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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “« Libéralisation » à la Gorbatchev.” Un article publié dans le journal LA PRESSE, Montréal, édition du 13 mars 1987, page B3 — Analyse. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 11 janvier 2005.]

Louis Gill

« Libéralisation »
à la Gorbatchev
.

Un article publié dans le journal LA PRESSE, Montréal, édition du 13 mars 1987, page B3 — Analyse.


Les médias ont fait grand état ces derniers temps des mesures de « libéralisation » entreprises par le numéro un soviétique, Mikhail Gorbatchev. Des millions de téléspectateurs on vu l'académicien Andréi Sakharov, à peine rentré de son exil de Gorki, applaudir Gorbatchev au forum de la paix organisé à Moscou à la mi-février. (...)

Un coup d'œil sur la situation économique interne de l'URSS et sur ses rapports avec le monde capitaliste permet de jeter un peu de lumière sur les motivations qui amènent Gorbatchev à s'engager dans la « libéralisation » en cours. La stagnation de l'économie soviétique, la non-réalisation fréquente des objectifs des plans, la mauvaise qualité des produits de consommation et les longues files d'attente, la faible productivité, etc.. sont des faits connus. Les tensions internes qui en découlent sont amplifiées par l'impressionnante quantité de ressources de l'économie qui sont détournées chaque année vers les dépenses militaires.

Face à la politique américaine d'intensification de la course aux armements - projet d’Initiative de défense stratégique (IDS) de Reagan - dont l'un des objectifs est précisément d'accroître la pression sur l'URSS et de l'affaiblir économiquement, Gorbatchev est aujourd'hui placé dans la situation où il doit rechercher à tout prix un accord avec Reagan pour éviter que des ressources encore plus grandes de l'économie soviétique ne soient détournées vers l'effort militaire au détriment de la consommation d'une population qui risque d'exprimer plus ouvertement sa résistance. Cela oblige Gorbatchev à faire des concessions, à donner à ses critiques occidentaux des signes « d'ouverture », notamment sur la question des droits et libertés.

Par ailleurs, la torpeur d'une économie planifiée asphyxiée par une gestion bureaucratique autoritaire et hypercentralisée l'oblige à s'afficher comme celui qui déclare la guerre à cette situation en proposant selon ses propres termes une « refonte profonde du mécanisme économique ».

La refonte proposée, dont l'une des composantes serait de réduire le rôle des instances intermédiaires de la planification (les ministères) pour donner plus de place aux unités de production (les entreprises), est certes de nature à provoquer des bouleversements dans la structure hiérarchique de la bureaucratie et une opposition ouverte de la part de la fraction de la bureaucratie touchée par ces remaniements. Mais cela ne doit pas faire perdre de vue ce qui est incontestablement l'objectif premier de la réforme : l'augmentation de la productivité par le resserrement de la discipline au travail. Les premières mesures en ce sens ont déjà été mises en œuvre sous Andropov avec la création des brigades de travail. Gorbatchev les reprend aujourd'hui à son compte. II en énonçait les principes sans ambiguïté dans son discours au Congrès du Parti en janvier 1986 : « Il faut que tout dépende du résultat final..., que le fonds salarial des entreprises dépende directement des revenus provenant de l'écoulement des marchandises... Il faut renforcer résolument le rôle des collectifs de travailleurs..., les entreprises et les groupements doivent répondre totalement de la rentabilité de leur travail... Un collectif de travailleurs doit répondre de tout, se soucier de l'accroissement de la richesse sociale dont l'augmentation et les pertes doivent se répercuter sur le niveau des revenus de chaque membre du collectif. » L'autocontrôle, l'autodiscipline, l'administration des primes et des sanctions par les travailleurs eux-mêmes au sein des collectifs de travail dont la norme est la rentabilité, tel est le contenu des mesures de « libéralisation » économique entrevues par Gorbatchev comme moyen de venir à bout de la faible productivité qui n'est que l'expression de la résistance passive d'une population écartée de toute participation réelle à la vie économique et sociale.

Mais, dira-t-on, le cours entrepris par Gorbatchev en ce qui a trait aux droits et libertés n'annonce-t-il pas de profonds changements à cet égard ? Il est permis d'en douter. Gorbatchev lui-même a clairement précisé, en particulier, le sens qu'il donne à la démocratisation du processus électif. « Le Parti continuera de veiller à ce que les députés soient élus parmi les gens les plus dignes, capables de mener les affaires de l'État avec compétence... », a-t-il déclaré devant le Congrès du Parti. On sait ce que cela veut dire.

Pour ne laisser aucun doute quand à l'envergure de la « démocratisation » envisagée, Gorbatchev précisait également ce qui suit : « L'élargissement et le développement continu de la démocratie socialiste doivent être favorisés par tout l'arsenal des libertés et des droits sociopolitiques et individuels dont disposent les Soviétiques » ! Dissidents, fondateurs ou membres de syndicats libres, écrivains, artistes, qui ont essuyé les foudres de la répression bureaucratique depuis l'époque stalinienne seront sans doute étonnés d'apprendre qu'ils disposent déjà d'un tel arsenal de libertés. En tout cas, il n'en pourront que mieux évaluer l'extension réelle de ces libertés qu'envisage Gorbatchev dans son processus de « libéralisation ».

La « libéralisation » dont Gorbatchev se fait le champion n'a rien d'une libéralisation véritable. La couche dirigeante, c'est-à-dire la bureaucratie, ne peut se maintenir au pouvoir que par son monopole politique et par la régression de toute opposition. Le contenu réel de la « libéralisation » entreprise par Gorbatchev ne fait d'aucune manière écho à l'aspiration profonde de la population soviétique aux droits et aux libertés. Cette fausse libéralisation est au contraire le moyen qu'il entrevoit pour contrôler, dévoyer et à la limite écraser cette aspiration, comme condition essentielle de la préservation du pouvoir de la bureaucratie. Loin d'être destinée à favoriser la démocratie réelle, elle se dresse comme une arme contre sa réalisation. La démocratie véritable, signifiant la participation à part entière de la population à toutes facettes de la vie sociale, est toute entière dirigée contre la bureaucratie qui trône avec son appareil répressif et en tire ses privilèges exclusifs. La démocratie est incompatible avec le maintien au pouvoir de la bureaucratie.

Gorbatchev, comme l'était Krouchtchev dans les années 60, est le porte-parole d'une fraction de cette bureaucratie, l'aile dite « réformatrice ». Cette aile rencontrera inévitablement une opposition des éléments dits « conservateurs » de cette même bureaucratie, des partisans d'un statu quo qu'il voient comme la meilleure garantie du maintien de la place qu'ils occupent dans la structure actuelle du pouvoir. Des tensions et conflits se développeront entre ces orientations divergentes, l'aile « réformatrice » tentant de se gagner l'appui de la population en faisant miroiter la perspective de la démocratisation. Mais la couche dirigeante dans son ensemble, son aile « réformatrice » tout autant que son aile « conservatrice », risque d'être débordée par ce mouvement de démocratisation contrôlée que l'aile « réformatrice » tente de déclencher à son avantage. On peut s'attendre à ce qu'utilisant cette ouverture qui se présente à elle, la population veuille pousser le mouvement bien au delà du cadre et des limites que voudrait lui imposer la « libéralisation » à la Gorbatchev, lui donnant un contenu différent, celui qui correspond à l'émancipation complète et qui exige la liquidation de la bureaucratie.


Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 25 juin 2015 8:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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