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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “La Constituante dans la politique du Groupe socialiste des travailleurs (1974-1987): quels enseignements tirer de la politique du GST ?Version longue d’une contribution à l’atelier « L’Assemblée constituante, son passé, son présent », de l’Université d’été des Nouveaux Cahiers du socialisme, Montréal, 17 août 2013. Un article publié dans la revue Le Bulletin d’histoire politique, vol. 22, no 3, printemps-été 2014, pp. 287-305. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales, en accès libre à tous, avec l'autorisation de l'auteur accordée le 11 juin 2014.]

Louis Gill

La Constituante dans la politique
du
Groupe socialiste des travailleurs (1974-1987) :
quels enseignements tirer de la politique du GST ?

Version longue d’une contribution à l’atelier « L’Assemblée constituante, son passé, son présent », de l’Université d’été des Nouveaux Cahiers du socialisme, Montréal, 17 août 2013. Un article publié dans la revue Le Bulletin d’histoire politique, vol. 22, no 3, printemps-été 2014, pp. 287-305.

Introduction
Le fédéralisme canadien, contre les aspirations démocratiques et nationales
Unité des revendications démocratiques et nationales et des revendications sociales
Indépendance, République libre du Québec, Constituante souveraine
En résumé
L’enjeu de la Constituante au Québec aujourd’hui

1- Le Parti Québécois
2- Québec solidaire

a) Pour un Québec indépendant.
b) Souveraineté populaire.
c) Souveraineté des peuples autochtones.
d) Élargir l’exercice de la démocratie.
e) Laïcité.

3- Option nationale
4- Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQL)
5- Le Conseil de la souveraineté du Québec
En résumé

Quels enseignements tirer de la politique du GST ?


Introduction

Le Groupe socialiste des travailleurs (GST) a été la principale organisation trotskyste au Québec dans les années 1970 et 1980. Il a défendu le point de vue selon lequel la question nationale est une dimension fondamentale du combat de la classe ouvrière pour son émancipation. Il s’est prononcé pour la séparation, pour la République libre du Québec. À l’occasion du référendum de 1980, il a appelé à l’abstention face à la « question fédéraliste » posée par le gouvernement Lévesque, et à la convocation de l’Assemblée constituante pour que le peuple décide de sa destinée. Le but de la présente contribution est de rappeler les fondements de cette position politique [1] et d’en tirer les enseignements pour les enjeux d’aujourd’hui.

*******

Le fédéralisme canadien,
contre les aspirations démocratiques
et nationales


La position du GST [2] sur la question nationale et la caractérisation de l'État fédéral canadien dont elle découle ont été rendues publiques dans son journal, Tribune ouvrière, (mars 1976, p. 3 et novembre 1977, p. 11-14), ainsi que dans une brochure intitulée La question nationale et la révolution prolétarienne au Canada [3], publiée en 1978.

Comprendre la nature de l'État au Canada, soutenait le GST, est essentiel à une orientation correcte de l'action politique en sa direction. C'est pourquoi il faut en connaître les fondements historiques. Contrairement à l'histoire officielle selon laquelle le Canada serait le résultat d'une union entre deux « peuples fondateurs » qui auraient librement et démocratiquement uni leurs destinées et se seraient d'un commun accord, en 1867, donné une « constitution », le GST s'est employé à démontrer que l'histoire réelle est celle d'une union fédérale forcée, construite par le haut, imposée à la population par une loi du Parlement britannique, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (AANB), sans consultation ni vote de la population, sur les ruines des deux révolutions démocratiques de 1837-1838, menées de manière indépendante mais en solidarité par les populations francophone du Bas-Canada et anglophone du Haut-Canada, et écrasées par l'Empire britannique.

Aucune des revendications démocratiques et nationales des révolutionnaires de 1837-1838 ne trouve écho dans la structure constitutive de l'État fédéral canadien consignée dans l'AANB, dont le seul « Père fondateur » est l'Empire britannique et qui n'est donc en rien une « constitution » selon le sens généralement reconnu à ce terme. Ces revendications étaient notamment la fin de l'allégeance à la Grande-Bretagne, l’instauration de la République, la reconnaissance des droits et libertés de tous les citoyens, l’abolition des discriminations à l'égard des autochtones, la rupture des liens entre l'Église et l'État, l’expropriation des terres de la Couronne, du clergé et des spéculateurs privés et l’élection de délégués du peuple à une Assemblée constituante afin d’élaborer une constitution.

Ceux qui ont été appelés les « Pères de la Confédération » et qui agissaient au nom de l'Empire ne laissaient aucun doute quant à la nature du projet. Pour John MacDonald [4], il fallait qu'il soit adopté par le Parlement britannique sans créer d'alerte au sein d'une population qui apprendrait vite à s'y faire, une fois adopté sans possibilité de recours [5]. Pour George-Étienne Cartier [6], le principe monarchique devait être le principal caractère de la fédération, à l'inverse du principe démocratique implanté aux États-Unis affranchis de la Couronne britannique, où régnait désormais ce qu’il désignait comme le « pouvoir de la populace » [7].

Le fédéralisme canadien s'est donc construit contre les aspirations démocratiques et nationales des peuples vivant sur le territoire. L'AANB est le résultat d'une révolution démocratique qui a été mise en échec et dont l'inachèvement s'exprime singulièrement dans l'oppression nationale des Québécois. Les aspirations démocratiques et nationales du Québec constituent de ce fait une puissante menace dressée contre le fédéralisme canadien qui est incompatible avec elles. La satisfaction de ces aspirations ne peut être réalisée que par la liquidation du fédéralisme. La question nationale du Québec est ainsi une dimension fondamentale du combat de la classe ouvrière contre l'État bourgeois au Canada, c'est-à-dire contre l'État centralisateur fédéral. Le GST se prononçait en conséquence « Pour la séparation !, Pour l'indépendance !, Pour la République libre du Québec ! » [8]. « L'oppression nationale, disait-il, est un pilier de l'État fédéral: la question nationale, un levier de sa destruction ! » [9]. Au Canada anglais, dans la perspective d'unifier la classe ouvrière de tout le pays dans une même lutte contre l'État central, son axe d'intervention était celui de la reconnaissance par les organisations ouvrières et le NPD du « droit à la séparation du Québec ».

La politique du GST se distinguait donc radicalement de celle des organisations staliniennes et maoïstes de l’époque (le Parti communiste du Québec, le groupe En Lutte et la Ligue communiste marxiste-léniniste du Canada [10]). Se réclamant d'une unité du prolétariat canadien à préserver, il était pour elles exclu de soutenir la perspective de l'indépendance du Québec, taxée de solution bourgeoise, alors qu'elle constituait au contraire une menace directe pour l'État fédéral, instrument de l'exploitation de la classe ouvrière canadienne dans son ensemble et de l'oppression nationale du peuple du Québec et des autres peuples vivant sur le territoire du Canada.

Au Québec, la puissance du mouvement national s'est traduite dans la formation du Parti Québécois, qui, en moins de dix années d'existence, s'est hissé au pouvoir, porté par ces aspirations. Mais le projet que ce parti a soumis à la population par voie de référendum après sa victoire électorale en novembre 1976 n'était pas celui qui traduit l'aspiration à la séparation, à l'indépendance. Le Parti Québécois, comme on le sait, sollicitait plutôt un mandat de négocier un « nouveau type d'association », un « fédéralisme renouvelé », c'est-à-dire un replâtrage de l'État fédéral existant qui aurait été maintenu en place pour l'essentiel. Il ne souhaitait pas par ailleurs que la population soit appelée à participer au processus d'élaboration de la future constitution. Un an avant le référendum de 1980, à son congrès de 1979, il avait biffé de son programme la disposition qui prévoyait l'appel à une Constituante souveraine pour que le peuple lui-même décide de sa constitution.

Mais cela était-il de nature à étonner de la part d'un parti qui a été formé, en 1968, d'une scission au sein du Parti libéral et qui, de par son origine, la composition de sa direction, son programme et les positions qu'il a prises dans les rapports de classes, a peu à voir avec un parti représentant la population travailleuse et voué à sa défense ? Lié aux intérêts capitalistes avec lesquels il était incapable de rompre, sa visée politique ne pouvait pas être celle de la destruction de l'État fédéral. Cette visée ne pouvait pas être non plus celle de l'achèvement des tâches démocratiques en général, dont la bourgeoisie ne peut plus être le véhicule à l'époque actuelle, parce que sa survie repose au contraire sur le recul des acquis démocratiques et sociaux.

Unité des revendications
démocratiques et nationales
et des revendications sociales


D'où l'actualité, expliquait le GST, de la théorie de la révolution permanente, énoncée par  Marx et Engels en 1850 [11] et reprise par Trotsky en 1905 et Lénine en 1917 dans le cadre de la révolution russe [12], selon laquelle les tâches démocratiques ne peuvent désormais être défendues qu'en tant que partie intégrante du programme des revendications de la classe ouvrière : ce sont les travailleurs et eux seuls qui peuvent prendre à leur charge ces revendications et en entreprendre la réalisation dans la poursuite de leur émancipation sociale, ce qui pose la nécessité immédiate de la construction de leur propre parti face aux partis des autres classes de la société.

Cela est d'autant plus naturel que l'aspiration des masses à l'autodétermination et à l’indépendance, écrivait le GST, est chargée du plein développement de toutes les libertés, et que ce développement est incompatible avec le régime du profit qui tend au contraire à les restreindre pour survivre. L'aspiration à l'autodétermination contredit fondamentalement les intérêts de la bourgeoisie. Elle s'oppose de front à l'État capitaliste " souverain-associé ".

La détermination effective et libre de son avenir national par le peuple du Québec exige que les masses s'approprient les secteurs économiques décisifs qui assurent aujourd'hui aux trusts impérialistes la direction du développement national. L'autodétermination n'existe pas si elle se place sous les injonctions de quelque Wall Street que ce soit. Elle exige l'expropriation… du sol et du sous-sol, des forêts, des lacs et des rivières, des ressources énergétiques… des compagnies de finance et de crédit, des compagnies d'assurance et des banques, … du transport, etc. » [13].

La stratégie dont il est question ici est le contraire d'une stratégie étapiste du type « indépendance d'abord, socialisme ensuite », qui amènerait le mouvement ouvrier à se placer dans une première étape à la remorque de la bourgeoisie dans la lutte pour  l’indépendance. Le programme de revendications dont les travailleurs se chargent est indivisible, expliquait le GST. Il comprend les revendications démocratiques et nationales et les revendications sociales. Sa réalisation pose la nécessité immédiate de la construction du parti des travailleurs face à tous les partis des autres classes de la société, en vue de la prise du pouvoir et de la formation du gouvernement ouvrier dont le programme intègre la solution de la question nationale par la séparation. Pour le GST, cette tâche historique fondamentale ne saurait être reportée à plus tard sous prétexte de ne pas diviser ce qui était alors désigné comme « les forces vives de la nation », que  le PQ appelait à appuyer son projet.

Mais le GST ne faisait pas du socialisme, voire d’un simple projet social progressiste, une condition de son appui à la séparation. Il récusait l'attitude qui aurait consisté à se prononcer en faveur de la séparation à la condition qu'elle soit socialiste, voire simplement progressiste. Les questions d'oppression nationale, soutenait-il, sont des questions d'ordre démocratique auxquelles il faut apporter une réponse sur le seul terrain de la démocratie. Aucune condition ne doit être posée à la réalisation de la séparation [14].

Indépendance, République libre du Québec,
Constituante souveraine


La question centrale, affirmait le GST, est que le mouvement ouvrier, de manière unitaire, définisse sa position, combatte sur son propre terrain et prenne la direction de la lutte contre l'oppression nationale, qu'il s'oppose à d'éventuelles négociations secrètes et définisse ses propres positions en vue d'une Assemblée constituante. Malheureusement, il faut regretter que les centrales syndicales, explicitement dans le cas de la FTQ et implicitement dans le cas de de la CSN et de la CEQ, se soient mises à la remorque du PQ et de sa stratégie référendaire de la souveraineté-association et se soient abstenues jusqu’en 1990 de se prononcer en faveur de l’indépendance, ce qu’elles n’ont fait qu’au lendemain du rejet définitif de l’accord du Lac Meech [15]. Jusque-là, seules diverses composantes régionales ou sectorielles du mouvement syndical s’étaient prononcées en faveur de l’indépendance, dont le Conseil central de Montréal de la CSN qui, après s’être prononcé une première fois en 1972, a réaffirmé cette décision en 1978 malgré la forte opposition des militants des groupes staliniens maoïstes dans ses rangs.

À la veille du référendum de 1980, le GST lançait un Manifeste pour l'indépendance du Québec [16], dans lequel il appelait à l'abstention face à la « question fédéraliste » posée par le gouvernement Lévesque, et à la convocation immédiate de l'Assemblée constituante du peuple québécois pour que le peuple et lui seul décide de sa destinée. La souveraineté-association proposée par le PQ, expliquait le GST, n'est pas une étape vers l'indépendance; elle est au contraire un obstacle sur la voie de sa réalisation [17]. Au lendemain du référendum, à la mi-juin, il organisait à Montréal un Rassemblement national sur le thème de l’appel à la Constituante souveraine, pour l’indépendance du Québec.

Lors d'une deuxième réunion, en octobre 1980, le Rassemblement national appelait à une mobilisation unitaire en vue d'une Marche sur Ottawa pour faire échec au coup de force constitutionnel que le premier ministre Pierre Elliott Trudeau s'apprêtait à imposer à la population du Québec et du Canada avec le concours des premiers ministres des provinces. Dès le lendemain du référendum du 20 mai, des négociations secrètes avaient en effet été engagées pour tenter de sauver l'État fédéral de la crise, par une « réforme constitutionnelle » donnant lieu au « rapatriement » de l'AANB et lui annexant une Charte des droits et libertés, mais y maintenant l'autorité suprême de la monarchie britannique héritée de l'Acte de 1867 et le pouvoir centralisateur de l'État fédéral que cet Acte a mis en place. Comme on le sait, ces démarches ont mené au « rapatriement » de 1982.

Cette campagne animée par le GST s’est révélée d’autant plus pertinente que le Parti Québécois au pouvoir a fait adopter par l'Assemblée nationale, le 21 novembre 1980, une proposition qualifiée de « motion de la honte » par le GST : sous le couvert de s'opposer à une modification de la « constitution » canadienne par le Parlement britannique, l'Assemblée nationale se disait en effet « respectueuse de la volonté de la majorité des citoyens du Québec qui a voté pour le maintien du fédéralisme canadien » et affirmait en conséquence « que le renouvellement de la Constitution canadienne doit être réalisé au Canada en conformité avec les principes du fédéralisme et en conséquence par la voie de la négociation entre les deux ordres de gouvernement… » [18].

Cette « motion de la honte » était l’aboutissement d’une longue évolution du Parti Québécois en la matière. Alors que son programme électoral de 1970 proclamait que « l’accession du Québec à la souveraineté n’étant en somme que l’exercice d’un droit naturel et légitime, le principe de la souveraineté ne fera l’objet d’aucune négociation avec le Canada », dix ans plus tard, dans sa question au référendum de 1980, il tournait radicalement le dos à cette position de principe et soumettait la souveraineté à la négociation.

Alors que dans son programme de 1978, il s’engageait à : « soumettre à la population une constitution nationale élaborée par les citoyens au niveau des comtés et adoptée par les délégués du peuple réunis en assemblée constituante », dans la version de 1980 du programme, ce paragraphe a disparu et été remplacé par le suivant : « soumettre à la population une constitution assurant l’équilibre entre un gouvernement efficace et le respect des libertés démocratiques » [19].

Dans son manifeste de 1980, Pour l’indépendance du Québec, le GST commentait ainsi ce changement de cap :

Le peuple qui élabore la constitution et l’Assemblée constituante élue qui l’adopte ont disparu ! Le gouvernement Lévesque ne veut pas que le peuple élabore lui-même la constitution et en décide; il annule l’engagement de convoquer l’Assemblée constituante du peuple souverain; il ne veut pas prendre d’elle son mandat ni être responsable devant elle de ses actes.

Le gouvernement veut disposer de la plus entière marge de manœuvre pour négocier les droits nationaux du peuple québécois : […] il doit s’émanciper de tout mandat démocratique du peuple au profit de questions-plébiscites sur sa politique.
La souveraineté-association du gouvernement Lévesque se distingue des autres solutions à la crise de l’État fédéral sur un point […]. Sa politique de négociation et de réaménagement de l’État fédéral doit et devra continuer de se présenter […] au nom de l’Indépendance, pour tenter de lui garder une légitimité au sein du peuple québécois. Mais, de fait, elle se situe sur une trajectoire opposée.

Elle a avec les autres solutions du camp fédéraliste-capitaliste un point en commun : l’implication et la mobilisation générales du peuple dans le processus de définition de l’État, des institutions et du gouvernement, sont incompatibles avec la préservation d’un « gouvernement efficace » et l’aménagement d’une nouvelle association économique dans le cadre du système du profit. [Elle] n’apporte aucune solution aux aspirations du peuple québécois !

[…] La politique du gouvernement Lévesque est une politique de maintien de l’oppression nationale, pratiquée au nom même de la suppression de cette oppression.

Pourquoi alors les partisans du fédéralisme n’adhèrent-ils pas à la souveraineté-association ?

[…] Ce que craint le camp de l’État fédéral, ce n’est pas la souveraineté-association en tant  que telle, c’est le mouvement de masses qui s’est développé depuis 20 ans; ce dont il doute, c’est de la capacité du gouvernement Lévesque d’arrêter ce mouvement […]; sa peur, ce sont les retombées de l’exercice du droit à l’autodétermination par le peuple québécois sur l’ensemble des peuples et de la population laborieuse du territoire.

Le manifeste du GST se prononçait enfin sur une autre proposition qui a surgi dans le cadre du débat référendaire, mise de l’avant notamment par le Parti communiste canadien et par un membre en vue du Nouveau Parti Démocratique, John Harney, comme une solution démocratique à la crise de la Confédération, celle de l’appel à une Assemblée constituante pancanadienne. À noter que ni Harney, ni son parti ne reconnaissaient le droit du Québec à l’autodétermination. Le GST fustigeait cette proposition comme l’utilisation, à des fins contraires, d’un mot d’ordre démocratique fondé sur l’aspiration du peuple à décider librement et souverainement de son avenir : cette proposition, expliquait-il, appelle non pas à des constituantes libres et souveraines du peuple québécois et des peuples du territoire, mais à une constituante fédérale, « dernier rempart contre l’Indépendance du Québec, pour sauver l’État fédéral ».

En résumé :

Le fédéralisme canadien s’est construit contre les aspirations démocratiques et nationales des peuples vivant sur le territoire, dont celles du Québec. La satisfaction de ces aspirations est incompatible avec le fédéralisme centralisateur canadien et ne peut être réalisée que par sa liquidation. La satisfaction de ces aspirations ne peut être réalisée que par la liquidation du fédéralisme. La question nationale du Québec est ainsi une dimension fondamentale du combat de la classe ouvrière contre cet État. Le GST se prononçait en conséquence pour la République libre du Québec.

À l’époque actuelle, expliquait-il, les revendications démocratiques, dont les revendications nationales, ne peuvent être défendues qu’en tant que partie intégrante du programme des revendications sociales. Ce sont les travailleurs qui peuvent les prendre à leur charge et en entreprendre la réalisation dans la poursuite de leur propre émancipation sociale, ce qui pose la nécessité de la construction de leur propre parti, dont le programme intègre la solution de la question nationale par la séparation. La détermination effective et libre de son avenir national par le peuple du Québec exige qu’il s’approprie les secteurs économiques décisifs.

Le programme des revendications démocratiques et nationales et des revendications sociales étant indivisible, cette stratégie est le contraire d’une stratégie étapiste du type « indépendance d’abord, socialisme ensuite ». Elle récuse tout autant l’option qui consiste à ne se prononcer en faveur de l’indépendance qu’à la condition qu’elle soit progressiste, voire socialiste. Les questions d’oppression nationale sont des questions d’ordre démocratique auxquelles il faut apporter une réponse sur le seul terrain de la démocratie. Aucune condition ne doit être posée à la réalisation de la séparation.

La souveraineté-association proposée par le PQ, soutenait le GST, n’est pas une étape vers l’indépendance, elle est un obstacle sur la voie de sa réalisation. Il appelait à la convocation immédiate de l’Assemblée constituante, pour que le peuple et lui seul décide de sa destinée. La question centrale, affirmait-il, est que le mouvement ouvrier définisse de manière unitaire sa position en vue de cette Constituante.

L’enjeu de la Constituante
au Québec aujourd’hui


Diverses entités politiques proposent aujourd’hui la convocation d’une Assemblée constituante en vue de l’élaboration de la constitution d’un Québec souverain ou indépendant, selon l’expression utilisée par les unes et les autres. Commençons par un exposé sommaire de leurs points de vue.

1- Le Parti Québécois

Dans son programme de 2012, le Parti Québécois affirme qu’il a « pour objectif premier de réaliser la souveraineté du Québec à la suite d’une consultation de la population par référendum tenu au moment jugé approprié par le gouvernement ». Il déclare que « d’ici là, pour rompre avec l’attentisme et en déployant le Plan pour un Québec souverain, [il] agira en gouvernement souverainiste, cherchant à acquérir toujours plus de pouvoirs et de moyens pour le Québec et les Québécois ».

Ce « gouvernement souverainiste » d’un Québec en marche vers la souveraineté, mais qui ne l’a toujours pas réalisée,

a) Fera adopter, par l’Assemblée nationale, une Constitution québécoise pour affirmer et établir juridiquement les éléments essentiels de l’identité québécoise. Ce texte fondamental intégrera une version amendée de la Charte des droits et libertés de la personne de façon à ce que, dans son interprétation et son application, il soit tenu compte du patrimoine historique et des valeurs fondamentales de la nation québécoise : la prédominance de la langue française, l’égalité entre les femmes et les hommes et la laïcité des institutions publiques;

b) Créera une assemblée constituante à laquelle seront conviés à siéger tous les secteurs et les régions de la société québécoise ainsi que les nations autochtones et inuites du Québec afin d’écrire la constitution d’un Québec indépendant;

c) Élaborera une Charte québécoise de la laïcité. Cette charte affirmera notamment que le Québec est un État laïque, neutre par rapport aux croyances ou non-croyances des uns et des autres en matière de religion; que la liberté de religion ne peut être invoquée pour enfreindre le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes ou le bon fonctionnement des institutions publiques et parapubliques; que les agents de la fonction publique et parapublique doivent s’abstenir, dans l’exercice de leurs fonctions officielles, du port de tout signe religieux ostensible;

d) Instituera une citoyenneté québécoise et adoptera, après consultation, une loi précisant les modalités d’attribution de la nouvelle citoyenneté, ainsi que les droits qui y seront rattachés[20]


2- Québec solidaire

Les grandes lignes du programme du parti portant sur la souveraineté du Québec, adopté en 2009, sont les suivantes :

a) Pour un Québec indépendant. Québec solidaire est un parti de gauche qui vise la construction d’une société basée sur la justice sociale, l’élargissement de la démocratie, l’égalité entre les hommes et les femmes, le respect de nos écosystèmes, l’établissement de liens égalitaires et pacifiques avec les peuples du monde entier et, en premier lieu, avec les nations autochtones avec lesquelles nous partageons ce territoire. Son projet de société a pour fondement la démocratie participative et la souveraineté populaire.
C’est en ce sens que nous considérons comme essentielle l’accession du Québec au statut de pays, mais aussi parce qu’elle est nécessaire à la préservation et au développement d’une nation unique par son histoire et sa culture en constante évolution, autour d’une langue commune qu’est le français. […]
La nationalité québécoise doit être définie essentiellement par le fait de vivre au sein d’une même nation et de participer à la vie de la collectivité qu’elle incarne. […] La nation québécoise est donc ouverte aux apports extérieurs puisqu’elle ne repose pas sur l’origine ethnique, mais sur l’adhésion volontaire à la communauté politique québécoise. […]

b) Souveraineté populaire.

[…] Afin de permettre au peuple québécois d’exercer sa souveraineté populaire, notamment sur le contenu du débat et la conclusion de la question nationale, Québec solidaire s’engage à déclencher, dès son arrivée au pouvoir, une démarche d’Assemblée constituante. […]
Celle-ci aura pour mandat d’élaborer une ou des propositions sur le statut politique du Québec, sur les valeurs, les droits et les principes sur lesquels doit reposer la vie commune, ainsi que la définition de ses institutions, les pouvoirs, les responsabilités et les ressources qui leur sont délégués. […]
Les propositions issues de l’Assemblée constituante, y compris celle sur le statut politique du Québec, seront soumises au choix de la population par référendum[...]
Tout au long de la démarche d’Assemblée constituante, Québec solidaire défendra son option sur la question nationale […] sans toutefois présumer de l’issue des débats.

c) Souveraineté des peuples autochtones. […] Le droit à l’autodétermination des peuples autochtones peut s’exercer de diverses façons : l’autonomie gouvernementale en représente une; l’indépendance aussi, bien qu’aucun des peuples autochtones ne porte présentement de projet à cet effet. Des relations égalitaires avec les peuples autochtones n’en nécessitent pas moins le remplacement de l’a priori de l’intégrité territoriale du Québec par une tout autre notion, celle de la nécessaire cohabitation sur un même territoire de peuples souverains pouvant librement disposer de leur avenir. […]

d) Élargir l’exercice de la démocratie. Par l’instauration de la démocratie participative, le  scrutin proportionnel, la parité hommes/femmes et la décentralisation.

e) Laïcité. Québec solidaire propose […] la combinaison de la neutralité des institutions publiques sur le plan des croyances […] avec la liberté, pour l’individu, d’exprimer ses propres convictions […]

L’État étant laïque, les signes religieux ne sont pas admis dans les institutions publiques (ex. : la croix dans le salon de l’Assemblée nationale), ni les manifestations religieuses lors des activités institutionnelles (ex. : la prière lors d’une rencontre d’un conseil municipal). […]


3- Option nationale

Sous la rubrique Pour un Québec souverain, la plateforme d’Option nationale évoque sommairement l’objectif de l’élaboration d’une constitution, dans un premier mandat, mais sans préciser si cette élaboration sera la responsabilité d’une Assemblée constituante. Un gouvernement d’Option nationale :

Fera en sorte qu’une Constitution du Québec souverain soit écrite avec la plus grande participation possible de la population du Québec, accompagnée d’experts en la matière. Cette Constitution définira les institutions du Québec et établira la reconnaissance de valeurs fondamentales telles que l’égalité homme-femme, la justice sociale, le bien-être des aînés, la protection de la langue française, la laïcité des institutions, le respect vigoureux de l’environnement et des principes du développement durable, la préservation du patrimoine culturel québécois et le respect des Premières Nations et de la minorité anglophone.

Fera entériner la souveraineté du Québec et la Constitution du Québec par voie de référendums simultanés ou séparés.

Reconnaîtra, conformément à la déclaration des droits peuples autochtones des Nations Unies, le droit à l’autodétermination de toutes les nations autochtones à l’intérieur d’un Québec souverain.


4- Syndicalistes et progressistes
pour un Québec libre (SPQL)


Le club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQL) est connu pour les prises de position soutenues, exprimées par son président, Marc Laviolette, syndicaliste et président de la CSN de 1999 à 2002, et son secrétaire, Pierre Dubuc, rédacteur en chef de L’Aut’Journal et fondateur du club en 2004. Après avoir été reconnu comme une fraction officielle au sein du PQ pendant un certain temps, ce statut lui a été retiré en 2010. Les membres du club ont néanmoins continué à intervenir au sein du PQ dont ils tentent désespérément de freiner la dérive à droite par leurs critiques persévérantes des politiques du parti, publiées régulièrement dans L’Aut’Journal. Dans le débat sur la question nationale et l’accession à l’indépendance, ils défendent la position suivante en cinq étapes successives : 1) convocation d’États généraux sur la souveraineté [21], 2) élection d’une majorité de députés du Parti québécois à l’Assemblée nationale, 3) tenue d’un référendum d’initiative populaire sur la souveraineté, 4) proclamation de l’indépendance, 5) convocation d’une assemblée constituante pour élaborer la constitution d’un Québec indépendant, après l’accession à l’indépendance :

Les États généraux ont pour mission de développer un argumentaire en faveur de la souveraineté… [Déployant] leurs antennes dans tout le Québec et [ralliant] les souverainistes de toutes allégeances politiques, [ils] devraient également fournir l’embryon du cadre organisationnel de la campagne de signatures pour un référendum d’initiative populaire sur la souveraineté.

Une fois le Parti Québécois au pouvoir majoritaire, il faudra procéder rapidement à la mise en place de cette structure populaire chargée d’organiser la campagne de signatures dans tous les milieux de travail, de loisirs, de vie du Québec, sur la base de l’argumentaire développé, entre autres, par les États généraux.

Peut-on imaginer plus belle expérience de démocratie participative que celle dont l’objet est l’émancipation d’un peuple ! Dans ce contexte, ce sera réellement un référendum du peuple, par le peuple et pour le peuple !

Mais, il y a un prérequis essentiel à toute cette démarche : la présence au pouvoir d’un Parti Québécois majoritaire ! Sans cela, rien n’est possible ! [22]

Laviolette et Dubuc ont attaqué sans merci Québec solidaire pour ses positions sur la laïcité, le port du voile islamique, son refus de toute alliance avec les autres partis indépendantistes et son projet d’accession à l’indépendance par la tenue d’une assemblée constituante. Ce projet, soutiennent-ils, laisse la porte ouverte au maintien du fédéralisme, comme Québec solidaire l’a d’ailleurs reconnu dans son programme en disant qu’il ne fallait pas « présumer de l’issue des débats », l’Assemblée constituante pouvant déboucher sur une adhésion du Québec à la Constitution du Canada : « Une fois qu’on a défini notre projet de société, est-ce qu’on a besoin de l’indépendance comme outil ou pas ? Alors, vous voyez que, dans notre perspective, c’est l’indépendance si nécessaire, mais pas nécessairement l’indépendance », a déclaré Amir Khadir dans une entrevue radiophonique à Radio Centre-Ville en août 2012.

Pour Laviolette et Dubuc :

On ne peut mettre sur le même pied le statut politique du Québec et les valeurs, les droits et les principes sur lesquels doit reposer la vie commune, comme le fait la proposition d’Assemblée constituante de Québec solidaire. Avant de discuter des valeurs et du fonctionnement d’un pays, il faut d’abord se donner un pays » [23].

La reconnaissance internationale d’un Québec indépendant, à la suite d’un référendum gagnant, est la priorité. Donnons-nous les institutions requises, sous la forme d’une constitution provisoire, si cela est nécessaire, mais assurons-nous de garder le cap sur l’objectif : l’indépendance » [24].



5- Le Conseil de la souveraineté du Québec

Fondé en 2002, le Conseil de la souveraineté du Québec (CSQ) est un lieu de concertation des divers organismes qui militent en faveur de l’indépendance. En conclusion de la phase 1 des États généraux sur la souveraineté, qu’il a organisés au cours de l’hiver 2013, il a opté pour ce qu’il a désigné comme « la voie citoyenne vers l’indépendance ». Il s’est constitué à cet effet en un « Consortium d’organisations de la société civile et de citoyens », dont la nouvelle appellation sera choisie à l’automne 2013.

Le Conseil réalise, depuis le début des États généraux sur la souveraineté, une union par la base des indépendantistes, membres ou non des différents partis politiques souverainistes, une union des militants et militantes qui acceptent de mettre de côté leurs divergences partisanes pour travailler à faire avancer l’idée d’indépendance dans une optique citoyenne.

En même temps, le Conseil se distance des partis politiques en ce sens qu’il ne va pas rencontrer les citoyens pour leur demander leur vote pour tel candidat ou tel parti, mais pour discuter de notre émancipation nationale comme peuple. […]
Le Québec a besoin d’une organisation de la société civile qui a la volonté et la capacité de faire campagne de façon permanente pour l’indépendance, dont l’indépendance est la seule et unique préoccupation[25]

Dans cette perspective, le Conseil s’est engagé à définir une « démarche constituante » permettant au peuple d’élaborer sa propre constitution. Son Conseil directeur est désormais constitué de membres exclusivement issus de la société civile. Il comporte des représentants de la Société Saint-Jean-Baptiste, du réseau Cap sur l’indépendance, du Nouveau Mouvement pour le Québec, initiateur du projet de la Convergence nationale, du Mouvement National des Québécois et du Rassemblement pour un Québec souverain, ainsi que des représentants du mouvement syndical et des mouvements écologiste et féministe. Les quatre partis politiques qui étaient représentés à son Conseil d’administration (Parti Québécois, Bloc Québécois, Québec solidaire et Option nationale) seront invités avec droit de parole mais sans droit de vote au Conseil directeur de la nouvelle organisation.

Même si l’alliance entre partis souverainistes est difficile, l’alliance entre des militants et militantes de la famille souverainiste demeure solide. C’est cette union par la base, bien réelle, porteuse d’avenir, que le Conseil de la souveraineté a entrepris de consolider […] [26]

Cette structure n’est pas sans rappeler celle des Partenaires pour la souveraineté qui avait été mise sur pied en préparation du référendum de 1995, dont faisaient partie les centrales syndicales et des organismes communautaires et culturels représentant plus d'un million de personnes.

En résumé :

Le Parti Québécois affirme qu’il a pour objectif premier de réaliser la souveraineté du Québec à la suite d’une consultation de la population par référendum. D’ici là, il entend agir en « gouvernement souverainiste ». Il s’engage à ce que ce gouvernement d’un Québec en marche vers la souveraineté, mais qui ne l’a toujours pas réalisée, fasse adopter, par l’Assemblée nationale, une Constitution québécoise pour affirmer et établir juridiquement les éléments essentiels de l’identité québécoise. Il s’engage également à convoquer une assemblée constituante afin d’écrire la constitution d’un Québec souverainiste, sans spécifier si cette assemblée aura lieu avant ou après la tenue d’un référendum.

Québec solidaire se définit comme un parti de gauche qui vise la construction d’une société basée sur la justice sociale. C’est pour réaliser ce projet qu’il considère comme essentielle l’accession du Québec au statut de pays, mais aussi parce qu’il la voit comme nécessaire à la préservation et au développement de la nation québécoise. Il s’engage à déclencher, dès son arrivée au pouvoir, une démarche d’Assemblée constituante. Les propositions issues de l’Assemblée constituante, y compris celle sur le statut politique du Québec, seraient soumises au choix de la population par référendum. Québec solidaire admet que ce processus, qui vise l’accession à l’indépendance, pourrait mener à l’adhésion du Québec à la Constitution canadienne.

Option nationale s’engage à ce qu’une Constitution d’un Québec souverain soit écrite avec la plus grande participation possible de la population du Québec, sans préciser si cette élaboration sera la responsabilité d’une Assemblée constituante. Un gouvernement d’Option nationale ferait entériner la souveraineté du Québec et la Constitution du Québec par voie de référendums simultanés ou séparés.

Le club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQL) défend la position suivante en cinq étapes successives : 1) convocation d’États généraux sur la souveraineté, 2) élection d’une majorité de députés du Parti québécois à l’Assemblée nationale, 3) tenue d’un référendum d’initiative populaire sur la souveraineté, 4) proclamation de l’indépendance, 5) convocation d’une assemblée constituante pour élaborer la constitution d’un Québec indépendant, après l’accession à l’indépendance. Il affirme qu’on ne peut mettre sur le même pied le statut politique du Québec et les valeurs, les droits et les principes sur lesquels doit reposer la vie commune et considère qu’avant de discuter des valeurs et du fonctionnement d’un pays, il faut d’abord se donner un pays.

Le Conseil de la souveraineté du Québec (CSQ) a pour mandat de promouvoir l’indépendance du Québec. Il a opté pour ce qu’il a désigné comme « la voie citoyenne vers l’indépendance ». Pour s’ouvrir aux organisations de la société civile et miser sur la souveraineté populaire, il s’est constitué en un « Consortium d’organisations de la société civile et de citoyens » dont l’indépendance est la seule préoccupation. Dans cette perspective, il s’est engagé à définir une « démarche constituante » permettant au peuple d’élaborer sa propre constitution.


Quels enseignements tirer
de la politique du GST ?

Face aux enjeux actuels de l’indépendance du Québec et de la Constituante souveraine, et face aux propositions mises de l’avant à cet égard par les principaux partis et organisations politiques, quels enseignements peut-on tirer de la politique élaborée par le GST dans le cadre du référendum de 1980 ? Le premier enseignement est que la satisfaction des revendications démocratiques et nationales du Québec ne peut être réalisée que par la liquidation du fédéralisme canadien. D’où le mot d’ordre de République libre du Québec et son caractère inconditionnel. La souveraineté politique est une question démocratique de libération nationale, qui se situe sur le même pied que les autres aspirations démocratiques et sociales. L’indépendance est un objectif en soi, parce qu’elle est la clé de la libération nationale du peuple québécois. L’objectif de sa réalisation ne saurait être soumis à aucune condition [27].

Parmi les partis et organisations politiques qui se réclament de l’indépendance, l’un d’eux, Québec solidaire, ne partage pas ce point de vue. L’extrait de son programme cité plus tôt stipule que c’est pour réaliser son projet social qu’il considère comme essentielle l’accession du Québec au statut de pays. Il l’avait affirmé de manière explicite dans une déclaration diffusée sur son site internet au terme de son congrès de 2009 qui a adopté le volet de son programme traitant de la souveraineté du Québec :

Au fil des ans, le discours sur l’indépendance a été vidé de son sens par certains souverainistes qui ont voulu faire du Québec un pays sans projet. Qu’on se le dise : l’indépendance sans sens n’a aucun sens.

Même si je suis un chaud partisan de profondes transformations sociales, j’estime que Québec solidaire se trompe en posant des conditions à la réalisation de l’indépendance. Il va sans dire que l’indépendance est un moyen indispensable de la réalisation du projet de société que nous voulons. Mais elle ne saurait être vue comme un simple outil de cette réalisation. Elle est un objectif en soi qui doit être défendu inconditionnellement. Dans l’hypothèse d’un éventuel référendum portant sur la seule question de la séparation, sans démarche constituante préalable, faudrait-il voter « contre ! » ou s’abstenir de voter, sous prétexte que le projet de société n’a pas été défini ?

Tout aussi préoccupante est la déclaration « l’indépendance si nécessaire, mais pas nécessairement l’indépendance », faite par Amir Khadir en août 2012 sur les ondes d’une station de radio de Montréal, illustrant les conséquences possibles du programme de Québec solidaire, selon lequel il ne faut pas « présumer de l’issue des débats » de l’Assemblée constituante, qui pourraient mener à l’adhésion du Québec à la Constitution du Canada.

Est-il par ailleurs opportun que le mandat de l’Assemblée constituante inclue la question du statut politique du Québec, comme le propose le programme de Québec solidaire ? Cette disposition a été l’objet d’une vive critique du tandem Laviolette-Dubuc, pour qui on ne peut mettre sur le même pied le statut politique et les valeurs, les droits et les principes sur lesquels doit reposer la vie commune. Avant de discuter des valeurs et du fonctionnement du pays, ne faut-il pas d’abord se donner un pays, par le biais d’un référendum gagnant ? [28]

Étant d’accord avec cette vision des choses, suis-je en contradiction avec les propositions d’appel à l’abstention et à la convocation immédiate de la Constituante, lancées lors du référendum de 1980 par le GST et auxquelles j’adhérais ?

Il faut d’abord rappeler que le référendum de 1980 n’appelait pas la population du Québec à se prononcer pour ou contre la souveraineté, mais qu’il sollicitait un mandat de négocier une formule de replâtrage du fédéralisme canadien désignée comme une entente de souveraineté-association avec le Canada. Pour des raisons évidentes, le GST ne pouvait appeler à voter en faveur d’une telle proposition. Il ne pouvait pas non plus appeler à voter contre et s’associer ainsi à la coalition fédéraliste-capitaliste anti-Québec. L’appel à l’abstention (et non à l’annulation du vote) était la manière de signifier, par le refus de participer au vote, le refus de lui attribuer toute apparence de légitimité [29].

Quant à l’appel à la Constituante souveraine, c’est dans le contexte de ce référendum portant sur une question fédéraliste et en opposition à lui qu’il a été lancé. De ce fait, la Constituante apparaissait comme chargée d’un mandat incluant la détermination du statut politique. À aucun moment cependant, cela n’a-t-il été explicitement formulé à l’époque et il serait présomptueux aujourd’hui de statuer qu’il en était implicitement ainsi. Une seule chose est claire. Le GST a dénoncé la question fédéraliste décidée par le gouvernement Lévesque et aurait souhaité la tenue d’un référendum sur l’accession à l’indépendance. Une victoire du « oui » suivie de la proclamation de l’indépendance aurait ouvert la voie à la convocation de la Constituante.

Dans l’attente d’une telle éventualité aujourd’hui, doit-on considérer la perspective de doter le Québec de dispositions constitutionnelles provisoires, ou s’en abstenir ? Il serait à mon point de vue souhaitable que le Québec se dote d’un cadre législatif minimal définissant ses valeurs fondamentales communes (primauté de la langue française, laïcité des institutions, égalité entre les hommes et les femmes, affirmation du patrimoine historique et culturel), qui contribuerait notamment à favoriser l’intégration harmonieuse des immigrants. Il va sans dire que l’objectif est d’en arriver à engager la population dans le processus démocratique d’une assemblée constituante qui serait vraisemblablement convoquée dès la proclamation de l’indépendance à la suite de la prise du pouvoir, dans l’hypothèse la plus réaliste, par une coalition de partis se réclamant de l’indépendance.

Il faut en effet envisager l’élection d’une majorité de députés indépendantistes à l’Assemblée nationale et écarter l’hypothèse de « l’élection d’une majorité de députés du PQ », deuxième étape du scénario en cinq étapes du tandem Laviolette-Dubuc [30], dont il affirme péremptoirement que « sans cela, rien n’est possible ! ». La question de la souveraineté étant une question démocratique qui vise tous les citoyens du Québec, l’atteinte de cet objectif suppose la réalisation d’un large consensus national. C’est un tel consensus que le Conseil de la souveraineté, notamment, souhaite construire, dans une démarche qui rejoint celle des Partenaires pour la souveraineté mise sur pied en préparation du référendum de 1995.

Il va sans dire que si un large consensus national est possible et nécessaire pour réaliser l’indépendance, un tel consensus serait illusoire pour réaliser le projet de société qui devra être élaboré par la Constituante, une fois l’indépendance proclamée. D’où l’importance pour le mouvement ouvrier et populaire de se coaliser et d’intervenir de manière unitaire en vue de son intervention à la Constituante. Pour préparer cette intervention, le GST appelait à la tenue préalable d’États généraux du mouvement ouvrier et de la jeunesse.



[1] J’ai écrit l’histoire du GST dans un article qui a été publié en 2006 dans le Bulletin d’histoire politique (vol. 14, no 2, hiver 2006, p. 227-248, et vol. 14, no 3, printemps 2006, p. 271-292). Cet article est accessible en ligne sur ma page du site des Classiques des sciences sociales. La présente contribution puise librement dans cette source.

[2] De 1974 à 1979, le GST a porté le nom de Groupe socialiste des travailleurs du Québec (GSTQ). Essentiellement implanté au Québec, il avait été fondé avec la perspective de la construction d’une organisation pancanadienne face à l’État fédéral canadien, instrument central de la domination de la classe ouvrière à l’échelle du Canada et de l’oppression nationale du Québec. Le changement de nom intervenu en 1979 traduit l’intensification des efforts que le groupe entendait alors engager pour se construire à l’échelle du Canada, à partir des acquis de sa construction au Québec au cours de ses cinq premières années d’existence.

[3] La question nationale et la révolution prolétarienne au Canada : définition des mots d’ordre du GSTQ au Québec dans la lutte pour la destruction de l’État fédéral, Presses socialistes internationales, 1978, 61 pages. Les références ultérieures à Tribune ouvrière et à La question nationale et la révolution prolétarienne au Canada sont respectivement indiquées par les abréviations TO et « La question nationale… ».

[4] Premier ministre du Canada de  1867 à  1873 et de 1878 à 1891.

[5] La question nationale…, p. 51, et Manifeste du Groupe socialiste des travailleurs Pour l’indépendance du Québec ! Convocation immédiate de l’Assemblée constituante du peuple québécois ! Gouvernement responsable devant l’Assemblée constituante !, mars 1980, p. 4.

[6] Bras droit de John MacDonald. L’orthographe anglaise « George » de son prénom lui vient de ce que ce prénom lui a été donné en commémoration du roi George III de Grande-Bretagne (1768-1810).

[7] La question nationale…, p. 51, et Manifeste du Groupe socialiste des travailleurs Pour l’indépendance du Québec !, op. cit., p. 4.

[8] Idem, p. 25.

[9] Idem, p. 36.

[10] Devenu par la suite le Parti communiste ouvrier.

[11] Karl Marx et Friedrich Engels, « Adresse du Conseil central à la Ligue des communistes », mars 1850.

[12] Léon Trotsky, La révolution permanente (1928-1931), Les Éditions de Minuit, Paris, 1963, et Vladimir Lénine, « Les tâches du prolétariat dans notre révolution », ou « Thèses d’avril », Pravda, n26, 7 avril 1917.

[13] La question nationale…, p. 34.

[14] Idem, p. 34.

[15] Conclu entre les provinces et le gouvernement conservateur de Brian Mulroney en 1987, cet accord était un projet de  réforme constitutionnelle visant à convaincre le Québec de signer la Loi constitutionnelle de 1982. Les modifications exigeaient la ratification unanime des 11 gouvernements du Canada (10 provinces et le fédéral) dans un délai de 3 ans (1987-1990) pour entrer en vigueur. Deux provinces, le Manitoba et Terre-Neuve refusèrent de signer l'accord, ce qui a entraîné son échec.

[16] Manifeste du Groupe socialiste des travailleurs Pour l’indépendance du Québec !, op. cit.

[17] TO, semaine du 11 février 1980, p. 4.

[18] Cité dans TO, semaine du 1er décembre 1980, p. 3.

[19] L’engagement à créer une Assemblée constituante chargée d’élaborer la constitution d’un Québec indépendant est réintroduit dans la version de 2012 du programme.

[20] Paragraphe 1.3 du programme.

[21] À noter que la phase 1 des États généraux sur la souveraineté, organisés par le Conseil de la souveraineté, a eu lieu au cours de l’hiver 2013 et a culminé, le 6 avril, dans un grand rassemblement qui en a fait le bilan et décidé des objectifs de la phase 2.

[22] « Assemblée constituante ou référendum d’initiative populaire ? », L’Aut’Journal, 12 juin 2013.

[23] « Accession à l’indépendance : la démarche fleur bleue de Québec solidaire », L’Aut’Journal, 24 août 2012

[24] « Assemblée constituante ou référendum d’initiative populaire ? », L’Aut’Journal, 12 juin 2013.

[25] Gilbert Paquette, « La voie citoyenne vers l’indépendance », L’Aut’Journal, 13 juin 2013.

[26] Idem.

[27] Voir Louis Gill, « Les orientations insoutenables de Québec solidaire », Bulletin d’histoire politique, vol. 18, no 3, printemps 2010, p. 149-155.

[28] La plateforme d’Option nationale quant à elle est silencieuse sur cette question. Sans spécifier si les propositions relatives à la souveraineté du Québec et à sa Constitution émaneront ou non d’une Assemblée constituante, elle annonce qu’elles seront soumises à des référendums, simultanément ou séparément. Voir plus tôt.

[29] Annulation et abstention sont deux procédures fondamentalement différentes. L’annulation implique la participation au vote, donc la reconnaissance de sa légitimité. L’abstention constitue un refus de participer à un vote considéré comme illégitime. Elle diminue le taux de participation au vote et réduit de facto son apparence de légitimité.

[30] 1) États généraux sur la souveraineté, 2) élection d’une majorité de députés du PQ à l’Assemblée nationale, 3) référendum d’initiative populaire sur la souveraineté, 4) proclamation de l’indépendance, 5) Assemblée constituante.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 1 octobre 2014 14:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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