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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, Laïcité, égalité des sexes, identité, question nationale. Contribution au débat de Québec solidaire”. Montréal: 30 septembre 2008. [Avec l'autorisation de l'auteur accordée le 18 novembre 2008.]

Louis Gill
économiste, professeur retraité de l'UQAM.

Laïcité, égalité des sexes, identité, question nationale.
Contribution au débat de Québec solidaire
”.

Montréal: 30 septembre 2008.

Laïcité
Égalité entre les hommes et les femmes
Question identitaire
Qui est québécois ?
Question nationale

Introduction

Dès la parution du rapport Bouchard-Taylor, Québec solidaire a donné un appui sans réserves à ses 37 recommandations et salué « la modernité et la sagesse » des commissaires. Dans un article intitulé « Une déplorable erreur », paru dans Le Devoir du 5 juin dernier, j’ai exprimé un désaccord complet avec cette prise de position. La présente contribution est une version développée de cet article.

Laïcité

La première cible de ma critique est le concept de « laïcité ouverte » mis de l’avant par les commissaires Bouchard et Taylor, qui est celui d’une laïcité vidée de son sens par les portes qu’elle ouvre aux intrusions religieuses de tout type dans le domaine public. Au nom de cette « laïcité ouverte », ils recommandent en particulier d’autoriser le port de signes religieux par les enseignants, les professionnels de la santé et les fonctionnaires, l’aménagement de lieux de prière dans les établissements publics et l’installation d’érouvs privatisant une portion de la propriété municipale publique aux fins des pratiques religieuses de la communauté juive. Ils prônent également « une promotion vigoureuse » du nouveau cours d’éthique et de culture religieuse, qui fait reposer la morale sur les seuls fondements religieux, et la publication annuelle par l’État « laïque » d’un calendrier multiconfessionnel indiquant les dates des diverses fêtes religieuses.

Au nom de Québec solidaire, Françoise David et Amir Khadir ont donné un appui explicite au port de signes religieux par les employés de l’État, une recommandation du rapport qui est l’objet de fortes réserves, voire de profonds désaccords de la part des organisations syndicales et des organismes voués à la défense de la laïcité. Même s’ils n’ont pas appuyé explicitement les autres recommandations qui viennent d’être mentionnées, il est regrettable qu’ils les aient cautionnées implicitement par leur appui inconditionnel à l’ensemble du rapport.

Égalité entre les hommes et les femmes

Se réclamant des témoignages d’un grand nombre de femmes musulmanes qui leur ont affirmé qu’elles portaient le voile islamique volontairement, les commissaires Bouchard et Taylor sont d’avis que le port du voile n’est pas un symbole d’oppression des femmes. Une telle prétention est difficilement soutenable. Le port du voile est une manifestation flagrante d’inégalité entre les hommes et les femmes, même si des femmes affirment y consentir de leur plein gré.

Sur cette question, Françoise David a déclaré en conférence de presse, le 26 mai : « Qui suis-je, moi, comme féministe, pour dire à mes sœurs : tu dois ou non porter le voile ? Est-ce que je vais aussi interdire à une religieuse de porter une croix ? ». Ces propos sont plus qu’étonnants.  Notre responsabilité collective, dont celle des féministes, tant à l’égard de la défense de l’égalité des sexes que de la nécessaire neutralité des institutions publiques, ne nous commande-t-elle pas plutôt d’exprimer franchement que le voile est une manifestation d’infériorisation des femmes et de particularisme religieux diviseur, et qu’il doit être banni des institutions publiques comme tous les autres signes religieux, dont la croix des religieuses ?

Le port du voile dans le domaine public a également été défendu dans un article de Françoise intitulé « Voile : faire le pari de l’intégration », paru dans Le Devoir du 27 juin, et dans un courriel d’Amir envoyé en juillet à une quarantaine de personnes de divers horizons politiques et implications sociales, intitulé « Sur le voile qui fait tant peur ». Interdire le port du voile dans le domaine public serait « contre-productif ». Le permettre dans certains secteurs comme l’enseignement, les services sociaux et la fonction publique favoriserait l’intégration des femmes musulmanes à la société québécoise, stimulerait leur émancipation et serait un gage de leur abandon volontaire futur du voile.

Je ne souscris ni à cet optimisme naïf, ni à cette vision des choses qui passe à côté du problème principal, celui de la nécessaire séparation de l'Église et de l'État dans une société laïque. Ce principe ne peut faire l'objet d'une reconnaissance partielle au sein d'un espace public qu'on déciderait de compartimenter en champs divers, où les signes religieux seraient acceptables ici et non acceptables là. L'espace public est l'espace public, qu'il s'agisse des tribunaux, de l'exercice des fonctions policières, de la fonction publique ou des établissements d'enseignement, de santé et de services sociaux.

Comme l'a exprimé le Syndicat de la fonction publique du Québec au lendemain de la parution du rapport Bouchard-Taylor, les fonctionnaires, qui sont tenus de respecter un strict devoir de réserve, notamment pour ce qui est de leurs opinions politiques, devraient être tenus aux mêmes obligations pour ce qui est de leurs opinions religieuses. Appelés à statuer sur des demandes de prestations ou de permis et à inspecter des commerces par exemple, ils incarnent autant l'État qu'un policier ou un juge. La présidente de ce syndicat a précisé cela dans les termes suivants : « Les symboles religieux ont une signification fondamentale non seulement pour les personnes qui les arborent, mais également pour les personnes qui entrent en contact avec elles. Un citoyen qui se présente à un bureau de l'administration publique est en droit de se demander si un employé de l'État peut arborer des symboles religieux ostentatoires dans l'exercice de ses fonctions, tels le voile islamique, le turban, le kirpan ou le crucifix, et continuer de prétendre pouvoir servir les citoyens indépendamment de sa foi religieuse ».

Et cela est encore plus vrai, si on peut dire, de l'école publique, qui est, comme l'a écrit Pierre Foglia dans La Presse du 24 mai, une institution structurante majeure de la société, le lieu du premier contact de l'enfant avec la citoyenneté. Aborder le problème du point de vue de la personne qui porte le voile et qu'on voudrait arriver à convaincre de sa signification réelle en tant que symbole d'infériorisation des femmes et l'inciter à le quitter, est à mon avis poser le problème à l'envers et négliger l'ensemble de la population qui est en droit d'exiger la laïcité de l'État. La question n'est pas de savoir si l'interdiction du voile dans le domaine public serait « contre-productif » du point de vue de la conscientisation des femmes qui le portent et de leur inclusion dans la société, mais de garantir, en le faisant, la laïcité de l'espace public que tous et toutes sont en droit de revendiquer.

Par ailleurs, il est illusoire de croire que l'ouverture au voile serait une manière douce d'en arriver ultimement à amener les femmes musulmanes à l'abandonner. C'est un argument du même type qui avait été invoqué par l'administration de l'UQAM en 1999 quand elle s'est engagée dans cette initiative injustifiable d'un partenariat avec le Torah and Vocational Institute of Montreal en vertu duquel des cours étaient dispensés sur une base de discrimination religieuse, linguistique et sexuelle à la communauté juive hassidique. La rectrice de l'époque et sa vice-rectrice soutenaient que c'était là le moyen (celui de la ghettoïsation !) d'arriver à permettre aux femmes hassidiques de sortir de l'infériorité et de la réclusion auxquelles les condamne leur religion.

Je dirais enfin que, contrairement à l’expression employée par Amir (« Le voile qui fait tant peur »), le voile ne fait pas peur. Il fait outrage. Outrage aux femmes. Et comme tous les autres signes religieux ostentatoires, il viole la neutralité de l’espace public. Québec solidaire a la responsabilité politique de ne laisser aucun doute à cet égard.

Question identitaire

En donnant leur accord total et sans réserves au Rapport Bouchard-Taylor, les porte-parole de Québec solidaire ont repris à leur compte la caractérisation, faite par les commissaires, de l’origine de la crise des accommodements raisonnables comme étant le « malaise identitaire » ou l’insécurité collective ressentie par la majorité francophone du Québec, fragilisée par son statut de minorité en Amérique du Nord. Dans les termes des commissaires, il en aurait résulté un mouvement de braquage, qui se serait exprimé par un rejet des pratiques d’harmonisation, une « crispation qui a pris pour cible l’immigrant devenu en quelque sorte un bouc émissaire ». Ainsi, loin d’être le pôle de rassemblement de la diversité, la majorité francophone en serait plutôt une entrave. Il s’agit là d’une injuste culpabilisation d’une majorité historique qui, pour reprendre les termes du sociologue Jacques Beauchemin, poursuit légitimement un projet d’affirmation culturelle et politique dont elle aspire à demeurer le cœur tout en ne demandant qu’à s’enrichir de l’apport des autres.

C’est pourquoi on ne peut souscrire non plus à cette version québécoise du multiculturalisme canadien, proposée par les commissaires et appuyée par les porte-parole de Québec solidaire, qu’est l’« interculturalisme », défini comme une simple rencontre de cultures diverses, sans prééminence de la majorité historique qui se trouverait réduite à une culture parmi d’autres.

Il est par ailleurs regrettable que les porte-parole de Québec solidaire aient écarté, lors de la parution du Rapport Bouchard-Taylor, la perspective (à laquelle adhèrent près des deux tiers des Québécois) de doter le Québec d’une constitution, en affirmant que la seule façon de mettre fin au malaise identitaire serait de poser le geste politique de l’indépendance du Québec. Comme cette éventualité ne semble pas pour l’instant être à portée de main, doit-on s’abstenir entre temps de toute action destinée à définir les conditions du vivre-ensemble ? Il serait au contraire fort souhaitable que le Québec se dote d’une constitution, même provisoire, définissant ses valeurs fondamentales communes (primauté de la langue française, laïcité des institutions, égalité entre les hommes et les femmes, affirmation du patrimoine historique et culturel, etc.) qui contribuerait à favoriser l’intégration harmonieuse des immigrants. Bien sûr, le véritable objectif est d’engager la population dans un processus démocratique de fond, celui d’une assemblée constituante à convoquer dès la prise du pouvoir, comme le propose le programme de Québec solidaire. Mais s’en tenir à cette proposition dans le contexte du faible appui populaire actuel dont il dispose équivaudrait à reporter aux calendes grecques l’adoption de règles minimales définissant les conditions du vivre-ensemble au Québec.

Qui est québécois ?

« Un Québécois, c’est quelqu’un qui veut l’être, quelqu’un qui assume le passé, le présent et l’avenir du Québec », a répondu Amir au début de l’été en citant Pierre Bourgault  qu’il considère, avec Gilles Vigneault, comme un modèle à la hauteur duquel il invite ses compatriotes indépendantistes à se hisser en les incitant à se méfier « de la tentation du repli et de la crispation identitaire ». Amir a raison de se réclamer de cette définition de Bourgault, mais pour rendre pleinement compte des opinions sur la question identitaire de ce chaud partisan qu’il fut du « nous inclusif » avant la lettre, il faut rappeler :

• qu'il était d'une intransigeance totale sur la langue, ce qui a été une des causes de ses affrontements permanents avec René Lévesque qui était l'apôtre de la compromission à cet égard; s'il n'y avait eu que Lévesque, il n'y aurait jamais eu de Loi 101, une loi qui par ailleurs doit aujourd’hui impérativement être renforcée ;
• qu'il a organisé une multitude de manifestations et d'occupations de lieux commerciaux qui pratiquaient l'unilinguisme anglais ;
• qu'il a été pendant toute sa vie un défenseur inconditionnel de la laïcité authentique, et non de ce travestissement qu’est la « laïcité ouverte », ce qui lui a valu le prix Condorcet en 2001, décerné par le Mouvement laïque québécois ;
• qu'il n'a pas hésité, à la veille du référendum de 1995, à caractériser comme raciste et xénophobe un éventuel vote massif et unilatéral de la communauté anglophone en faveur du statu quo et contre la souveraineté du Québec.

Il faut regretter que des accusations de xénophobie soient plutôt dirigées aujourd’hui par certains contre la population francophone québécoise d’origine. Je pense pour ma part que, même si nous avons été témoins de certains écarts regrettables de son infime minorité, la population francophone d’origine, « la moins raciste du monde », disait Normand Brathwaite à la fête nationale du 24 juin, accueille avec chaleur les nouveaux arrivants et leur dit de tout cœur comme le poète Gilles Vigneault : « ma maison est votre maison ». Et il n’est que normal qu’elle ait à cœur de voir ses valeurs communes respectées et protégées.

Question nationale

Quant à la question du statut politique du Québec, j’estime que Québec solidaire doit se prononcer inconditionnellement en faveur de l’indépendance. La revendication de la souveraineté politique est une revendication démocratique de libération nationale, qui se situe sur le même pied que les autres revendications, démocratiques et sociales. L’indépendance est un objectif en soi, comme les revendications d’égalité entre les hommes et les femmes par exemple et les revendications relatives aux conditions de vie et de travail, parce qu’elle est la clé de la libération nationale du peuple québécois. On souhaite évidemment que l’indépendance devienne aussi un moyen de réaliser l’ensemble des autres revendications. Mais elle ne saurait être vue comme un simple outil de cette réalisation. Elle est un objectif en soi. Je pense que Québec solidaire doit rectifier son tir à cet égard et cesser d’avoir la question nationale honteuse.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 19 novembre 2008 13:16
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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