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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “Laïcité et laïcité «ouverte».” Communication au colloque du Comité citoyen pour l’égalité et la laïcité (CCIEL). Montréal, le 21 mai 2010. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 15 juillet 2010.]

Louis Gill

Laïcité et laïcité «ouverte»”.

Communication au colloque du Comité citoyen pour l’égalité et la laïcité (CCIEL). Montréal, le 21 mai 2010.


Les protagonistes de la laïcité dite « ouverte » la présentent comme une laïcité tolérante, respectueuse et pluraliste, face à la laïcité tout court qu’ils qualifient de fermée, radicale, rigide ou sévère.

Son crédo a été exposé dans le Manifeste pour un Québec pluraliste, publié le 3 février 2010 dans Le Devoir sous la signature d’un collectif d’auteurs animé par le philosophe Daniel Weinstock. Les traits saillants de ce manifeste sont un appel à l’acceptation de signes ostentatoires religieux dans les institutions publiques et le rejet de la revendication d’une charte de la laïcité.

Les exemples abondent pour illustrer ses conséquences néfastes et démontrer le bien-fondé des principes affirmés dans la Déclaration Pour un Québec laïque et pluraliste, publiée le 16 mars 2010 dans Le Devoir par un collectif d’intellectuels pour la laïcité à l’initiative du sociologue Guy Rocher et de l’anthropologue Daniel Baril, notamment :


• qu’un authentique pluralisme et le plein respect de la liberté de conscience supposent que l’État et ses institutions soient neutres à l’égard des croyances religieuses et de l’incroyance;

• que la laïcité en est la condition essentielle du pluralisme;

• qu’elle est la seule voie d’un traitement égal et juste de toutes les convictions, parce qu’elle n’en favorise ni n’en accommode aucune, pas plus la croyance religieuse que l’athéisme;

• qu’elle est une condition essentielle de l’égalité entre les hommes et les femmes.


Pour reprendre les termes employés par Régis Debray dans un récent article intitulé « L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque », cités dans la revue Cité laïque (no 16, printemps 2010, p. 15) :

Le principe de laïcité place la liberté de conscience (celle d’avoir ou non une religion) en amont et au-dessus de ce qu’on appelle la « liberté religieuse » (celle de pouvoir choisir une religion). En ce sens, la laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait.

La laïcité dite « ouverte » se révèle par contre comme une négation de la laïcité puisqu’elle permet toute forme d’accommodement des institutions publiques aux privilèges réclamés par telle ou telle religion.

Ces aménagements s’ajustent aux objectifs des groupes religieux qui cherchent à faire prévaloir leurs principes sur les lois en vigueur.

Cela est illustré de manière percutante dans le livre de Diane Guilbault, Démocratie et égalité des sexes, paru en 2008 (la revue Cité laïque déjà mentionnée en reproduit des extraits, p. 22-23). L’auteure rappelle en particulier ce jugement prononcé dans un cas de viol d’une jeune musulmane par son père. Le juge avait invoqué comme circonstance atténuante le fait que la relation sexuelle n’avait pas été une relation vaginale et que l’accusé avait ainsi d’une certaine façon protégé la victime en préservant sa virginité, une valeur très importante dans la religion des personnes en cause.

Diane Guilbault rappelle aussi cette revendication, formulée par un groupe islamiste, de la reconnaissance de tribunaux fondés sur la charia en Ontario en 2004. Le groupe en question avait réussi à convaincre la procureure générale de l’Ontario, Marion Boyd, que ce projet était en pleine conformité avec le multiculturalisme et la liberté religieuse protégée par la Charte canadienne des droits. L’organisme Droits et démocratie avait alors prononcé un vibrant plaidoyer contre une telle idée, qui aurait eu pour effet d’en finir avec la notion d’égalité devant la loi et de privatiser le droit de la famille au profit d’autorités religieuses… ».

À signaler que Charles Taylor et Daniel Weinstock, défenseurs du multiculturalisme et de la laïcité « ouverte » et opposés à une charte de la laïcité, ont appuyé cette demande d’un tribunal fondé sur la charia. Taylor, rappelle Diane Guilbault, a « regretté la décision du gouvernement ontarien de rejeter la demande ». Quant à Weinstock, « il a louangé le rapport Boyd » qui voulait, selon lui, « institutionnaliser un partenariat entre le droit institutionnel canadien et la charia ».


Une nécessaire charte de la laïcité

Pour être neutre, l’État doit se déclarer neutre. Bien que les tribunaux aient statué qu’il n’y avait pas de religion d’État au Québec et au Canada, nos législations souffrent d’un déficit en cette matière puisque la laïcité de l’État n’est nulle part affirmée.

La protection législative de la laïcité est donc essentielle.

L’avocat Jean-Claude Hébert l’a bien expliqué dans des articles intitulés « Une laïcité à affirmer », publié dans La Presse du 31 octobre 2009, et « Laïcité et suprématie de Dieu », publié dans Le Devoir du 21 décembre 2009 :

Le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés affirme la suprématie de Dieu. Nulle part dans notre aménagement constitutionnel, le caractère laïc, séculier ou neutre de l’État (canadien ou québécois) n’est-il affirmé. Ce sont les juges qui, à la pièce, ont façonné la reconnaissance de fait du principe de la séparation de l’Église et de l’État.

Comment savoir si, éventuellement, les tribunaux donneront préséance au principe non écrit de laïcité de l’État sur la suprématie de Dieu (et la liberté religieuse), celle-ci étant burinée dans le bronze de la constitution canadienne ?

D’où la nécessité de combler ce vide juridique en amendant la Charte des droits et libertés de la personne du Québec pour y inscrire le principe de la laïcité de l’État et de ses institutions, et en adoptant une nécessaire Charte de la laïcité.


Quelques mots sur le multiculturalisme

Pour conclure cette présentation, j’aimerais citer l’extrait suivant d’un article intitulé « Le multiculturalisme est une politique généreuse devenue discriminatoire », publié dans Le Devoir, le 3 avril 2007, dont l’auteur est l’écrivain et cinéaste Jacques Godbout, co-fondateur du Mouvement laïque de langue française dans les années 1960 :


[…] si les soutanes et les cornettes ont disparu, c’était pour une bonne raison : nous devions accéder à la liberté d’expression et au droit de penser par nous-mêmes. Les évêques catholiques ne régissent plus la vie sociale, ils n’osent plus interdire de danser ou de voir certains films.
Il n’y a plus de censure religieuse, pourquoi en accepter de nouvelles au nom du multiculturalisme ?
La foi est du domaine privé. Les organisations religieuses, prétendant représenter Dieu sur terre, sont à la recherche du pouvoir, et c’est une lutte de pouvoir à laquelle nous assistons présentement. On ne peut ignorer que les religions sont des systèmes de contrôle de la pensée, du temps de loisir, de la nourriture et de la sexualité.
Ainsi, dans l’Église catholique, comme chez les juifs ou les musulmans, la femme a un statut inférieur. Elle n’a pas accès à la prêtrise, par exemple, et si la musulmane doit cacher ses cheveux, c’est qu’elle n’est pas, comme le mâle, faite à l’image de Dieu. L’égalité entre la femme et l’homme est une proposition laïque à laquelle une majorité de musulmans et de juifs modérés adhèrent, c’est aux organisations religieuses de s’accommoder.
Le multiculturalisme canadien, ou québécois, est une politique naïve et généreuse qui est devenue, par un effet pervers, discriminatoire. En voulant assurer des relations harmonieuses entre les diverses cultures issues de l’immigration, en encourageant chacune d’elles à s’épanouir, le multiculturalisme a favorisé la ghettoïsation et l’apparition de barons ethniques qui se sont empressés d’exercer le pouvoir sur leurs communautés. C’est le théâtre des « porte-parole », un imam ici, une jeune musulmane là, un délégué des juifs ici, un évêque à Québec, un conseiller municipal à Chicoutimi, et chacun de venir se présenter en victime d’une laïcité intolérante !
Nous sommes les jouets de provocations systématiques auxquelles les médias donnent des échos bruyants. Des religieux prosélytes veulent se présenter en victimes ou en martyrs, nous serions de faibles démocrates si nous acceptions d’entrer dans ce jeu.
Il faut peut-être remettre en question certaines formulations des Chartes des droits (canadienne ou québécoise), car elles encouragent visiblement la confusion plutôt que la tolérance. De même que la loi 101 a clarifié le statut du français en mettant fin à la lutte des langues, une « loi 102 » affirmant la laïcité de l’État québécois mettrait fin aux prosélytismes de toute nature. Liberté, égalité, laïcité, et la démocratie sera mieux gardée.


Jacques Godbout mentionne dans cet article qu’il est résident d’un arrondissement de Montréal qui avait été dénommé Érouv’ville par un caricaturiste lors de la crise des « accommodements raisonnables ». À ne pas confondre avec la désormais célèbre Hérouxville qui s’est fait connaître par son « code de vie », l’Érouv’ville en question est ce quartier de Montréal où les membres d’une confession religieuse s’approprient librement une partie de l’espace public en érigeant des « érouvs » aux fins de leurs pratiques religieuses, en conformité avec l’accommodement déraisonnable recommandé par les commissaires Gérard Bouchard et Charles Taylor au nom de la tolérance et de laïcité « ouverte ».


Extraits d’articles connexes

“J’accuse la FFQ de trahir le combat des femmes”, Djemila Benhabib, Le Devoir, 12 mai 2009.


Dénonciation de la Fédération des femmes du Québec pour l’adoption d’une résolution banalisant le port du voile islamique. La FFQ accompagnée pour la circonstance par des représentantes du Conseil islamique canadien, qui a mené une campagne acharnée pour l’instauration de tribunaux islamiques en Ontario, et de Présence musulmane, qui fait la promotion des thèses de Tarik Ramadan prônant un « moratoire » sur la lapidation des femmes adultères, un châtiment préconisé par la charia islamique.

Pour des alliances avec une poignée de militantes islamistes et des prises de position qui minent ses principes, la FFQ a sacrifié des millions de femmes musulmanes qui se battent au péril de leur vie.

« Le crucifix de l’Assemblée nationale », Jacques Rouillard, Le Devoir, 27-28 janvier 2010.

Pour Duplessis, qui a apposé le crucifix au-dessus du trône du président de la Chambre en octobre 1936, celui-ci représentait bien davantage qu’un symbole du passé religieux du Québec. Il était le symbole de la nouvelle alliance qui unissait l’autorité civile et l’autorité religieuse, l’Église et l’État.

« Sociologie du vêtement 101 », Daniel Baril, Le Devoir, 11 février 2010.

Réaction à l’appel du Manifeste pour un Québec pluraliste.

Citation de Roland Barthes, Histoire et sociologie du vêtement, « Le signifié principal du vêtement […], c’est essentiellement le degré d’intégration du porteur par rapport à la société dans laquelle il vit. [En tant que langage, le vêtement] est, au sens plein, un  modèle social, une image plus ou moins standardisée de conduites collectives attendues, et c’est essentiellement à ce niveau qu’il est signifiant ».

Baril : « Au-delà de sa fonction de protection, le vêtement est donc un moyen de communication des valeurs, du statut social, du rôle et de l’identité du porteur; c’est ainsi qu’il devient un costume.

Le langage non verbal du vêtement religieux ou signe distinctif exprime le fait non seulement que la personne est croyante, mais aussi qu’elle professe telle ou telle religion, avec son système de valeurs et de croyances, et qu’elle en fait une interprétation fondamentale puisqu’elle place son appartenance religieuse au-dessus de sa fonction professionnelle.

Les usagers des services publics n’ont pas à être soumis à un tel discours religieux non verbal lorsqu’ils se prévalent de ces services.

Il est manifeste que nous faisons présentement face à une offensive de certains groupes religieux qui visent à faire prévaloir les croyances religieuses sur les lois civiles laïques ».

“De l’asservissement déguisé, Antoinette Layoun”, La Presse, 4 mars 2010.

Si je vis au Québec, c’est parce que je choisis la liberté d’être ici avec tout ce qui compose cette société.

Cité Laïque, no16 (printemps 2010)

p. 13 : Guy Rocher : Charles Taylor en 1963, adhère au Mouvement laïque de langue française (MLLF). « En tant que catholique, j’ai adhéré au MLLF parce que je crois en une laïcité ouverte ».

p. 14 : Le  cours Ethique et Culture Religieuse : retour de l’enseignement religieux dans les écoles, de toutes les religions. Ramener la religion catholique par la porte d’en arrière en faisant entrer toutes les autres. Dans le passé, les parents avaient la possibilité d’obtenir une exemption et d’opter pour un « cours de morale »; ce n’est plus possible aujourd’hui.

Cours qui est une manière détournée de faire voir l’adhésion à une religion comme naturelle. Mise de côté de l’option de la non-croyance.

Christian Rioux, Le Devoir, 18 décembre 2009 et Paul Drouin, Cité Laïque no 16, p. 15, sur Régis Debray (L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque) et l’option française, contraire à celle du cours Éthique et Culture Religieuse, qui consiste à renforcer les cours d’histoire, de littérature, de philosophie, pour y intégrer les éléments de l’histoire religieuse. Aucune nécessité d’un cours à part. Au contraire, caractère nocif d’une telle initiative : ne pas réserver au fait religieux un sort à part, en le dotant d’un privilège. Pas question d’oublier les religions, mais pas question de leur reconnaître un quelconque monopole du sens, à côté des sagesses, des philosophies, des savoirs et de l’art.

La culture religieuse ne saurait être séparée de la culture tout court.

Georges Leroux, instigateur et défenseur du cours ECR : « il faut inculquer le respect absolu de toute position religieuse ».

Pourtant tous les choix religieux ne sont pas respectables. Loin de défendre la laïcité, le programme veut ajuster l’école aux mentalités qui fluctuent au gré d’influences venues de partout. La société devient un rassemblement de communautés qui n’ont plus en commun que des droits élémentaires, d’où l’insistance du cours sur la seule charte des droits.

À cette tolérance absolue, Debray oppose la laïcité. Celle-ci n’est pas une option parmi d’autres puisqu’elle est seule à rendre possible la coexistence de tous dans un cadre national.

La laïcité n’a rien à voir avec les accommodements raisonnables, avec la tolérance qui consiste à négocier à la pièce avec chaque groupe (Devoir, 12 février 2010). Elle garantit la liberté de religion et celle de ne pas adhérer à une religion.

La laïcité cherche à imposer des règles communes. Elle impose certaines interdictions comme le port de signes ostentatoires, non par intolérance, mais par respect pour la liberté de conscience. Rioux cite Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur :

La tolérance n’est pas la laïcité. La première est passive, la seconde active. La tolérance s’accommode de toutes les manifestations publiques des religions. La laïcité défend l’individu contre son groupe d’origine, la femme contre le père oppresseur et garantit qu’on peut changer de religion ou se déclarer athée. Avec la tolérance, on installe des communautés. Avec la laïcité, on construit une nation.

Le cas par cas inspiré de la Cour Suprême, Daniel Drouin, Cité Laïque, no 16, p. 17 (en relation avec le Projet de loi 94 sur l’interdiction de la burqa). Rappel d’un jugement de la Cour qui affirme que la gravité des restrictions particulières à la liberté des religions doit s’examiner au cas par cas. Conséquence : explosion à prévoir des demandes d’accommodement.

« Il faut freiner l’envahissement du religieux dans les affaires publiques, autrement nous reviendrons à l’omniprésence religieuse, à un monde soumis aux religions. Si on devait suivre la voie tracée par les tenants de la laïcité « ouverte », la liberté de religion aurait préséance sur toute autre liberté ».



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 29 septembre 2010 15:38
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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