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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, «Mauvaise dette» et méthode de l'OCDE. Les biais et omissions de Finances Québec”. Texte inédit, 25 février 2010, 5 pages. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 1er mars 2010.]

Louis Gill

« Mauvaise dette » et méthode de l’OCDE.
Les biais et omissions de Finances Québec.


Texte inédit, 25 février 2010, 5 pp. À paraître dans ÉCONOMIE autrement.org. URL.



Le 29 janvier 2010, j’ai adressé au ministre des Finances, M. Raymond Bachand, une lettre (amendée le 7 février) [1] dans laquelle je lui ai soumis des calculs de l’endettement du Québec selon la méthode de l’OCDE, ainsi qu’une évaluation des parts respectives de la « bonne dette » et de la « mauvaise dette » dans la « dette brute » du Québec. J’ai terminé ma lettre en sollicitant une réaction. À ce jour, je n’ai reçu ni réaction de sa part ni accusé de réception. Mais, par un heureux concours de circonstances, le hasard faisant bien les choses, le ministère des Finances vient d’afficher sur son site internet un nouveau document, intitulé La dette du gouvernement du Québec [2], qui traite principalement  :

  • des divers concepts de dette et de la prétendue prépondérance de la « mauvaise dette »;

  • des comparaisons internationales de la dette selon la méthode de l’OCDE.


« Bonne dette » et « mauvaise dette »

Tranchant avec tous les exposés gouvernementaux antérieurs des divers concepts de dette, qui prennent comme point de départ la « dette brute » pour aboutir à la « dette représentant les déficits cumulés » en passant par la « dette nette », ce document présente en premier lieu le concept de « dette représentant les déficits cumulés ». Il la définit comme « la différence entre les passifs et les actifs du gouvernement », représentant « la "mauvaise dette", celle qui ne correspond à aucun actif ou celle qui est encourue lorsqu’un ralentissement économique amène le gouvernement à enregistrer un déficit ». On dit souvent de cette dette, poursuit le document, qu’elle « a servi à financer des "dépenses d’épicerie" ».

Le décor étant ainsi campé, le ministère mentionne en deuxième lieu cette « autre façon » (en fait, jusqu’ici, la façon standard) d’établir le montant de la « dette représentant les déficits cumulés » [98,5 milliards de dollars en date du 31 mars 2009], qui consiste à « retrancher de la dette brute [151,5 milliards] la valeur des actifs financiers du gouvernement comme les placements dans les sociétés d’État, nets des autres éléments de passif, comme les comptes à recevoir [22,2 milliards], ainsi que la valeur des actifs non financiers, comme les immobilisations [30,8 milliards] ».

Il s’emploie ensuite à montrer comment cette dette représentant les déficits cumulés augmentera au cours des cinq années suivantes (de 2009-2010 à 2013-2014), dont les quatre premières sont prévues comme devant être des années de lourds déficits. Mais il n’explique pas plus que dans ses présentations antérieures l’origine historique de ce prétendu déficit cumulé de 98,5 milliards en 2009, ni ses prétentions sans fondements à l’effet que ce déficit serait dans les faits attribuable à l’accumulation, au fil des années, d’excédents de « dépenses d’épicerie », et que la « mauvaise dette » constituerait les deux tiers de la dette brute. Cette absence d’explication est d’autant plus incongrue que le document présente un tableau des « Facteurs de la croissance de la dette brute » [3] qui montre que, sur les 40,5 milliards de dollars d’augmentation de cette dette entre 1998 et 2009, le déficit budgétaire cumulé n’a compté que pour 1,0 milliard [4].

En somme, les questions que j’ai soulevées dans ma lettre du 29 janvier sont toujours sans réponse et rien n’est apporté dans ce nouveau document pour démentir le fait, démontré dans cette lettre, que les proportions entre « bonne dette » et « mauvaise dette » sont l’inverse de celles dont se réclame le gouvernement.

L’endettement selon la méthode de l’OCDE

Pour ce qui est de la comparaison internationale de l’endettement du Québec selon la méthode de l’OCDE, j’ai, dans ma lettre au ministre, établi à 248 milliards de dollars, ou 82 % du PIB, les engagements financiers bruts des administrations publiques du Québec, un pourcentage qui se situe sous la moyenne de l’OCDE qui était de 92 % en juin 2009. J’ai par ailleurs établi les engagements financiers nets à 122 milliards, ou 40 % du PIB, également sous la moyenne de l’OCDE qui est de 51 % en 2009.

Je suis arrivé au montant de 248 milliards pour les engagements bruts en additionnant à la dette directe du gouvernement (125 milliards) la dette des municipalités (19 milliards) et le solde de la dette des réseaux de l’éducation, de la santé et des services sociaux (900 millions). S’ajoute la part (20 %) de la dette non échue du gouvernement fédéral (514 milliards) qui correspond à la taille du Québec au sein  du Canada, soit un montant de 103 milliards. Le ministère arrive quant à lui à un montant de 286 milliards de dollars, ou 94 % du PIB, qu’il compare à la moyenne de l’OCDE en date du 31 décembre 2008, qui était de 78 %.

Avant d’expliquer l’origine de cette différence entre mon évaluation et celle du ministère, disposons d’abord de la question de la date des données de l’OCDE à choisir aux fins des comparaisons. Les montants de dette utilisés dans les calculs sont tous en date du 31 mars 2009, qui se trouve à mi-chemin entre le 31 décembre 2008, date des données de l’OCDE à laquelle le ministère se réfère, et celle du 30 juin 2009 à laquelle je me réfère. L’importante hausse de l’endettement moyen des pays de l’OCDE au cours de cette brève période de six mois s’explique évidemment par l’augmentation fort rapide des effets de la crise économique. Et comme l’économie a atteint un creux au début de mars 2009, du moins en ce qui a trait aux cours boursiers, on peut penser que les données du 30 juin 2009, bien supérieures à celles du 31 décembre précédent, sont plus susceptibles de représenter adéquatement la réalité qui était déjà fortement détériorée en date du 31 mars. En se référant aux chiffres du 31 décembre 2008 plutôt qu’à ceux du 30 juin 2009, le ministère présente un portrait indûment aggravé de l’endettement relatif du Québec.

Deux causes sont à l’origine de la différence entre mon évaluation de l’endettement brut, 248 milliards, et celle du ministère, 286 milliards. La première est que, procédant selon les normes généralement utilisées jusqu’alors [5], je n’ai considéré que la dette au sens strict dans le calcul des engagements financiers du gouvernement, sans inclure les « autres éléments de passif », comme les comptes à payer, les transferts du gouvernement fédéral à rembourser en raison d’ententes passées et divers autres passifs. Le montant de ces « autres éléments de passif » est de 20 milliards.

La deuxième source de la différence se situe dans l’évaluation de la portion de la dette du gouvernement fédéral qui est attribuée au Québec. Tel que mentionné plus haut, aux fins de ce calcul, j’ai utilisé le montant de la dette non échue du gouvernement fédéral (514 milliards), qui correspond au concept de dette directe au Québec, et le pourcentage de 20 % qui est le rapport du PIB du Québec à celui du Canada, ce qui donne un montant de 103 milliards. Quant au ministère, il a utilisé pour la dette du gouvernement fédéral un montant de 528 milliards, qu’il présente comme une « donnée de l’OCDE » [6], et le pourcentage de 23,3 % qui est la part de la population du Québec dans la population du Canada, ce qui donne un montant de 123 milliards.

Chacune de ces deux modalités différentes de calcul a pour effet de majorer de 20 milliards de dollars le montant de l’endettement calculé par le ministère. À 2 milliards de dollars près qui correspondent au montant accumulé dans le Fonds des générations, dont je n’ai pas tenu compte dans mes calculs à des fins de simplification, nous retrouvons la différence de 38 milliards entre mon évaluation de l’engagement brut total (248 milliards) et celle du ministère (286 milliards).

Quelle méthode utiliser ?

Quelle est, doit-on se demander, la méthode correcte de calcul ? Ou, pour être moins catégorique, y a-t-il une méthode qui serait plus fondée que l’autre ? Commençons par le plus simple, soit la question de la part à attribuer au Québec dans la dette du Canada. De nombreuses études se sont penchées sur la question, en particulier dans le cadre des réflexions sur l’accession du Québec à la souveraineté en vue d’un éventuel partage des actifs et des passifs entre le Québec et le Canada. Ce fut le cas de la Commission Bélanger-Campeau sur l’avenir politique du Québec créée au lendemain de l’échec de l’Accord du Lac Meech en 1990, puis d’une étude publiée en 2005 par l’ex-ministre du Parti québécois, François Legault, intitulée Finances d’un Québec souverain, sans parler des nombreuses évaluations de spécialistes universitaires.

Ces études ont donné lieu à des proportions variant entre 16 % et 24 %, selon qu’elles proposaient de prendre comme référence la part des revenus budgétaires fédéraux venant du Québec, le rapport entre les PIB ou le rapport entre les populations. En choisissant la part de la population du Québec dans la population du Canada, aujourd’hui de 23 %, le ministère utilise le pourcentage le plus élevé de l’éventail de 16 % à 24 % et biaise clairement les calculs dans la direction d’une surpondération de la part du Québec dans la dette du Canada. Le rapport entre les PIB, qui est de 20 %, est au contraire une valeur médiane entre les deux extrêmes, qui est par ailleurs plus crédible parce que le rapport entre l’évolution de la dette et celle du PIB est plus évident que le rapport entre l’évolution de la dette et celle de la population. C’est d’ailleurs le pourcentage qui est systématiquement évoqué comme la norme à utiliser lorsqu’il est question d’évaluer la part du Québec dans la dette du Canada [7].

L’autre question est plus complexe. Même si, à ma connaissance, les calculs de l’endettement des administrations publiques qui ont été faits jusqu’ici dans la perspective de comparaisons internationales n’ont considéré que la dette du gouvernement au sens strict (la dette directe), en excluant les engagements envers les régimes de retraite, et sans y ajouter les « autres éléments de passif », une interprétation stricte des normes de l’OCDE indique qu’il est dans l’ordre de procéder à une telle inclusion. En témoigne la définition suivante tirée des Sources et méthodes des Perspectives économiques de l’OCDE, qui stipule que « les chiffres des engagements financiers bruts concernent la dette et les autres engagements financiers (à court et à long terme) de toutes les institutions entrant dans le secteur des administrations publiques » [8].

Une correction des calculs du ministère

Ces remarques étant faites, il faut à mon avis procéder à une correction des calculs du ministère dans l’évaluation du montant de la dette du gouvernement fédéral à attribuer au Québec. S’il faut ajouter le montant des « autres éléments de passif » à celui de la dette directe du Québec, il faut en toute cohérence faire de même pour le montant de la dette du Canada qui servira à établir la part du Québec. En d’autres termes, il faut ajouter aux 514 milliards de la dette non échue du gouvernement du Canada les 114 milliards qui sont inscrits au titre des « autres éléments de passif ». Cela porte à 628 milliards, plutôt qu’aux 528 milliards utilisés dans les calculs du  ministère, le montant dont on doit imputer une part de 20 % à la dette du Québec, soit 126 milliards.

Cette correction faite, le montant des engagements financiers bruts des administrations publiques du Québec est donc, en utilisant le pourcentage de 20 % :

123 (dette directe – actifs du fonds des générations)
+ 20 (autres éléments de passif)
+ 19 (dette des municipalités)

+ 1 (dette des réseaux de l’éducation, de la santé et des services sociaux)

+ 126 (20 % de la dette non échue du gouvernement du Canada et de ses autres passifs, ou 20 % de 514 + 114 milliards)

Au total, 289 milliards, ou 95 % du PIB, un pourcentage qui se situe au-dessus de la moyenne de l’OCDE, de 92 % le 30 juin 2009.

Pour ce qui est des engagements financiers nets des administrations publiques du Québec, leur montant est obtenu en soustrayant des engagements financiers bruts les actifs financiers bruts du Québec, les actifs du FARR et du RRQ, ainsi que 20 % des actifs financiers bruts du gouvernement du Canada[9]. Nous obtenons donc :

- 289 (engagements financiers bruts du Québec)
- 42 (actifs financiers bruts du gouvernement du Québec)
- 36 (actifs du FARR)
- 26 (actifs du RRQ)
- 60 (20 % des actifs financiers bruts du gouvernement du Canada, de 299 milliards)

Au total, 125 milliards, ou 41 % du PIB, sous la moyenne de l’OCDE qui était de 42 % le 31 décembre 2008 et de 51 % le 30 juin 2009.

En somme, la prise en compte des « autres éléments de passif » a pour effet d’augmenter l’endettement brut des administrations publiques en proportion du PIB, et de le porter au-dessus de la moyenne de l’OCDE, alors que l’endettement net en proportion du PIB demeure inférieur à la moyenne de l’OCDE. Il est remarquable que le nouveau document du ministère s’en tienne à un calcul, par surcroît surévalué, de l’endettement brut, sans faire quelque allusion à l’endettement net.

Le document du ministère place le Québec au 5e rang quant à son endettement brut, n’étant dépassé que par le Japon, l’Italie, la Grèce et l’Islande. Sur le plan de l’endettement net, dont le ministère ne parle pas, le Québec se situe au 11e rang, derrière l’Italie, le Japon, la Belgique, la Grèce, les États-Unis, la Hongrie, le Portugal, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne.



[1] L’essentiel du contenu de cette lettre a paru le 16 février 2010 dans Le Devoir (p. A7), sous le titre « Dette du Québec : changements comptables et mythes tenaces ». Ces documents sont disponibles sur les sites d’Économie autrement et des Classiques des sciences sociales.

[2] Finances Québec, La dette du gouvernement du Québec, février 2010, 37 pages.

[3] Op. cit, Tableau 6, p. 11.

[4] Idem, p. 12. Les données utilisées aux fins du calcul de ce montant de 40,5 milliards ont été redressées, pour les années antérieures à la réforme comptable de 2007, pour tenir compte des impacts de cette réforme. Le montant réel de l’accroissement de la dette de 1998 à 2009, sans tenir compte des impacts de la réforme, est de 50,3 milliards et le solde budgétaire cumulé au cours de cette période, qui est un déficit de 1,0 milliard pour les fins de la Loi sur l’équilibre budgétaire, est un surplus de 0,6 milliard pour les fins du solde budgétaire consolidé.

[5] Voir en particulier Pierre Fortin, dans Agir maintenant pour le Québec de demain, sous la direction de Luc Godbout, Presses de l’Université Laval, 2006, Chapitre 2, p. 20, note 22.

[6] Op. cit, Tableau 11, p. 28.

[7] Voir en particulier Pierre Fortin, op, cit., et Le défi des finances publiques, étude publiée par Desjardins Études économiques et CIRANO, 2006, p. 16.

[9] Comme les engagements financiers bruts ont été établis en incluant les « autres éléments de passifs », il est normal que pour obtenir les engagements financiers nets, on en déduise les actifs financiers bruts, et non les actifs financiers « nets des autres éléments de passif ». Dans mes calculs précédents, où je n’ai pas tenu compte des « autres éléments de passif » pour obtenir les engagements bruts de 248 milliards, il fallait, comme je l’ai fait, utiliser les actifs financiers, « nets des autres éléments de passif », pour établir les engagements nets.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 1 mars 2010 19:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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