RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Mario Dumais, Louis Gill et Jean-Guy Loranger, «"Ne comptons que sur nos propres moyens". Un texte accessible qui rompt avec le réformisme.» Un article publié dans le journal Québec-Presse, Montréal, édition du 28 novembre 1971, page 6. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 11 janvier 2005.]

Mario Dumais, Louis Gill
et Jean-Guy Loranger

«"Ne comptons que sur nos propres moyens".
Un texte accessible qui rompt avec le réformisme

Un article publié dans le journal Québec-Presse, Montréal, édition du 28 novembre 1971, page 6.

Réponse à Parizeau

MM. Mario Dumais, professeur au département d'Histoire de l'université du Québec à Montréal Louis Gill, professeur au département d'Économie de la même université, et Jean-Guy Loranger, professeur au département des Sciences économiques de l'université de Montréal, répondent dans cette page à M. Jacques Parizeau à propos de deux documents publiés par la CSN.


Jacques Parizeau présentait la semaine dernière, dans "Québec-Presse", une critique du document de la CSN intitulé : "Ne comptons que sur nos propres moyens". Cette critique qualifiait le texte de démagogique, voire même caricatural.

Visiblement agacé par le type d'approche qu'utilise le document dans son analyse des problèmes politiques, économiques et sociaux du Québec, Parizeau a d'abord tenu à préciser qu'il ne voyait pas d'objection à la transcription de ces problèmes en termes d'impérialisme, de monopolisation, de domination de la bourgeoisie, tout en précisant par ailleurs que, selon lui, le plus grand mérite de cette terminologie est de bien se prêter à l'injure et de faire appel à l'émotivité. Voulant mettre les rieurs de son côté, il qualifiait cette démarche de "marxisme à papa".

Sans vouloir défendre de A à Z le document de la CSN (nous sommes d'accord pour dire qu'il peut être critiqué sur de nombreux points ; c'est d'ailleurs un texte d'étude qui doit être discuté dans tous les syndicats de la CSN d'ici le congrès de juin), nous croyons qu'il s'agit d'un excellent texte de base, d'une clarté et d'une simplicité qui le rendent accessible à ceux qui ne sont pas spécialistes des questions économiques et qui a le grand mérite de rompre avec la tradition réformiste des textes produits jusqu'à maintenant par les centrales syndicales. (Exemple : l'étude sur l'industrie des pâtes et papiers produite par la CSN. — Voir ci-contre).

Une analyse marxiste

L'analyse, en termes d'impérialisme, de monopolisation, d'exploitation des travailleurs, etc., n'est pas un simple artifice de langage dont le seul intérêt, selon Parizeau, serait de jouer sur les sentiments des lecteurs. Une telle analyse, au contraire, traduit clairement les conditions de la lutte des classes.

Loin d'être purement "économiste", cette analyse est politique, économique et sociale, elle s'inscrit dans l'histoire, et c'est dans ce sens qu'elle rend pleinement compte de la réalité.

Négliger l'un ou l'autre de ces aspects nous condamne irrémédiablement à une étude partielle de cette réalité (et nous savons à quel point les économistes excellent dans ce domaine).

Ce ne sont là que quelques principes élémentaires de l'analyse marxiste qui nous permettront de corriger certaines appréciations fautives de Parizeau à l'endroit du document de la CSN.

Le "flop" de la révolution tranquille

Jacques Parizeau fait sienne la thèse des sociologues Rioux et Dofny, qui établit une identité entre ethnie et classes sociales au Québec : la classe possédante est la bourgeoisie anglophone tandis que la classe des travailleurs est francophone.

Il serait gravement illusoire de prétendre qu'il n'y a pas de bourgeoisie canadienne-française. Si elle n'était pas forte au début des années 60, la grande bourgeoisie impérialiste américaine et anglo-canadienne a bien senti que le premier but de la révolution tranquille était de renforcer la base de la bourgeoisie locale.

Contrairement à la thèse précédente, l'analyse marxiste permet de comprendre, dans un contexte impérialiste, la soumission de la bourgeoisie nationale à la grande bourgeoisie étrangère ; ces deux groupes, dont les intérêts de classe sont les mêmes, sont néanmoins en conflit.

L'issue de ce conflit dépend du rapport de force qui est toujours favorable, à des degrés variables, à la grande bourgeoisie étrangère. La bourgeoisie nationale récoltera les miettes et verra les grandes lignes de ses politiques dictées par les plus forts.

C'est ainsi que tous les instruments de "libération" créés au cours de la révolution tranquillité, que ce soit la Caisse des dépôt, la SGF ou l'étatisation de l'électricité, toutes ces tentatives sont une illusion de libération, parce que ces instruments ont été forgés et mis au service de la rationalité des plus forts, c'est-à-dire la rationalité capitaliste.

Pour que ces instruments soient véritablement des instruments de libération, il faudrait qu'ils soient contrôlés par les travailleurs et non par des bourgeois siégeant majoritairement aux conseils d'administration de ces sociétés d'État.

La "révolution" scolaire

D'autre part, le premier but de la "révolution" scolaire n'était-il pas précisément de former des spécialistes qui, à la sortie des CEGEP et des universités, s'intégreraient d'une façon harmonieuse dans le grand capitalisme à l'échelle de l'Amérique du Nord ?

À ce point de vue-là, le triste frère Untel, de même que tous les technocrates qui ont œuvré à Québec au cours de cette période, ont été incontestablement les artisans de cette consolidation des bases capitalistes et impérialistes au Québec. La crise qui a éclaté spontanément dans les CEGEP en 1968 n'était-elle pas précisément un refus des étudiants de se faire "avaler" dans un tel système ?

Le surplus économique

En citant, hors contexte, un titre de paragraphe dont la formulation laisse à désirer ("les profits, ou comment ils nous volent le cinquième de notre production"), Jacques Parizeau accuse les auteurs du document de méconnaître certains principes élémentaires de comptabilité économique.

Il semble lui-même ignorer le concept marxiste de surplus économique dû aux économistes marxistes contemporains : Baran et Sweegzy. C'est précisément ce surplus que la troisième partie du document s'efforce d'estimer, et non pas le profit comptable. Ici encore, la querelle provient d'une différence idéologique ; les économistes "orthodoxes" qui utilisent des concepts bourgeois ne peuvent que faire des gorges chaudes devant les concepts marxistes de plus-value et de surplus économique.

Par ailleurs, dans la mesure où une bonne partie de ce surplus est mal utilisée ou gaspillée, ce sont là autant de ressources créées à partir du labeur des travailleurs et qui sont appropriées par la classe possédante.

Nationalisations

Jacques Parizeau soulève la question du coût des nationalisations. Pour lui, l'expropriation des moyens de production, même si la preuve était faite que les propriétaires ont plus que récupéré leur investissement initial (y compris même un certain taux de rendement "normal"), est une solution à éviter parce qu'il y a risque de grabuge.

Même si ce risque existe, ce n'est pas à nous de décider à la placée des travailleurs selon quels termes ils décideront de récupérer les moyens de production que les capitalistes se sont appropriés à partir de leur travail. Il est bien évident que le coût de la nationalisation des moyens de production repose en définitive sur un rapport de forces entre la bourgeoisie et la classe des travailleurs.

Nous convenons cependant avec Jacques Parizeau qu'une nationalisation en fonction de la valeur marchande serait une affaire très vite ruineuse pour l'économie du pays si ce type de nationalisation devait s'étendre à la plupart des secteurs de l'économie. En d'autres termes, il ne s'agit pas de répéter le type de nationalisation coûteuse qui fut le cas avec l'Hydro-Québec.

Les solutions de Parizeau

Les solutions proposées par Jacques Parizeau : c'est la  planification  concertée avec les actuels propriétaires des moyens de production par le jeu d'une participation tantôt minoritaire, tantôt majoritaire de l'État.

On imagine cependant que le nombre de participations majoritaires que l'État peut acheter au prix du marché est limité en fonction des ressources (épargnes) disponibles. Si, dans la plupart des cas, l'État n'a pas une participation majoritaire, Jacques Parizeau peut-il alors nous dire comment il va contrôler les prix des produits, la plus-value distribuée ou accumulée à l'intérieur des entreprises, le rythme des investissements des monopoles étrangers ?

D'autre part, un tel système de capitalisme mixte perpétuerait l'exploitation des travailleurs qui continueraient toujours d'être exclus des décisions économiques qui les touchent directement dans leur travail et leur vie de tous les jours.

Force et faiblesse du document

Si Jacques  Parizeau  a  raison de  relever les insuffisances du document en ce qui concerne une description plus détaillée du mode de fonctionnement possible de l'économie socialiste (description qui fera sans doute l'objet de documents ultérieurs), il doit reconnaître que le but premier de ce document était de fournir une description en termes accessibles et nouveaux de l'économie québécoise dominée par l'impérialisme.

Chose étrange, Parizeau critique surtout ce qui n'est pas dans le document. Serait-ce qu'il ne peut pas être en désaccord avec les résultats de l'analyse présentée dans la majeure partie du texte ? Si oui, pourquoi alors le qualifie-t-il de démagogue et caricatural ?

Pour nous, il apparaît bien plus important qu'il y ait déjà près de 100,000 exemplaires de ce document qui ont été ou seront distribués au Québec (une édition anglaise est en préparation) et qui constituent le point de départ d'une réflexion en profondeur du plus grand nombre possible de Québécois sur les solutions à envisager.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 24 juin 2015 19:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref