RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, Grandeur et limites de Michel Chartrand. Le One man show tonitruant permanent d’un homme révolté plus grand que nature”. Texte inédit. Le Devoir a refusé de publier ce texte. Montréal, avril 2010, 3 pp. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 4 mai 2010.]

Louis Gill

Grandeur et limites de Michel Chartrand.

Le One man show tonitruant permanent d’un homme révolté
plus grand que nature
”.

Texte inédit. Le Devoir a refusé de publier ce texte. Celui-ci sera toutefois diffusé dans l’aut’Journal. Montréal, avril 2010, 3 pp.


Parmi les très nombreux hommages qui ont été rendus à Michel Chartrand à l’occasion de son décès, certains ont souligné un paradoxe : malgré l’immense prestige dont il jouissait dans le mouvement syndical et dans la population en général, il a été défait chaque fois qu’il s’est porté candidat à des élections, tant législatives qu’à la direction de la CSN. Il a par contre été élu à la présidence du Conseil central de Montréal lors de chacune des élections qui ont eu lieu entre 1968 et 1978. Mais non sans de fortes oppositions.

En deux occasions, j’ai été parmi ses opposants défaits, la première fois en 1973. Encouragé par de nombreux militants, j’avais soumis ma candidature au poste de 2e vice-président au sein de l’Exécutif, dans le cadre d’une élection partielle. Mais je n’étais pas le choix de Michel qui avait décidé d’une autre candidature, celle d’une militante, Josée Vanasse, qui s’était distinguée dans la bataille contre la fermeture de l’hôpital de la Miséricorde. J’ai perdu cette élection par une très mince majorité de quelques voix lors d’une des plus nombreuses assemblées que le Conseil central avait réunies jusqu’alors.

Au-delà des doutes qui ont pu planer quant à ce résultat, pour lequel j’avais décidé de ne pas demander de recomptage, il faut surtout en retenir le caractère fort serré, qui fait ressortir le fait que Michel, si fermement en place ait-il pu être à la présidence du Conseil central, était loin d’y réunir l’unanimité. Cela a d’ailleurs été démontré de manière éclatante dès l’année suivante, au Congrès de 1974, alors que tous les membres de son équipe ont été défaits et qu’il est resté seul à la barre de la présidence, fort ébranlé par cette tournure des événements. Lors de cette élection, Michel avait perdu son lieutenant inconditionnel, Fernand Foisy, et la militante dont il avait soutenu la candidature contre la mienne un an plus tôt s’était jointe à l’équipe adverse et avait été élue.

J’ai pour ma part perdu une deuxième bataille contre lui deux ans plus tard, au Congrès de 1976, cette fois de façon décisive. Malgré notre estime de Michel et notre immense admiration pour son engagement indéfectible à défendre les intérêts des travailleurs et des opprimés et à tout sacrifier pour ce faire, bon nombre d’entre nous étions convaincus que le One man show tonitruant permanent de ce révolté plus grand que nature confinait en bout de ligne à un cul-de-sac politique. Si la révolte est une condition préalable nécessaire à une action visant la transformation sociale, elle ne saurait de toute évidence à elle seule suffire. Telles étaient la grandeur et les limites de Michel Chartrand.

Inquiets par ailleurs de l’orientation dans laquelle le Conseil central s’engageait sous l’influence d’un certain gauchisme, et critiques de ce que nous considérions comme la caution apportée à cette orientation par l’absence d’une opposition vigoureuse de Michel, nous avions décidé de présenter contre lui une équipe complète, dont le candidat à la présidence était Jacques Beaudoin, président du Syndicat du transport de Montréal qui avait mené l’importante grève du transport en commun de 1974.

Michel avait remporté cette élection avec une très forte majorité. Il se trouvait par contre en sursis au sein d’une équipe qui ne le tolérait que parce qu’elle ne pouvait l’écarter. Et ce fut pour lui le début de la fin. En 1978, il quittait le Conseil central pour consacrer par la suite le gros de ses énergies à la Fondation pour l’aide aux travailleurs accidentés.


La corde sensible de Michel


Dès son élection en 1976, le Parti québécois de René Lévesque avait lancé l’idée d’un sommet économique réunissant tous les « partenaires sociaux ». Alors que les directions des trois centrales avaient soutenu cette initiative et accepté de participer au sommet, Michel s’y était vertement opposé et l’avait condamnée comme un geste de collaboration avec les exploiteurs. En réaction à cette proposition du gouvernement, le Regroupement des militants syndicaux (RMS), dont je faisais partie, avait alors produit un document intitulé Non au Sommet économique. Non au contrat social ! [1] Il avait organisé en avril 1977 une assemblée publique à laquelle Michel avait accepté de participer et d’y présenter une conférence avec deux autres intervenants dont moi. Ce qui semblait devoir se dérouler dans l’harmonie et la communauté de points de vue a au contraire donné lieu à un retentissant fiasco.

J’arrivais à la fin de ma présentation lorsque Michel s’est levé en vociférant, m’accusant de tous les noms, et a quitté l’assemblée en claquant la porte sans avoir prononcé sa conférence. Même si nous le connaissions et avions eu droit au fil des années à une multitude d’esclandres, nous étions tous interloqués. Jusqu’à ce que nous comprenions pourquoi il avait explosé de la sorte. Le document du RMS dont je présentais le contenu faisait remonter l’idéologie de la concertation entre les classes sociales à la doctrine sociale de l’Église, énoncée dans les encycliques papales Rerum Novarum (1891), Quadragesimo Anno (1931) et Mater et Magistra (1961), dont les deux principes de base sont « la nécessité des inégalités et des souffrances, et la nécessité de l’union entre le capital et le travail ». Le document montrait que ces encycliques étaient aussi les textes fondateurs du corporatisme et du fascisme, de même que du syndicalisme catholique diviseur de la classe ouvrière, dont la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC), ancêtre de la CSN déconfessionnalisée, était l’héritière.

Pour Michel, cela était intolérable. Toute sa démarche, depuis les Jeunesses indépendantes catholiques jusqu’à la CTCC, procédait de la doctrine sociale de l’Église et de son adhésion à la foi catholique qu’il n’a jamais reniée. Michel pouvait s’opposer à cent pour cent au sommet économique de René Lévesque, mais établir un lien de parenté entre ce type de démarche et les textes fondateurs de son engagement religieux et syndical était pour lui une hérésie.

Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, cet incident n’a nullement rompu nos relations. Après m’être engagé maintes fois dans des débats avec Michel au début de mes années de militantisme au Conseil central, pour finalement comprendre que je n’aurais jamais le dessus (il m’aurait fallu crier plus fort que lui, ce qui était impossible), j’ai appris qu’il fallait le laisser aller et que peu après, quand la poussière retombait, il pouvait être la personne la plus chaleureuse qui soit.

Face aux intellectuels et plus particulièrement aux économistes, Michel pouvait dans certaines circonstances et sans aucun discernement se laisser aller aux pires insultes et condamnations. Mais il savait tout autant, au-delà des points de vue divergents, apprécier ceux d’entre eux dont il reconnaissait l’engagement envers le mouvement ouvrier et leur témoigner son appréciation et sa solidarité. Je l’ai compris chaque fois que je l’ai rencontré et qu’il me saluait comme il saluait tous ceux qu’il appréciait, plus que comme un ami ou un camarade, comme un frère. « Salut, mon frère ! », comme il disait.

Michel parlait beaucoup et criait tout autant, mais il a peu écrit. C’est pourquoi ses rares écrits sont si précieux. Surtout lorsqu’il nous sont destinés personnellement. Le plus beau témoignage que je conserve de lui est cette dédicace qu’il m’a adressée lors du lancement du livre publié par Fernand Foisy, intitulé Michel Chartrand. Les dires d’un homme de parole, en 1997. Elle se lit comme suit : « Pour Louis, l’ineffable économiste militant, infatigable et tenace, pour le mieux-être du monde ordinaire. Fraternellement, Michel Chartrand, Montréal, 5-5-97 ».

Merci, cher Michel. Ces mots me vont droit au cœur. Au moment où tu nous quittes, je te dis à mon tour : « Salut, mon frère ! ». Le souvenir que tu nous laisses sera impérissable.



[1] Document disponible sur le site des Classiques des sciences sociales.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 12 mai 2010 18:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref