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Collection « Les sciences sociales contemporaines »


“La défense de l'université publique”
Louis Gill, économiste
Professeur retraité de l'Université du Québec à Montréal

gill.louis@uqam.ca

«La défense de l'université publique», Conférence prononcée dans le cadre du 72e congrès de l’ACFAS, 12 mai 2004. Un article publié dans le SPUQ-Info, no 239, octobre 2004, pp. 8-10. [Autorisation accordée par l'auteur le 4 janvier 2005 de diffuser ce texte.]

Les origines privées du réseau universitaire québécois
Un réseau intégré fondé sur la concertation
L'importance capitale du financement public
Les risques du financement privé

Les origines privées du réseau universitaire québécois

Il y a quarante-cinq ans, à la fin des années 1950, six universités constituaient le système universitaire québécois, dont trois de langue française, les Universités Laval, de Montréal et de Sherbrooke, et trois de langue anglaise, les Universités McGill, Bishop's et Sir George Williams. Privées, elles se finançaient à partir de leurs fonds propres provenant de leurs dotations, des congrégations religieuses, des frais de scolarité perçus, des campagnes de financement et des appuis gouvernementaux discrétionnaires. La recherche menée par les professeurs ne bénéficiait pas de subventions institution­nalisées; elle reposait sur les seules commandites. Le nombre total d'inscriptions dans les universités québécoises était de l'ordre de 30 000.

Le système universitaire était alors fragmenté, dénué de toute perspective globale et de moyens financiers véritables, réservé à une minorité de privilégiés, dirigé par les institutions religieuses, dépourvu de tout ensemble de lois assurant un fonctionnement unifié et un processus démocratique de décision et de contrôle. Le véritable coup d'envoi de la réforme de l'éducation a été donné par les recommandations de la Commission royale d'enquête sur l'éducation instituée en 1961 par le gouvernement libéral nouvellement élu de Jean Lesage. Cette commission, présidée par Monseigneur Alphonse-Marie Parent, recteur de l'Université Laval, a publié de 1963 à 1965 un rapport en trois parties recommandant la création d'un ministère de l'Éducation, chargé de promouvoir et de coordonner l'enseignement à tous les niveaux, de la maternelle jusqu'à l'université, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, un Conseil supérieur de l'éducation et un Conseil des universités.

Ce n'est qu'en 1968, avec l'adoption de la Loi de l'Université du Québec, que le gouvernement créa ce qui avait été envisagé au départ comme l'embryon du réseau public national des universités au Québec. Il vaut la peine d'insister sur l'esprit dans lequel la Loi de l'Université du Québec avait été conçue. Selon le sociologue Guy Rocher, qui a été membre de la Commission Parent, des hauts fonction­naires du ministère de l'Éducation avaient conçu en 1965 le projet d'un réseau universitaire national, « l'Université du Québec totale » réunissant l'ensemble des établissements, anglophones et francophones. On se replia ensuite sur un projet différent, celui de la création, dans un premier temps, du seul réseau des constituantes de l'Université du Québec. Par les tensions qu'elle susciterait, l'UQ jouerait le rôle du « virus introduit dans le système », qui mènerait par la suite à l'Université du Québec totale.

L'objectif réel de la fondation de l'Université du Québec était la constitu-tion d'un réseau universitaire public unique et dans cette perspective la Loi de 1968 permettait l'intégration à l'Université du Québec de toute université existante qui reconnaîtrait sa dimension publique. Or, les universités privées ont décliné cette invitation qui leur était faite de se joindre au réseau de l'université publique. Elles se sont prévalu de la possibilité qui leur était offerte de garder leur caractère privé et de recevoir néanmoins l’essentiel de leur financement à partir de fonds publics, comme d'ailleurs les universités de langue anglaise. Prévue au départ comme l'embryon du réseau national des universités, l'Université du Québec est demeurée le réseau de ses propres constituantes, le réseau public assumant seul le développement essentiel des services universitaires à l'extérieur des grands centres. Un seul établissement existant est venu s'intégrer au réseau de l'UQ, soit l'Institut Armand-Frappier (IAF), ancien Institut de microbiologie et d'hygiène de l'Université de Montréal, en 1975. L'UQ, avec ses onze constituantes, est depuis lors considérée par la Loi comme une des neuf universités québécoises, au même titre que les huit autres (Laval, Montréal, Sherbrooke, Polytechnique, HÉC, McGill, Concordia, Bishop's).

Au lieu de devenir le lieu d'intégration de toutes les universités, chacune ayant le même statut à l'intérieur d'une totalité, l’UQ compte comme une composante publique d'un « réseau » d'universités privées. On peut souhaiter que les établis-sements se concertent dans le système existant, mais cela ne dépend que de leur bon vouloir. Aucun cadre institutionnel ne les y oblige. Objectivement, en tant qu'établissements privés, ils sont plutôt dans une situation concurrentielle les uns par rapport aux autres. Une chose surtout les réunit: le fait qu'ils dépendent tous du financement public, source de la plus grande partie de leurs revenus. Ils ne sont pas incités à une vision commune de leurs tâches et obligations comme composantes complémentaires d'un réseau complet qui se penserait comme une totalité. Ils sont plutôt poussés à se mesurer, à rivaliser, à penser chacun aux intérêts propres de l'établissement.Un réseau intégré fondé sur la concertation

Pour corriger cette situation et favoriser le développement d'un véritable réseau universitaire intégré fondé sur la concertation, constitué d'établissements à part entière répartis sur l'ensemble du territoire, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université proposait en 1997 les moyens suivants: 

- la création d’une Commission nationale des Universités, permanente, publique, indépendante et multipartite chargée de promouvoir le développement du réseau universitaire dans sa totalité;

- la transformation du statut de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec en celui d’un organisme public regroupant les établissements reconnus en vertu de la Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire; la révision des mandats publics confiés à cet organisme afin d’assurer la  démarcation entre les mandats de nature académique qui devraient relever de la Commission nationale des Universités, et ceux qui relèvent de l’administration proprement dite des établissements.

Aujourd'hui en 2004, quarante ans après la création du ministère de l'Éducation, ils sont toujours à l'ordre du jour.

L'importance capitale du financement public

La défense de l'université publique ne peut, il va sans dire, signifier la seule défense de la fraction authentiquement publique du réseau, à savoir l'Université du Québec. La défense de l'université publique aujourd'hui signifie la défense de l'institution universitaire en tant que service public, ce qui implique, cela va de soi, la défense du réseau dans sa totalité. Pour réaliser sa mission, l'université doit être autonome, libre de la définition de ses programmes et de l’orientation de sa recherche et pour cela, elle doit être indépendante de tout organisme extérieur, gouvernements, entreprise privée, corporation professionnelle, etc., ainsi que de toute influence économique, politique ou religieuse.

Ces conditions supposent un financement public adéquat, en l’absence duquel l'université se trouve forcée de recourir à des sources privées de financement, qui ne sont jamais inconditionnelles. Elle devient dès lors perméable aux influences extérieures. Quand une entreprise apporte une participation financière, c’est rare qu’elle soit désintéressée. Elle le fait avec l'objectif de développer des créneaux axés sur ses besoins propres. Cela ne peut qu’influer sur l’orientation de la recherche qui devient de plus en plus une recherche directement utilitaire, c’est-à-dire axée sur des besoins immédiats et particuliers, au détriment de la recherche libre et fondamentale qui est le véritable pivot du développement de la connaissance en général. L'université doit être au service de l'ensemble de la société. Toutes les composantes de la société bénéficient de son apport au développement culturel, scientifique et économique, et il est normal qu'elles y contribuent par une fiscalité adéquate. L'entreprise, qui est l'un des principaux bénéficiaires de l'apport de l'université, doit être associée à son financement, non par une contribution directe, mais par l'intermédiaire de la fiscalité.

Les risques du financement privé

Au-delà de la réaffirmation de ce principe de base, il faut reconnaître qu'il est également dangereux de miser sur le financement privé au moment où le gouvernement cherche tous les moyens de se défiler de son obligation à l'endroit du financement public. Une campagne financière fructueuse permettant de récolter des dons privés ne peut que donner des arguments au gouvernement pour justifier son désengagement, s'appuyant sur le fait que les universités sont capables d'aller chercher dans le privé les fonds qui leur manquent. Pour faire un parallèle avec une situation analogue, rappelons qu'au milieu des années 1990, à l'UQAM en particulier, la réponse positive des divers corps d'emploi aux demandes de concessions financières qui avaient été réclamées par l'administration sevrée de fonds publics par le gouvernement n'a servi qu'à faire la preuve au gouvernement de ce que l'UQAM pouvait au moins partiellement se sortir seule du marasme et n'a contribué qu'à aggraver la situation : chaque année, les demandes de concessions formulées par l'administration augmentaient. La situation financière des universités ne s'est améliorée que lorsque le gouvernement a commencé à rétablir son financement.

Un autre effet pervers de la recherche de financement privé est l'intolérable course à la concurrence entre les universités que cela entraîne, avec les conséquences négatives inévitables pour les perdantes. Ce n'est certes pas la voie qui permet de réaliser l'équité dans le financement d'un réseau dont toutes les composantes doivent bénéficier des mêmes normes de financement. La sollicitation de fonds privés représente par ailleurs un risque réel de perte d'indépendance à l'égard des bailleurs de fonds. Comment, dans l'actuelle campagne de financement de l'UQAM par exemple, critiquer sans réserve la répugnante pratique de la rémunération des cadres supérieurs à partir des options d'achat d'actions lorsqu'on trouve les principaux bénéficiaires de cette pratique parmi les membres du comité de parrainage de la campagne, choisis parmi les têtes d'affiche du monde des affaires ? 170 millions de dollars en deux mois ! Voilà ce que vient de toucher Robert Gratton, président et chef de direction de la Corporation financière Power, dont le fils héritier du président fondateur, Paul Desmarais Jr, est membre du comité de parrainage. Et ce n'est pas tout. Il aura touché la modeste somme de 500 millions lorsqu'il aura exercé les trois millions d'actions qui lui restent.

L'UQAM soutient-elle Yves Michaud lorsqu'il dénonce ce « gavage éhonté » des dirigeants de grandes sociétés, ainsi que l'inflation des rémunérations sous forme de jetons de présence versés par la Banque nationale aux figurants yes men de son Conseil d'administration, lorsqu'on sait que le président et chef de la direction de la BN, Réal Raymond, est le président du comité de parrainage de sa campagne de financement ? Va-t-elle mordre la main qui la nourrit, même si cette main ne contribue à la nourrir que de miettes lorsqu'on compare l'objectif de financement de 50 millions de dollars sur plusieurs années aux sommes comparables que plusieurs cadres supérieurs empochent en quelques jours et sur lesquelles ils sont taxés à un taux inférieur à celui que nous payons en impôts sur nos revenus salariaux ? N'est-il pas embarrassant pour elle de se trouver dans la position de cautionner et de présenter publiquement comme de généreux mécènes voués à sa cause les individus de cette clique parasitaire privilégiée ?

Comment évaluer par ailleurs sans contrainte la pertinence du développement de centrales électriques au gaz plutôt que le développement de la filière éolienne lorsque Hydro-Québec, entreprise publique qui verse pourtant ses dividendes au gouvernement, intervient à son propre compte pour financer les universités à la manière d'une entreprise privée, en exigeant par ailleurs d'elles qu'elles lui donnent un kiosque dans ses locaux ? Comment répondrons-nous aux entreprises privées lorsqu'elles nous proposeront le même type de financement, comme elles le font depuis un certain temps déjà dans certains établissements où chaque salle de cours porte le nom d'une entreprise ?


Fin


Revenir au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste, professeur retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 février 2007 19:40
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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