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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “Renégats. Les canadiens engagés dans la guerre civile espagnole, traduction française de Renegades. Canadians in the Spanish Civil War, de Michael Petrou, Lux Éditeur, 2015, 402 pages.” Recension parue dans le Bulletin d’histoire politique, vol. 24, no 3, printemps 2016. [Autorisation de l’auteur le 6 septembre 2016.]

Louis Gill

Renégats. Les canadiens engagés dans la guerre civile espagnole, traduction française de Renegades.
Canadians in the Spanish Civil War
, de Michael Petrou,
Lux Éditeur, 2015, 402 pages.


Recension parue dans le Bulletin d’histoire politique, vol. 24, no 3, printemps 2016.

Il y a 80 ans, le 16 février 1936, le peuple espagnol portait démocratiquement au pouvoir un gouvernement républicain. Cinq mois plus tard, le 18 juillet, une tentative de renversement militaire de ce gouvernement, dirigée par le général Francisco Franco, plongeait le pays dans une guerre civile qui allait durer trois ans. Un large mouvement international d’appui au gouvernement légitime et à la république attaquée a amené en Espagne, dans les mois qui ont suivi, quelque 35 000 combattants volontaires de 70 nationalités en provenance de plus de 50 pays, recrutés pour la plupart par les Partis communistes de ces pays et organisés dans les désormais célèbres « brigades internationales ». Près de 1700 volontaires canadiens ont participé à cet élan, principalement regroupés au sein du bataillon Mackenzie-Papineau de la XVe Brigade, dont faisaient également partie les bataillons Abraham-Lincoln et George-Washington des États-Unis. 400 d’entre eux y ont laissé leur vie. Des centaines d’autres y ont subi de graves blessures ou ont disparu sans laisser de trace.

Dans ce livre passionnant intitulé Renégats, le journaliste anglo-canadien Michael Petrou lève le voile sur ce volet peu connu de l’histoire du Canada. Il nous révèle que 78 % de ces volontaires étaient des néocanadiens, majoritairement des ouvriers, venus principalement d’Europe centrale et orientale. 780 étaient originaires de l’Ontario, 350 de la Colombie britannique, 200 du Québec, dont 59 francophones. Les deux tiers étaient membres du Parti communiste canadien. Plusieurs d’entre eux avaient été recrutés dans les camps de secours mis sur pied par le gouvernement du Premier ministre Richard Bennett à partir de 1932, pour y accueillir des dizaines de milliers de chômeurs au cœur de la profonde dépression des années 1930 et leur offrir un emploi dans des projets de travaux publics en échange d’un salaire de subsistance. En créant ces camps, le gouvernement prétendait aussi contrer ce « fléau étranger, le communisme, [qui] menaçait la société canadienne », en isolant et soumettant « les éléments subversifs » (p. 54). La situation désespérée du marché du travail et la volonté de se libérer de l’autoritarisme des camps de secours en a amené plus d’un à « considérer que la lutte […] pour trouver du travail au Canada rejoignait celle des Espagnols contre le fascisme en Europe », et que ceux qui avaient le courage [de résister] méritaient toute l’aide [qu’on pouvait] leur apporter » (p. 56).

Petrou s’est employé à retracer minutieusement l’origine, le métier et le sort de chacun d’eux. Il en présente les résultats dans un tableau détaillé de 40 pages. Cet ouvrage, qui reprend les résultats de sa thèse de doctorat soutenue à l’Université d’Oxford, s’abreuve rigoureusement de divers fonds d’archives, dont celui, conservé à Moscou, de l’Internationale communiste, devenu accessible après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991.

Il fait le récit des principales batailles (défense de Madrid, fronts d’Aragon et de l’Èbre), auxquelles les volontaires canadiens ont participé, depuis leur arrivée en Espagne au printemps de 1937 jusqu’à leur départ en septembre 1938, au moment où se confirmait la débâcle du camp républicain et la victoire sans appel de Franco. Ce récit navrant fait état des rares victoires, mais surtout des défaites et des reculs de ces combattants « mal entraînés, mal armés et bien trop souvent envoyés au combat dans des attaques suicides par des militaires incompétents » (p. 205), dans le contexte d’une aide militaire déficiente et intéressée d’une Union soviétique surtout préoccupée de se disposer favorablement en prévision du conflit mondial qui se préparait et d’écraser la révolution sociale en marche au cœur de la guerre civile, alors que les insurgés dirigés par le général Franco avait bénéficié dès le début d’une aide militaire massive de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie.

Les conditions horribles dans lesquelles les volontaires canadiens ont été amenés à combattre en ont poussé plusieurs à déserter ou à tenter de le faire (117, selon Petrou, p. 183), à réclamer instamment d’être rapatriés, voire à s’automutiler pour se rendre inaptes au combat. Même le plus haut gradé canadien en Espagne, le commandant du bataillon Mackenzie-Papineau, Edward Cecil-Smith, aurait tenté de déserter et se serait tiré une balle dans la jambe pour éviter de retourner au front (p. 189). « Peu s’en sortirent indemnes. La dysenterie sévissait partout. De nombreux combattants avaient des plaies infectées, des dents branlantes […] On peut comprendre qu’ils aient été nombreux à tout simplement s’effondrer et vouloir s’en sortir » (p. 184).

Des accusations sans fondements, d’indiscipline, d’anarchie, de collaboration avec l’ennemi, voire du crime ultime de « trotskysme », proférées dans le contexte de la terreur stalinienne qui sévissait alors en Espagne sous la direction du Parti communiste espagnol et des conseillers soviétiques, a mené bon nombre d’entre eux à des détentions sans procès dans des prisons politiques où « régnait un régime dictatorial despotique » et où ils étaient « soumis par la coercition et une terreur constantes » (p. 192). Certains ont été exécutés. Même le célèbre médecin Norman Bethune, qui s’est fait connaître mondialement par le service de transfusion sanguine au front qu’il a mis sur pied en Espagne au risque de sa vie, de novembre 1936 à mai 1937, et à qui Petrou consacre un chapitre (p. 235-249), a été forcé de quitter précipitamment l’Espagne, à peine six mois après son arrivée, parce que de fausses accusations d’espionnage avaient été montées contre lui.

En contrepartie, d’autres volontaires canadiens n’ont éprouvé aucun scrupule à collaborer au système de dénonciation, de falsification et de répression mis en place par la très redoutée police secrète, le Servicio de investigación militar, qui était sous la tutelle de la police politique soviétique, le NKVD (Commissariat du peuple aux affaires intérieures).

Pourquoi ce livre porte-t-il le titre Renégats ? Parce que c’est ainsi que le gouvernement canadien considérait les volontaires canadiens en Espagne. En fait, il les considérait comme des criminels. Il faut préciser que les « démocraties » qu’étaient la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis et le Canada, avaient refusé d’apporter leur aide au gouvernement espagnol démocratiquement élu, à l’assaut duquel le général Franco s’était lancé. Une loi de 1937 avait interdit la participation des Canadiens à la guerre d’Espagne et le gouvernement avait décidé, en vertu de l’article 573 du Code criminel, de poursuivre pour conspiration les recruteurs de volontaires, au premier titre le Parti communiste canadien (p. 253-255). Même si ces poursuites ont été abandonnées par la suite, et que les volontaires revenus au pays ont été exempts de mesures judiciaires, ces derniers ont continué à être espionnés par la GRC pendant plusieurs années (p. 263).

En somme, un excellent livre qui, non seulement nous offre un compte-rendu scientifiquement rigoureux et exhaustif de la participation des volontaires canadiens à la guerre civile espagnole, mais qui ouvre en toute objectivité une fenêtre sur le contexte politique interne largement méconnu de cette guerre.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 27 septembre 2016 19:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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