RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, UQAM: les pratiques douteuses du passé et la complicité des représentants externes du CA”. Un article publié dans la revue SPUQ-Info, no 268, octobre 2008, pp. 5-7. [Avec l'autorisation de l'auteur accordée le 18 novembre 2008.]

Louis Gill
[économiste, retraité de l’UQÀM.]

UQAM: les pratiques douteuses du passé
et la complicité des représentants externes du CA

Un article publié dans la revue SPUQ-Info, no 268, octobre 2008, pp. 5-7.

Dépassements de coûts et contournement du CA
« Le contraire de la transparence administrative »
Conflits d’intérêts
Des liasses de documents déposées à la dernière minute
Des substituts internes à un financement public déficient
Discrimination religieuse, linguistique et sexuelle
Des représentants externes d’une qualité douteuse
Défendre la gestion collégiale

Introduction

Pour dissiper tout doute que pourrait soulever cet article quant à mon bilan du rectorat de Roch Denis, je déclare d’entrée de jeu que je déplore et condamne les agissements de ce rectorat, qui entachent la réputation de l’UQAM, hypothèquent son développement et mettent en péril son mode de gestion collégial.

La mémoire étant une faculté qui oublie, on peut être incité à croire, devant l’ampleur de ce naufrage, que la non-transparence, les décisions unilatérales, les dépassements de coûts, le financement des investissements à même le budget de fonctionnement et le recours à des substituts inusités d’un financement public déficient, qui ont atteint sous l’administration Denis une ampleur sans précédent, sont des pratiques nouvelles et que rien de tel ne se serait produit dans le passé. C’est ce que suggère, entre autres, un article intitulé « L’UQAM a été gouvernée avec rigueur et transparence » publié le 1er juin 2007 dans Le Devoir par Claude Pichette, Claude Corbo et Florence Junca-Adenot, qui ont occupé divers postes administratifs à l’UQAM entre 1970 et 1996.

Voyons ce qu’il en est, au moins en partie, à la lumière de la décennie qui a précédé l’entrée en fonction de Roch Denis en 2001. Ce rappel permettra en particulier d’alimenter la réflexion sur les prétendues garanties de saine gestion que certains voient dans une éventuelle présence accrue de représentants externes « indépendants » au sein des conseils d’administration universitaires.

Dépassements de coûts et contournement du CA

D’un montant initial de 30 millions de dollars, établi par contrat entre l’UQAM et le Groupe Duclos Dupras Plourde en 1993, au cours du deuxième mandat de Claude Corbo au rectorat, le coût de construction du complexe du Centre sportif et des Résidences étudiantes situées à l’angle des rues Sanguinet et René-Lévesque est passé à 42 millions à la fin des travaux, quatre ans plus tard, à la suite de révisions successives dont le tiers du montant, soit 4 millions de dollars, est le résultat de décisions prises sans que le CA en ait été saisi sur une période d’un an et demi, de décembre 1995 à mai 1997, sous le rectorat intérimaire de Gilbert Dionne et le début du rectorat de Paule Leduc (Procès verbal du CA du 27 mai 1997).

Ces dépassements inexpliqués des coûts, ainsi que des irrégularités apparentes dans l’attribution des contrats de construction et des conflits d’intérêts présumés dans l’exécution des projets immobiliers alors en cours (Centre sportif-Résidences et phase I du Complexe des sciences) avaient été dévoilés en 1997 par des articles d’Alex Roslin dans le quotidien The Gazette et l’hebdomadaire Hour, inspirés d’une enquête réalisée par Pierre Michaud de Télé-Québec. Le Devoir en a également fait état sous la plume de François Normand (SPUQ-Info, no 185, septembre 1997, p. 15).

Selon ces informations, le terrain d’accueil du complexe Centre sportif-Résidences avait été acquis de la Ville de Montréal pour la somme de 1,2 millions de dollars par le Groupe Duclos qui l’avait revendu un mois plus tard à l’UQAM pour la somme de 7,8 millions. L’UQAM aurait payé 160 dollars le pied carré pour l’achat du terrain, comparativement à une moyenne de 78 dollars le pied carré pour des terrains équivalents. Un écart du même ordre a été constaté quant aux coûts de construction.

« Le contraire de la transparence administrative »

Pour ce qui est des décisions de dépenses non prévues et non autorisées de 4 millions de dollars, elles ont été condamnées comme des « entorses administratives » dans une sévère réprimande du Comité de vérification déposée au CA du 27 mai 1997. Le Comité de vérification les énumérait ainsi : « approuver à la pièce des dépenses relatives à la construction (des ordres de changement ou des travaux additionnels) dont le total aurait exigé l’autorisation du CA, transférer au budget de fonctionnement des dépenses relatives à la construction et utiliser des réserves à l’investissement qui ne sont pas connues du Conseil ». « Ce fonctionnement à la marge, précisait le rapport, est le contraire de la transparence administrative et il ne sera pas toléré à l’avenir » (extrait du PV du CA du 27 mai 1997 cité dans le SPUQ-Info, no 188, décembre 1997, p. 10). Malgré la sévérité de la semonce, le Comité de vérification n’identifiait aucun responsable et ne recommandait aucune sanction.

Il est à noter que le transfert de fonds du budget de fonctionnement au budget d’investissement survenait au moment même où l’administration demandait aux salariés de l’UQAM, chaque année depuis le printemps 1995, de consentir à des économies de masse salariale en guise de contribution à l’équilibrage de ce même budget de fonctionnement. Outré de constater que les salariés étaient ainsi appelés à contribuer sans le savoir au financement de dépenses non autorisées relevant de l’incurie administrative et de manœuvres douteuses, le Syndicat réclamait que toute la lumière soit faite. Il apprenait au printemps 1998 du directeur des Services financiers, Louis Chapelain, que, de 1993-1994 à 1996-1997, un montant d’un million de dollars par année a été transféré du budget de fonctionnement au budget d’investissement avec l’accord du ministère de l’Éducation, en guise de contribution de l’Université au financement de la construction du Centre sportif, que le ministère n’a financé que dans une proportion de 50 % (SPUQ-Info, no 192, avril 1998, p. 5).

Conflits d’intérêts

Dans le cadre de la Phase I du Complexe des sciences, un contrat de 38 millions de dollars a été octroyé au Groupe Axor à la fin de 1995 pour la construction du pavillon Président-Kennedy. Deux ans plus tôt, en juin 1993, le Comité exécutif de l’UQAM avait retenu les services d’Axor et de l’architecte Claude Rheault pour agir en qualité de directeur de la construction des pavillons Jeanne-Mance, Sherbrooke et Président-Kennedy du Complexe des Sciences et du pavillon de Design. Il n’y a qu’un pas à franchir pour évoquer l’hypothèse d’un accès possible, par cette position privilégiée de directeur de la construction, à des informations internes qui auraient été de nature à aider Axor à présenter la plus basse soumission.

Il est également fort intéressant de rappeler que le président de SNC-Lavalin Capital, Jean-Claude Villiard, était un membre externe « indépendant » du Conseil d’administration de l’UQAM au moment où le contrat a été octroyé à Axor. C’est lui-même qui avait appuyé la proposition du CA en ce sens. Or, SNC-Lavalin et Axor étaient alors partenaires dans plusieurs projets. Cette situation flagrante de conflit d’intérêts est sans doute un exemple probant du gage d’objectivité escompté des représentants externes « indépendants », dont les experts de la gouvernance et la ministre de l’Éducation souhaitent voir le nombre devenir majoritaire au CA.

Dans le même ordre d’idées, on ne peut faire abstraction du fait que le maître d’œuvre du plan d’expansion de l’UQAM pendant plusieurs années, jusqu’en 1996, était Forence Junca-Adenot, dont le mari, Alain Adenot, était un dirigeant de SNC-Lavalin. Le journaliste Alex Roslin a mis en lumière le fait que SNC-Lavalin a reçu un contrat de 65 000 dollars sans appel d’offres dans le projet du Centre sportif et des Résidences. Même si ce contrat a été accordé légalement, un appel d’offres n’étant alors requis que pour des contrats de plus de 100 000 dollars, il est difficile  de ne pas voir ici au moins l’ombre d’un conflit d’intérêts. Inutile de dire que le Syndicat des professeurs n’a cessé de réclamer de l’administration qu’elle fasse toute la lumière sur ces questions troublantes, qui ne semblent pas avoir fait sourciller les membres « indépendants » du CA issus du monde des affaires.

Des liasses de documents déposées à la dernière minute

Le Vérificateur général a vertement critiqué l’administration Denis pour la remise tardive aux membres du CA de la documentation volumineuse à la lumière de laquelle les décisions devaient être prises et sans la connaissance de laquelle aucun débat éclairé ne pouvait avoir lieu. Il faut savoir ici encore que cette pratique est loin d’être nouvelle. Tous les professeurs qui, à un moment ou un autre, ont été membres de la Commission des études ou du Conseil d’administration, sont en mesure d’en témoigner. Rarement les délais réglementaires de remise de la documentation sont respectés et souvent, dans le cas de dossiers chauds, les documents sont remis à la dernière minute. Ici encore, les champions de la critique de cette pratique ont été les professeurs et leur syndicat.

Des substituts internes à un financement public déficient

En quête de fonds comme toutes les universités, l’UQAM impressionne par la singularité des moyens auxquels elle a recouru pour tenter de pallier l’insuffisance du financement public. Le projet de l’Îlot Voyageur en partenariat privé-public et le recours massif à l’emprunt avec la prise en charge par l’UQAM de la majeure partie des risques, qui ont mené au récent désastre financier, en sont certes les manifestations les plus extrêmes. Mais il ne faut pas oublier les initiatives précédentes, en particulier celles qui ont vu le jour sous l’administration de la rectrice Paule Leduc, d’août 1996 à janvier 2000.

La première de ces initiatives est la mise sur pied en 1999 d’un étonnant montage financier faisant intervenir le gouvernement du Québec, la Ville de Montréal et la Banque Royale. En vertu de ce montage, l’UQAM contractait auprès de la Banque Royale un emprunt de 161 millions de dollars réparti en tranches égales sur trois ans avec garantie de remboursement du capital et des intérêts par le gouvernement du Québec, pour acquérir 9 % des actions de la « Société de gestion Marie-Victorin » créée en 1998 par une loi spéciale en vue de faire l’acquisition du Biodôme, du Jardin botanique et du Planétarium de Montréal. En retour de ces bons services, l’UQAM recevait du gouvernement du Québec et de la Ville de Montréal un montant annuel de 130 000 dollars destiné au financement d’une nouvelle Chaire d’études des écosystèmes.

Étonnant montage qui soulève la question suivante : en quoi est-il du ressort de la mission universitaire d’acquérir des actions d’une société de gestion, fût-elle publique, et d’agir au compte de cette société pour emprunter en son nom des sommes qui seront finalement remboursées par le bailleur de fonds qu’est le gouvernement, et tout cela pour obtenir en bout de compte une modeste subvention de 130 000 dollars par année ? Il faut préciser que ce projet de chaire avait été élaboré au sommet dans l’opacité, sans que rien n’en filtre jusqu’à son dépôt à la Commission des études (SPUQ-Info, no 203, septembre 1999, p.12-14)

Discrimination religieuse, linguistique et sexuelle

Tout aussi opaque avait été la mise au monde de cet autre joyau administratif qu’est l’initiative d’un partenariat privé-public entre l’Université et le Torah and Vocational Institute of Montreal (TAV) en 1999. En vertu de cette entente, l’UQAM acceptait de dispenser en vase clos et en anglais un enseignement spécifique adapté aux besoins de la communauté juive et répondant à ses contraintes. Publique, laïque, francophone et vouée à la défense de l’égalité entre les hommes et les femmes, elle s’engageait néanmoins dans une dérogation totale à ces principes fondateurs en acceptant de dispenser des cours dans un cadre ghettoïsé de discrimination religieuse, linguistique et sexuelle. La motivation était financière. L’entente permettait de profiter d’un important bassin d’étudiants, des subventions gouvernementales auxquelles le TAV était admissible, de droits de scolarité plus élevés, de la contribution du TAV en matière de locaux, d’équipements informatiques, de publicité et de gestion des dossiers étudiants.

L’entente avait été signée par la vice-rectrice Lynn Drapeau et le secrétaire général et adjoint à la rectrice, Pierre Parent, sans que ni le Conseil d’administration ni la Commission des études n’en aient été saisis. Elle a été résiliée au terme de l’année universitaire, au printemps 2000, comme résultat d’une intervention acharnée, engagée dès septembre 1999 par le Syndicat des professeurs et menée tout au long de l’année avec l’adhésion progressive des professeurs et des départements, puis de la Commission des études. Il faut constater que ce n’est pas, ici encore, des membres extérieurs « indépendants » issus du monde des affaires qu’est venue la critique de cette décision prise de manière antidémocratique par la haute administration et de sa dérogation aux principes les plus élémentaires de l’enseignement universitaire.

Des représentants externes d’une qualité douteuse

À la suite de la débâcle financière du Complexe des sciences et de l’Îlot Voyageur, de nombreux intervenants, du Vérificateur général  à la ministre de l’Éducation, en passant par les cabinets de vérification comptable et les « experts » de la gouvernance, ont réclamé un nouveau mode de gestion donnant un poids majoritaire aux représentants externes « indépendants » au sein des conseils d’administration universitaires, comme si une telle modification pouvait constituer une garantie d’une saine gestion.

Dans cet esprit, la ministre Michèle Courchesne a annoncé fièrement à la mi-août la nomination au CA de l’UQAM de trois administrateurs chevronnés, dont un comptable du cabinet Samson Bélair/Deloitte & Touche. Or, ce cabinet comptable est celui-là même auquel le Directeur des investissements, Nicolas Buono, désormais congédié de l’UQAM, avait fait appel pour évaluer la rentabilité du projet de l’Îlot Voyageur et dont le rapport du Vérificateur général souligne les multiples failles, ainsi que la responsabilité dans la recommandation au CA d’adopter le projet. Belle garantie d’une saine gestion future !

Il est à noter que Deloitte & Touche est, avec PriceWaterhouse Coopers, KPMG et Ernst & Young, un des quatre grands de la vérification comptable à l’échelle internationale, qui ont, à des degrés divers, trempé dans le scandale de la « comptabilité créative » destinée à bonifier artificiellement et illégalement les profits des entreprises afin de soutenir le prix des actions en bourse et les revenus (options d’achat d’actions) des hauts dirigeants au début de la décennie.

On sait que cette pratique a éclaté au grand jour lors de faillites retentissantes comme celles d’Enron, WorldCom, Tyco, et bien d’autres aux États-Unis, et de fraudes comme celles de Nortel et Cinar au Canada et au Québec. Il n’est pas inutile de préciser que c’est à la vigilance de Deloitte et Touche et Ernst & Young respectivement qu’ont « échappé » les graves fraudes et falsifications comptables de Nortel et de Cinar au moment où ces deux entreprises se sont effondrées au début de la décennie.

Aussi est-il outrageant de voir ces cabinets venir faire la morale à l’UQAM et s’ériger en donneurs de leçons de saine gestion. Tout aussi outrageant est l’appel des gestionnaires de l’UQAM et de l’UQ à ces cabinets qui se permettent des opinions sur une gestion universitaire dont ils sont parfaitement étrangers et qu’ils souhaiteraient aligner sur le seul modèle qui leur sert de référence, celui de l’entreprise privée.

Défendre la gestion collégiale

Les rappels de cet article le font ressortir, tout comme les faits qui ont entouré l’évolution des projets aventuriers du Complexe des Sciences et de l’Îlot Voyageur : les seules voix qui se sont élevées historiquement pour s’opposer à des projets inacceptables des administrateurs internes de l’UQAM sont les syndicats et le personnel, au premier titre les professeurs et le SPUQ. Systématiquement, les représentants externes se sont rangés du côté des administrateurs internes dont ils ont cautionné, voire défendu vigoureusement les orientations, y compris lorsque celles-ci étaient dénuées de fondements sur les plans académique et financier. Le professeur Bernard Élie, qui a été pendant six ans membre du CA de l’UQAM, en a clairement fait état dans un article paru dans Le Devoir du 10 juin 2008 (reproduit dans le SPUQ-Info de juin 2008).

L’opposition qu’érigent les spécialistes de la gouvernance entre membres internes (gestionnaires et représentants du personnel) et membres externes « indépendants » provenant du monde des affaires est une fausse opposition. Il n’y a pas de distance entre administrateurs, qu’ils proviennent de l’extérieur ou de l’intérieur. Ils s’entendent comme larrons en foire pour défendre leur gestion affairiste. La seule distance réelle est celle qui sépare les gestionnaires, d’où qu’ils proviennent, et les représentants des professeurs et des autres catégories de personnel, seuls aptes à défendre les valeurs universitaires et une gestion qui leur est appropriée. Il faut à tout prix s’opposer à une modification du mode de gestion démocratique en vigueur à l’UQAM depuis sa création qui ferait écho aux récentes propositions des « experts » de la gouvernance.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 19 novembre 2008 11:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref