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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, Pierre Vadeboncoeur et autres, “Débat sur “l’action politique” entre Pierre Vadeboncoeur, Louis Gill et autres participants.” Articles parus dans le journal LE JOUR, Montréal, entre le 21 février et le 15 août 1975. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 11 janvier 2005.]

Débat sur “l’action politique”
entre Pierre Vadeboncoeur, Louis Gill
et autres participants
.”

Articles parus dans le journal LE JOUR, Montréal, entre le 21 février et le 15 août 1975.

1. Pierre Vadeboncoeur, “Quand l'ennemi cherche à nous briser. Contre une large politique de droite, une large politique de gauche.” In LE JOUR, Montréal, vendredi, le 21 février 1975 — le fond des choses.
2. Louis Gill, “En réponse à l'article de Pierre Vadeboncoeur. Pour une politique de gauche, les travailleurs ne doivent compter que sur leurs propres forces.” In LE JOUR, Montréal, mercredi, le 5 mars 1975 — le fond des choses.
3. Pierre Vadeboncoeur, « Chicane d'intellectuels ?... Réplique de Pierre Vadeboncoeur. "Il y a eu assez de gâchis depuis dix ans”. » In LE JOUR, Montréal, mardi, le 18 mars 1975 — le fond des choses.
4. Hubert Wallot, “Chicane d'intellectuels ?... Y a-t-il vraiment au Québec, un problème d'unité de la "gauche" ?” In LE JOUR, le lundi 24 mars 1975 — le fond des choses.
5. Jean Ayotte, “Un parti du peuple vécu par le bas...” In LE JOUR, Montréal, le 1er avril 1975 — opinion.
6. Louis Gill, “Une nécessité "objective" L'indépendance politique de la classe ouvrière, ce n'est pas du "purisme de gauche".” In LE JOUR, le samedi 3 mai 1975 — le fond des choses.
7. Gaston Laurion, “Intellectuels frustrés ? Ceux qui jouent à nous diviser sont les ennemis de notre indépendance.” In LE JOUR, le 26 mai 1975 — Document.
8. Stephen Schecter, “Le duel Vadeboncoeur-Gill. Ne pas confondre les questions urbaines, nationales et sociales. In LE JOUR, mercredi, le 11 juin 1975 — Le fond des choses.
9. Jacques Brassard, “Parler de socialisme à un peuple soumis au colonialisme est un jeu de l'esprit.” In LE JOUR, le 15 août 1975 — Le fond des choses.


— 1 —

Quand l'ennemi cherche à nous briser.
Contre une large politique de droite,
une large politique de gauche
.”

par Pierre VADEBONCOEUR

In LE JOUR, Montréal, vendredi, le 21 février 1975 — le fond des choses.

Vers la fin des années 40, au Québec, l’idée socialiste était peu de chose.

On la trouvait, radicale et doctrinale, au sein d'un petit groupe de rien du tout qui s'appelait pompeusement le Parti communiste, section québécoise, en réalité quelques douzaines de personnes, je crois bien, plus un certain nombre d'agents doubles... Tout ce monde-là, pas grand-chose en vérité, était suivi pas à pas, dans ses allées et venues, par des compères agents qui n'étaient pas doubles et qui faisaient semblant de l'épier comme une vaste cellule de dangereux conspirateurs. La publicité dudit groupuscule était d'ailleurs confiée au procureur-général Duplessis lui-même, habile comme pas un à se servir du fantôme communiste pour se faire réélire par les bonnes gens.

L'idée socialiste

L'idée socialiste, à l'époque, s'était aussi réfugiée chez les membres d'un parti social-démocrate appelé CCF, un parti assez fort dans l'Ouest pour avoir pris le pouvoir en Saskatchewan, mais composé ici de quelques centaines de personnes et peut-être moins, anglophones pour la  plupart, doublement étrangères par ce fait au milieu ; celles-ci faisaient de leur mieux tout de même, mais sans succès notable, pour acclimater un socialisme même dilué, au pays des indigènes.

Cependant, la seule chose que le pouvoir économique et politique capitaliste prenait vraiment au sérieux, c'était le mouvement syndical et, comme aujourd'hui d'ailleurs, très particulièrement la CSN (alors CTCC) et une fraction des syndicats du CIO, comme on l'a vu par la répression armée des grèves de l'amiante (1949), de Louiseville (1952) et de Murdochville un peu plus tard, ainsi que par les difficultés constantes que la CSN a subies dans les années 50de la part du pouvoir. Il y avait là un potentiel socialiste véritable, même si le socialisme, comme idéologie, y était à peu près inconnu.

Le pouvoir, qui voit loin et qui généralement voit clair, n'ajuste pas sa stratégie sur les mots mais sur les faits et sur les prolongements possibles des faits. Il combattait donc avec une brutale énergie un mouvement populaire catholique appelé CTCC (devenu depuis CSN et déconfessionnalisé), mail il faisait gratuitement, tout au contraire, une publicité extraordinaire à un groupuscule soi-disant révolutionnaire comme le P.C., qui était en réalité sans importance si ce n'est pour le pouvoir, lequel en effet entretenait soigneusement l'image du communisme parce qu'il en tirait de grands effets.

Leçon à retenir

Il y a là une leçon à retenir, dans une lutte de longue haleine. Il y a là un principe à retenir tout spécialement pour une partie de la gauche, cette partie qu'on trouve aujourd'hui trop souvent empêtrée dans des définitions littérales et devenue peu capable de voir que le combat du capitalisme pour sa survie se livre ici surtout contre des forces qui n'ont présentement rien d'extrêmement doctrinaire : d'abord les syndicats et plus particulièrement la CSN en tant que centrale, que le pouvoir, depuis plusieurs années, combat et mine de son mieux, directement ou par l’entremise d’activistes désintégrateurs: ensuite le Parti Québécois : le FRAP, en 1970 (le véritable FRAP, dois-je dire, car il y en avait deux, le doctrinaire et l'authentique, le premier ayant cherché d'ailleurs à saborder par l'intérieur cette formation que le pouvoir s'affairait à anéantir du dehors) : hier Québec-Presse, trouvé suspect par des idéologues obsédés du tout ou rien, donc, de fait, par des partisans du rien, tandis que cet hebdomadaire, les capitalistes veillaient très étroitement à le laisser crever faute de ressources : et aujourd'hui Le Jour, comme l'indépendance politique qu'il défend ; tout cela sans oublier cent autres exemples, dont le plus éclatant est le cas du RCM, le RCM appuyé par le syndicalisme, par des éléments péquistes, par des groupements populaires et par une foule de gens de gauche et de centre, mais rejeté (de concert avec les voraces de l'argent) par les inconditionnels du ghetto idéologique révolutionnaire le plus strict, alors que le peuple, pour une fois, se trouve enfin d'accord pour mener une action politique à peu près cohérente, possible, démocratique, anti-capitaliste de fait et socialiste dans la réalité vraie. Ce qui est tout de même une bonne école.

Principe stratégique

Il y a donc, disais-je, une leçon à retenir, une sorte de principe stratégique à découvrir dans cette leçon. On peut avoir des théories, et c'est très bien ; scientifiques, et c'est encore mieux. Mais à côté des théories, ou en travers de celles-ci, ou encore en contradiction avec tel ou , tel slogan ayant pourtant acquis par cent ans d'usage ses lettres de noblesse révolutionnaire, à côté de tout cela, il y a, dirais-je, quelque chose de proprement irremplaçable : il y a le sens commun. Or, le sens commun découvre tout de suite une des leçons à tirer des années 50 et des années 70. C'est une leçon presque trop simple. Elle tient en ceci. Observez le regard de l'exploiteur (ou du régime) et voyez, ce qu'il vise à tout prix : VOUS VERREZ ALORS CE QU'IL FAUT DÉFENDRE À TOUT PRIX. Le capitalisme sélectionne avec une grande précision ses cibles, j'entends celles sur lesquelles il tire vraiment et sans arrêt. Ce serait une assez grande erreur de croire que le capitalisme et le gouvernement s'en font outre-mesure avec les îlots marxistes qu'on trouve çà et là. Ils n’aiment pas les marxistes, c'est entendu, et ils préféreraient certes qu'il n'y. en eût pas. Mais il y en a, autant l'admettre, et pourquoi ne pas utiliser les erreurs que certains d'entre eux ne sont que trop enclins à commettre, notamment celle qui consiste à combattre pas mal d'adversaires du régime ? L'existence des marxistes n'est donc pas à mon avis ce qui inquiète et dérange beaucoup le pouvoir. Ce serait une belle naïveté de prétendre le contraire, au reste, quand on sait pertinemment qu'il subventionne directement certains organismes militants où s'agglutinent, parmi d’autres personnes bien sûr. un nombre appréciable de marxistes, ce qu'il n'est pas sans savoir, et ce qu'il sait, dirais-je, mieux que quiconque, parce qu'il est parfaitement renseigné. Pour le gouvernement capitaliste ; le marxisme est un mal, c'est certain, mais il n'est que trop évident que la présence de marxistes ici ou là ne constitue pas à ses yeux un mal sans mélange, et, le moins qu'on puisse dire, raisonnablement je pense, c'est que, au nombre de ses ennemis, ceux-ci ne comptent pas parmi les gros numéros.

Mais qu'est-ce que le pouvoir capitaliste économique et politique vise et combat de toutes ses forces et primordialement, pensez-vous ? Qu'est-ce qu'il veut, non pas seulement harceler, mais détruire ? Ce qu'il veut détruire, ce qu'il combat à la fois d’une manière  ouverte et d'une manière cachée, mais sans répit et avec le plus grand déploiement de moyens, c’est le Parti Québécois, c'est l'idée d’indépendance du Québec, c'était Québec-Presse, c'est Le Jour, ce sont les mouvements sociaux authentiques, c'est la langue française, c'est la culture québécoise, et c'est la cohésion même d'un peuple qui ne rentre pas dans le rang assez facilement à son goût.

Socialisme d'ici ?

Ces évidences méritent certaines réflexions. On ne leur en accorde guère, dans certains coins. Le socialisme a poussé ici comme un champignon, comme d'autres choses d'ailleurs. au cours des quinze dernières années. Je ne blâme pas les novateurs, j’en étais un moi-même ; je dis simplement qu'ils innovaient absolument, ce qui est beaucoup, ce qui est trop. Que voulez-vous ? En un sens auparavant il n’y avait rien. Le. socialisme d'ici, comme à peu près n importe quoi d'autre et de nouveau, est sans racines historiques, sans tradition, sans expérience et j'oserais dire sans assez de compétence puisqu'il connaît peu de choses autrement que par les livres. Ce fait n'est pas sans conséquence. Une des conséquences de ce défaut d'expérience et de, souvenirs historiques propres, c'est quelquefois la légèreté dans la pensée et dans l'action. Le partisan d'ici sort avec son fusil et il lui arrive de tirer n'importe comment et sur n'importe quoi.

Or, le capitalisme redoute surtout les mouvements qui ont pris une ampleur populaire et qui, étant profondément indépendants de lui, sont hostiles ou tout au moins critiques à son égard. Ces mouvements ou partis s'étendent au niveau même du peuple, dont ils changent plutôt largement les pensées. Ils peuvent atteindre celui-ci, ils ont la crédibilité 'et les moyens d'accès nécessaires. De plus, ils parlent de politique en termes de pouvoir. Ils sont dangereux au moins potentiellement. Aux États-Unis, l'establishment a tout fait pour éviter que progressent de tels partis et mouvements de masse et que se prépare de la sorte et de loin une autre politique que la sienne. Il y a réussi. Or ils existent ici. Il faut par conséquent leur faire une guerre à finir. La politique capitaliste, au Québec, est donc particulièrement nette à ce point de vue : elle consiste à essayer de démolir tout mouvement syndical le moindrement idéologique (notamment le seul, je pense, désigné nommément par le rapport Fantus, la CSN), ainsi que le Parti de l'indépendance, l'idée d'indépendance, le règne du français, et ainsi de suite.

La gauche impuissante

L'état-major capitaliste se soucie assez peu des francs-tireurs plus ou moins isolés, fussent-ils idéologiquement armés jusqu'aux dents ; il s'attaque à de grands groupes autonomes, avec une force et avec une astuce sans pareilles, même s'ils sont beaucoup moins à craindre par leur idéologie. Le capitalisme désigne lui-même ses adversaires par ses attitudes et par tous les signes possibles, mais cela n'impressionne pas particulièrement certains éléments de la gauche. Pendant que le Boche bombarde le Belge, moi je m'amuse à tirer sur le Belge parce que je trouve qu'il se défend incorrectement contre le Boche : c'est ainsi en tout cas que quelques éléments de la gauche ont l'air de raisonner. On a sapé le FRAP. On aurait voulu détruire le RCM. On a tiré sur Québec-Presse. On tire sur Le Jour. On s'attaque au PQ. On se moque de l'indépendance. On cesse de se préoccuper de la langue. On ne se lève plus pour défendre la cohésion québécoise. Fort bien. Mais, cela coïncide, excusez-moi, avec la politique de toute la droite.

Il faut de toute nécessité prendre les mesures de la stratégie de la droite. La droite fuit une grande politique de situation. Elle manœuvre à une échelle de perspectives. Elle s'en prend à de larges états de choses on réalités susceptibles de servir éventuellement de bases à une large action de contestation et d'indépendance. Elle s'attaque donc à ce que j'ai énuméré, si éloignées du socialisme que certaines de ces réalités-là paraissent. Elle fait une politique de grande prévention. Elle fait de la politique, elle ne fait pas de la littérature, même politique. C'est son avantage. Malheureusement, une certaine gauche paraît n'avoir rien à opposer à une politique de cette ampleur. Bien au contraire. Parfois, non seulement laisse-t-elle faire, mais elle fait la même chose pour son compte, précisément contre ces bases dont je parle.

Quant à la CSN, permettez-moi de vous le dire, pour les raisons que j'ai mentionnées c'est la prunelle de mes yeux. Elle est justement une de ces bases. Elle est une de ces choses qu'il faut à tout prix protéger, dans son ensemble comme dans ses parties. Or, il y a des gens qui, soi-disant pour se conformer à quelque principe de l'enseignement de toutes les gauches, s'amusent à secouer tel ou tel coin de cet édifice syndical, invoquant de grands, de très grands principes, bien entendu, des principes qu'il faut saluer jusqu'à terre — mais au péril d'y rester ! La dernière idée venue dans ce goût-là, c'est qu'il faudrait qu'en vertu de l'idéal égalitaire, les syndicats et les fédérations syndicales affiliées de professionnels, de cadres ou de quelconques diplômés se fondent dans des syndicats industriels avec tous les autres travailleurs syndiqués. Or, cela n'est pas absolument souhaitable, premièrement parce que les syndiqués de ces catégories refuseraient, deuxièmement parce que cela n'est pas absolument nécessaire, troisièmement parce qu'ils sont aussi syndiqués et aussi solidaires avec d'autres que n'importe qui et quatrièmement parce que personne n'a le droit de porter atteinte à la CSN en éloignant des groupes qui constituent une partie relativement importante de sa force, fût-ce sous prétexte de vouloir les intégrer organiquement aux autres syndiqués selon l'idée d'une révolution culturelle infiniment prématurée et qui pour cette raison restera pratiquement hors de question pour longtemps. (Si les idéologues qui conçoivent de pareils raccourcis voulaient étendre leur révolution culturelle éclair à quelques autres groupes, — des travailleurs d'usines cette fois ; — ils pourraient peut-être aller trouver les papetiers ; dont les salaires font peut-être deux fois ceux des tisserands, afin de les haranguer sur la nécessité d'une égalité relative dans la rémunération de tous les travailleurs sans exception : mais je doute fort qu'ils resteraient longtemps sur la tribune s'ils proposaient à cette main-d'oeuvre de renoncer pour cela dans une mesure appréciable à pousser son avantage propre. La théorie, voyez-vous, ne s'applique pas telle quelle sur la réalité comme sur un quadrillé.)

L'ennemi guette...

Je me résume ou je termine : Le socialisme est trop précieux pour qu’on néglige de le rendre extrêmement astucieux. La lutte contre le capitalisme est trop importante, trop difficile et trop délicate pour s'inspirer d'un esprit le moindrement sommaire. Il y. a d'immenses carrés à protéger dans le déroulement général de cette lutte. Il y a de vastes terrains à éviter d'exposer. Je crois les avoir suffisamment évoqués tout à l'heure. La stratégie n'est pas simple. Il faut tenir beaucoup de Choses ensemble. Il ne faut pas découvrir tel ou tel front, même s'il n'a pas de relation directe avec l'objectif dernier. Il y aurait beaucoup de choses à dire encore autour de ces questions. Par exemple, quelques-unes de nos forces s'appuient toujours sur quelques autres, qui n'ont pas toujours un lien évident avec les premières, surtout aux yeux de gens qui ont de la doctrine mais justement peut-être un peu trop de doctrine. Il est capital d'éviter d'abattre des appuis même lointains et même paradoxaux. Il faut au contraire les soutenir. Autrement on arriverait vite à des extrémités qui seraient de toute évidence des absurdités, par exemple celle-ci (qui est très grosse, mais il y en a de plus subtiles) : que la lutte socialiste peut I se passer de la lutte pour la convention collective, laquelle est tout de même aussi une façon de composer avec l'adversaire, quoiqu'on dise.

Aussi bien, quand je vois certaines personnes laisser tomber la lutte nationale (ou ceux qui la font effectivement, ce qui revient au même), ou encore faire bon marché de tel ou tel morceau de la CSN, alors que l'ennemi guette le moyen de briser l'une et l'autre, je me dis, quelle que soit l'honnêteté des personnes en cause, qu'il y a des étroitesses de vues qui ne sont pas permises. Est-ce Talleyrand ou quelqu'un d'autre qui disait à peu près ceci : "Il y a quelque chose de plus impardonnable qu'une faute : c'est une erreur... "


— 2 —

En réponse à l'article de Pierre Vadeboncoeur.

Pour une politique de gauche,
les travailleurs ne doivent compter
que sur leurs propres forces
.”

par Louis GILL

économiste à l'UQAM membre du SPUQ-CSN,
délégué au Conseil Central de Montréal (CSN) et au Conseil Confédéral de la CSN

In LE JOUR, Montréal, mercredi, le 5 mars 1975 — le fond des choses.

Récemment, Pierre Vadeboncoeur, reconnu par d'aucuns comme l'idéologue de la CSN, écrivait dans le journal Le Jour (21 fév. 75) un article intitulé "Contre une large politique de droite, une large politique de gauche". Pour ceux qui connaissent les idées politiques de Vadeboncoeur, cet article ne constitue aucune surprise ; il y a réitéré son option péquiste. Mais l'article fournit aussi à l'auteur l'occasion d'un nouveau défoulement contre la gauche, ce qui ne crée aucune surprise, non plus. On y retrouve le ton de ses nombreuses attaques contre "la gauche doctrinaire, les îlots marxistes, les inconditionnels du ghetto idéologique révolutionnaire le plus strict, les activistes désintégrateurs, la gauche dogmatique, impuissante, voire même imbécile."

Toutes ces injures sont des lieux communs dans le vocabulaire de Vadeboncoeur pour caractériser ceux qui ne défendent pas ses propres politiques, c'est-à-dire des politiques nationalistes.

Ne seront pas surpris non plus de lire ces propos ceux qui connaissent la nouvelle thèse que notre idéologue explique à qui veut bien l'entendre, celle de l'impossibilité de la révolution au Québec, thèse qui serait comprise par les travailleurs, qui, de ce fait, seraient rendus beaucoup plus loin qu'on pense, selon l'expression de Vadeboncoeur lui-même.

L'union de toutes les classes

Cette "large politique" de Vadeboncoeur est celle de l'union de toutes les classes réunies dans le PQ ou ses consorts, dans la lutte pour l'indépendance nationale, vue comme l'étape à franchir avant de combattre pour le socialisme. C'est là que la bourgeoisie fait bon ménage avec la classe ouvrière dans un combat commun où la classe ouvrière doit docilement fermer les yeux sur les conflits de classes, sur les affrontements de tous les jours, au profit de la "cohésion québécoise".

Selon lui, ceux qui s'opposent à cette politique font le jeu du gouvernement. Ceux qui s'opposent à cette politique s'opposent aux forces anti-capitalistes, qui, d'après lui, s'incarneraient au niveau syndical, dans la seule CSN, et au niveau politique, dans le PQ au niveau national et le RCM à Montréal, forces à l'intérieur desquelles,

"le peuple, pour une fois, se trouve enfin d'accord pour mener une action à peu près cohérente, possible, démocratique, anticapitaliste de fait et socialiste dans la réalité vraie, ce qui est tout de même une bonne école".

Identifiés comme éléments anticapitalistes, ces partis deviennent la cible privilégiée du pouvoir. En effet, nous dit-il candidement :

"Mais qu'est-ce que le pouvoir capitaliste économique et politique vise et combat de toutes ses forces et primordialement, pensez-vous ? qu'est-ce qu'il veut non pas seulement harceler, mais détruire ? Ce qu'il veut détruire, ce qu'il combat à la fois et d'une manière ouverte et d'une manière cachée, mais sans répit et avec le plus grand déploiement de moyens, c'est le PQ, c'est l'idée d'indépendance du Québec..., ce sont les mouvements sociaux authentiques, c'est la langue française, c'est la culture québécoise, et c'est la cohésion même d'un peuple qui ne rentre pas dans le rang assez facilement à son goût".


À la "bonne école"

Les travailleurs seront surpris d'apprendre que la principale cible du pouvoir est le PQ, etc., alors que tous les jours ils essuient ses foudres : injonctions, lois spéciales, législation anti-ouvrière, vie chère, insécurité au travail, etc. Ils seront surpris aussi d'apprendre à la "bonne école" de Vadeboncoeur qu'ils doivent compter sur les moyens des autres pour se libérer, eux à qui on ne cesse de répéter qu'il ne faut compter que sur ses propres moyens depuis la parution du document de la CSN qui porte ce titre. Ils seront aussi surpris d'apprendre qu'ils doivent lutter pour la cohésion québécoise et non pour leur émancipation en tant que classe. Mais ils ne sauront être dupes de cette gigantesque mystification qui consiste à faire du PQ et du RCM des partis "anticapitalistes de fait" et "socialistes dans la réalité vraie".

Des partis anticapitalistes ?

Pourtant Vadeboncoeur admet que le capitalisme redoute surtout les mouvements "qui ont pris une ampleur populaire" et qui sont "profondément indépendants" du système. Mais en quoi le RCM, en quoi le PQ sont-ils profondément indépendants du capitalisme ? Le PQ soutient-il ou non les intérêts de l'entreprise privée, petite, moyenne ou grosse, en un mot le système du profit ? En quoi le PQ et le RCM défendent-ils inconditionnellement les intérêts des travailleurs ? En quoi sont-ils contrôlés exclusivement par les travailleurs ? Le PQ n'a-t-il pas voté avec le gouvernement Bourassa il y a deux ans pour casser la grève de l'Hydro par le bill 73 ? Couture du RCM n'a-t-il pas demandé aux pompiers de Montréal de mettre fin à leur grève à la veille des élections municipales de novembre dernier ?

Les inconditionnels du ghetto idéologique

Et lorsque des militants du mouvement syndical prennent conscience de la nécessité de construire une force politique autonome, indépendante de tous les partis bourgeois, exclusivement contrôlée par eux, et refusent de participer à tout autre projet pour se consacrer uniquement à la poursuite de cet objectif, Vadeboncoeur les classe parmi les "inconditionnels du ghetto idéologique révolutionnaire le plus strict", pire encore, il les range du côté des "voraces de l'argent".   .

Faut-il lui rappeler que si une telle force n'est pas née à Montréal, que si elle a avorté du RCM, regroupement bâtard qui s'est construit sur l'échec de l'indépendance politique de la classe ouvrière, c'est à cause de l'opposition systématique des lieutenants du PQ dans le mouvement syndical, qui avec quelques gauchistes, ont voté contre la formation d'un tel parti ouvrier parce que sa création risquerait de nuire au PQ, parti nationaliste ?

Faut-il lui rappeler que les péquistes s'opposaient à ce que les syndicats appuient la formation d’un parti ouvrier, mais voyaient d’un bon œil qu’ils appuient la formation d’un parti non contrôlé par les travailleurs ? Confions à d’autres le soin de nous libérer, mais continuons de proclamer le slogan bien connu de la CSN : « Ne comptons que sur nos propres moyens ». Voilà la logique de notre idéologue qui feint, par surcroît, de déplorer la mort du FRAP, tout en acclamant la naissance du RCM.

Hier, le parti libéral, aujourd'hui le PQ

 Dans les années 60, cette large politique de gauche, préconisée par Vadeboncoeur, prenait la forme d'un appui aux libéraux de Jean Lesage et René Lévesque. En effet, dans les années 60, en vertu de cette politique, la CSN appuyait le Parti' Libéral contre l'Union Nationale. II fallait appuyer le parti (bourgeois) qui était le plus près de nous, le plus. "démocrate", le plus propre. Dans les années 70, le parti libéral, qu'il fallait auparavant appuyer, est maintenant au pouvoir et fait par rapport aux travailleurs la même politique anti-ouvrière que l'Union Nationale quand elle était au pouvoir. Il faut donc maintenant, selon Vadeboncoeur, dans la même logique d'une "large politique de gauche", appuyer le PQ du même René Lévesque, c'est-à-dire le parti qui est le plus près de nous, le plus "démocrate", le plus propre.

Et ainsi, de 10 ans en 10 ans, l'histoire se répétera sans que le mouvement ouvrier n'ait fait un pas dans le sens dé son émancipation.

Pas de tradition ouvrière ?

Mais, Vadeboncoeur nous l'apprend, nous vivons au Québec dans une situation bien particulière où le socialisme "d'ici"

"a poussé comme un champignon,..., au cours des 15 dernières ' années... Que voulez-vous ? En un sens, auparavant, il n'y avait rien. Le socialisme d'ici..., est sans racines historiques, sans traditions."

Dire cela sans sourciller est assez gros. C'est raconter à sa façon, celle de Vadeboncoeur, l'histoire du mouvement ouvrier québécois, c'est nier 150 ans de cette histoire avec ses succès, ses échecs, ses flux, ses reflux, ses nombreuses tentatives d'action politique autonome. Au lieu de se limiter à pleurer, avec raison, la mort de Québec-Presse, Vadeboncoeur aurait mieux fait de le lire et en particulier le supplément du 1er mai 1973 : "150 ans de luttes ouvrières au Québec" et le supplément du 1 er mai 1974 : "Histoire du 1er mai au Québec".

Il y aurait appris que le "socialisme d'ici" n'a pas poussé comme un champignon au cours des 15 dernières années, mais tire ses" souches dans une longue histoire. Par ailleurs, s'il faut reconnaître que . ces traditions ouvrières québécoises sont mal connues aujourd'hui, il ne faudrait surtout pas oublier comment la CTCC (l'ancêtre de la CSN), et ses dirigeants catholiques de l'époque, ainsi que les "labour  bosses" des syndicats d'affaires affiliés à d'autres centrales, ont expurgé le mouvement ouvrier de ces traditions, à l'époque où on nettoyait les syndicats de ses dangereux éléments communistes. Il ne faudrait pas oublier non plus comment, sous une forme ou sous une autre, on a appuyé et on continue encore à appuyer effectivement les partis politiques bourgeois en pratiquant officiellement la "neutralité" ou la non-partisannerie politique.

Bien sûr, mieux vaut faire table rase de ces racines historiques, mieux vaut oublier, ou en tout cas ne pas raviver ces traditions ouvrières pour laisser la place toute grande à d'autres traditions, les traditions nationales. Cela permet plus facilement de déboucher sur la large politique de "gauche" préconisée par Vadeboncoeur.

Mêler les cartes

Cela permet aussi plus facilement de mêler les cartes en mettant dans le même sac ceux qui ont démoli le FRAP (parti ouvrier) et ceux qui se sont opposés à la formation du RCM (parti qui n'est en rien contrôlé par les travailleurs même s'il a reçu l'appui syndical lors de sa formation) ; ceux qui ont "tiré" sur Québec-Presse (journal contrôlé par les travailleurs) et ceux qui refusent de financer le "Jour" (journal bourgeois sur lequel les travailleurs n’ont aucun contrôle). On reconnaît dans cette tactique de l'amalgame la tactique traditionnelle de la droite qui consiste à tout mettre dans le même paquet pour mieux écraser en entraînant la confusion.

Les sophistes jésuitiques de l'arrière-garde syndicale et chasseurs de sorcières à la Vadeboncoeur font essentiellement une politique droitière. Si le mouvement ouvrier essuie, maintenant du dehors, les foudres de ses anciens appuis (Trudeau, Pelletier) et dirigeants (Marchand), on constate que de plus en plus, objectivement, les forces droitières à l'intérieur du mouvement imposent les mêmes freins à son émancipation.

Politique et syndicalisme

Ce qui est vrai sur le plan politique est aussi vrai sur le plan syndical. Gratte-papier, manieur de phrase, mauvais faiseur de prose, qui s'écoute parler ou se regarde écrire, Vadeboncoeur répand ses idées par écrit, mais il lui arrive aussi de le faire oralement comme ce fut le cas au Conseil Confédéral de la CSN, le 4 septembre dernier, convoqué spécialement pour discuter des formes d'appui que la CSN apporterait aux ouvriers en grève de la CTCUM. Intervenant dans le débat sur les moyens d'action concrets proposés par l'Assemblée générale du Conseil Central de Montréal, Vadeboncoeur ne s'était pas gêné pour dénoncer "l'inflation verbale" de la "gauche imbécile" du Conseil Central de Montréal, injuriant ainsi directement les ouvriers en grève de la CTCUM dont émanait la proposition qui avait ensuite été adoptée unanimement par les travailleurs délégués au Conseil Central. À l'encontre de cette proposition qui demandait une véritable mobilisation du mouvement en vue d'appuyer concrètement les grévistes, Vadeboncoeur favorisait une solution du type de celle qui avait été retenue en France contre les travailleurs en vue de leur arracher les bénéfices de la grève générale de mai-juin 68 (les accords de Grenelle), et qui aurait impliqué un jeu de coulisse entre hauts personnages politiques, patronaux et syndicaux (entre autres, Robert Burns du PQ, désigné spécialement par Bourassa lui-même comme médiateur éventuel dans le conflit), mais qui ne prévoyait aucune mobilisation des travailleurs.

Tout cela relève de la même politique qu'on ne saurait qualifier de "large politique de gauche" à moins de vouloir entretenir la mystification dans l'esprit des travailleurs.

La victoire des ouvriers de la CTCUM, grâce à l'appui massif des travailleurs de la région de Montréal sur les lignes de piquetage, devait par la suite démontrer hors de tout doute la nécessité de ne s'appuyer que sur les forces des travailleurs pour gagner des batailles. Et cela est aussi vrai des batailles politiques que des batailles syndicales ; dans tous les cas, les travailleurs ne doivent compter que sur leurs propres forces. C'est la prémisse fondamentale d'une politique de gauche, quoi qu'en pensent les idéologues à la Vadeboncoeur.

(1) "NE  COMPTONS QUE SUR NOS PROPRES MOYENS*, voilà la logique de notre idéologue qui feint, par surcroît, de déplorer la mort du FRAP, tout en acclamant la naissance du RCM.

Cette note de bas de page, qui avait été introduite dans le montage de la reproduction de l’article pour compenser l’omission d’une partie du texte dans ce montage, a été réintroduite dans le corps du texte. (LG)


— 3 —

« Chicane d'intellectuels ?...
Réplique de Pierre Vadeboncoeur.
"Il y a eu assez de gâchis depuis dix ans”
. »

par Pierre VADEBONCOEUR

In LE JOUR, Montréal, mardi, le 18 mars 1975 — le fond des choses.

Il ne faut pas perdre de vue la problématique de la gauche. Je sauterai donc par-dessus la rage de M. Gill contre moi ; elle n'a rien à voir avec le fond du problème. [1]

Il importe d'interroger la gauche, ce qui à gauche ne se fait plus, sauf entre chapelles ; il paraît que cela sied mal. M. Gill semblerait penser qu'on n'en a pas le droit, si ce n'est dans l'orthodoxie. Mais les questions se pressent de plus en plus dans l'esprit de pas mal de gens, beaucoup n'ont plus en effet l'intention de s'abstenir de discuter un certain type de comportements et d'opinions simplement parce que ceux-ci se recommandent d'une critique radicale. Il y a eu assez de gâchis depuis dix ans : cela devrait suffire. Parmi ceux-ci, j'ai oublié de mentionner, l'autre jour, le sabordage des syndicats étudiants, vers .1969, et les tentatives récentes que l’on a faites pour empêcher qu'ils ne renaissent. Il ne s'agit pas ici de M. Gill, mais je soutiens et répète que ce genre d'intentions coïncident avec celles de la droite. Il est à peu près temps qu'on s'en rende compte.

Purisme

Un des reproches que l'on peut faire à un certain purisme de gauche, c'est qu'il s'interdit un large éventail d'actions de gauche, d'actions limitées, d'actions tactiques, d'actions possibles, d'actions critiques, sur un front ou sur un autre, avec du monde réel et compte tenu du degré véritable de la conscience politique, dans la situation concrète. Je suis assez enchanté d'apprendre que M. Gill est contre le RCM. Cela est clair et cela vous classe un type. Pas de RCM ? Vraiment ? Eh bien ! autant dire qu'il est impossible de se mettre politiquement au travail, tout comme il le serait de se mettre syndicalement au travail si l'on exigeait de chaque syndicat qu'il fût le dernier mot de l'orthodoxie révolutionnaire. De telles évidences paraissent échapper à M. Gill. La complexité d'une action multiforme et à plusieurs degrés est-elle donc pour lui si difficile à concevoir, et lui faut-il absolument la réduire à quelque chose de simple comme un parti strictement révolutionnaire, sous peine de la condamner si elle n'a pas cette simplicité-là ? Penser que l'on peut s'attaquer au capitalisme par le seul biais du marxisme en toutes lettres, c’est aussi court que, pour un capitaliste, de penser que le capitalisme ne doit combattre que des marxistes et du marxisme, ce qui serait absurde.

Une contradiction

Le rejet du RCM n'empêche nullement d'ailleurs M. Gill de préconiser la fondation prochaine d'un parti de travailleurs. Un parti, vous avez entendu, et non pas un groupuscule. Or, dites-moi comment un tel parti pourrait exister — (un parti, à ce qu'il dit, et non pas un groupe, non pas quelques cellules, mais un parti), dites-moi comment un parti de travailleurs pourrait exister au Québec, d'ici longtemps, à moins d'être tout bonnement social-démocrate, réformiste, composite, nullement marxiste, bref une autre édition du RCM, chose que précisément M. Gill rejette. M. Gill veut une chose, et très précisément il veut une chose dont il ne voudrait plus si elle venait à exister, car la réalité ferait nécessairement que le rejeton serait bâtard sous peine de ne pas être.

M. Gill se trouve donc dans un parfait dilemme. Ou bien il pense à un parti selon ses vœux et ses idées, et alors ce parti ne peut exister comme parti ; ou bien il pense à un parti plus ou moins social-démocrate, mais alors, puisqu'il rejette le RCM, le voilà en pleine contradiction.

Je voudrais bien pouvoir lui donner mais j'en suis tout à fait incapable. Je ne puis m'empêcher de dire que le cheminement politique est sinueux, compliqué, fait d'éléments très divers, tributaire de courants multiples, et qu'il ne se paie pas seulement de doctrine pure et d'action puriste, mais aussi d'une foule de compromis, à commencer par l'action syndicale elle-même, avec sa grande variété d'intentions et de buts individuels et collectifs. Les choses sont en réalité si complexes et l'histoire est souvent si indirecte, qu'on pourra dire ce qu'on voudra dé la Révolution tranquille, mais on devra dire aussi que, si elle n'avait pas eu lieu, M. Gill ne serait même pas là pour enseigner ce qu'il enseigne !

Pourquoi se marginaliser ?

On ne peut pas tout dire dans un article et l'on se borne, sans trop de nuances d'ailleurs, à une petite partie de l'essentiel. N'empêche que je voudrais bien ajouter ceci. Parmi les questions qu'il faudra bien poser un jour ou l'autre, il y a celle que voici. Quand une révolution à peu près toute entière encore dans l'idée \ dépense une forte partie de son activité à essayer de défaire tout ce qui naît de plus ou moins progressiste autour d'-elle, elle fait le vide sans s'augmenter d'autant, et l'on peut se demander de quoi le socialisme ainsi pensé se coupe, quels contacts humains et culturels il s'aliène, et comment il se condamne de la sorte à n'exister qu'en marge, dans une marge d'ailleurs dont il s'exagère ridiculement les étroites dimensions. Des socialistes de cette sorte, loin de se répandre dans l'opposition et dans la vie réelle, font souvent tout, au contraire, pour se concentrer dans des camps retranchés. Ils ne s’aperçoivent même pas d'ailleurs que l'État fait lui-même son effort pour qu'ils se singularisent et se ramassent dans des noyaux restreints, parfaitement identifiables, culturellement étrangers, et à bonne distance de la politique commune : voilà autant de militants qui ne le prendront pas à revers dans une impasse imprévue, sans compter qu'ils rendront au gouvernement le service d'en éloigner d'autres, dont des jeunes, d'un certain nombre de lieux où l'action peut compter : le RCM, le PQ.

La question nationale

Il y a de plus la question nationale. M. Gill doit être de ceux qui en font bon marché, si ce n'est pour dire, peut-être, comme ses pareils le disent en tout cas, que l'indépendance doit être d'avance intégralement socialiste, c'est-à-dire proprement révolutionnaire, et que c'est là la condition pour qu'ils l'appuient. Cette position équivaut à parler pour ne rien dire, parce qu'il y a, pour que l'indépendance se fasse, des conditions électoralistes rigoureuses, auxquelles on ne peut échapper qu'en imagination. Cette attitude revient, en pratique, au surplus, à condamner le national et à isoler la gauche, une fois de plus, dans un ghetto. Je pense, d'ailleurs, envers et contre tous, qu'un peuple est dans l'absolue nécessité, comme peuple, et comme nation s'il est dans la situation voulue, de se tailler une place politique au soleil, sous peine d'une décomposition généralisée dont nous devrions pourtant pouvoir entrevoir les conséquences de tous ordres. En outre, je refuse, pour ma part, d'un point de vue large encore, la légèreté qui conduit à mettre au bazar, inconsidérément, d'innombrables aspects de la culture, selon une entreprise sectaire et étouffante qui donnerait lieu, à elle seule, à un examen en règle,

Enfin, on sait depuis un quart de siècle que le national, par rapport au social, nous fait une espèce d'hypothèque qui ne peut disparaître autrement que par la solution irréversible et positive du problème national, contrairement à ce qu'ont pensé les trois Colombes, qui voulaient radier l'hypothèque sans prendre possession de la maison. L'hypothèque subsiste, plus lourde que jamais : ceci devrait entrer pour quelque chose dans les cogitations de M. Gill, mais à force de repasser les textes sacrés et de s'hypnotiser d'économique, on finit par ne plus être capable de réfléchir d'une manière créatrice sur une réalité un peu ample, même quand on n'est pas un con.


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Chicane d'intellectuels ?...

Y a-t-il vraiment au Québec,
un problème d'unité de la "gauche" ?”

par Hubert WALLOT

In LE JOUR, le lundi 24 mars 1975 — le fond des choses.


La leçon de Vadeboncoeur

Dans un excellent article paru dans le Jour (2-2-75) Pierre Vadeboncoeur invite à ériger, "contre une large politique de droite, une large politique de gauche" selon la démarche suivante : I—Face au morcellement de la Gauche, le pouvoir a une politique de droite largement UNIFIÉE. 2—Son attitude cohérente s'atteste dans une sélection CLAIRVOYANTE de ses cibles : "Observez le regard de l'exploiteur (ou du régime) et voyez ce qu'il vise à tout prix : vous verrez alors ce qu'il faut défendre à tout prix. 3—La gauche vraie devient donc définie par cet amas de cibles réuni par le regard . unifié de la droite : il s'agit, non pas des épopées idéologiques des intellectuels dits "de gauche" mais, entre autres, historiquement, des grandes luttes syndicales québécoises, et, à l'heure actuelle : le FRAP, le RCM, le P.Q., Québec-Presse, Le Jour, etc. Mais aussi, mais surtout, la C.S.N., parce qu'elle est le point d'appui du combattant Vadeboncoeur ("la prunelle de mes yeux") mais aussi une des cibles les plus vigoureusement attaquées par le pouvoir.

La leçon à retenir de la droite, c'est que la gauche ne doit pas hésiter de s'unir dans des objectifs pour être efficace... Or, cette voie semble souvent compromise par des idéologues "socialistes" qui tentent d'inonder l'action pratique de leur divergences théoriques.

Les explications de Gill

Voulant répondre à Vadeboncoeur qu'il désigne comme "gratte-papier, manieur de phrase, mauvais faiseur de prose, qui s'écoute parler ou se regarde écrire", M. Louis Gill (Le Jour, 5-3-75, p. 9) dénonce cependant les "injures... lieux communs dans le vocabulaire de Vadeboncoeur pour caractériser ceux qui né défendent pas ses propres politiques, c'est-à-dire des politiques nationalistes...". M. Vadeboncoeur mêlerait des organes bourgeois (ex. Le Jour) et des organes carrément populaires (ex. Québec Presse) : car M. Gill semble faire référence en l'existence d'un mouvement ouvrier pur : "dans tous les cas, les travailleurs ne doivent compter que sur leurs propres forces".

Les lacunes

Un tel langage semble soulever la discussion de l'existence d'une classe ouvrière, ou d'une classe exploitée, ou d'une classe de salariés, en regard d'un objectif salutaire : le socialisme... Si tel est le cas, comment situer objectivement "la gauche" ? S'agit-il d'une référence linguistique vide de contenu sinon que pour définir des rôles dans une discussion d'intellectuels ? On pourrait penser à lire les anathèmes que se profèrent certains intellectuels soi-disant de gauche, alors qu'ils en restent à des discussions théoriques où la contradiction la discussion devraient être un facteur de production intellectuelle plutôt que de jugements moraux.

La gauche doit-elle prendre racine dans une classe sociale ? La classe prolétaire (les salariés) regroupe majoritairement des salariés du secteur des  services ; elle, comprend également ce qu'on appelle communément la classe moyenne, et inclue donc une variation assez large des revenus. Certains diront que la classe moyenne véhicule les valeurs bourgeoises. Une caractéristique commune à l'ensemble des salariés : c'est que leurs conditions de travail et de vie se font la plupart du temps sans leur participation véritable : voilà l'aliénation commune. Si on veut restreindre la notion de cette classe sociale ou de mouvement "ouvrier" au secteur de la production économique de biens de production, alors on rencontre là aussi des écarts importants de revenus et on exclue des forces progressistes (en  terme  de  mouvements "égalitaires") tels les employés de services (cf. exemple des ouvriers de la CTCUM cité par M. Gill).

Ce n'est donc pas dans un concept abstrait et pur de classe ouvrière ou de parti purement ouvrier ou des "travailleurs", que se situe la ligne de démarcation entre la droite et la gauche, ou le concept de référence pour prononcer les anathèmes. Mais plutôt faut-il s'orienter vers les mouvements réels de notre histoire et de notre actualité politiques et y discerner d'une façon concrète, non à l'état pur, les forces progressistes visant à réduire les diverses aliénations socio-économiques. Il ne s'agit plus de cette gauche dont M. Gill dit qu'elle a encore subit le défoulement de Vadeboncoeur : cette "gauche" risque d'être plus une '"Idée" à laquelle d'ailleurs s'identifient certains intellectuels, conformément à la description que Vadeboncoeur faisait des "marxistes" qui se croyaient dangereux. Alors que ce que le pouvoir poursuit, c'est un mouvement ouvrier concret, un phénomène collectif social qu'on retrace dans certaines grèves passées et dans certaines formations politiques actuelles...

Questions à Vadeboncoeur :

Certaines affirmations de M. Vadeboncoeur laissent des interrogations. La droite est-elle si unie qu'il le prétend ? Que ce soit, par exemple au Québec, la division des libéraux provinciaux entre partisans des multinationales (M. Bourassa. et cie) et partisans des compagnies nationales (M. Guy St-Pierre et cie), divisions rendues évidentes par des attaques de la Presse (Power Corporation, cie canadienne) contre le clan Bourassa ; que ce soit dans d'autres pays ou d'autres époques, la droite offre justement des divisions qui permettent des alliances tactiques avec des éléments progressistes (de la gauche) en vue d'effectuer des réformes.

Le danger de présenter un visage unifié de la droite est de vouloir une gauche complètement homogène pour y faire face, comme de par un mécanisme d'identification à l'agresseur. La tentation survient alors d'exiger une homogénéité idéologique de la gauche et d'instaurer différentes formes de terrorismes idéologiques, incluant le folklore des étiquettes ("bourgeois", etc.). La citation : "Il y a quelque chose de plus impardonnable qu'une faute :', c'est une erreur..." contient l'ambiguïté d'une telle tentation. On doit, me semble-t-il, distinguer, dans la mesure du possible, deux moments, dans l'action de la gauche : le moment idéologique, où un effort de recherche et de vérité doit transparaître, comme garant de la valeur de la gauche qui vise en principe l'abolition de toute aliénation à ce niveau, la divergence doit être un signe de santé ; et le moment pratique où il faut faire certaines alliances tactiques pour permettre le cheminement, par étapes, vers le socialisme.

D'ailleurs, y a-t-il vraiment au Québec un problème d'unification de la gauche, comme on pourrait trouver en France ? Où est-elle cette gauche morcelée ? À côté de quelques mouvements progressistes (les syndicats, qui négocient des conventions collectives non fondées sur l'égalitarisme intégral ; le P.Q. qui comporte certains éléments de, social-démocratie à l'intérieur d'une marche vers l'indépendance, etc.) ; il n'y a pas encore de mouvement intégralement "ouvrier" socialiste important... Pourtant, l'aliénation existe : elle atteint même des instruments qui devraient servir le socialisme (ex. les ouvriers de la construction qui, aux dernières élections, travaillent pour les libéraux, etc.). On, ne peut pas en tout cas qualifier les chicanes de quelques intellectuels comme une fragmentation de la gauche... C'est s'illusionner sur le travail qui reste à faire... Et on risque au nom de cette unité "intellectuelle" d'instaurer un terrorisme intellectuel, au lieu d'aller chercher les militants : ex. un parti "ouvrier" qui ne serait pas électoral à court terme ? Un effort de réveil des milieux étudiants, etc. ?)


— 5 —

Un parti du peuple vécu par le bas...

par Jean AYOTTE
Montréal

In LE JOUR, Montréal, le 1er avril 1975 — opinion.

Ne faisant parti ni de la "gauche marxiste officielle et orthodoxe" ni de (l’« establishment syndico-nationaliste », il m'est venu quelques commentaires à la lecture des articles 'de M. Vadeboncoeur et Gill.

Pierre Vadeboncoeur à qui on ne peut certainement pas enlever le mérite et le courage d'avoir toujours travaillé, avec ses convictions, pour les travailleurs a cependant la mauvaise habitude de dénigrer ceux qui ont travaillé, eux aussi, avec et pour les travailleurs ; mais avec d'autres convictions ou allégeances que les siennes.

Je parle, entre autres, du Parti Communiste des années '40 que M. Vadeboncoeur, dans son premier article, "passe à tabac" tout comme Duplessis le fit d'ailleurs...

C'est oublier beaucoup de choses et méconnaître notre histoire militante, mais c'est surtout faire fi de gens comme :

Fred Rose, député communiste représentant de Montréal-Cartier au parlement canadien, donc député du Québec ; là où selon vous : "le socialisme a poussé comme un champignon..." (à ce propos, la suggestion de M. Gill de lire les suppléments de Québec-Presse est excellente, ça éviterait des erreurs historiques assez fantastiques   voire   indécentes pour quelqu'un dans votre position.)

C'est faire fi de gens comme : Henri Gagnon militant de toujours dans les syndicats les plus durs. C'est faire fi de beaucoup de gens qui ont gravités autour du PC comme Théo Gagné ou Madeleine Parent ; c'est faire fi de tous ces gens (pour ne nommer que ceux-là) et de toutes les grèves importantes auquel le PC a participé à ce moment-là, ou tout le moins ces militants.

Si Duplessis se servait du spectre du communisme pour servir de caution morale a sa répression, pour ma part je trouve on ne peut plus courageux ceux qui, malgré toutes les tracasseries du Pouvoir que vous osez appeler "publicité gracieuse et extraordinaire à un groupuscule soi-disant révolutionnaire" (i.e. arrestations, perquisitions, etc.), ont travaillé à faire avancer le mouvement syndical et la conscience politique d'une certaine couche de la société.

Il ne s'agit pas de protéger le PC des années '40 et encore moins de nier qu'il ait été infiltré (vous devriez pourtant savoir, M. Vadeboncoeur, qu'il n'y a rien d'extraordinaire à cela car la police est partout de corps ou d'écoute...), il s'agit tout simplement de ne pas tomber dans une "hystérie maccarthyste" et par là, nier tout le travail que des militants ouvriers ont pu effectuer qu'ils aient été ou non membres de groupes de gauche organisés.

Ainsi donc, les marxistes seraient presque néfastes mais il serait "capital d'éviter d'abattre des appuis même lointains et même paradoxaux ; il faut contraire les soutenir. ' ' J'aimerais que les Chiliens et les Portugais entendent cette affirmation de M. Vadeboncoeur. Car, si je ne me trompe, le Parti de la Démocratie Chrétienne, avant son coup d'état manqué, a été un "appui lointain et paradoxal" à la "révolution" portugaise et au Chili le Parti Démocrate Chrétien a lui aussi été, à un certain moment donné (i.e. avant l'offensive de droite), un "appui lointain et paradoxal" au gouvernement Allende ; ils ont tous été des "appuis incertains et paradoxaux" jusqu'à ce que leurs intérêts soient réellement menacés (intérêts qui sont ceux, du capital, comme tout parti social-démocrate...) et c'est alors, que d'"appuis lointains et paradoxaux", ils mettent bas les masques, et deviennent ces "ennemis proches et certains" de tout peuple en marche vers sa libération effective et totale...

Par ailleurs, entre travailler avec n'importe qui de "lointain et paradoxal" et n'appuyer que ceux qui détiennent une ligne politique précise semblable à celle qu'on détient, il existe une marge. Car il serait politiquement suicidaire de ne pas travailler à tout mouvement populaire contrôlé par la base, sous prétexte, d'un désaccord minime au niveau théorique.

Ici, une critique sévère des "groupes de gauche organisés" et de leurs militants s'impose ; en ce sens, que leurs querelles idéologiques de chapelle a fait tomber tellement de groupes populaires, que cela a poussé nombre de militants non-alignés (J'entend par militants non-alignés, des gens pour qui, une grille d'analyse ou une ligne politique ne constitue pas une réponse à tout problème et un empêchement à tout travail concret) à une phobie des militants politiques alignés (lire membres de groupuscules gauchistes pour qui : hors de leur ligne politique : point de salut ou de participation). En effet, la rage que montrent la plupart à imposer leur ligne politique, à pousser plusieurs personnes à une attitude similaire à celle de M. Vadeboncoeur.

Tant que ces gens ne comprendront pas, qu'il est très important, pour l'instant, de participer concrètement à une foule de mouvements populaires (ici je ne parle pas du PQ, du RCM ou du Jour, mais de tous les comités de citoyens, comptoirs alimentaires, Associations étudiantes, comités populaires, syndicats, ADDS, associations de locataires, etc.) en se mettant d'accord, non pas sur une ligne politique stricte (maoïste, trotskyste, etc.) qui n'aurait comme effet que de marginaliser ces groupes, mais plutôt sur une entente politique minimale qui pourrait, entre autre, s'énoncer comme suit : de travailler dans notre milieu aux luttes contre l'ordre établi des big-boss qui chaque jour, nous étouffe un peu plus dans le carcan du profit et de l'exploitation et d'appuyer (de façon militante et concrète) tout groupe qui mène une lutte similaire ; et ce, pour en arriver par une union des classes exploitées (travailleurs, chômeurs, assistés-sociaux) à une société où le profit et l'exploitation auront disparu. Une entente politique minimale semblable éliminerait tout ces "appuis incertains et paradoxaux" mais n'éloignerait pas la majeure partie des militants non-alignés et n'empêcherait pas de mener une action concrète. Car tout ces mouvements populaires luttent dans le concret vécu des gens et c'est de loin le plus important.

D'ailleurs, c'est peut-être d'un futur rassemblement de tous ces mouvements que peut naître un véritable Parti du Peuple, non pas imaginé par le haut mais vécu par le bas. C'est pour cela, qu'il devient urgent que tous ceux qui luttent pour changer société et vie arrêtent de discuter du projet en théorie, pour se mettre à le construire sur le terrain...aujourd'hui.

Jean Ayotte
Montréal


— 6 —

Une nécessité "objective"

L'indépendance politique de la classe ouvrière,
ce n'est pas du «purisme de gauche»
.”

par Louis GILL

économiste, professeur à l'UQAM,
délégué au Conseil central de Montréal et au Conseil confédéral de la CSN

In LE JOUR, le samedi 3 mai 1975 — le fond des choses.

À la suite de la réplique de Pierre Vadeboncoeur intitulée : "Il y a eu assez de gâchis depuis 10 ans", publiée dans Le Jour du 18 mars 1975, certaines remarques additionnelles s'imposent dans le cadre de ce débat sur l'action politique qu'on ne saurait d'ailleurs réduire à une simple "chicane d'intellectuels".

Ce qu'est un parti des travailleurs

Afin de clarifier la nature du RCM, et du PQ et leur rôle par rapport à l'organisation politique de la classe ouvrière, il convient d'abord de préciser ce qu'est un parti des travailleurs. Un parti des travailleurs est un parti dont le programme, élaboré par les travailleurs dans leurs organisations, est l'expression fidèle de leurs revendications propres, en tant que travailleurs, sur les plans politique, économique et social. C'est un parti qui n'agit que par les travailleurs et en fonction d'eux parce qu'il est le portrait fidèle de ce que veulent les travailleurs à chaque moment. Il est exclusivement contrôlé par eux, c'est-à-dire leurs organisations et il a des comptes à leur rendre. En somme, c'est un cadre autonome à l'intérieur duquel les travailleurs débattent exclusivement entre eux de leurs objectifs politiques, et qui est l'expression de leur présence distincte par rapport aux autres partis. Il va sans dire qu'un tel parti n'existe pas au Québec ni au niveau national, ni au niveau municipal, et que tous les efforts doivent être réunis en vue d'en assurer la construction.

La création d'un tel parti ne saurait non plus être décrétée. Elle sera nécessairement l'aboutissement d'un long travail auquel les syndicats c'est-à-dire les seules organisations que possède en exclusivité la classe ouvrière, doivent prendre une part active et essentielle. C'est à cette condition expresse que le parti des travailleurs pourra devenir en premier lieu, un véritable parti de masse et non pas un groupuscule, et en deuxième lieu, un parti dont le programme s'alimente des résolutions économiques politiques et sociales adoptées démocratiquement dans le mouvement ouvrier organisé, reflétant ainsi les véritables intérêts des travailleurs. Cela, par ailleurs, ne signifie aucunement que les syndicats se transformeront en parti, mais qu'ils ont un rôle fondamental à jouer dans la construction de ce parti tout en continuant à exister comme organisations de défense des travailleurs, indépendantes du parti, et non comme courroie de transmission du parti.

Dans la poursuite d'un tel objectif, on est loin de l'image du "Ghetto", de la "chapelle" ou du "camp retranché" qu'évoque dans l'esprit de Vadeboncoeur, semble-t-il, toute idée d'indépendance politique de la classe ouvrière.

Un parti réformiste ?

Contrairement à ce que laisse entendre Vadeboncoeur, un parti des travailleurs, parti de masse, ne poserait pas comme préalable à sa création que tous les travailleurs soient marxistes. Il réserverait encore moins son accès aux seuls travailleurs révolutionnaires. Il accueillerait au contraire tous les travailleurs, indépendamment du niveau de leur conscience politique, leur fournissant un cadre de débat à l'occasion desquels les plus avancés feraient progresser les moins avancés. Dans la même logique, le programme du parti des travailleurs ne saurait être non plus, dès le départ, un programme révolutionnaire, mais' plutôt un programme non encore achevé, qui continue à s'élaborer .comme synthèse de l'expérience collective des travailleurs et fruit de leurs débats à l'intérieur de leur parti.

Peut-on qualifier un tel parti de réformiste ? Certainement pas. Pourtant, certains prétendent qu'un parti formé à l'initiative des syndicats échappera nécessairement au contrôle de la masse des travailleurs et ne pourra aller au-delà des simples revendications réformistes sans remettre en question les fondements mêmes de la société capitaliste. Proclamer d'avance de telles choses équivaudrait à nier toute possibilité pour les travailleurs, aujourd'hui comme demain, d'arriver à contrôler leurs propres organisations, qu'elles soient syndicales ou politiques. Aussi bien alors, abandonner toute lutte.

Loin d'être voué d'avance à un tel sort, un parti des travailleurs serait d'abord l'expression de la présence distincte des travailleurs vis-à-vis des autres partis et l'endroit où la classe ouvrière ferait concrète ment l'apprentissage de la politique pour elle-même, l'endroit où elle élaborerait progressivement son programme, où elle testerait et sélectionnerait peu à peu ses véritables dirigeants, son avant-garde, et écarterait ceux qui refusent d'aller jusqu'au bout pour le triomphe de ses intérêts.

La nature du PQ

En ce qui concerne le PQ, même dans l'esprit de Vadeboncoeur, il ne semble faire aucun doute qu'il ne se rapproche en rien d'un parti des travailleurs, même si de nombreux travailleurs, il faut le reconnaître, y adhèrent encore, faute d'une alternative. Pour ne laisser aucun doute sur cette constatation, rappelons-nous, entre autres, que dans le conflit qui opposait en 1972 le front commun des syndiqués ÇSN-CEQ-FTQ et le gouvernement, le PQ n'appuyait ni les syndiqués ni le gouvernement, prétendant rechercher une position de compromis (dans l'intérêt supérieur de la nation ?), et laissant ainsi la voie libre à l'adoption du Bill 19 par le gouvernement libéral. Une telle position n'était-elle pas tout simplement un affront aux travailleurs qui luttaient pour la revendication (excessive ?), des $100 par semaine ? Et comment, donc se comportera le PQ lors de la prochaine négociation dans le secteur public ? On peut d'ailleurs s'attendre à tout de la part d'un parti qui n'est pas voué à la défense stricte des intérêts des travailleurs, qui n'est pas contrôlé par eux et qui n'éprouve aucun scrupule, répétons-le, à voter en faveur de lois spéciales pour casser des grèves (cf : La Loi 73 et les employés de l'Hydro).

La nature du RCM

Quoi qu'en dise Vadeboncoeur, les mêmes critiques s'appliquent essentiellement au RCM. En effet, il faut avoir suivi de près les étapes préparatoires à la naissance du RCM pour savoir comment on est arrivé à dénaturer un projet de formation d'un parti ouvrier au niveau municipal contrôlé par les travailleurs, avec un programme élaboré au niveau du CRIM (Comité Régional Intersyndical de Montréal) et reprenant les revendications propres des travailleurs, élaborées collectivement et démocratiquement dans leurs instances syndicales ; comment on est arrivé à en faire un parti dont le contrôle échappe aux travailleurs, qui n'a aucun compte à leur rendre et dont le programme n'est qu'une version considérablement épurée du programme initialement élaboré par le CRIM, en un mot une version épurée en vue de la rendre acceptable au PQ, l'une des organisations fondatrices du RCM. Sans faire ici l'analyse de ce programme, il peut être utile d'en mentionner quelques points, comme le refus du RCM de se prononcer contre l'entreprise privée, c'est-à-dire le système du profit, dans le domaine de la construction du logement urbain, même si l'entreprise privée était clairement identifiée dans le programme syndical du CRIM comme la source du marasme dans le logement et que le programme du CRIM en réclamait, lui, l'abolition dans l'intérêt des travailleurs.

Le programme du CRIM réclamait aussi, entre autres, l'abolition de l'escouade anti-émeute et la non-intervention des forces policières municipales contre les travailleurs dans les grèves, manifestations, etc. Le RCM, lui, reconnaît le principe de l'intervention des forces policières dans les grèves, manifestations, etc... Il ne s'y oppose que si cette intervention est "partisane" (!) Voilà certes une belle façon d'appuyer les batailles des travailleurs qui rejoint, sur le fond, les aspects cités plus haut de la politique du PQ.

Finalement, sur le plan de son contrôle, on sait très bien que le RCM n'a de compte à rendre à personne sur les politiques qu'il défend, en tout cas d'aucune manière aux ; travailleurs organisés.

Assez de gâchis

Mais il se trouvera des gens pour dire que personne n'est parfait, qu'il faut accepter certains défauts, que malgré tout, le PQ et le RCM constituent un pas en avant, etc. Or justement, le PQ et le RCM ne sont pas un pas en avant, quelque "progressiste" que soit leur programme et quelque démocratique que soit leur structure. Ils sont plutôt un frein dans la mesure où ils bloquent systématiquement toute tentative de construction d'une organisation politique exclusivement contrôlée par des travailleurs, indépendants des partis bourgeois. Une telle organisation est pourtant indispensable à l'émancipation des travailleurs ; on n'est jamais bien servi que par soi-même.

Mais quelle position Vadeboncoeur propose-t-il donc aux travailleurs face à des organisations qui combattent systématiquement toute tentative qu'ils entreprennent en vue de se donner ces moyens de lutte indispensables ? Il leur propose, ni plus ni moins, de capituler devant ces attaques. Mieux encore, il leur propose de joindre les rangs de ces organisations en les affichant comme de véritables organisations de défense des travailleurs et en fermant les yeux sur les freins qu'ils imposent à la formation d'un parti autonome des travailleurs. En somme, il érige la collaboration de classes en stratégie de combat.

Purisme de gauche ?

Pour lui, la nécessité de l'indépendance politique de la classe ouvrière ne serait que le fruit d'un "certain purisme de gauche". Mais alors ne devrait-on pas qualifier de puristes les travailleurs qui refusent d'accueillir des patrons dans leurs syndicats, constatant qu'il est indispensable de se regrouper exclusivement entre travailleurs pour organiser les batailles syndicales contre les patrons ? Comment peut-on dans ce cas les taxer de purisme s'ils ressentent l'impérieuse nécessité de faire de même sur le plan politique en vue de combattre les défenseurs du système capitaliste qui est la base de leur exploitation ?

Non, la nécessité de l'indépendance politique de la classe ouvrière n'est pas le fruit d'un "certain purisme de gauche ; l'histoire, très riche d'enseignements à cet égard, est d'ailleurs là pour nous le démontrer.

Les conséquences de la collaboration de classe

Trop souvent, suivant les conseils de ceux qui leur prêchaient la collaboration de classes, les travailleurs ont eu à essuyer des défaites inestimables à travers l'histoire. Le dernier exemple en liste est celui du Chili, où la bourgeoisie profitant des garanties constitutionnelles offertes par "l'Unité Populaire" (gouvernement de coalition entre partis de gauche et de droite et qui avait confié des ministères à des représentants d'une armée soi-disant démocratique), s'est donnée les moyens, en s'appuyant sur l'armée, de reconstituer ses forces et de massacrer la classe ouvrière chilienne en septembre 73, faisant ainsi reculer de 50 ans la construction du socialisme en ce pays.

Parmi les nombreux autres cas d'échec de ce type de politique, l'un des plus percutants est sans doute celui de l'échec de la révolution chinoise de 1927. Suivant les directives de l'Internationale Communiste de Staline en 1924-25, le Parti Communiste chinois était, à toutes fins pratiques, invité à se dissoudre en tant qu'organisation indépendante, et ses militants étaient amenés à adhérer individuellement au Kuo-Ming-Tang, parti nationaliste bourgeois de Tchang-Kaï-Chek, mais défini par Staline comme "le bloc révolutionnaire des ouvriers, des paysans, des intellectuels, et de la démocratie urbaine" (le "bloc des quatre classes"). Cette politique devait se solder par l'écrasement, en 1927, de la révolution chinoise par le même Kuo-Ming-Tang, (bloc révolutionnaire ?) avec en particulier, le massacre des ouvriers de Changhaï, le 12 avril 1927. Ce n'est que 22 ans plus tard, en 1949, après la reconstitution du Parti Communiste chinois comme parti indépendant, autonome, et non comme parti inter-classes, que la révolution chinoise put être réalisée sous sa direction.

Ces exemples assez éloquents comme de nombreux autres qui ont marqué l'histoire, démontrent que la nécessité de l'indépendance politique de la classe ouvrière est une nécessité objective et n'a rien à voir avec un certain "purisme de gauche". La seule connaissance de ces faits nous interdit de continuer à répéter les mêmes erreurs impardonnables, à proposer ces mêmes politiques qui ne peuvent manquer d'entraîner les mêmes conséquences catastrophiques pour la classe ouvrière.|

La question nationale

Finalement, selon Vadeboncoeur, je serais de ceux qui "font bon marché" de la question nationale. Je lui répondrai simplement que sa présomption est fausse. Je ne suis pas de ceux qui nient la question nationale ou qui la considèrent comme sans importance. Je suis par contre profondément convaincu que seuls les travailleurs ont intérêt à résoudre vraiment cette question comme toutes les autres qui concernent leurs conditions de vie et de travail, que seuls, les travailleurs organisés dans leur propre parti politique pourront défendre un programme qui soit satisfaisant pour eux-mêmes et les autres couches de Québécois exploités (cultivateurs, artisans, petits commerçants, etc.) et tant sur la question nationale que sur toutes les autres questions.

À ce propos d'ailleurs, à la veille des dernières élections provinciales, le PQ n'a-t-il pas fait un recul considérable sur la question de l'indépendance pour ne pas effrayer la bourgeoisie ? Ce recul n'a-t-il pas été entériné par la suite par les instances du parti selon la ligne défendue par Claude Morin ? Qui donc alors a vraiment intérêt à régler cette question ? Les travailleurs, bien entendu, et dans leur propre parti, instrument de combat indispensable dans la lutte pour leur pleine émancipation.


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Intellectuels frustrés ?

Ceux qui jouent à nous diviser
sont les ennemis de notre indépendance
.”

par Gaston LAURION

In LE JOUR, le 26 mai 1975 — Document.

Dans un article intitulé L'indépendance politique de la classe ouvrière, ce n'est pas du "purisme de gauche" (Le Jour, 3 mai 1975, p. 9), Monsieur Louis Gill, avec tout le réalisme dont peut faire preuve un professeur d'université lorsqu'il ne s'agit pas de réclamer quelques dollars d'augmentation de traitement, poursuit un aigre dialogue avec Pierre Vadeboncoeur, qui, dans sa réplique du 18 mars, avait bien raison de s'en prendre à la confusion d'esprit de son interlocuteur et à la stérilité de son "purisme de gauche". Après la lecture de son texte, on se demande si Monsieur Gill n'a pas voulu nous fournir une seconde preuve de son incurabilité. En tout cas, on serait bien tenté de lui dire que la réflexion politique suppose des idées claires, dont, à moins de cacher un jeu subtil, il semble se trouver fort dépourvu, en hiver comme au printemps.

Un parti ouvrier ou un parti des travailleurs ?

Sa confusion apparaît d'abord au niveau même des notions. Pour lui, travailleur et ouvrier sont des équivalents. Pourtant ni vous ni moi, que je sache, Monsieur Gill, ne sommes des ouvriers, mais j'ai l'audace de nous croire des travailleurs. Je sais, bien que les travailleurs, au sens générique, peut se dire absolument des ouvriers de l'industrie (voir le Petit Robert), mais à condition que le contexte — c'est là une règle générale de stylistique — exclue toute ambiguïté. Voilà ce que, guidé par une plume ou un stylo-bille erratique qui vous tient lieu de raison, vous semblez ou voulez ignorer. Au Québec, voyez-vous, on en est venu, surtout dans les milieux syndicaux, à distinguer travailleur d'ouvrier — le premier terme prenant nettement le pas sur le second — pour la simple raison que le syndicalisme, jadis réservé aux ouvriers, s'est étendu, de nos jours, à toutes les catégories de "travailleurs", c'est-à-dire à tous ceux qui gagnent leur vie autrement qu'au moyen d'investissements ou en étant patrons. Même les professeurs d'université y viennent depuis que leur confort — intellectuel, cela va sans dire — est menacé par l'État... La question se pose donc ici de savoir si c'est un parti d'ouvriers que vous préconisez — et, dans ce cas, un très grand nombre de travailleurs québécois en seraient exclus, y compris vous-même — ou si vous proposez la fondation d'un authentique parti des travailleurs, qui alors s'adresserait à la majorité des Québécois puisque nous sommes bien, pour la plupart, des travailleurs. À défaut d'un texte clair de votre cru, je me permets d'émettre l'hypothèse que, n'étant pas vous-même ouvrier, vous n’ avez certes pu vous juger suffisamment engagé pour promouvoir un authentique parti des ouvriers et que vos propos visent, en fait, un parti des travailleurs. Vous n'auriez quand même pas l'intention d'encourager la domination de tous les travailleurs québécois pas le seul groupe (je m'excuse de ne pas employer le mot "classe") des ouvriers. Mais, si mon hypothèse s'avère juste, il faut alors vous inviter à "sortir du bois", car, un parti des travailleurs, nous en avons déjà un depuis 1969 : c'est le Parti québécois qui, malgré les nombreuses imperfections d'une entreprise humaine, accueille bel et bien — permettez-moi de vous citer - "tous les travailleurs, indépendamment du niveau de leur conscience politique, leur fournissant un cadre de débats à l'occasion desquels les plus avancés font progresser les moins avancés". C'est à ce point ainsi que même vous, Monsieur Gill, pourriez y adhérer avec grand profit...

Le P.Q. parti des travailleurs et de tous les Québécois

Car ce ne sont pas des "bourgeois", comme vous dites, qui dominent le Parti Québécois, ce sont des travailleurs  québécois  de  tous les métiers et de toutes les professions. À ce sujet encore, si la confusion ne dominait pas dans l'esprit de Monsieur Gill, il se serait fait une idée claire de ce qu'est un bourgeois, — mais je suppose que la lecture de Marx devrait pouvoir lui enseigner, avec le temps, qu'il ne devrait pas suffire, au Québec, de s'écarter de l'orthodoxie "gillienne", ou de tout autre, pour mériter cette appellation. En attendant, j'aimerais lui signaler, pour lui éviter de publier un trop grand nombre de bourdes à ce propos, que ce sont des travailleurs de toutes les catégories — sans en exclure aucune — qui dominent le Parti Québécois et que la plupart d'entre eux y ont adhéré joyeusement et non pas "faute d'une alternative". Lorsqu'on y prend des décisions, c'est la majorité qui l'emporte et non pas un petit groupe de choc, comme certains paraissent le souhaiter. Les instances supérieures du Parti sont élues par la majorité et lorsqu'il y a une question à trancher, entre les congrès, ce sont ces élus, soit au niveau de l'Exécutif soit à celui du Conseil National, qui décident, en tenant compte de l'intérêt de tous les membres et aussi de tout le peuple québécois. Eh oui ! Monsieur Gill, l'intérêt supérieur de la nation qui ne vous sert, à vous, qu'à ironiser, reste une matière sérieuse, chez un grand nombre de Québécois pour qui le patriotisme et l'honnêteté intellectuelle ne se résument pas, à de vains mots. C'est ainsi qu'à tort ou à raison, mais démocratiquement, le Parti Québécois a pu, dans certaines circonstances, décider de ne pas appuyer l'action des syndicats, et je suppose que, s'il y a lieu, ce comportement pourrait, tout normalement, se reproduire. Mais faut-il apprendre à Monsieur Gill que ne pas appuyer des syndiqués, à l'occasion, ne signifie' nullement qu'on agit contre les travailleurs québécois, surtout que le syndicalisme n'a pas encore regroupé la majorité de ces derniers ? En outre, allons-nous maintenant devoir croire, sous peine d'excommunication gillienne, qu'un syndicat, ou même une centrale, détient l'infaillibilité d'une Eglise, qu'aussitôt qu'une action devient syndicale, ce ne peut être une erreur ? Si c'est ce genre de fascisme intellectuel que nous propose Monsieur Gill, on se demande ce qu'il peut bien faire dans une université. Un parti politique se disant québécois et qui appuyerait une partie de la population dont l'action peut être jugée néfaste pour la majorité ressemblerait étrangement à un parti de privilégiés, genre Parti Libéral à l'envers, plutôt, qu'au parti de tous les Québécois. [Notons enfin qu'il peut aussi y avoir ides grèves immorales, les hommes étant ce qu'ils sont.

Pour un ménage uni

Bien loin d'être une "capitulation", la lutte réaliste que nous propose Pierre Vadeboncoeur, après Pierre Vallières (voir l'Urgence de choisir), représente la seule qui soit fidèle aux principes marxistes et au gros bon sens puisqu'elle s'insère dans une situation bien concrète, la nôtre, celle du peuple québécois d'aujourd'hui. Une action idéaliste, du type gillien, qui, dans sa trépidation infantile, voudrait brûler les étapes, voilà la vraie capitulation puisqu'elle nous détournerait du possible pour nous plonger dans le rêve. Ceux qui proposent ce genre d'action, refusant d'œuvrer à l'intérieur du Parti Québécois ou du R.C.M. à cause de leur imperfection, sont, ou bien des huluberlus — dont j'espère que vous faites partie, Monsieur Gill, — ou bien des instruments maniés par les ennemis de notre indépendance qui ne cherchent qu'à nous diviser pour assurer leur règne. Quand nous serons indépendants, tout le luxe d'une pensée et d'une action politiques libérées et même débridées deviendra morale ment acceptable, mais, en période de pré-politique, nous vivons bien au-dessus de nos moyens quand nous entretenons — comme les riches entre tenaient jadis une danseuse — des idées attrayantes certes, mais divisant notre ménage, dont l'unité n'est déjà pas très solide. Les intellectuels frustrés ou inconscients qui se prêtent à ce jeu sont ni plus ni moins que des criminels.


— 8 —

Le duel Vadeboncoeur-Gill.

Ne pas confondre les questions urbaines,
nationales et sociales
.

par Stephen SCHECTER

professeur de sociologie à l'Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre de l'exécutif du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM)

In LE JOUR, mercredi, le 11 juin 1975 — Le fond des choses.

Tout dernièrement il paraissait dans les pages du JOUR des échanges entre Pierre Vadeboncoeur et Louis GILL. Quoique ce débat semblait porter sur la stratégie socialiste face à la question nationale, les deux n'ont pas hésité à faire de longs commentaires sur le RCM. Essentiellement, chacun a jugé le RCM, sa perspective face au PQ, ce qui avait comme résultat de fausser le débat non seulement sur le RCM mais sur la question urbaine aussi. Et bien qu'ils aient soulevé certains points intéressants, dans le contexte de leur débat ces points ne servaient qu'à confondre le développement d'une approche socialiste de la question urbaine, qui est, finalement, la seule perspective valable pour analyser le RCM.

Donc, je ne reprendrai pas tout le débat Gill-Vadeboncoeur, mais j'en toucherai certains aspects à partir d'une analyse qui commence avec la question urbaine et non pas avec la question nationale. Ca sera évident, j'espère, que je ne fais ici qu'une esquisse d'une analyse qui comporte trois aspects inter-reliés : 1) la particularité de la question urbaine 2) son potentiel comme lieu de mobilisation socialiste 3) sa capacité de permettre le développement d'un nouveau modèle organisationnel recherché par les socialistes d'aujourd'hui.

La critique socialiste de la ville

Dans le sens que la ville s'est développée selon les besoins du capital, elle présente toutes les contradictions inhérentes au capitalisme : dégradation du milieu de vie, incapacité de satisfaire les besoins sociaux, privilège de consommation individuelle au détriment des équipements collectifs, inégalité de classe dans la distribution des ressources, etc. Ainsi, dans la mesure où des contradictions s'expriment, la ville, pas moins que d'autres espaces sociaux, semble un lieu important de mobilisation socialiste. Elle semble porter certains avantages face aux autres lieux sociaux. Par exemple, une critique socialiste de la ville fera ressortir la condamnation de la société capitaliste non seulement parce qu'elle crée nécessairement un système de classe mais aussi parce qu'elle aliène profondément les gens qui y habitent. Ce dernier aspect est important pour plusieurs raisons. Il nous permet d'atteindre bon nombre de la nouvelle classe ouvrière qui seront peut-être plus difficilement rejoints par une approche misant beaucoup plus sur la lutte des classes dans le sens étroit du terme. Il nous permet de développer cette critique socialiste pour d'autres institutions dans la société capitaliste, comme les écoles, qui sont d'ailleurs géographiquement liées aux quartiers. Il nous permet de dégager cet esprit critique du marxisme redécouvert par la jeunesse internationale dans les années soixante^ et valorisé parce qu'il comporte des valeurs humanistes et contre-culturelles tout en déclarant le système en crise perpétuelle.

Une telle analyse rejoint essentiellement le programme du RCM — pas dans le sens étroit d'une lecture de ses revendications, mot par mot, mais dans le sens que le RCM les a déjà véhiculées, et pourra les véhiculer. Pour chaque déclaration que Gill et plusieurs autres ont citée comme preuve de réformisme, on peut citer d'autres comme preuve de socialisme — voir, par exemple, sa position sur la grève à la CTCUM, ou son document La Fin D'un Mythe pendant la campagne électorale qui s'attaquait clairement au rôle accordé par Drapeau à l'entreprise privée dans le domaine de logement, ou la position du RCM sur le transport gratuit pour personnes âgées qui l'a lié, on ne peut plus ouvertement, avec une analyse critique du capitalisme. Evidemment, il y avait d'autres déclarations émanant du RCM qui n'allaient pas si loin ; mais peut-être ceci reflétait plutôt les divers niveaux de conscience de classe à l'intérieur et à l'extérieur du RCM, la même hétérogénéité reconnue par Gill comme existant au sein de la classe ouvrière et ses propre syndicats ? Pourquoi alors penser qu'il y a une solution organisationnelle à cette question idéologique, surtout quand l'histoire des partis socialistes occidentaux émanant des mouvements syndicaux montre qu'ils sont presque tous aujourd'hui des partis réformistes ? Le NPD, n'en est-il pas l'exemple le plus proche ?

Limites et potentiel du niveau municipal

Ce qui est beaucoup plus problématique pour le potentiel manifeste au RCM de développer son analyse socialiste est la tendance inhérente à la question  urbaine elle-même de pousser les gens sur la voie réformiste. Sachant très bien les pouvoirs limités que possède la ville, même potentiellement, de régler les problèmes qu'ils soulèvent, plusieurs militants rencontrent de la difficulté a développer une véritable stratégie des réformes non-réformistes qui se place dans une perspective révolutionnaire. Et ce problème est d'autant plus sérieux car il soulève une question fondamentale : à quel point le milieu urbain est-il vraiment le lieu de mobilisation socialiste, vu que les points de contradiction touchent les citoyens-travailleurs comme consommateurs tandis que leurs résolutions exigent leur propre contrôle des moyens de production ?

Évidemment, une réponse provisoire à cette question provisoire (parce qu'à vérifier par la praxis), au moins pour ceux qui ont opté pour la politique municipale, est qu'à la longue, c'est vrai ? Quand même, cela ne nie pas le potentiel du milieu urbain comme lieu de mobilisation socialiste situé dans une stratégie révolutionnaire à long terme. De plus, l'empire du pouvoir municipal par un parti socialiste pourra amener certains changements assez radicaux à d'autres niveaux politico-économiques (cf. Bologne, Santiago, Grenoble). Mais au-delà de ces considérations reste le fait que la ville, par sa position dans l'espace politique, offre un moyen de développer un vrai parti décentralisé ou fédératif dont la discussion prend une importance si grande dans les débats socialistes d'aujourd'hui. De plus, la politique urbaine, une fois transformée, présente un champ d'action où la participation collective massive représente une alternative réelle à la politique technocratique. Ces deux aspects ensemble, une fois mis en pratique, offriront ; un modèle riche de choses vécues pour la société socialiste d'avenir.

C'est dans cette optique que les modèles de recherche à créer, à la fois pour le parti et pour le gouvernement municipal, devront être évalués. Et c'est dans cette optique que l'idée du rassemblement devra être comprise.

Ni alliance des partis, ni alliance des classes

Contrairement et à Vadeboncoeur et à Gill, il ne représente ni une alliance des partis ni une alliance des classes. Plutôt il signifie une reconnaissance qu'il y a plusieurs points de contradiction à l'intérieur de la société capitaliste qui donnent naissance aux luttes auxquelles participent très souvent les socialistes de toutes tendances. Ces points de contradiction rejoignent très souvent le même espace politique que la lutte urbaine. Je pense ici aux luttes scolaires, au mouvement des garderies populaires, aux cliniques communautaires, au mouvement coopératif, aux centres des femmes, etc. De plus, ' elles partagent avec la lutte urbaine l'emphase sur la quotidienneté et l'aliénation comme éléments essentiels dans sa critique de la société capitaliste et dans son travail de mobilisation.

Parler, donc, d'un élargissement des forces progressistes comme base d'un parti socialiste municipal ne veut pas dire alliance de toutes les classes ni de tous les partis progressistes, mais une tentative de mobilisation à travers des luttes qui se ressemblent et se rejoignent, et à travers des organismes qui se développèrent pour les mener. Dans le contexte québécois, ceci semblait être d'autant plus réaliste que les forces progressistes et socialistes sont dispersées dans les syndicats, dans le PQ, dans les groupes populaires ou renfermées chez eux, surtout dans le cas des anglophones.

Bien sûr, créer un parti partant d'une telle conception implique un compte des obstacles réels représentés en partie par cette dispersion. D'abord il faut faire comprendre aux gens qu'en demandant aux citoyens de se joindre à nous, on a comme but, à travers notre lutte politique, de les conscientiser au point qu'ils quitteront les partis politiques traditionnels auxquels ils ont donné leur allégeance. Ceci implique la reconnaissance qu'objectivement, la vaste majorité de la population sont nos militants et sympathisants possibles, mais qu'à défaut d'une hégémonie-socialiste, ils ne les quitteront pas. Pour réaliser cette hégémonie, il faut trouver les moyens, à travers nos luttes, de clarifier et mobiliser ce qui reste latent chez les masses des travailleurs — le sentiment que de toute façon ils sont fourrés par le système capitaliste. Pour ce faire, il nous faut également privilégier la politique, et détruire chez les gens ce que les élites les ont toujours vendu — et surtout les élites municipales — que la politique c'est sale.

Si c'est vrai pour la masse des citoyens, ce n'est pas moins vrai pour les forces déjà politisées.  Certains militants péquistes et npdistes ont déjà fait un choix politique pour le RCM ; pour d'autres il reste à faire. Pour ceux travaillant pour la plupart dans l'organisation communautaire qui persistent à dénigrer l'importance de l'action politique visant la prise du pouvoir au niveau gouvernemental, il nous incombe de souligner le caractère illusoire et démobilisateur de cette approche et de démontrer, contrairement à ses prétentions, qu'une participation électorale n'est pas incompatible ni avec l'action extra-parlementaire, ni avec une stratégie de transformation globale de la société. Le RCM lui-même a déjà commencé à mettre sur pied une telle stratégie avec sa campagne pour le transport gratuit des personnes âgées et le travail dans les districts.

Le quartier de l'usine

Somme toute, si ce qui précède suggère une conclusion, c'est que privilégier le quartier ne représente pas nécessairement la victoire du PQ sur les forces syndicales, mais la reconnaissance du quartier comme l'espace social qui convient le mieux à notre analyse politique dans le contexte d'une lutte urbaine. Cependant, ceci ne veut pas dire qu'on peut laisser de côté l'usine ou le bureau qui reste l'autre pôle politique de n'importe quel mouvement socialiste. N'y a-t-il pas moyen de créer des liens à travers des luttes déclenchées dans chaque espace social et le développement de soutien réciproque aboutissant aux conseils de quartier dans l'un et conseils ouvriers dans l'autre ? Amorcer une stratégie théoriquement juste et pratiquement réaliste implique que ce sont des questions qui restent à être discutées ; des questions qui touchent le cœur du débat dans le socialisme d'aujourd'hui ; et des questions qui surtout exigent qu'on situe nos réponses dans le contexte pertinent au débat. Dans ce sens, ce que j'ai essayé de soulever ci-haut n'était que le début d'un tel effort.


— 9 —

Parler de socialisme
à un peuple soumis au colonialisme
est un jeu de l'esprit
.”

par Jacques BRASSARD

In LE JOUR, le 15 août 1975 — Le fond des choses.

Il y a quelques mois, Le Jour publiait des articles de Pierre Vadeboncoeur et Louis Gill portant sur la nécessité de préciser une idéologie socialiste avant de conquérir notre indépendance. Un lecteur, enseignant dans la région du Lac Saint-Jean, nous a transmis plus tard son opinion sur le débat, et ses réflexions pertinentes nous amènent à le publier aujourd'hui, même si le débat date quelque peu.

"Pour un peuple privé de sa liberté nationale, la tâche révolutionnaire n'est pas le socialisme dans l’immédiat, mais la lutte pour l'indépendance".

Mao Tsé Toung



Camarade ou Monsieur Gill, (à votre choix)

Me permettrez-vous de venir perturber votre belle polémique avec un intellectuel de grande classe (P. Vadeboncoeur) ? Je n'ai pas la prétention de vous convertir, mais je voudrais simplement tenter de vous démontrer que celui qui n'accepte pas votre interprétation n'est pas nécessairement un vulgaire réactionnaire d'extrême droite.

Lutte de libération nationale

"Pour un peuple privé de sa liberté nationale, disait Mao, la tâche révolutionnaire n'est pas le socialisme dans l'immédiat, mais la lutte pour l'indépendance." Voilà, il me semble, une évidence difficile à nier. Vous en conviendrez, je l'espère. Parler de socialisme à un peuple qui est soumis au colonialisme et à l'impérialisme constitue simplement un jeu de l'esprit. C'est se cantonner absurdement dans le domaine de l'infaisable puisque ce peuple ne dispose pas des instruments politiques nécessaires à l'application du socialisme. Un manchot peut bien apprendre à déchiffrer une partition, il ne pourra jamais la jouer au piano.

Par conséquent, le peuple québécois, placé dans une situation de domination coloniale, doit d'abord mener à terme sa lutte de libération nationale. Et il ne s'agit pas là d'une tâche parmi d'autres, il s'agit de la tâche PRIMORDIALE. Si cette tâche n'est pas d'abord accomplie, on ne fait que s'enliser toujours davantage dans le bavardage stérile.

Or, cette lutte de libération ne doit pas être menée par la seule classe ouvrière, mais par toutes les classes qui souffrent de la domination impérialiste. Cette lutte doit donc se faire concrètement sur la base d'un regroupement de classes : travailleurs, cultivateurs, artisans, petits commerçants etc. (se sont vos propres termes). C'est ainsi en tout cas que le F.L.N. algérien l'a compris puisque dès 1954 (au moment du déclenchement de l'insurrection) il offrait "la possibilité à tous les patriotes algériens de toutes les couches sociales, de tous les partis et mouvements purement algériens, de s'intégrer dans la lutte de libération sans aucune considération". (Proclamation F.L.N. du 1 novembre 1954) Signalons que, pendant que le mouvement de libération progressait, le Parti communiste algérien (un parti prolétarien, n'est-ce pas ?) radotait lamentablement et le mouvement ouvrier organisé "tournait à vide", sans pouvoir "énoncer ni appliquer le moindre mot d'ordre d'action". (Plate-forme de la Soumman, août 1956) Dans une telle situation, je me demande comment vous auriez qualifié celui qui aurait accusé le F.L.N. de constituer "un frein dans la mesure où il bloque systématiquement toute tentative de construction d'une organisation politique exclusivement contrôlée par des travailleurs" (je vous cite, n'est-ce pas ?). Je peux en tout cas vous suggérer un nom : celui de SABOTEUR de la lutte de libération nationale.

Le cas algérien n'est pas unique. Le F.N.L. du Sud-Vietnam fait également appel à toutes les classes de la nation pour combattre l'agression impérialiste américaine. Le programme même du Front invite au regroupement de classes : "Réaliser" l'union de toutes les classes, de toutes les couches de la population, de toutes les nationalités, de tous les partis, de toutes les organisations, de toutes les confessions religieuses... afin de créer un gouvernement de large union nationale". On pourrait enfin mentionner, comme dernier exemple, le Mouvement du 26 juillet, à Cuba, qui reposait, selon Castro lui-même, sur un regroupement de classes exploitées.

Il nous faut donc reconnaître, à moins d'être aveuglé par le dogmatisme, que les diverses classes qui subissent la domination coloniale se doivent de coopérer dans le cadre d'une lutte de libération nationale. Il est évident, cependant, que le mouvement de libération nationale subit une influence déterminante de la classe dominée la plus importante de la société coloniale. En Algérie, par exemple, la participation massive des fellahs au F.L.N. a "profondément marqué le caractère populaire de la résistance algérienne" (Plate-Forme de la Soumman). Au Québec, par contre, société industrialisée, ce sont les travailleurs qui constituent la "colonne vertébrale" du mouvement de libération nationale, DONC du Parti québécois.

Aveuglement idéologique

Et c'est ici, camarade,  sans doute à cause de votre aveuglement idéologique, que vous manifestez malheureusement votre incapacité "à faire une analyse concrète d'une situation concrète". En tout cas, vous ne vous êtes sûrement pas donné la peine de pénétrer à l'intérieur du Parti. Vous constateriez que la majorité des membres du Parti québécois sont des travailleurs et que, dans la pratique, le Parti est contrôlé par les travailleurs. Et je fonde mon jugement, non pas à partir de stéréotypes idéologiques, mais à partir de 7 ans de travail politique à différents niveaux du Parti. De temps en temps, si on s'ouvrait les yeux au lieu de ratiociner, on progresserait peut-être un peu plus vite.

Mais la direction du P.Q., me direz-vous, n'est pas issue de la classe ouvrière. Et alors ? Vous en connaissez beaucoup, vous, des partis se prétendant des partis de travailleurs (qu'ils soient socialistes ou communistes) dont la  direction  soit des rangs du prolétariat ? Dites-moi, vous en connaissez beaucoup ? Même votre parti de travailleurs ne pourrait naître sans un apport extérieur à la classe ouvrière. "L'histoire de tous les pays, écrit Lénine dans Que Faire ?, atteste que, livrée à ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu'à la conscience trade-unioniste, c'est-à-dire à la convention qu'il faut s'unir en syndicats, mener la lutte contre le patronat, réclamer du gouvernement telles ou telles lois." La conscience politique ne peut lui venir que du "dehors", et surtout des intellectuels bourgeois (toujours selon Lénine). À propos, en êtes-vous un ?

Chili et Chine

Pour nous convaincre que la "collaboration de classes" ne peut conduire qu'à des catastrophes, vous nous donnez deux exemples (la défaite de l'Unité populaire au Chili et la première alliance Kouomintang - Parti communiste chinois) que vous estimez "éloquents". Je dois vous dire que leur "éloquence" ne m'impressionne guère.

Dans le cas du Chili, vous semblez faire parti de ces "éternels donneurs de leçons gauchistes" qui sont ravis "de mettre en accusation, non pas l'impérialisme U.S. et les fascistes chiliens, mais l'Unité populaire" (Chili : trois ans d'Unité populaire, Acquaviva-Fournial-Gilhodès-Marcelin), dont l'échec, selon vous, s'expliquerait par une politique de "collaboration de classes". C'est là une interprétation qui ne correspond pas à la réalité. Au contraire, c'est en partie parce qu'il n'a pas eu le temps de conquérir de nouveaux alliés (et en particulier les classes moyennes, base traditionnelle de la Démocratie chrétienne) que le gouvernement d'Unité populaire a succombé sous les coups de la réaction. C'eut été pourtant le seul moyen de résister avec une certaine efficacité aux manœuvres impérialistes et au fascisme bourgeois. Les compromis sont parfois nécessaires (je vous réfère à .La Maladie infantile du Communisme). Il est d'ailleurs significatif que la résistance intérieure actuelle au fascisme chilien repose toujours sur l'alliance de certaines classes, incluant même, selon le Parti communiste chilien, de larges milieux démocrates chrétiens.

Votre exemple chinois n'est pas plus sérieux que le chilien. Vous torturez les faits pour justifier votre position idéologique. Car s'il est vrai que l'alliance Kouomintang - Parti communiste chinois s'est terminée par un terrible massacre, cela ne signifie pas que l'alliance de classes est un comportement erroné en tout temps et en tout lieu. Cela signifie simplement que le Komintern a fait une mauvaise analyse de la société chinoise en considérant la grande bourgeoisie et les propriétaires fonciers qui avaient pris le contrôle du Kouomintang comme des forces révolutionnaires. Cette catastrophe de 1927, d'ailleurs, ne mit pas fin à l'alliance de classes puisque le Parti communiste lui-même, dans les années 30 (après la désastreuse période gauchiste pendant laquelle on se méfia des paysans) s'appuya, non seulement sur le prolétariat chinois embryonnaire, mais aussi sur la paysannerie et de larges couches de la petite-bourgeoisie. Le Parti communiste chinois, par conséquent, malgré son titre de parti prolétarien, était objectivement un parti inter-classes. En 1945, plus de 60% de ses membres étaient issus des masses paysannes et 15% provenaient de la petite-bourgeoisie.

Bref, vos exemples sont loin de démontrer, que les alliances de classes ont toujours des conséquences désastreuses.

Conclusion

La lutte de libération nationale est commencée au Québec depuis plusieurs années. Le Parti québécois est l'outil que se sont forgé les Québécois pour triompher des forces politico-économiques qui les dominent. Toute action tendant à saboter cet "instrument de combat" est une action objectivement réactionnaire puisqu'elle a pour effet de retarder le moment de la "pleine émancipation". En terminant, camarade Gill, j'ai hâte de voir le jour où la cible de vos critiques sera le régime de rois-nègres que nous subissons depuis trop longtemps.



[1] Je ne prends même pas la peine de répondre quand il dit que j'ai insulté des travailleurs. Toute ma vie me garantit, je pense, contre un fiel comme celui-là.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 23 juin 2015 19:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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