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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “La course aux armements: où en est la responsabilité principale ?” Un article publié dans le journal LA PRESSE, Montréal, édition du 10 novembre 1986, page B3 — libre opinion. . [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 11 janvier 2005.]

Louis Gill

La course aux armements :
où en est la responsabilité principale ?


Un article publié dans le journal LA PRESSE, Montréal, édition du 10 novembre 1986, page B3 — libre opinion.


L'auteur est professeur au Département de science économique à l'Université du Québec à Montréal.

*

Intervenant lors d'un colloque de l'Association d'économie politique à Montréal en 1981, l'économiste américain P. Sweezy disait : « Au cours du 20e siècle, toutes les crises sérieuses qu'ont connues les États-Unis ont été réglées de la même façon : par la guerre. »

Il rappelait que la 1re Guerre mondiale avait permis de surmonter à partir de 1914 la dépression déclenchée par la crise de 1907, que la 2e Guerre mondiale avait mis un terme à la grande dépression des années 30, la guerre de Corée à la récession de 49. À son tour, la guerre du Vietnam avait permis de surmonter la récession de 59-60 et d'épargner à la décennie des années 60-70 une nouvelle récession. Enfin, la relance des dépenses d'armement sous Jimmy Carter apparaissait comme la bouée de sauvetage destinée à surmonter la crise chronique des années 70, relance à laquelle Ronald Reagan a donné à partir de 1981 une impulsion telle qu'on assiste aujourd'hui à un déploiement sans précédent des dépenses militaires en temps de paix.

« L'arme la plus puissante de l'économie »

Faisant le bilan de ces années de l'administration Reagan, la revue américaine Business Week, dans un article d'octobre 1985 intitulé « Les dépenses du Pentagone sont l'arme la plus puissante de l'économie », expliquait chiffres à l'appui que le principal stimulant de la croissance de ces dernières années (« l'étonnante » reprise de l'économie américaine à partir de 1983) avait été les dépenses militaires.

On peut comprendre davantage à quel point cet instrument est précieux pour les gouvernements des pays capitalistes lorsqu'on voit les dépenses militaires résister aux compressions budgétaires alors que toutes les autres dépenses publiques sont l'objet de coupures au compte de la lutte contre les déficits et contre un endettement public désormais jugé comme prohibitif.

À la lumière de ces faits, on est en droit de se demander pourquoi les dépenses militaires exerceraient un pareil stimulant. Il faut d'abord préciser qu'aucun critère moral ne peut guider l'analyse dans l'appréciation de cette question.

Il ne s'agit pas de savoir si les dépenses militaires et la formidable accumulation de moyens de destruction à laquelle elles conduisent sont rationnelles ou non du point de vue des besoins de la population ou des intérêts de l'humanité. Sous ce rapport la réponse est immédiate. Elles sont entièrement irrationnelles, négatives. Elles détruisent vies humaines et forces productives. Elles sont une menace pour la survie même de l'humanité. Elles impliquent un immense gaspillage de ressources qui pourraient être utilisées à d'autres fins.

Du point de vue du capital cependant, et non plus du point de vue des besoins de la population, il en est autrement. De ce point de vue, elles ont une rationalité. Le capital a besoin du militarisme qui pour lui est une force d'entraînement. Le capital ne regarde pas la couleur de ce qu'il accumule. Le capital est capital même s'il s'accumule sous la forme de moyens de destruction.

Paradoxalement, la destruction de ressources réalisée par le militarisme de manière violente à l'occasion des guerres, mais tout autant de manière régulière et systématique en dehors des guerres, joue un rôle positif essentiel du point de vue de l'accumulation du capital. Cette fonction nécessaire de destruction périodique des valeurs réalisée par les crises dans le déroulement normal de la production capitaliste, le militarisme la réalise en quelque sorte de manière permanente.

Reykjavic et l'impératif économique

Il faut également souligner le rôle fondamental joué par les dépenses militaires dans le financement de la recherche technologique avancée, nécessaire au renouvellement incessant de la base industrielle dans la course aux profits, mais dont les coûts, prohibitifs pour l'entreprise privée, sont ainsi pris en main par l'État par le biais d'un objectif désigné comme « d'intérêt national » à savoir la « défense » du pays. L'échec du sommet de Reykjavik, le refus de Reagan d'abandonner son projet de bouclier spatial — devenu inutile dans le cadre d'un accord pour éliminer les armes stratégiques — exprime bien la dimension économique profonde de ce projet impliquant des centaines de milliards de dollars, dimension qui s'ajoute à la dimension militaire proprement dite.

Même lorsque en apparence elles sont dictées par des objectifs strictement politiques, les dépenses militaires ont un fondement économique.

L'intérêt vital du capital est de préserver les meilleures conditions de son accumulation dans le monde entier et de les rétablir là où elles ont été supprimées. La « course aux armements » qui marque aujourd'hui les relations Est-Ouest est un des moyens de la poursuite de cet objectif, même si une guerre effective ne devait jamais être déclenchée entre l'Est et l'Ouest. Elle est le moyen par lequel l'économie la plus puissante, celle des États-Unis, tente d'affaiblir économiquement la plus faible des deux, celle de l'URSS, en imposant à l'économie planifiée un lourd fardeau qui la rend plus vulnérable aux pressions du marché mondial et ouvre plus grande la porte à la restauration de la libre circulation des marchandises et des capitaux en ce pays, c'est-à-dire au rétablissement des meilleures conditions de l'accumulation du capital à l'échelle mondiale.

Encore une fois la détermination de Reagan, manifestée de manière éclatante à Reykjavik, à s'engager à tout prix dans la guerre des étoiles et à pousser l'URSS dans une nouvelle course encore plus essoufflante pour elle est la démonstration de ce que la course aux armements est un des moyens de la poursuite de cet objectif.

Conclusions

Trois conclusions se dégagent de ces remarques :

1) Si on veut mener efficacement la lutte contre le militarisme, il est essentiel d'identifier où se trouve la responsabilité principale de l'escalade, de la course aux armements. On ne peut présenter les deux « superpuissances » comme ayant des responsabilités égales à cet égard. Il est indéniable que la principale responsabilité incombe à l'impérialisme américain, et il faut désigner ce principal responsable.

Cela ne tient d'aucune manière à la personnalité de tel ou tel dirigeant politique, Reagan par rapport à Carter ou Gorbatchev par rapport à Brejnev ou Tchernenko. Cela tient à la nature du régime de l'entreprise privée, du profit et de la concurrence, pour qui le militarisme est un besoin vital, un stimulant de la croissance capitaliste, alors qu'il est un fardeau pour l'économie planifiée.

2) La lutte pour le désarmement, tout comme la lutte pour la protection du milieu de vie, ne peut espérer triompher que si elle se prolonge naturellement dans une lutte politique contre le pouvoir et ultimement contre ce sur quoi se fonde ce pouvoir, c'est-à-dire la propriété privée des moyens de production et le régime de la concurrence et du profit. En un mot, on ne peut espérer éliminer l'effet sans s'attaquer à la cause.

3) Une lutte conséquente pour le désarmement implique le soutien inconditionnel à la lutte armée, à la guerre de classe des populations opprimées contre les intérêts qui les écrasent, qu'il s'agisse de la population chilienne contre le régime de Pinochet, de la population nicaraguayenne contre l'impérialisme américain, ou de la population afghane contre l'occupation soviétique.


Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 25 juin 2015 8:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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