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Collection « Les sciences sociales contemporaines »


La fonction officielle de la religion en Israël. Un service public du culte géré par le rabbinat.”

par Louis Gill, économiste, professeur retraité, département de sciences économiques, UQAM.
22 août 2003
Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, [économiste, retraité de l'UQAM], “La fonction sociale officielle de la religion en Israël. Un service public du culte géré par le rabbinat.” Réplique à l’article de Julien Bauer paru le 4 août 2003 dans le journal Le Devoir, Montréal. Version révisée du 22 août 2003. Contribution au débat qui a suscité l'intérêt de nombreux participants sur la question de la nature de l'État d'Israël. Cet article a été envoyé au journal Le Devoir qui n’a pas jugé bon de le publier. Diffusion exclusive assurée par Les Classiques des sciences sociales. [Publication autorisée par M. Louis Gill le 23 juillet 2004]..

Table des matières:

Un État multiconfessionnel?
Le droit international récusé?
État, religion, territoire


«Si Israël n’est pas une théocratie, il n’est pas non plus une démocratie laïque, puisque le judaïsme tient une place publique qui lui est officiellement reconnue. L’État coiffe ainsi un réseau d’écoles publiques religieuses qui accueillent 20 % des élèves et des instances religieuses, dont la vocation est de faciliter la pratique du judaïsme et d’appliquer la loi religieuse (rabbins, juges religieux, superviseurs des règles alimentaires, aumôniers militaires et autres titulaires de charges religieuses payés par l’État)… L’État d’Israël est resté jusqu’à présent fondé sur une ambivalence fondamentale puisqu’on a affaire… à «une démocratie moderne à substrat biblique». La religion a, en effet, en Israël une fonction sociale reconnue. Il existe un véritable service public du culte géré par le rabbinat».

Ces propos sont tirés d’un livre intitulé Israéliens et Palestiniens. L’épreuve de la paix d’Alain Dieckhoff du Centre national de la recherche scientifique et de l’Institut d’études politiques de Paris, qui a consacré l’essentiel de ses travaux à l’étude de la société israélienne. Sioniste, il ne peut certes pas être soupçonné d’adversité à l’égard d’Israël.

Avec l’objectivité qui fonde sa démarche scientifique, il dégage les constats qui s’imposent quant à l’absence d’égalité civique «dans un État qui, de par sa nature sioniste, privilégie le groupe juif» et en conclut que pour permettre une telle égalité, il faudrait que l’État d’Israël « modifie ses fondements sionistes…, se transforme pleinement en démocratie libérale ne reconnaissant, dans l’espace public, que des droits individuels (indépendamment de l’appartenance ethnique des uns et des autres)».

Si probants soient ces constats, l’entêtement de certains à les nier est tenace. Julien Bauer en donne un exemple éloquent dans son article publié dans Le Devoir du 4 août dernier, en persistant malgré tout à proclamer que l’État juif d’Israël est un État démocratique et multiconfessionnel dont le judaïsme n’est pas religion d’État.


Un État multiconfessionnel ?


«Les notions de peuple juif et de religion juive sont inextricablement liées, de sorte que parler de l’un sans parler de l’autre n’a aucun sens», nous dit Bauer qui refuse par contre de voir que l’État du peuple juif est, aussi inextricablement, l’État de la religion juive, la symbiose de l’État et de la religion étant la garantie de leur renforcement mutuel. Caractériser l’État juif comme multiconfessionnel, sous prétexte des quatorze religions reconnues par lui, tient de la caricature. On ne pourrait parler de multiconfessionnalité que si toutes les religions reconnues l’étaient sur le même pied, ce qui n’est évidemment pas le cas.

Contrairement aux intentions que Bauer me prête, souligner le caractère partial de la reconnaissance par l’État d’Israël de certaines religions à l’exclusion des autres a pour moi le seul objectif de montrer qu’une telle reconnaissance tronquée contredit l’esprit de la Déclaration d’indépendance d’Israël de 1948 qui affirmait le principe de la pleine liberté de culte. La seule manière pour un État de reconnaître cette pleine liberté est de l’affirmer dans sa constitution. L’État n’a pas à intervenir dans le domaine religieux, qui est d’ordre personnel. Il interfère dans un domaine qui n’est pas le sien lorsqu’il se mêle de reconnaître une ou plusieurs religions ou de leur accorder tel ou tel privilège.

Mon adhésion personnelle à cette vision des choses est une position de principe, de laïcité de l’État, qui s’applique tant au Québec et au Canada qu’ailleurs dans le monde. C’est pourquoi je ne suis pas du combat de Bauer pour réclamer l’élargissement aux autres religions des privilèges réservés ici aux religions catholiques et protestantes. J’ai été, je suis et je serai du combat pour l’abolition de tous ces privilèges, pour la laïcisation intégrale. Contraire-ment à ce qu’il affirme, il est faux de dire que je «méprise les coutumes religieuses autres que catholiques au Québec». Les premières comme les secondes sont pour moi d’ordre privé. Je suis pour une vie publique laïque et je favorise la déconfessionnalisation des jours fériés. Je suis favorable à l’abolition des références à Noël et à Pâques et, dans la même logique, je m’opposerais, entre autres, à la reconnaissance du Kippour comme fête publique.

Le fait que Bauer fasse grand cas de la non-reconnaissance officielle des fêtes religieuses juives au Québec, mais accepte le mariage et le divorce religieux en Israël comme une obligation incontournable, parce qu’imposée par la loi juive, en dit long sur ce qui motive sa pensée. «Le mariage civil n’existe pas en Israël », nous dit-il. Et ce serait pour cela que «le système impose une identification religieuse à tous» et que « des tribunaux religieux, incorporés à l’État, ont juridiction sur le statut personnel»! Que cela brime les droits des non-croyants et confine les femmes dans une situation de nette infériorité en raison des dispositions discriminatoires de la loi juive ne préoccupe pas Bauer qui continue à proclamer que l’État juif est un État démocratique et qui m’accuse par surcroît de vouloir « restreindre les droits des minorités en Israël », au nom de ce qu’il appelle «une conception éthérée de la laïcit».

Le droit international récusé ?


Bauer m’accuse de « reprocher à Israël d’être ce qu’il est, un État juif ». Ce reproche me rendrait coupable d’un acte de «récusation de près d’un siècle de droit international» dont l’origine est le mandat attribué en 1922 à la Grande-Bretagne, reconnaissant l’existence d’un «foyer national juif» en Palestine, et qui a été confirmé en 1947 par la résolution 181 de l’Assemblée générale de l’ONU énonçant le principe de la création de deux États en sol palestinien, un arabe et un juif.

Si, du seul fait de jeter un regard critique sur la nature de cet État, je suis considéré coupable d’un délit de «récusation de près d’un siècle de droit international», je suis heureux de me retrouver au ban des accusés avec bien d’autres, parmi lesquels des Juifs et des sionistes, qui se posent aujourd’hui comme hier des questions légitimes à l’égard d’Israël. En témoignent en particulier, pour aujourd’hui, les propos, cités au début de cet article, d’un auteur pourtant sioniste que Bauer ne pourra qu’accuser lui aussi de ce même délit.

Pour hier, il est utile de rappeler que jusqu’à la veille de la Déclaration d’indépendance de 1948, l’unanimité était loin d’exister à l’intérieur même du camp sioniste quant à l’opportunité de fonder un État juif. Le groupe minoritaire Ichoud (Unité) animé par le rabbin Judah Magnes, premier président de l’Université hébraïque de Jérusalem, était en effet partisan de la création, non d’un État juif coexistant avec un État arabe, mais d’un seul État, binational, judéo-arabe. Ce projet était appuyé, entre autres, par l’éminente philosophe Hannah Arendt qui a exprimé en 1948, dans la revue juive américaine Commentary, ses fortes appréhensions face à la perspective de la création d’un État juif. «En ce moment et dans les circonstances, écrivait-elle, un État juif ne peut être institué qu’aux dépens du foyer national juif», conçu comme devant se développer en harmonie avec la population arabe vivant sur le territoire désigné comme la Terre promise des juifs.


État, religion, territoire


Fait significatif, Bauer ne semble pas considérer comme un délit de «récusation du droit international» le fait que la création de l’État arabe, qui était également prévue dans cette même résolution 181 de l’ONU de 1947, soit de plus en plus compromise par l’envahissement du territoire palestinien et la «colonisation » illégale menée au nom du Grand Israël, ainsi que par l’anéantissement de la viabilité de cet hypothétique État par l’édification du « mur de la honte» entourant la Cisjordanie.

Pour le groupe extrémiste religieux Gouch Emounim (Bloc de la foi), qui a été le fer de lance de cette colonisation illégale avec l’appui du gouverne-ment et de l’armée, conquérir la terre est un impératif religieux, l’arrivée du Messie ne pouvant se réaliser que si toute la terre d’Israël devient la possession exclusive du peuple juif. Le Gouch Emounim, porteur extrémiste du projet messianique, ne serait-il qu’un simple groupe isolé d’illuminés sans influence réelle ?

Laissons répondre Alain Dieckhoff, déjà cité au début de cet article: «L’appareil religieux d’État, étroitement contrôlé par le Parti national religieux… a montré, à maintes reprises, son inclination pour la théologie mystique du Gouch. Le grand rabbinat a émis plusieurs avis interdisant, au nom de la loi religieuse (halakha), le moindre abandon de la Terre promise et condamnant par avance tout gouvernement qui s’engagerait dans la voie d’un compromis territorial».

Si têtus soient-ils, ces faits n’empêcheront sans doute pas Bauer de continuer à proclamer qu’Israël est un État démocratique et multiconfessionnel où le judaïsme n’est pas religion d’État.

Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 février 2007 19:29
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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