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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'économie capitaliste: une analyse marxiste. (Tome I ou Première partie). (1991)
Avertissement à l'édition numérique des Classiques des sciences sociales, 2013.


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, L'économie capitaliste: une analyse marxiste. (Tome I ou Première partie). Montréal: Les Presses socialistes internationales, réimpression de l'édition de 1976 en 1991, 266 pp. Avec l’ajout des Résumés synthèse et des Questions de discussion, 29 pp. + Avertissement à l'édition numérique 2013 des Classiques des sciences sociales. [Autorisation de l'auteur accordée le 20 décembre 2013 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Avertissement de l'auteur
à l'édition numérique des Classiques des sciences sociales

le 12 avril 2013.


Rédigé dans les années 1970, L’économie capitaliste : une analyse marxiste est un ouvrage de jeunesse. M’appuyant sur des réflexions, lectures et débats des vingt années suivantes, principalement dans le cadre des cours de théorie marxiste que j’ai dispensés à l’UQAM au cours de cette période, j’en ai fait une réécriture complète qui a donné lieu à la publication d’un nouveau livre intitulé Fondements et limites du capitalisme, paru en 1996.

Invité plus d’une fois depuis 2003, par Jean-Marie Tremblay, à autoriser la diffusion de L’économie capitaliste : une analyse marxiste sur le site des Classiques des sciences sociales, je m’y étais jusqu’ici refusé parce que Fondements et limites du capitalisme était et demeure protégé par des droits d’auteur que l’éditeur, Boréal, souhaite conserver. Diffuser le premier en accès libre sur internet sans que le deuxième le soit me semblait inopportun, dans la mesure où le deuxième améliore substantiellement le premier et le corrige sur divers aspects.

Fondements et limites du capitalisme, qui est toujours disponible en format papier, est désormais également accessible en format électronique à meilleur prix [1] (l’Avant-propos et la Table des matières peuvent être librement consultés en ligne). J’en suis donc venu à conclure à l’opportunité d’autoriser la diffusion de L’économie capitaliste : une analyse marxiste par les Classiques des sciences sociales, en la faisant précéder des notes suivantes dont l’objectif est de mettre en lumière les limites de ce livre de jeunesse, que je me suis efforcé de surmonter dans celui qui lui a succédé vingt ans plus tard.

Pour alléger le texte, les abréviations ECAM et FLC sont utilisées en lieu et place de L’économie capitaliste : une analyse marxiste et Fondements et limites du capitalisme respectivement. ECAM I et ECAM II représentent le tome I et le tome II d’ECAM.

Matérialisme dialectique
et matérialisme historique


Dans la section 2 de l’Introduction d’ECAM I, dont l’objectif est de définir la méthode dialectique du marxisme et la conception matérialiste du monde sur laquelle il repose, cette méthode et cette conception du monde sont définies par rapport à ce qui est désigné comme leurs « opposés », la méthode métaphysique et la conception idéaliste du monde. Même si cette simplification, au sens strict, n’est pas une erreur, elle est réductrice et inopportune. Cette maladresse est corrigée dans FLC qui présente le marxisme comme l’aboutissement d’une longue évolution historique de la pensée en liaison avec le développement matériel de la société.

Comme on le lit dans ECAM I, le matérialisme historique est l'application du matérialisme dialectique à l'histoire des sociétés. Celles-ci naissent, se développent, se transforment, déclinent, meurent, donnent naissance à d'autres sociétés. Leur perpétuelle évolution est un enchevêtrement de processus complexes que l'esprit humain a la responsabilité de suivre à la trace et d'y déceler, au-delà du hasard, de la diversité et des parcours sinueux, la présence d'un enchaînement interne cohérent. Elle est, à la manière des processus de la nature, soumise à des lois, que la pensée a pour tâche d'identifier.

Pour Marx, la donnée première de toute société est la production matérielle de ses moyens d'existence. Toute société est caractérisée par un mode de production de la vie matérielle, c'est-à-dire par un certain niveau de développement des forces productives et par des rapports de production qui leurs correspondent. Les forces productives étant en évolution permanente, les rapports de production, qui en sont un facteur de développement pendant toute une période historique, finissent par en devenir une entrave et sont de ce fait appelés à se transformer, à faire place à un stade plus avancé du développement social.

Ces notions de base, qui sont succinctement exposées dans ECAM, sont davantage développées dans FLC qui précise notamment que chaque formation sociale intègre tout en les dépassant les acquis de la précédente et crée ainsi les bases de la suivante. Chacune est une étape progressive, nécessaire et légitime de l’évolution historique. Le capitalisme dans cette perspective est envisagé, non comme un système immuable, mais comme une phase du développement historique. À son stade avancé, une situation contradictoire s’est développée. Alors que le développement des forces productives qu’il a engendré a créé la possibilité matérielle de l’émancipation économique de la population mondiale, on voit se détériorer les conditions de vie d’une proportion croissante de cette population et s’amplifier la menace de la destruction du milieu de vie, comme conséquence directe de l’accumulation sans limite du capital. Le socialisme se présente dès lors comme le successeur historique nécessaire d’un régime qui démontre son inaptitude à utiliser dans l’intérêt de l’humanité les capacités matérielles qu’il a développées. S’il devient une nécessité, c’est aussi parce qu’il est devenu une possibilité réelle fondée sur ces capacités matérielles créées par le capitalisme.

Parlant des rapports de production bourgeois comme de la dernière forme contradictoire du processus de la production sociale, Marx met en lumière un changement important dans la longue évolution historique progressive des sociétés. Pour la première fois, avec les progrès réalisés par le capitalisme, s'ouvre la possibilité matérielle de la société sans classes. En ce sens, Marx parle de l'achèvement de la «préhistoire de la société humaine», ce qui ne doit d'aucune manière être interprété comme la fin de l'évolution sociale, comme la « fin de l’histoire ». FLC consacre plusieurs pages à cette question ainsi qu’à celle des grandes étapes du développement historique et de la transition au socialisme.

La méthode du Capital

a) La théorie marxiste :
critique de l’économie politique

Dans une section de son Introduction intitulée « Aperçu méthodologique », ECAM I présente des éléments fondamentaux de la méthode employée par Marx dans Le Capital, tels qu’ils sont exposés dans son Introduction à la critique de l’économie politique de 1857. Il s’agit des rapports entre production, distribution, échange et consommation et de la spécificité de la démarche du Capital, du Livre I au Livre III. Cet exposé sommaire est substantiellement développé dans FLC.

La théorie marxiste des rapports économiques y est d’abord présentée comme se distinguant fondamentalement de ce qui est aujourd’hui connu comme la « science économique ». Construite comme « critique de l'économie politique », la théorie marxiste de l'économie n'est pas à la recherche de moyens destinés à assurer le bon fonctionnement du système capitaliste. Son objectif est d’en comprendre la nature en tant que système transitoire, comme stade particulier du développement social. Pour le marxisme, la recherche des lois économiques du fonctionnement et de l'évolution du système capitaliste est indissociablement liée à la perspective de son dépassement.

b) Forme et contenu

L’objet d’étude de la théorie marxiste est la production « socialement déterminée », parce qu’elle est le fait d’individus produisant en société, la production « à un stade déterminé du développement social ». Il existe certains caractères communs à toute production, comme le fait de combiner l'outillage et le travail vivant, ou d'utiliser des biens fournis par la nature et de les transformer. Ces caractères communs à toute production, Marx les désigne comme les déterminations générales ou universelles de la production.

Mais, au-delà de ces déterminations générales ou de ces caractères communs, il y a les caractères particuliers ou les déterminations spécifiques de chaque mode de production. Ce sont ces déterminations spécifiques qui sont l'objet de l'analyse marxiste. Il faut distinguer ce qui est commun à toutes les époques et ce qui diffère d'une époque à l'autre. Il sera ainsi possible de donner à chaque époque sa caractérisation spécifique en tant que phase transitoire du développement historique. Chaque période historique a ses lois propres. La tâche à accomplir consiste à mettre en lumière les lois particulières qui régissent la naissance, la vie, la croissance d'un organisme social donné, et son remplacement par un autre, supérieur. La production n'est pas enfermée dans des lois naturelles indépendantes de l'histoire. Les rapports sociaux capitalistes sont des rapports historiques spécifiques.

Chaque époque donne une forme particulière à un contenu donné. Ainsi, dira-t-on, toute l'histoire passée a été marquée par l'exploitation de l'homme par l'homme. Le contenu qu'est l'exploita­tion est commun à toutes les époques, mais la forme que cette exploitation a prise a changé d'une époque à l'autre: esclavage dans l'Antiquité, servage au Moyen Âge, salariat à l'époque du capitalisme. L'analyse marxiste s'emploie donc à identifier la forme sociale spécifique ou particulière prise par un contenu donné à une époque particulière. On dira d'un contenu général donné qu'il a un caractère social particulier, ou une forme sociale déterminée.

c) Le rôle de l’abstraction

Dans la société capitaliste par exemple, les moyens de production prennent la forme du capital. Toute société utilise des moyens de production et, en ce sens, ceux-ci constituent une détermination générale, universelle, de la production. Ce n'est que dans la société capitaliste que le contenu général que sont les moyens de production prend la forme sociale particulière du capital. Le grand apport de Marx est d'avoir montré que cette forme sociale particulière de capital que prennent les moyens de production est celle d'une époque spécifique, l'époque capitaliste, et non la forme universelle.

L'objet de l'étude de Marx est précisément ces formes sociales particulières, qui se développent sur la base de conditions matérielles et techniques en évolution permanente, mais qui ne sauraient être confondues avec elles. L'analyse marxiste des sociétés présuppose une base matérielle et technique de la production, mais son objet n'est pas cette base matérielle et technique, qui est du domaine des sciences de la technologie; son objet est la découverte des lois qui expliquent l'origine et le développement des formes sociales que prend le procès de production matériel aux divers stades de l'évolution historique.

Sous le sous-titre « La méthode de Marx » de son Introduction, ECAM I présente le rôle de l’abstraction dans la démarche scientifique. Cette démarche a pour objectif de connaître la réalité et non simplement d'en prendre conscience, de l'expliquer et non simplement de la décrire. Elle dépasse le fait particulier; elle doit être d'ordre général. Elle vise à reconstruire dans la pensée, par la pensée, le réel expliqué.

Dans ce processus, le point de départ de l'intuition est le concret, le réel, le particulier; mais le concret apparaît dans la pensée comme résultat et non comme point de départ, même s'il est le point de départ de l'intuition. C'est pourquoi il faut procéder à partir des catégories les plus simples et les plus générales pour reconstruire le réel, un réel désormais compris, éclairé. La méthode scientifique procède du simple au complexe, de l'abstrait au concret, du général au particulier.

L'abstraction consiste à éliminer les particularités d'une chose pour ne conserver que sa généralité: le travail en général ou travail abstrait est une abstraction des travaux concrets particuliers; la matière est une abstraction qui représente ce qu'ont en commun tous les objets matériels. Ces créations de la pensée sont indispensables à la connaissance scientifique.

Ces explications sont reprises dans FLC qui pousse l’analyse plus loin en précisant que l'abstraction n'est pas spécifique à la méthode marxiste; ce qui lui est spécifique est la prise en compte du caractère historique et social particulier de toute production. Ainsi, le travail abstrait en production marchande n’est pas simplement le travail concret dépouillé de ses particularités. Il est le travail concret dépouillé de ses particularités selon des modalités propres à l'économie marchande, par l'égalisation des produits dans l'échange.

d) L’ordre de l’exposé du Capital

Quant à l’ordre de l’exposé du Capital, FLC le synthétise comme suit. Le livre I analyse le capital dans sa vie organique interne. Il étudie le rapport fondamental de la société capitaliste, le rapport entre travail salarié et capital. Le livre II poursuit l'analyse du capital au niveau de ses modes particuliers d'existence et de sa reproduction; il étudie les rapports d'échange entre le capital et les individus qui lui font face en tant qu'acheteurs et vendeurs. Le livre III étudie les conditions d'existence extérieures du capital, les relations des capitaux entre eux (capital industriel, capital commercial, capital financier) et du capital avec la rente foncière.

Le Capital commence par l'analyse des catégories simples, générales et abstraites de marchandise, valeur, argent, travail en général, capital en général, profit en général ou plus-value,... pour en arriver à reconstruire la réalité complexe de l'économie, celle des prix, des profits, des capitaux particuliers et de leur concurrence, celle de l'industrie, du commerce et de la finance, de l'accumulation et de la concentration du capital, du rôle de l'État, du marché mondial, des déséquilibres et des crises.

Aux diverses catégories économiques analysées, correspondent des rapports sociaux, qui sont au centre de l'analyse marxiste. Marx étudie d'abord le rapport le plus simple, le rapport d'échange qui s'établit entre deux producteurs de marchandises. Ce rapport caractérise la production marchande en général. Il a précédé historiquement la production capitaliste, mais il atteint son plein développement dans la société capitaliste arrivée à maturité.

Il s'agit d'un rapport entre personnes, même s'il se présente sous la forme d'un rapport entre choses, entre marchandises échangées dont on compare les valeurs. La mise en lumière de cette réification des  rapports sociaux (le fait qu’ils s’expriment sous la forme d’un rapport entre choses) est un aspect central de l'apport de Marx, dont le volet complémentaire est la mise en lumière de la fétichisation de la marchandise : à l’image du fétiche des sociétés primitives auquel on attribue un pouvoir de domination des êtres humains, la marchandise par sa valeur est le lien indirect par lequel se répartit le travail social entre les activités privées dans la société marchande.

Les contradictions de ce rapport d'échange simple trouvent leur solution dans le fait que la propriété de représenter la valeur de toutes les marchandises est transmise à une marchandise particulière, la monnaie. À son tour, le développement de l'argent en moyen d'accumulation conduit à l'établissement d'un nouveau rapport, celui qui s'établit par l'intermédiaire de l'argent devenu capital, entre le capitaliste et le travailleur, le rapport fondamen­tal de la société capitaliste.

L'analyse marxiste du capitalisme se présente comme l'analyse d'une succession de rapports sociaux d'une complexité croissante, une analyse de la genèse de ces rapports et des catégories correspondantes, chaque rapport s'outrepassant pour engendrer le suivant, chaque nouvelle catégorie portant la marque de la précédente.

Marchandise et valeur

Le rapport d’échange simple entre producteurs de marchandises est analysé dans le 1er chapitre d’ECAM et de FLC. Toute société produit des biens ayant une valeur d'usage, des biens utiles destinés à satisfaire des besoins; elle répartit à cette fin son temps de travail social entre les diverses activités et répartit les produits de ce travail entre leurs diverses utilisations

Dans les sociétés marchandes, où la répartition est assurée par l'échange, les biens utiles deviennent des marchandises; le contenu général qu'est le bien utile prend la forme sociale particulière de la marchandise. La production de biens utiles est une détermination générale de toute société; la production de marchandises est une détermination historique particulière des sociétés marchandes, fondées sur la propriété privée et l'échange.

Pour pouvoir s'échanger, des marchandises qualitativement différentes doivent être quantitativement égales. Différentes au plan des valeurs d'usage, elles doivent être égales au plan des valeurs. Valeur d'usage et valeur constituent la caractérisation double et contradictoire de la marchandise.

La valeur d'une marchandise détermine les proportions dans lesquelles elle s'échange avec d'autres marchandises; elle se manifeste extérieurement sous la forme de la valeur d'échange, c’est-à-dire du rapport d'échange réel qui s'établit sur le marché et qui varie en fonction des circonstances. Elle a pour substance le travail humain (actuel et incorporé dans les moyens de production) commun à toute activité, le travail abstrait dépouillé des caractéristiques particulières des divers travaux concrets, un travail égal et indistinct, socialement égalisé par l'échange.

Le travail est un contenu qui prend des formes sociales diverses; dans la société marchande où les produits du travail sont destinés à l'échange en tant que marchandises, le contenu en travail des marchandises acquiert nécessairement la forme de la valeur. Le travail privé n'y devient social que s'il est mis en équivalence par l'échange avec les autres travaux privés, en tant que valeur. Ces travaux privés indépendants ne sont pas immédiatement du travail social. Pour le devenir, il faut que leurs produits réussissent à s’échanger, à se vendre. La vente des produits sur le marché exprime la validation sociale des travaux privés.

Il ne faut pas confondre travail et valeur. Le travail est la substance de la valeur, mais la valeur n'est pas une simple quantité de travail. Elle est du travail sous une forme sociale déterminée, du travail réparti sous l'effet de l'égalisation des marchandises dans l'échange. Tout produit dans toute société est la matérialisation du travail qui est à son origine. Mais le travail matérialisé ne prend la forme de la valeur que dans la société marchande.

Les énoncés qui précèdent  analysent la valeur du point de vue de sa substance et en tant que forme sociale, c’est-à-dire d’un point de vue qualitatif, comme caractéristique historique fondamentale de l'économie marchande. Cette dimension est celle qui a été la moins bien comprise et la plus négligée de la théorie marxiste de la valeur, qui a souvent été réduite à sa dimension quantitative, celle de sa grandeur. La mise en évidence de cet aspect est l’un des principaux apports de FLC par rapport à ECAM I, dont elle est absente.

La grandeur de la valeur d’une marchandise est le temps de travail socialement nécessaire à sa production. Elle varie en fonction de la durée, de l’intensité, de la productivité et de la complexité (la qualification) du travail. Ces questions qui ne sont qu’esquissées dans ECAM I sont davantage développées dans FLC. Il en est de même de la comparaison entre la théorie marxiste de la valeur et les autres théories de la valeur. À peine évoquée dans ECAM I, elle est l’objet d’un traitement plus complet dans FLC.

Monnaie

La monnaie est une forme de la valeur, sa forme développée, obtenue au terme d'un processus de genèse, dont le point de départ est la forme élémentaire du troc. Ce processus est développé dans ECAM I, dans une section du chapitre 1 (« Marchandise et valeur »). Les contradictions de ce rapport d'échange simple trouvent leur solution dans le fait que la propriété de représenter la valeur de toutes les marchandises est transmise à une marchandise particulière, la monnaie.

La genèse de la monnaie comme équivalent général des valeurs permet de comprendre comment et pourquoi se forme la monnaie. Elle met en évidence la relation fondamentale de polarité entre marchandises et monnaie. En économie marchande, tel que mentionné dans la section précédente (« Marchandise et valeur »), les travaux privés ne sont pas immédiatement du travail social. Pour le devenir, il faut que les marchandises qui en sont le fruit subissent avec succès l'épreuve du marché, qu'elles se vendent, qu'elles se transforment en monnaie.

La transformation des marchandises en monnaie est le moyen par lequel les travaux privés dont elles sont le produit se trouvent validés en tant que travail social. Elle constitue la preuve que ces travaux privés étaient socialement justifiés, qu'ils n'étaient ni «de trop» ni en quantité insuffisante compte tenu de la demande globale de ces marchandises.

Le fondement de l'analyse marxiste de la monnaie est cette dimension qualitative de la monnaie, la nécessaire transformation de la marchandise en monnaie, qui inclut la possibilité de sa non-transformation. Ainsi comprise, la monnaie ne saurait être réduite à un contenu technique et quantitatif d'unité de compte, ni de moyen qui facilite les échanges.

Elle exprime avant tout un rapport social de coordination des producteurs privés au sein de la société marchande. Elle est la forme spécifique par laquelle le travail y acquiert son caractère social. Elle est la médiation nécessaire par laquelle s'opère la socialisation du travail dans cette société.

Telle est la substance de la monnaie, son essence, sa dimension la plus importante, celle qui est négligée par les théoriciens non marxistes pour qui l'analyse de la monnaie se résume à celle de ses différentes fonctions.

Dans une société planifiée, où la répartition du travail et des produits qui en découlent serait le résultat, non de l'échange, mais d'un plan, une comptabilité sociale directe serait nécessaire, qui reposerait sur l'utilisation d'une unité de compte. Mais une telle unité de compte ne serait pas l'équivalent de la monnaie, selon le sens qui vient de lui être donné.

En économie marchande où les produits du travail sont des marchandises, la mesure du temps de travail nécessaire à leur production ne peut être le résultat d'un calcul direct a priori, pas plus que le travail privé n'est immédiatement social. Elle est révélée a posteriori par l'échange, en tant que valeur. La mesure commune des valeurs par la monnaie est donc la forme indirecte que prend nécessairement la mesure du travail en économie marchande.

L'unité de compte est une catégorie générale commune à toutes les sociétés. La monnaie est sa forme sociale spécifique en économie marchande, tout comme la marchandise et la valeur sont respectivement les formes qu'y prennent les catégories générales de bien utile et de temps de travail socialement nécessaire.

La théorie marxiste de la monnaie se distingue des autres théories en ce qu'elle envisage la monnaie non comme une catégorie universelle, mais comme l'expression d'un rapport social spécifique de la phase historique de la production marchande. Elle distingue la substance ou l'essence de la monnaie de ses divers rôles fonctionnels ou des services qu'elle rend : mesure des valeurs, moyen de circulation (ou d’échange), argent proprement dit (ou réserve de valeur).

Le chapitre 2 d’ECAM I consacré à la monnaie néglige cet aspect fondamental. Il ne considère la monnaie que sous l’angle de ce qui y est désigné comme ses « trois fonctions essentielles ». Cela se traduit notamment dans son titre inadéquat : « La monnaie ou la circulation des marchandises ». Il néglige aussi la question de la genèse de la monnaie et de la polarité entre marchandise et monnaie, mentionnée au début de la présente section. Dans un effort pour identifier les racines historiques de la monnaie et en suivre l’évolution, il pose des jalons qui sont le point de départ d’une analyse plus complète dans FLC.

Capital et plus-value

L'étape suivante consiste à faire la genèse du capital, à montrer comment et pourquoi se forme le capital. Des limites de la circulation simple M-A-M surgit la nécessité d'une nouvelle circulation, celle de l'argent comme capital, A-M-A'.

Dans la circulation M-A-M, vendre pour acheter (M-A suivi de A-M), la finalité de l'opération est la consommation finale de la valeur d'usage. Dans la circulation A-M-A', acheter pour vendre plus cher (A-M suivi de M-A'), la finalité de l'opération est l'accroissement de la valeur.

Dans M-A-M, l'argent en tant qu'argent sert d'intermédiaire au mouvement des marchandises qui sont consommées improductivement à l'extérieur de la circulation; il est simplement dépensé. Dans A-M-A', ce sont les marchandi­ses qui servent d'intermédiaire au mouvement de l'argent en tant que capital et dont la consommation productive permet sa conservation et son accroissement; l'argent n'est qu'avancé et doit revenir en quantité supérieure à la quantité avancée.

Comme forme universelle de la richesse, l'argent ne peut avoir qu'un mouvement quantitatif, tendre à se multiplier sans limite. Le capital est l'expression de ce mouvement ininterrompu de mise en valeur, de poursuite de l'enrichissement comme fin en soi. Le capital se présente ainsi non comme un objet, mais comme un processus.

La seule valeur d'usage de laquelle naît et s'accroît la valeur elle-même est le travail vivant, travail actuel, ou travail comme subjectivité, par opposition au travail objectivé ou matérialisé, c’est-à-dire au travail passé, incorporé dans un produit. La seule marchandise dont la consommation productive par le capital donne lieu à son accroissement est la force de travail vivante, source de valeur nouvelle.

Le développement de l'argent en moyen d'accumulation, c'est-à-dire en capital, suppose un nouveau rapport, celui qui met en relation le capitaliste ou possesseur d'argent et le travailleur salarié ou possesseur de force de travail vivante, le rapport fondamental de la société capitaliste. La genèse du capital est la démonstration de la nécessité théorique et historique de la production capitaliste comme généralisation de la production marchande.

Le rapport entre le capitaliste et le travailleur salarié  suppose la séparation entre le travail et la propriété; la propriété des moyens de production par le capitaliste est la base de son commandement sur le travail d'autrui et de son appropriation des produits de ce travail.

La formule A-M-A' représente le mouvement du capital dans son ensemble. Elle est la formule du capital en général, indépendamment des formes concrètes qu'il prend dans la réalité. Ces formes sont étudiées ultérieurement une fois compris les rapports entre le capital en général et le travail en général, fondements de la compréhension du rapport social entre la classe capitaliste et la classe du travail salarié ou classe ouvrière.

À l'exception des sociétés primitives, toutes les sociétés au cours de l'histoire ont dégagé un surplus de leur production annuelle. Seules les conditions de la production de ce surplus et les modalités de son appropriation se sont modifiées.

Dans la production marchande, dont la production capitaliste est la généralisation, le surplus matériel prend la forme d'une masse de marchandises; le surplus est donc une masse de valeurs. Dans le cas spécifique de la production capitaliste, on donne au surplus, ou à cette masse de valeurs, le nom de plus-value. Au-delà du contenu matériel du surplus, ce terme de plus-value désigne la manière spécifique dont le surplus est produit et dont se réalise son appropriation dans la société capitaliste.

Ces propos, qui résument la genèse du capital et l’origine de son produit spécifique qu’est la plus-value, sont présentés dans FLC. Ils ne le sont pas dans ECAM I, même si le contenu qu’ils recouvrent s’y trouve intégralement, sans la dimension génétique de l’exposé, dans les chapitres III (« La plus-value) et V (« Le caractère spécifique du capitalisme).

Il faut par ailleurs souligner la présence dans ECAM I d’un chapitre de nature historique (le chapitre IV) sur l’évolution de la journée de travail et des luttes qui ont été livrées en vue de sa réduction. Ce chapitre se veut un prolongement du chapitre III consacré au capital et à la plus-value, plus particulièrement de sa section qui traite de la plus-value absolue et de la plus-value relative. Il n’est pas reproduit dans FLC.

Les « intérêts communs »
du travail et du capital

L'utilisation de la force de travail par le capital est la source de sa fructification. En ce sens, le travail salarié est la condition essentielle du capital. À l'inverse, le capital est la condition essentielle du travailleur salarié qui ne peut survivre s'il n'est employé par le capital, étant dépossédé des moyens de production.

Mais, le rapport entre travail salarié et capital est un rapport inégal. Le capital sort augmenté de son association avec le travail salarié, alors que la force de travail salariée en sort simplement reproduite. Les « intérêts communs » du capital et du travail salarié se définissent dans ce cadre qui en fixe les limites.

Des visions différentes des choses, fondées sur l'idéal d'une harmonie entre les classes, prétendent élargir cette « commu­nauté d'intérêts » dans un engagement commun à préserver la société fondée sur la propriété privée des moyens de production et à la gérer selon diverses modalités de « partenariat social », d'association du travail au capital : cogestion, autogestion, participa­tion des travailleurs à la gestion, à la propriété et aux bénéfices de l'entreprise, fonds salariaux d'investissement, concertation entre patronat, syndicats et gouvernement dans la gestion macro-économique, etc.

Dans ECAM I, seule la question du rachat d’entreprises par les travailleurs est abordée (section 3 du Chapitre V). Elle y est illustrée par un certain nombre d’exemples concrets dont celui de Tricofil au Québec. FLC élargit le champ des cas considérés au travail coopératif tel que vu par Marx, aux principes énoncés à cet égard par la doctrine sociale de l’Église, à la gestion participative, à l’actionnariat ouvrier et au partenariat à l’échelle nationale.

Le salaire

Les chapitres qui portent ce titre dans ECAM I et FLC diffèrent peu quant au fond. Comme pour les chapitres précédents, certains thèmes ont été peaufinés dans FLC. La version d’ECAM I n’en demeure pas moins sensiblement plus volumineuse que celle de FLC. Cela tient au fait que de nombreuses statistiques de la version d’ECAM I, relatives aux différences salariales selon les métiers, à l’évolution des prix, etc., n’ont pas été reprises dans FLC. Il va de soi qu’avec le passage du temps, ces statistiques n’ont plus aujourd’hui qu’une valeur historique illustrative.

Accumulation et reproduction du capital

Le chapitre sur le salaire d’ECAM I (Chapitre VI) est le dernier chapitre de ce premier tome d’ECAM. Il n’est pas cependant le dernier chapitre du Livre I du Capital. Le livre I du Capital se termine par l’analyse de l’accumulation du capital. Le livre II est consacré à la circulation et à la rotation du capital.

Marx étudie d’abord, dans le chapitre sur l’accumulation du capital du livre I, le processus de reproduction du capital du seul point de vue de la production, en supposant que les conditions de l’accumulation dans la circulation sont réalisées : existence des quantités appropriées de moyens de production permettant la poursuite ininterrompue de la production, et réalisation de l’équilibre entre l’offre et la demande sur les marchés.

Il étudie ensuite ces conditions dans le livre II à l’aide de « schémas de reproduction » qui représentent le secteur productif de l’économie comme étant constitué de deux sections assurant la production des moyens de production (section 1) et des biens de consommation (section 2), entre lesquelles se répartissent le capital et la force de travail. Deux fractions distinctes du capital sont ainsi investies dans les deux sections de l’activité productive.

Le seul rapport qui s’établit entre ces deux fractions du capital est un rapport d’échange, chacun des deux capitaux étant associé à la production de biens d’une certaine catégorie qui doivent satisfaire une demande venant en partie du secteur qui produit les biens de l’autre catégorie.

L’unique objectif des schémas de reproduction est d’établir les conditions dans lesquelles l’échange entre les secteurs permettra de réaliser l’équilibre entre l’offre et la demande des deux catégories de marchandises et d’assurer ainsi la reproduction de l’ensemble du capital.

La répartition des capitaux entre les deux sections est une différenciation au sein du capital en général. D’aucune manière ces capitaux ne sauraient être envisagés à ce stade comme la multiplicité de capitaux engagés dans leurs rapports réciproques, que Marx n’aborde qu’au livre III.

Il revient à Roman Rosdolsky (dans La genèse du « Capital » chez Karl Marx) d’avoir mis en lumière ce fait d’une extrême importance, clé de la compréhension des erreurs théoriques qui étaient au centre des débats sur les crises et les capacités de croissance du capitalisme au sein de la Deuxième Internationale au tournant des 19e et 20e siècles, débats fondés sur le livre II du Capital. La faiblesse des théoriciens de la Deuxième Internationale, selon Rosdolsky, s’explique en grande partie par le fait que l’ouvrage fondamental que sont les Manuscrits de 1857-1858 (connus sous leur titre allemand de Grundrisse), dans lesquels Marx expose la catégorie du capital en général comme clé de la compréhension du capital dans sa réalité et établit ainsi les niveaux successifs où il entend situer l’analyse, soient demeurés inconnus de ces théoriciens, n’ayant été publiés qu’en 1939.

Il s’ensuit que les schémas de reproduction ne sont pas le lieu de l’analyse des crises, où elles ne peuvent être pressenties que de manière incomplète et en tant que crises potentielles, « la crise réelle ne pouvant être exposée qu’à partir du mouvement réel de la production capitaliste, de la concurrence et du crédit », comme l’écrit Marx, c’est-à-dire à partir du mouvement du capital réel exposé dans le livre III.

Or, l’analyse des schémas de reproduction qui est présentée dans ECAM II n’est pas exempte de cette erreur théorique, qui n’est pas reproduite dans FLC. Cette erreur n’a pas d’incidence sur les calculs des conditions d’équilibre de la reproduction simple et de la reproduction élargie établies respectivement aux sections 2 et 3 du chapitre II d’ECAM II (« Les schémas de reproduction »). Elle est par contre présente dans les sections 4 (« Appréciation des schémas »), 5 (« Les prolongements des schémas de Marx ») et 6 (« Biens de luxe et accumulation du capital ») de ce chapitre, qui cherchent fautivement à corriger les « lacunes » des schémas de Marx en en modifiant les « hypothèses simplificatrices sous-jacentes », vues comme « discutables au regard de la réalité économique capitaliste concrète » (p. 94, 96, 100), alors que les schémas de reproduction ne sont pas le lieu théorique d’une telle analyse.

Les autres chapitres d’ECAM II

Il n’y a pas de mise en garde de ce type à l’égard des autres chapitres d’ECAM II qui, même s’ils ont été améliorés et mis à jour dans FLC, conservent leur pertinence, en particulier parce que certaines sections n’y ont pas été reproduites. C’est le cas notamment de nombreuses illustrations factuelles et de statistiques diverses. C’est le cas aussi de l’importante question des nationalisations en tant que stratégie économique et des revendications formulées à cet égard par le mouvement ouvrier au Québec au cours des décennies. La nationalisation de l’électricité en 1963 comme aboutissement d’un long processus amorcé en 1944 par la nationalisation de la Montreal Light, Heat and Power et ses filiales en est un cas d’espèce.

Un fait mérite par ailleurs d’être souligné, soit la mise en évidence, dans la section 2 (« Le crédit ») du chapitre VII (« Les crises »), des notions de capital de prêt et de capital fictif, analysées par Marx dans le Livre III du Capital, et de leur rôle dans le développement des crises. Le capital de prêt et le capital fictif ont connu une expansion phénoménale au cours de plus de trois décennies de néolibéralisme et ont été au cœur du développement des multiples crises financières qui se sont succédé au cours de cette période, jusqu’à celle dans laquelle nous sommes toujours, déclenchée en 2007. Il vaut la peine de souligner qu’il était d’ores et déjà question de ces catégories de capital dans ce deuxième tome d’ECAM paru en 1979, année de l’ouverture de la période néolibérale avec l’élection de Margaret Thatcher à la tête du gouvernement britannique, suivie par celle de Ronald Reagan à la présidence des États-Unis en 1981.

Parmi les autres sujets d’intérêt d’ECAM II qui ne sont pas repris dans FLC, il faut mentionner l’analyse des rôles contradictoires des dépenses d’armement dans les pays capitalistes et dans les États ouvriers, qui étaient toujours en place en 1979 jusqu’à leur effondrement à partir de 1989, ainsi que les débats relatés dans le chapitre VIII sur la « crise historique finale du capitalisme » et les stratégies politiques envisagées au sein du mouvement ouvrier révolutionnaire au début du 20e siècle.

Enfin, aux nombreuses remarques de ces notes qui sont de nature à stimuler la lecture de FLC, ajoutons la mention des ajouts majeurs que sont un chapitre complet sur la « question de la transformation » des valeurs en prix de production et de la plus-value en profit, qui rend compte des innombrables débats qui ont eu lieu sur cette question depuis la publication du Livre II du Capital en 1885, ainsi que de deux chapitres, intitulés « État et dépenses publiques » et « Évaluation des politiques économiques », qui prolongent le chapitre sur les crises et mesurent, à la lumière du marxisme, l’inaptitude des grands courants de politiques économiques (keynésianisme, monétarisme, théorie de l’offre, etc.) à assurer le bon fonctionnement de l’économie.



[1] À noter que le prix du livre en format papier n’est que de 45 dollars (35 euros), ce qui est fort modique pour un livre de 900 pages. Le prix du livre en format numérique (PDF) est de 30 dollars.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 26 décembre 2013 11:03
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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