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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “L’endettement du Québec selon la méthode de l’OCDE et les parts respectives de la « bonne dette » et de la « mauvaise dette ». Version amendée de la lettre du 29 janvier 2010 au Ministre Raymond Bachand, ministre des Finances du Gouvernement du Québec. Montréal, le 7 février 2010. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 19 février 2010.]

Louis Gill

L’endettement du Québec selon la méthode de l’OCDE
et les parts respectives de la « bonne dette »
et de la « mauvaise dette »
.”

Montréal, 7 février 2010. Version amendée de la lettre du 29 janvier 2010 adressée à Raymond Bachand, Ministre des Finances, Gouvernement du Québec.


Monsieur le ministre,

À la fin du débat auquel nous avons participé dans le cadre de l’émission « RDI-Économie » de Radio-Canada le 27 janvier 2010, je vous ai dit que je vous enverrais par écrit les détails des calculs effectués selon la méthode utilisée par l’OCDE aux fins de ses comparaisons entre les pays, à l’appui des chiffres relatifs à  l’endettement de l’ensemble des administrations publiques du Québec que j’ai présentés lors de cette émission. J’ai aussi mentionné à cette occasion que, selon mes calculs, la « bonne dette » représente environ les deux tiers de la dette brute, et non le tiers comme le soutiennent votre ministère et les membres de votre Comité consultatif. Voici donc ces calculs.


Engagements des administrations publiques,
selon la méthode de l’OCDE


a) engagements bruts

De la dette brute de 151 milliards de dollars au 31  mars 2009, il faut d’abord éliminer les engagements envers les régimes de retraite et les avantages sociaux, parce que certains pays les comptabilisent et d’autres pas, et ne conserver que la dette directe de 125 milliards. À cette dette, s’ajoutent celle des municipalités (19 milliards) et le solde de la dette des établissements d’éducation, de santé et de services sociaux qui n’est pas comptabilisé dans la dette du gouvernement (900 millions). Il faut enfin ajouter la part (20 %) de la dette non échue du gouvernement fédéral (514 milliards) qui correspond à la taille du Québec au sein du Canada, soit un montant de 103 milliards.

Pourquoi la dette non échue, ou dette contractée sur les marchés ? Parce que c’est ce concept de dette qui correspond à celui de la dette directe du Québec. Puisqu’il faut retirer les engagements envers les régimes de retraite de la dette brute du Québec, il faut faire de même, et pour les mêmes raisons, dans la prise en compte de la portion de 20 % de la dette du Canada, et retirer de la dette portant intérêt les engagements envers les régimes de retraite et autres passifs.

Au total, les engagements bruts des administrations publiques du Québec s’élèvent donc à 248 milliards, ou 82 % du PIB, sous la moyenne de l’OCDE qui se situe à 92 % en 2009 et dont il est prévu qu’elle dépassera 100 % en 2010.

b) engagements nets

Pour ce qui est des engagements nets, on les établit en soustrayant des engagements bruts de 248 milliards, les actifs financiers nets du gouvernement du Québec (22 milliards), les actifs du Fonds d’amortissement des régimes de retraite ou FARR (36 milliards), les actifs du Régime des rentes du Québec (26 milliards) et des administrations locales (5 milliards). Il faut enfin soustraire 20 % des actifs financiers nets de 185 milliards du gouvernement fédéral, soit 37 milliards, puisque si le Québec assume 20 % de la dette du Canada, il est normal qu’on lui reconnaisse 20 % de ses actifs. Au total donc, les engagements nets des administrations publiques du Québec s’élèvent à 122 milliards, ou 40 % du PIB, nettement sous la moyenne de l’OCDE qui est de 51 % en 2009 et qui doit atteindre 60 % en 2010.


Les parts respectives de la « bonne dette »
et de la « mauvaise dette »



Jusqu’à la réforme comptable de 1997, les dépenses d’immobilisation étaient entièrement comptabilisées comme des dépenses courantes au cours de l’année d’acquisition. L’Annexe B (p. 18-22) du Discours sur le budget de 1997-1998 établit un déficit cumulé des opérations budgétaires de 65,8 milliards de 1970-1971 à 1996-1997 et présente sur deux colonnes distinctes les parts des déficits annuels qui découlent des dépenses d’acquisition d’immobilisations et des opérations courantes au sens strict (excluant les dépenses d’immobilisations).

Les montants cumulés à ces deux titres, qu’on peut désigner comme la « bonne dette » et la « mauvaise dette » découlant de ce déficit, sont respectivement de 31,6 et 34,2 milliards, soit 48 % et 52 % du total. La somme de ces deux composantes du déficit cumulé, 65,8 milliards, est, à un milliard près, le montant de la dette nette inscrit en date du 31 mars 1997 (64,8 milliards) dans les Tableaux J.16 et J.17 du Plan budgétaire de 2009-2010 qui retracent l’évolution de la dette.

En raison de la réforme budgétaire de 1997, qui a élargi le périmètre comptable du gouvernement, modifié la comptabilité des engagements envers les régimes de retraite et modifié la prise en compte des immobilisations, la dette totale a été majorée de 20 milliards le 31 mars 1998, la dette directe de 5 milliards, le passif net au titre des régimes de retraite de 15 milliards; les actifs financiers nets ont été réduits de 3,5 milliards, de sorte que la dette nette a été augmentée de 23,8 milliards, à 88,6 milliards.

On a départagé en 1997-1998 cette dette nette de 88,6 milliards en une dette de 6 milliards attribuée aux immobilisations et une dette de 82,6 milliards attribuée aux déficits cumulés, respectivement 6,8 % et 93,2 % de la dette nette, ce qui diffère radicalement de la répartition de 48 % - 52 % de l’année précédente.

Cette différence majeure s’explique par le fait que les 31,6 milliards de 1997 représentent le solde non remboursé de la dette découlant des immobilisations, alors que les 6 milliards de 1998 représentent le solde non amorti de ces mêmes immobilisations à cette date, un concept purement comptable qui ne saurait prétendre représenter le solde non remboursé de la dette.

Au terme des trente ans de la vie utile d’une infrastructure en effet, celle-ci est entièrement amortie (son solde non amorti est nul), alors que le solde non remboursé de la dette contractée pour en faire l’acquisition est le plein montant de l’acquisition si aucun remboursement n’a été effectué au cours des trente années et que seuls les intérêts annuels ont été versés.

La méthode comptable introduite en 1997, qui ne comptabilise dans les dépenses courantes que l’amortissement annuel des immobilisations, fait passer dans la dépense de chacune des années de la vie utile de l’immobilisation la fraction du coût d’amortissement qui lui correspond et fait simultanément passer dans la « mauvaise dette » une partie de la « bonne dette ».

Pendant plusieurs années, ce processus a été décrit comme suit dans les Plans budgétaires annuels : « La dette représentant les déficits cumulés est obtenue en retranchant de la dette nette le solde non amorti des immobilisations ». La formule a été modifiée depuis la réforme comptable de 2007. Il est désormais mentionné qu’on soustrait de la dette nette la valeur des « actifs non financiers » (immobilisations et investissements dans les réseaux) pour obtenir la dette attribuée aux déficits cumulés. Mais, même si cela n’est plus explicitement mentionné, la valeur des actifs non financiers est toujours leur solde non amorti.

Pour arriver au chiffre de 6 milliards pour l’année 1997-1998, on a procédé au calcul du solde non amorti des immobilisations acquises au cours des trois décennies précédentes. Comme ce solde était nul ou très faible pour la majeure partie de ces immobilisations acquises plusieurs années plus tôt, voire des décennies plus tôt, on est arrivé à ce montant qui est sans commune mesure avec le montant des emprunts qui ont été contractés pour les acquérir et qui n’ont pas été remboursés.

En procédant à partir du solde non remboursé des dettes plutôt qu’à partir du solde non amorti des immobilisations, on arrive à une répartition fort différente de la dette entre « bonne dette » et « mauvaise dette ». Les statistiques de l’exercice 1996-1997, comme je l’ai mentionné plus tôt, établissent à 34,2 milliards le déficit cumulé découlant des opérations courantes, donc de la « mauvaise dette » qui en découle. En y ajoutant les 15 milliards de l’accroissement du passif net au titre des régimes de retraite venant de la réforme comptable de 1997 et les 2,2 milliards du déficit courant de 1997-1998, nous arrivons à une dette découlant des déficits cumulés de 51,4 milliards au 31 mars 1998, sensiblement inférieure au montant officiel de 83,6 milliards. Ce qui donne une répartition de 42 % - 58 % de la dette nette entre la « bonne dette » et la « mauvaise dette ».

Au cours des neuf années suivantes, entre le 31 mars 1998 et le 31 mars 2007, c’est-à-dire jusqu’à veille de la réforme comptable de 2007, la dette totale (ancienne dénomination de la dette brute) a augmenté de 24 milliards. Votre ministère en a donné l’explication suivante dans un document intitulé La dette du Québec, publié en décembre 2007 (p. 31-32) :

Cette augmentation s’explique principalement par les investissements du gouvernement dans :

-  ses sociétés d’État : 13,1 milliards, soit 54 % de l’augmentation;
-   les immobilisations (essentiellement les routes) : 7,9 milliards, soit 33 % de l’augmentation.

Par ailleurs, au cours de cette période, des déficits de 1,1 milliard ont été enregistrés […]

Donc, globalement, la dette a été encourue depuis le 31 mars 1998 pour financer des actifs.

Cette appréciation tranche avec celle qui est continuellement véhiculée par le gouvernement et, au cours des dernières semaines, par les économistes de votre Comité consultatif, à l’effet que la dette aurait été contractée principalement pour financer les « dépenses d’épicerie ». Entre les réformes comptables de 1997 et 2007, l’accroissement de 1,1 milliard de la dette découlant de ces dépenses et des déficits courants qui en découlent n’a compté que pour 1/24 ou 4 % de l’augmentation totale de la dette.

Un surplus budgétaire cumulé de 0,6 milliard ayant été réalisé de 1998-1999 à 2008-2009,  le montant de la « mauvaise dette » atteint 54,1 milliards le 31 mars 2009 avant la prise en compte des ajouts au déficit cumulé découlant de la réforme comptable de 2007. Ce montant inclut les 3,3 milliards qui ont été imputés à la dette en 2005-2006 pour tenir compte du passage de la comptabilité de caisse à la comptabilité d’exercice des transferts fédéraux. Comme la dette nette est de 129 milliards à cette date, sa répartition entre « bonne dette » et « mauvaise dette » est alors de 58 % - 42 %, soit un renversement complet par rapport à la répartition de 42 % - 58 % du 31 mars 1998.

Ainsi calculé, le montant de 54,1 milliards de la « mauvaise dette » en date du 31 mars 2009 représente 36 % de la dette brute de 151,5 milliards. Il s’ensuit que les proportions de 64 % - 36 % qui en découlent quant à la répartition de la dette brute entre « bonne dette » et « mauvaise dette » sont l’inverse de celles dont se réclament votre gouvernement et les économistes du Comité consultatif. Comme on peut le vérifier, elles seraient à peine modifiées en faveur de la « mauvaise dette » si les prévisions actuelles des déficits budgétaires et de la croissance de la dette brute pour 2009-2010 et 2010-2011 se réalisaient.

La réforme comptable de 2007 a intégré au périmètre comptable du gouvernement de nouvelles entités dont les déficits cumulés s’ajoutent désormais à ceux du gouvernement. Leur prise en compte a donné lieu à une augmentation de la dette attribuée aux déficits cumulés de 5,7 milliards le 31 mars 2007. Si la totalité de ce montant devait être considérée comme un déficit cumulé au sens strict de « mauvaise dette » et qu’on l’ajoutait au montant de 54,1 milliards de la « mauvaise dette » calculé en date du 31 mars 2009 sans tenir compte de la réforme, la « mauvaise dette » serait de 59,8 milliards à cette date, soit 39,5 % de la dette brute.

Mais comme plus de la moitié des déficits cumulés ajoutés par la réforme de 2007 représente les déficits cumulés des réseaux de la santé et des services sociaux et de l’éducation, où d’importants investissements en infrastructures ont été réalisés, ces déficits cumulés, pour une part significative, ne  sont pas des déficits cumulés au sens strict (de « dépenses d’épicerie »), mais découlent de la transformation annuelle d’une partie de la « bonne dette » en « mauvaise dette » par le biais de l’amortissement des immobilisations, selon le processus qui a été mis en évidence pour les opérations du gouvernement.

En somme, plutôt qu’à 33 % comme l’affirme votre ministère, la part réelle de la « bonne dette » dans la dette brute en date du 31 mars 2009 se situe entre 60 % et 64 %.

Voilà, Monsieur le ministre, la démonstration des résultats que j’ai mentionnés pendant et après l’émission du 27 janvier dernier. Je souhaite qu’elle contribue à clarifier la situation et à permettre que le débat se poursuive sur des bases reflétant adéquatement la réalité. Dans cette perspective, puis-je solliciter de vous une réaction aux propos soulevés dans la présente lettre ?

Dans l’attente de cette réaction, je vous prie de croire, Monsieur le ministre, à l’expression de mes sentiments les meilleurs.


Louis Gill

économiste, professeur retraité de l’UQAM



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 25 février 2010 19:13
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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