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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “Notes sur le bonapartisme.” Montréal, 24 décembre 2004. Texte inédit non publié. Chicoutimi: Les Classiques des sciences sociales, août 2013. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 27 juillet 2013.]

Louis Gill

Notes sur le bonapartisme.”

Montréal, 24 décembre 2004. Texte inédit non publié. Chicoutimi : Les Classiques des sciences sociales, août 2013.


Pour évaluer le rôle historique de Napoléon Bonaparte, il faut évidemment partir de la Révolution de 1789, de son contenu et de ses acteurs. Réalisée par le Tiers État, au sein duquel la population travailleuse a joué le rôle principal, contre la noblesse et le clergé, la Révolution de 1789 a renversé le régime féodal, le pouvoir absolutiste de la monarchie et les privilèges de la noblesse et du clergé, proclamé la Déclaration des droits de l’homme et institué la République démocratique et le pouvoir du peuple. Survenue deux ans après la proclamation de la Constitution républicaine des États-Unis, la Révolution française marquait un gigantesque pas en avant dans l’évolution de l’humanité et l’émancipation des citoyens face aux pouvoirs arbitraires et discrétionnaires « de droit divin » dont les minorités possédantes avaient joui jusqu’alors. Comme les progrès de l’humanité ne se font jamais de manière unidirectionnelle, mais sont souvent marqués de retours en arrière puisque des intérêts conflictuels sont en cause et que les vaincus d’hier ne sont pas prêts à quitter la scène de l’histoire, la Révolution française, on le sait, a été marquée par de durs affrontements qui se sont finalement soldés par son renversement, dix ans après avoir été déclenchée, par le coup d’État du 18 brumaire de l’an VII selon le calendrier républicain, c’est-à-dire du 9 novembre 1799.

C’est Bonaparte qui a dirigé ce coup d’État, qui a liquidé le Directoire, dissout les institutions démocratiques de la République, instauré sa dictature sous le nom d’un Consulat inspiré de la Rome antique et cumulé tous les pouvoirs, prélude à la proclamation de l’Empire en 1804 dont la Constitution rétablissait certains aspects du régime monarchique comme la transmission héréditaire du pouvoir d'État. La restauration de la monarchie comme telle aura été évitée dans l’immédiat, mais pour être simplement reportée de quinze ans au terme des guerres « napoléoniennes » qui ont fait la renommée de l’Empereur, pour se solder finalement par la défaite de Waterloo en 1815. Si la monarchie a de nouveau été chassée en 1848, c’est encore une fois sous le seul poids de la mobilisation populaire, qui a elle aussi été écrasée par un Bonaparte, Louis Napoléon, neveu de Napoléon Ier, par le coup d’État du 2 décembre 1851 qui a inauguré le Second Empire. Devenu l'Empereur Napoléon III, Louis Napoléon Bonaparte instituera comme Napoléon 1er un régime autoritaire et centralisé et une transmission héréditaire du pouvoir d'État. Il faudra encore vingt années pour que surgisse une nouvelle mobilisation populaire, celle de la Commune de Paris en 1871, qui aura raison du Second Empire et donnera lieu à l’institution de la Troisième République.

Ceci étant dit, il faut rendre à Napoléon ce qui appartient à Napoléon comme il faut rendre à César ce qui appartient à César. Comme l’a écrit Léon Trotsky, si Napoléon a été « le fossoyeur des principes politiques de la révolution », il a été le « gardien de ses conquêtes sociales ». Ou encore, il a réalisé « la consolidation de la révolution bourgeoise par la voie de la liquidation de ses principes et de ses institutions politiques ». Son action n’a pas consisté à rétablir les anciennes formes de propriété ni le pouvoir des anciennes classes dominantes. Elle a consisté en une modification de la répartition des avantages du nouveau régime social entre les différentes fractions du Tiers État victorieux, au profit des éléments les plus fortunés dont Napoléon défendait les intérêts et au détriment de la « plèbe » qui avait pourtant été l’élément clé du triomphe de la révolution. Napoléon, écrit Trotsky, « défendit la propriété bourgeoise, y compris la propriété paysanne, aussi bien contre la « plèbe » que contre les prétentions des propriétaires expropriés. L’Europe féodale haïssait Napoléon comme l’incarnation vivante de la Révolution, et à sa manière elle avait raison ».

Trois quarts de siècle plus tôt, Karl Marx, faisant l’autopsie du nouveau 18 Brumaire, celui de Louis Napoléon Bonaparte qui avait à son tour renversé, en 1851, la Deuxième république française, décrivait ainsi le rôle joué par Napoléon Bonaparte à l’égard de la Première république : « Camille Desmoulins, Danton, Robespierre, Saint-Just, Napoléon, les héros, de même que les partis et la masse de la première Révolution française, accomplirent dans le costume romain et en se servant d'une phraséologie romaine la tâche de leur époque, à savoir l'éclosion et l'instauration de la société bourgeoise moderne. Si les premiers brisèrent en morceaux les institutions féodales et coupèrent les têtes féodales, qui avaient poussé sur ces institutions, Napoléon, lui, créa, à l'intérieur de la France, les conditions grâce auxquelles on pouvait désormais développer la libre concurrence, exploiter la propriété parcellaire du sol et utiliser les forces productives industrielles libérées de la nation, tandis qu'à l'extérieur, il balaya partout les institutions féodales dans la mesure où cela était nécessaire pour créer à la société bourgeoise en France l'entourage dont elle avait besoin sur le continent européen ».

Ces précisions étant faites quant au rôle éminemment important mais profondément contradictoire de Napoléon, on comprendra facilement que si les Français nourrissent une fierté unanime à l’égard de leur Révolution de 1789, dont ils ont célébré en grandes pompes le deuxième centenaire en 1989, ils se doivent avec raison de mesurer avec toute l’objectivité nécessaire et toute la justesse qui s’impose les rôles respectifs des acteurs de cette révolution, dont celui de Napoléon, si fascinants aient pu être par exemple les exploits de la Grande Armée. Et le moins qu’on puisse dire à cet égard est que tant l’admiration béate de celui qui fut « l’Empereur des Français », que sa répudiation pure et simple en tant que dictateur, sont des attitudes à rejeter

Le terme « bonapartisme », qui caractérise la réduction, voire la liquidation du pouvoir législatif démocratique au profit du pouvoir exécutif discrétionnaire et autoritaire parfois fondé sur l’appareil militaire et policier est fort utile pour décrire certaines évolutions de la réalité contemporaine. On peut dire par exemple de la Constitution de la Cinquième République française, création de Charles de Gaule après la Deuxième Guerre mondiale, qu’elle souffre de traits bonapartistes par rapport à celle qui la précédait, en raison de l’augmentation significative des pouvoirs de la présidence. L’analogie avec la destruction bonapartiste des institutions démocratiques de la Première Révolution française est aussi particulièrement utile pour décrire la destruction du caractère démocratique soviétiste de la Révolution d’Octobre 1917 en Russie et l’institution du pouvoir totalitaire de Staline à partir du milieu des années 1920. L’analogie est d’autant plus pertinente qu’en Russie, et plus tard en Union soviétique, la bureaucratie stalinienne, tout comme la bureaucratie napoléonienne cent ans plus tôt, a bel et bien été le « fossoyeur des principes politiques de la révolution socialiste », tout en étant le « gardien de ses conquêtes sociales ». Si le pouvoir politique a été confisqué aux ouvriers soviétiques, la propriété bourgeoise des moyens de production n’a pas été restaurée par la bureaucratie stalinienne dont le pouvoir était au contraire fondé sur la défense, à ses avantages, de la propriété étatique. Ce n’est qu’à partir du tournant majeur provoqué par la chute du Mur de Berlin en 1989 que le coup d’envoi a été donné à ce rétablissement de la propriété privée, sonnant le glas de la bureaucratie qui s’est empressée de se reconvertir en nouvelle bourgeoisie privilégiée et corrompue jusqu’à la moelle.

On ne saurait par contre établir une telle analogie entre bonapartisme et hitlérisme même si le régime institué par Hitler en Allemagne à partir de 1933 avait bien tous les traits du bonapartisme : Hitler avait dissout la Constitution démocratique de la République de Weimar, supprimé toutes les libertés et imposé sa dictature; il avait donné à l’économie allemande une formidable impulsion par la construction d’une puissante infrastructure militaire qui allait mener à la Deuxième Guerre mondiale, et sa conception de l’humanité reposait sur le mythe de la supériorité de la race aryenne et l’antisémitisme tout comme Napoléon nourrissait le mythe de la supériorité des Blancs sur les Noirs et avait rétabli l'esclavagisme et la traite des Noirs. Mais, alors que Napoléon était le porteur d’un projet social progressiste, celui de l’édification d’un nouveau régime social sur les ruines du féodalisme, Hitler était, lui, porteur d’un projet social entièrement réactionnaire, celui de l’instauration de la suprématie allemande sur le monde entier, à une époque où le régime social capitaliste avait déjà atteint ses limites, celles de l’impérialisme, posant de facto la question du passage nécessaire à un autre ordre social.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 18 septembre 2013 11:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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