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Collection « Les sciences sociales contemporaines »


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, Hommage à Pierre Broué, l’historien, le militant et le camarade”, août-octobre 2005. Des extraits de cet article ont été publiés dans Le Devoir, édition du 30 août 2005, p. A 6, et dans Carré rouge, no 34, octobre 2005, pp. 91-92. [Avec l'autorisation de l'auteur accordée le 24 janvier 2006.]
“Hommage à Pierre Broué,
l'historien, le militant et le camarade”

par Louis Gill, économiste, département de sciences économiques, UQAM.
30 août 2005.

L’éminent historien français Pierre Broué est décédé le 26 juillet à Grenoble à l’âge de 79 ans. 

Pierre Broué nous a légué une quantité phénoménale d’écrits qui constituent un apport majeur à l’histoire du mouvement ouvrier international et font de lui un des plus importants historiens de la deuxième moitié du 20e siècle. Parmi ces écrits, il faut mentionner ses remarquables histoires du Parti bolchevique, de la révolution allemande de 1917 à 1923, de la guerre civile espagnole de 1936 à 1939, des procès de Moscou de 1936 à 1938, de l’Internationale communiste de 1919 à 1943, et sa monumentale biographie de Léon Trotsky. Inconditionnellement animé par l’objectivité et la recherche de la vérité, Pierre a largement contribué à renouveler l’historiographie du « communisme » jusqu’alors soumise à l’interpréta­tion hégémonique stalinienne et à sa révision périodique par la bureaucratie au pouvoir. Dans ses ouvrages sur la guerre civile espagnole, il a détruit le mythe de « l’unité de la lutte antifasciste pour la défense de l’Espagne républicaine » en révélant le régime de terreur alors mis sur pied par le Parti communiste espagnol sous les directives de Moscou et son impitoyable extermination des révolutionnaires. Dans son histoire du Parti bolchevique, il a décrit comment ce parti, qui avait réalisé la révolution d’Octobre 1917 en Russie, avait dégénéré pour se transformer en appareil dictatorial et faire du socialisme un repoussoir, et comment la quasi-totalité de ses militants ont pu être exécutés quelques années plus tard en tant que « contre-révolutionnaires » sous les ordres de Staline. Tout aussi étayées par les faits sont son histoire de la dégénérescence de l’Internationale communiste, finalement dissoute par Staline en 1943, ainsi que ses analyses des soulèvements antistaliniens à Berlin en 1953, à Budapest et à Varsovie en 1956, à Prague en 1968, etc. 

L’engagement professionnel hors pair de Pierre n’a eu d’égal que son engagement politique et social. En fait, il s’est toujours agi d’un seul et unique engagement à deux volets indissociables. Militant syndical et politique, il a consacré sa vie à la défense du marxisme et de l’internatio-nalisme ouvrier. Engagé dans les maquis de son Ardèche natale à l’âge de quinze ans au début de la Deuxième Guerre mondiale, il s’est joint sous la résistance aux jeunesses du Parti communiste clandestin dont il a été exclu en 1944 sous des accusations de trotskysme, pour avoir voulu organiser un travail d’agitation internationaliste auprès des soldats de l’armée allemande. Il a dès lors adhéré au trotskysme qui représentait à ses yeux la continuité du marxisme. Il en est demeuré un militant et un porte-parole jusqu’à sa mort. 

Communicateur exceptionnel, il savait captiver ses auditoires par ses vastes connaissances et sa passion de les transmettre. Beaucoup de gens, au Québec, ont eu le privilège de le connaître, de l’entendre et de discuter avec lui lors de ses nombreux séjours ici. Il faut préciser qu’au-delà des liens professionnels et politiques, un lien affectif le rattachait aussi au Québec, sa fille Catherine habitant Rimouski où elle est professeure au Département d’études françaises de l’Université du Québec. Avec elle, de nombreux Québécois ressentiront le vide créé par le départ de son père. 

Ayant formé à l’Institut d’études politiques de Grenoble les militants qui ont fondé à Montréal au début des années 1970 le Groupe socialiste des travailleurs (GST), section du Comité d’organisation pour la reconstruction de la 4e Internationale (CORQI), Pierre doit être considéré à juste titre comme un père fondateur de cette organisation. Et, comme un bon père, il a choyé sa progéniture en la visitant régulièrement, lui apportant l’immense richesse de ses connaissances qu’il lui communiquait avec tant d’enthousiasme et de conviction, ainsi que sa grande expérience de militant et sa généreuse disponibilité pour débattre de tout cela et faire avancer la construction de l’organisation. Comme cet autre grand disparu qu’est le camarade Raoul (Claude Bernard, mort le 7 mai 1994), Pierre a su nous transmettre cette ardente ferveur internationaliste qui l’habitait et stimuler notre détermination à nous engager dans ce combat commun et à y apporter notre contribution. 

Ma première rencontre avec lui date de la fin de 1975, il y a trente ans. À l’occasion d’une série de conférences qu’il donnait aux membres de notre organisation naissante, j’avais engagé avec lui une discussion sur cette célèbre phrase du Programme de transition (Programme de fondation de la 4e Internationale), « Les force productives de l’humanité ont cessé de croître ». Jeune militant venant depuis peu d’adhérer au trotskysme, je n’étais pas convaincu de ce verdict, persuadé au contraire comme le commun des mortels que l’humanité connaissait un prodigieux développement en raison des progrès de la science et de la technologie, dont l’une des manifestations était la croissance économique soutenue observée depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. 

La discussion avec Pierre ne m’avait pas fait changer d’idée. Elle s’était terminée sur un constat de divergence d’opinions, mais dans la cordialité. En dépit du prestige dont il jouissait, Pierre n’était pas du genre à vouloir imposer ses opinions par des arguments d’autorité. Il avait au contraire un grand respect pour le débat démocratique et une aussi grande confiance dans la capacité des militants à penser par eux-mêmes et à faire leur propre cheminement. Au terme de celui que j’ai fait, éclairé par cette discussion que j’avais eue avec lui, j’ai compris, au-delà de son allure formelle catastrophiste, ce que signifiait d’un point de vue marxiste cette phrase qui m’était apparue insoutenable au départ. Je l’ai expliquée par la suite à d’autres, dans des séances de formation, lors de discussions politiques et dans mes écrits, montrant que les rapports capitalistes excluent toute caractérisation de la science comme « force productive directe », toute équation entre le développement des connaissances scientifiques et l’amélioration du sort de l’humanité. Loin d’avoir vieilli, cette phrase conserve aujourd’hui toute sa pertinence pour caractériser le monde capitaliste sans issue dans lequel nous vivons et continue, plus que jamais, à fonder en conséquence le combat contre la propriété privée des moyens de production et pour le socialisme, que nous avons mené avec Pierre pendant toutes ces années et que nous devrons nous résoudre à poursuivre sans lui, forts de l’immense héritage qu’il nous lègue. 

Que le plus respectueux hommage lui soit rendu.


Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 février 2007 19:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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