 ; M.A.U.S.S. 1993). 

Pourtant, lorsqu'on observe les comportements de don, on arrive rapidement à la conclusion que le don existe, au sens de gestes d'offrande de choses et de services, gestes non posés pour le retour, ou en tout cas non posés principalement pour le retour, sans que les acteurs considèrent pour autant être des sujets irrationnels. Peut-on éclaircir cette apparente contradiction en s'inspirant des concepts développés par le paradigme de l'individualisme méthodologique et d'une conception de la rationalité élargie développée depuis plusieurs années par un sociologue comme Raymond Boudon ? 

Pour Boudon il existe deux manières d'expliquer les phénomènes sociaux : soit on en appelle aux coutumes, à la mentalité, à la tradition, et on nie ainsi la liberté des acteurs tout en ne faisant souvent que projeter sur le sujet observé les raisonnements propres au contexte de l'observateur ; soit on essaie de comprendre, et on est alors amené à chercher « les bonnes raisons » qui ont conduit un sujet à adopter tel comportement, ou à avoir telle ou telle croyance (1988 [1]). C'est le point de départ du paradigme de la sociologie de l'action et de l'individualisme méthodologique. Boudon s'élève avec raison contre la facilité avec laquelle pour expliquer un phénomène, en sociologie, on a recours à l'obéissance aveugle à la tradition, ou à une explication faisant appel à des forces obscures qui dépassent l'acteur, que ce soit l'inconscient individuel, l'aliénation, ou une structure sociale élémentaire inconsciente qui permet à Lévi-Strauss de réduire le don à un échange [2]. Ces explications supposent trop facilement des acteurs irrationnels, ou incompréhensibles par l'observateur, attitude qui n'est pas sans cacher souvent un certain mépris pour les populations observées. Le chercheur, affirme Boudon, doit aller au-delà de ces fausses explications et faire tout ce qu'il peut pour identifier les « bonnes raisons » qui permettent de comprendre le comportement d'un acteur et la logique de son action. C'est ce que Boudon appelle le postulat de rationalité. Cette rationalité est beaucoup plus large que la rationalité instrumentale. Elle inclut en fait toutes les « bonnes raisons » (qui peuvent être morales, religieuses, etc.) qui font qu'un acteur a agi d'une certaine façon, et n'exclut en réalité que les passions. Typiquement, cette explication prend la forme de l'énoncé suivant : « X avait de bonnes raisons de faire Y, car... »(Boudon 1993 : 42). S'il s'agit d'une passion, cet énoncé n'est pas possible et prend plutôt la forme de : « X n'avait pas de bonnes raisons de faire Y, mais... (il était en colère, ou jaloux, etc.) ». Boudon soutient qu'une telle conception de la rationalité n'a pas de définition formelle, mais seulement une définition sémantique. « [...] si la notion de rationalité peut être définie de manière sémantique, elle ne peut l'être de manière formelle. Elle s'appuie sur le fait qu'une phrase telle que "X avait de bonnes raisons de faire Y, car il croyait que Z..." peut soit faire sens, soit être dépourvue de sens, et propose de tenir Y dans le premier cas pour rationnel, dans le second cas pour irrationnel » (ibid. : 36). Pour l'auteur, l'intérêt d'une telle définition sémantique est qu'elle fournit un critère « naturel »pour décider du caractère rationnel ou non d'un comportement ou d'une croyance. 

Qu'en est-il du don ? Peut-on en quelque sorte « tester »cette définition en l'appliquant au don ? Envisageons successivement les bonnes raisons énoncées par les acteurs, puis la question du retour (contre-don).

[1] Boudon a écrit plusieurs textes sur ce thème. C'est surtout celui publié dans son Traité de sociologie, 1993, chap. 1, qui sera utilisé ici.

[2] Voir l'article de A. Petitat dans ce numéro.



Retour au texte de l'auteur: Jacques T. Godbout, sociologue, INRS-urbanisation. Dernière mise à jour de cette page le samedi 31 mai 2008 7:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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