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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “Des erreurs corrigées dans le Petit cours d’autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon.” Montréal: décembre 2017, 7 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 5 décembre 2017 de diffuser cet article en accès libre à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

Louis Gill

[économiste, retraité de l’UQÀM.]

Des erreurs corrigées dans le
Petit cours d’autodéfense intellectuelle
de Normand Baillargeon.


Montréal : décembre 2017, 7 pp.

Publié chez Lux Éditeur à la fin de 2005, le Petit cours d’autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon a été et continue d’être un grand succès de librairie. Dix ans après sa sortie, en 2005, dix-sept réimpressions en avaient été faites. Deux autres ont suivi dans le courant de l’année suivante. Dans la réimpression de juillet 2016 (la vingtième, non numérotée), on lit la note suivante en page 6 (page d’identification de l’éditeur, de la collection à laquelle le livre appartient et des organismes subventionneurs) :

Merci à Louis Gill d’avoir souligné et corrigé certaines erreurs dans les réimpressions précédentes et réécrit la section sur le triangle de Pascal.

Pour le bénéfice du nombreux lectorat de ce livre (passé, actuel et futur), j’apporte ici les précisions qui s’imposent quant à ces erreurs et à leur correction. Dès la parution du livre à la fin de 2005, j’ai signalé à l’auteur et à l’éditeur trois erreurs, et j’ai proposé des manières simples de les corriger. Ces propositions ont été bien accueillies par l’auteur qui a déclaré son intention de leur donner suite. Pour des raisons que je ne cherche pas à élucider ici, ce n’est qu’en 2016 que les corrections ont été apportées. On ne peut que regretter que, pendant toute une décennie, le livre ait continué à être publié dans sa version d’origine, en toute connaissance des erreurs qu’il comportait.

Pendant ces années j’ai fait part à Lux à plusieurs reprises de mes préoccupations à cet égard, estimant qu’un livre qui se présente comme un instrument d’autodéfense intellectuelle a l’obligation absolue d’être exempt de quelque erreur. À la veille du dixième anniversaire de la publication du livre, je suis également revenu à la charge auprès de l’auteur qui, en raison d’une rupture sans appel de ses rapports avec Lux survenue plusieurs années plus tôt, m’a demandé d’assumer la responsabilité d’effectuer, en lien avec Lux, les corrections que j’avais indiquées, ce que j’ai accepté avec plaisir. D’où la note de remerciements qui m’est adressée.

Les trois erreurs que j’ai signalées portent sur des questions qui appartiennent aux domaines plutôt arides du calcul combinatoire et du calcul des probabilités. Les lignes qui suivent sollicitent donc un certain effort de la part de ceux et celles à qui ces domaines ne sont pas familiers. Certains pourraient même penser que l’exercice auquel je me livre est, à la limite, futile, puisque les erreurs en question, à ma connaissance, ont jusqu’ici échappé à la plupart des lecteurs et lectrices, sinon à tous, et qu’en conséquence, il ne vaudrait sans doute pas la peine de s’en préoccuper. Je ne suis pas de cet avis. Si l’auteur a décidé d’aborder dans son livre des questions qui sont de cet ordre de difficulté, on ne saurait se situer en deçà de ce niveau pour apprécier la rectitude de sa présentation. A fortiori dans un manuel d’autodéfense intellectuelle.

J’invite donc mes lecteurs et lectrices à faire l’effort de me suivre dans la difficulté; je leur dis comme Jean-Jacques Rousseau le disait au sujet d’un chapitre de son Contrat social :

J’avertis le lecteur que ce chapitre doit être lu posément et que je ne sais pas l’art d’être clair pour qui ne veut pas être attentif.


Première erreur

La première erreur porte sur la définition de la factorielle d’un nombre n, qu’on désigne par n! La définition de n! qui est donnée dans la version non corrigée du livre (p. 120) est :

Le n! se lit : factorielle de n et il est le produit de n nombres.

Cette définition est incorrecte. n! est effectivement le produit de n nombres, mais pas de n’importe quels n nombres. En fait, il y a une infinité de produits de n nombres qui ne sont pas la factorielle de n. Il n’y en a qu’un qui est la factorielle de n, soit:

le produit de n par tous les nombres entiers positifs qui lui sont inférieurs :

n! = n x (n-1) x (n-2) x … x 3 x 2 x 1;

par exemple : 5! = 5 x 4 x 3 x 2 x 1 = 120

Cette définition correcte de n! apparaît désormais dans la version corrigée du livre (p. 120).

Deuxième erreur

À la page 127 de la version non corrigée, il est question de calculer la probabilité « d’obtenir un six » en quatre lancers d’un dé à six faces non truqué (dont chaque face a les mêmes chances d’apparaître). Ce calcul se fait de la manière suivante :

obtenir « un six » (c’est-à-dire un seul six, au sens strict de l’énoncé) et par conséquent « trois non-six » (c’est-à-dire, à chaque lancer, l’un ou l’autre des chiffres apparaissant sur les cinq autres faces du dé), peut se produire de quatre manières différentes; si on appelle S le six et N le non-six, les quatre possibilités sont les suivantes :

SNNN, NSNN, NNSN et NNNS

Comme les probabilités d’obtenir « un six » ou « un non-six » à chaque lancer sont respectivement 1/6 et 5/6 et que les lancers successifs du dé sont indépendants les uns des autres, chacune des quatre possibilités qui viennent d’être mentionnées a une probabilité de (1/6) x (5/6)3. Il s’ensuit que la probabilité « d’obtenir un seul six en quatre lancers d’un dé » est :

4 x (1/6) x (5/6)3 = 4 x 125 / 1296 = 0,3858.

Or, ce résultat est différent de celui qui est obtenu à la page 127, qui est 0,518. Pourquoi? Parce que cette probabilité de 0,518 est celle d’obtenir, non pas un six en quatre lancers, tel que mentionné dans la version non corrigée, mais au moins un six en quatre lancers, tel que mentionné dans la version corrigée.

Cet événement peut se produire de 15 manières différentes.

En plus des quatre possibilités de « un six et trois non-six » déjà mentionnées,

SNNN, NSNN, NNSN et NNNS, chacune ayant une probabilité de (1/6) x (5/6)3, il y a :

six possibilités de « deux six et deux non-six »,

SSNN, SNSN, SNNS, NSSN, NSNS, NNSS,

chacune ayant une probabilité de (1/6)2 x (5/6)2,

quatre possibilités de « trois six et un non-six »,

SSSN, SSNS, SNSS, NSSS,

chacune ayant une probabilité de (1/6)3 x (5/6), et

une possibilité de « quatre six », ayant une probabilité de (1/6)4.

La probabilité d’obtenir « au moins un six en quatre lancers » est donc :

4 x (1/6) x (5/6)3 + 6 x (1/6)2 x (5/6)2 + 4 x (1/6)3 x (5/6) + (1/6)4 =

(500/1296) + (150/1296) + (20/1296) + (1/1296) = 671/1296 = 0,518

On arrive au même résultat en calculant la probabilité d’obtenir le complément de l’événement « au moins un six en quatre lancers », soit « aucun six en quatre lancers », qui est (5/6)4 = 0,482, et en soustrayant cette probabilité de 1, ce qui donne 0,518. C’est le calcul qui est fait à la page 127 de la version non corrigée. Ce calcul est correct. Ce qui était incorrect dans cette page, et qui est désormais corrigé dans la nouvelle version, c’est la formulation du problème comme étant le calcul de la probabilité d’obtenir « un six en quatre lancers », c’est-à-dire un seul six, plutôt que d’obtenir « au moins un six en quatre lancers ». La nuance peut paraître mince, mais elle est réelle et on ne peut la négliger. On le constate en comparant les probabilités des deux événements, qui sont 0,3858 et 0,518.

Troisième erreur

La troisième erreur se trouve dans le traitement du Triangle de Pascal (p. 123-124). Ce triangle se construit comme suit. Prenons le nombre 10 qui se trouve à l’intersection de la ligne 5 et de la colonne 3 de la figure. Il est la somme des nombres 6 et 4 qui se trouvent dans la ligne 4 à l’intersection des colonnes 2 et 3 respectivement. De même (voir les autres zones ombragées), 28=7+21, 84=56+28, 10=9+1, etc. Il va sans dire que le triangle peut être étendu indéfiniment.

k= 0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

n =0

1

1

1

1

2

2

1

2

1

4

3

1

3

3

1

8

4

1

4

6

4

1

16

5

1

5

10

10

5

1

32

6

1

6

15

20

15

6

1

64

7

1

7

21

35

35

21

7

1

128

8

1

8

28

56

70

56

28

8

1

256

9

1

9

36

84

126

126

84

36

9

1

512

10

1

10

45

120

210

252

210

120

45

10

1

1024


Dans la version non corrigée du livre, on lit (p. 123) :

Considérons n’importe quelle ligne, et appelons la n. […] La ligne 10, par exemple, nous indique les probabilités de dix lancers d’une pièce de monnaie (où il y a deux issues possibles : pile ou face), de dix naissances (où il y a deux issues possibles : garçon ou fille), etc. Considérons cette ligne. Le total des nombres qu’on y trouve est de 1+10+45+120+210+252+210+120+45+10+1=1024. Si on lance dix fois une pièce de monnaie, il y a une chance (c’est le premier chiffre de la ligne) sur 1024 que tous les lancers donnent pile. Il y a 10 chances sur 1024 d’obtenir une distribution de 9 piles et une face, 45 chances sur 1024 d’obtenir 8 piles et 2 faces. Et ainsi de suite.

Quelle est la probabilité qu’il y ait 5 piles et 5 faces. Avec le triangle de Pascal, la réponse saute aux yeux : 252/1024. À vous maintenant. Dans une famille de dix enfants, quelle est la probabilité que 3 soient des filles et 7 des garçons ?

Cet extrait de la version non corrigée montre que le triangle de Pascal y est présenté comme un instrument de calcul des probabilités, ce qui est incorrect. Le triangle de Pascal n’est pas un instrument de calcul des probabilités. Il est un instrument du calcul combinatoire. Tout nombre de ce triangle, se trouvant à l’intersection d’une ligne n et d’une colonne k, est égal au nombre de combinaisons de k éléments choisis parmi n (où k est inférieur ou égal à n). Tel qu’indiqué à la page 121 du livre, ce nombre, représenté ici par le symbole symbole nCk , est égal  à  n!/[k!(n-k)!].

Par exemple 5C3 = 5!/[3!(5-3)!]= 5!/[3!2!]= (5x4x3x2x1)/[(3x2x1)(2x1)]= 10

Le nombre 10 du triangle (ligne 5, colonne 3) et les nombres 6 et 4 de la ligne 4, dont il est la somme, sont donc respectivement égaux à 5C3, 4C2 et 4C3, de sorte que 5C3 = 4C2 + 4C3.

La généralisation de cette expression pour toute valeur de n et de k est : nCk = n-1Ck-1 +n-1Ck. C’est la Règle de Pascal. Tous les nombres du triangle en découlent, sauf ceux de la colonne 0 et de la diagonale, qui sont égaux à 1, parce qu’il n’y a qu’une manière de ne choisir aucun élément parmi n ou de les choisir tous : nC0 = nCn =1

Supposons que n est le nombre de fois qu’on répète une expérience ayant deux résultats possibles, A et B, et que k et (n-k) sont respectivement le nombre de fois que ces résultats sont obtenus. Pour une telle expérience répétée 4 fois, la ligne 4 du Triangle indique qu’il y a respectivement 1, 4, 6, 4 et 1 combinaisons formées de 0A (ou 4B), 1A et 3B, 2A et 2B, 3A et 1B, et 4A (ou 0B). Le nombre total de ces combinaisons, 16, est inscrit dans la colonne de droite. Il en est de même pour les autres valeurs de n, dont n=10, qui a été choisie aux fins de l’illustration dans l’extrait cité plus tôt de la version non corrigée du livre.

Supposons maintenant que les résultats A et B ont respectivement une probabilité de p et (1-p). La probabilité d’obtenir chaque combinaison de 2A et 2B, par exemple, est :      p2(1-p)2. Comme il y a 6 manières de réaliser cet événement, sa probabilité est égale à 6p2(1-p)2. Dans le cas où p=1/2 (Pile ou Face au lancer d’une pièce de monnaie), cette probabilité est 6(1/2)4=6/16, soit le rapport entre le nombre (6) de combinaisons de 2A et 2B, qui apparaît dans la 2e colonne de la ligne 4 du triangle, et le total de 16 de la colonne de droite. Mais cela ne se produit que si p=1/2. Si p=1/6 par exemple (probabilité d’un six au lancer d’un dé), alors 6p2(1-p)2=6(1/6)2(5/6)2=150/1296, qui diffère du rapport 6/16 tiré du triangle.

Il s’ensuit en particulier qu’il est impossible d’utiliser le Triangle de Pascal pour répondre à la question posée dans la version non corrigée du livre : « À vous maintenant. Dans une famille de dix enfants, quelle est la probabilité que 3 soient des filles et 7 des garçons ? », à moins de faire l’hypothèse que les proportions d’hommes et de femmes sont égales dans la société, ce qui est contredit par les statistiques.

En somme, le Triangle de Pascal est un instrument qui permet d’arriver, par de simples additions cumulatives, aux résultats auquel parvient le calcul combinatoire. Dans le cas exceptionnel ou les probabilités des deux résultats possibles d'une expérience répétée plusieurs fois sont égales, on en déduit, au coup d’œil, les probabilités des diverses combinaisons de ces résultats. Mais uniquement dans ce cas.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 2 février 2018 19:34
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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