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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “Les États-Unis veulent-ils vraiment la paix ?” Un article publié dans le journal LA PRESSE, Montréal, édition du 25 AVRIL 1991, PAGE B-3. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 11 janvier 2005.]

Louis Gill

économiste, professeur à l'UQÀM

Les États-Unis veulent-ils
vraiment la paix ?
.

Un article publié dans le journal LA PRESSE, Montréal, édition du 25 AVRIL 1991, PAGE B-3.


Dans les années 60 aux États-Unis, un « Groupe spécial d'étude » constitué de stratèges militaires et de, chercheurs issus des disciplines les plus diverses, sélectionnés dans les plus grandes universités américaines, était invité à réfléchir sur les fonctions des guerres. Son rapport final, qui devait bien entendu demeurer secret, a été rendu public grâce à un de ses membres, l'économiste John Kenneth Galbraith. Intitulé Report from Iron Mountain. On the Possibility and Desirability of Peace (Dial Press, New York, 1967), il a été publié en français sous le titre La paix indésirable ? Rapport sur l'utilité des guerres (Calmann-Lévy, Paris, 1968). Les conclusions principales de l'étude sont les suivantes :

  • la guerre (prise au sens large, c'est-à-dire incluant la production militaire en temps de paix — en un mot, le militarisme ou l'économie d'armement) offre le seul système digne de confiance pour « stabiliser et contrôler » les économies nationales ;

  • elle est la source de l'autorité politique qui assure la stabilité des gouvernements ;

  • elle est sociologiquement indispensable pour assurer le contrôle de « dangereuses subversions sociales et des tendances destructrices antisociales » ;

  • elle remplit une fonction malthusienne indispensable ;

  • elle fournit « la motivation fondamentale et la source des progrès scientifiques et techniques ».

Pour ces raisons, la paix est « indésirable ». Il n'est pas dans l'intérêt de la société de parvenir à la faire régner (p. 14). Le militarisme permanent est une institution favorable à la prospérité nationale (p. 15).

On peut facilement identifier les fonctions visibles de la guerre : défense du pays contre une attaque d'un autre pays ; dissuader ce dernier de se livrer à une telle attaque, etc. Mais, explique l'étude, il y a au-delà de ces fonctions visibles, les fonctions invisibles, implicites, qui font de la guerre ou de sa préparation « la force dominante de nos sociétés » (p. 89). Parmi elles, en premier lieu, les fonctions économiques. Sur ce plan, l'étude souligne d'abord « l'utilité sociale manifeste du gaspillage militaire » (p. 93), c'est-à-dire de la destruction pure et simple de ressources. Dans des sociétés « comme celles qui ont acquis la possibilité de produire plus qu'il n'est indispensable à leur survie économique », « les dépenses militaires peuvent être considérées comme le seul volant de sécurité pourvu d'une inertie suffisante pour stabiliser les progrès de leurs économies (p. 94).

Les dépenses militaires, étant soumises à des décisions discrétionnaires de l'État, fournissent, selon l'étude, un « balancier » ou un « pare-choc » permettant de compenser les contractions susceptibles de se produire dans le secteur privé. Cette fonction, pleinement réalisée par les dépenses militaires, n'est qu'imparfaitement remplie par les autres dépenses publiques, notamment les programmes sociaux, du fait que ces programmes deviennent normalement partie intégrante de l'économie et ne sont plus dès lors sujets à un contrôle discrétionnaire (p. 95).

Au-delà de sa fonction de « gaspillage », la guerre, explique ensuite l'étude, exerce un effet stimulant de premier plan sur les progrès industriels, sur la croissance du PNB, l'emploi, etc. Elle agit comme « stimulant du métabolisme national » (p. 97). « ...aucun ensemble de techniques destinées à garder le contrôle de l'emploi, de la production et de la consommation n'a encore été essayé qui puisse être, de loin, comparable à son efficacité » (p. 98).

L'arme la plus puissante de l'économie

Ces conclusions d'un rapport qui devait demeurer secret ont le mérite d'exposer sans détours certaines réalités de la société dans laquelle nous vivons. Force est de reconnaître que chaque crise qu'a connue l'économie mondiale depuis le début du vingtième siècle n'a pu être « surmontée », à tout le moins temporairement, que par la relance des dépenses militaires, par lé recours à l'économie d'armement, à l'économie de guerre, puis à la guerre elle-même.



« La guerre, explique une étude, exerce un effet stimulant de premier plan sur les progrès industriels, sur la croissance du PNB, sur l'emploi, etc. Elle agit comme un stimulant du métabolisme national... »


Aux États-Unis, au cœur de la plus intense relance des dépenses militaires en temps de paix de toute l'histoire suite à l'arrivée au pouvoir du président Reagan en 1981 (augmentation de 60% de 1981 à 1985), la revue américaine Business Week du 21 octobre 1985 titrait : « Pentagon's spending is the economy's biggest gun » (« Les dépenses du Pentagone sont l'arme la plus puissante de l'économie »). Après 3 ans d'une reprise économique marquée par la plus grande incertitude, expliquait la revue, « les économistes comptent sur une constante pour faire marcher l'économie : les dépenses militaires ». L'article citait une étude de la Wharton Econometrics caractérisant les dépenses militaires comme « le principal stimulant de la croissance de ces dernières années ».

Cinq ans plus tard, le 2 juillet 1990, la même revue titrait : « Who pays for peace ? » (Qui paiera pour la paix ?), expliquant que « lorsque la paix éclate » (when peace breaks out), les plus sombres perspectives se pointent à l'horizon pour la santé de l'économie et l'emploi (« with peace comes a lot of pain »). Et le risque de voir la paix « éclater » était effectivement, encore à cette date, un risque réel pour une économie avide d'activité militaire. La réduction des tensions entre l'Est et l'Ouest, amorcée en 1985 par les négociations en vue de la réduction des armes nucléaires et conventionnelles et précipitée par les profonds bouleversements en cours à l'Est depuis l'automne 1989, supprime toute justification à la traditionnelle course aux armements engagée à l'époque de la Guerre froide. En conséquence, selon l'organisme Defense Budget Project de Washington, les dépenses militaires américaines, de 300 milliards de dollars en 1990, pourraient être réduites à 225 milliards en l'an 2000.

Il fallait trouver une nouvelle justification à l'escalade militaire/et celle-ci n'a pas tardé à être élaborée, comme le démontre le spécialiste américain des affaires militaires Michael Klare dans un article intitulé « Le Golfe, banc d'essai des guerres de demain » (Le monde diplomatique, janvier 1991 ). Aux conflits de petite intensité (opérations anti-guerilla) et de forte intensité (par exemple entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie), viennent désormais s'ajouter, dans la nomenclature du Pentagone, les conflits de moyenne intensité, ceux qui engageront les forces armées américaines dans de violents combats contre des « puissances régionales bien armées ». Dans le contexte de la modification du paysage politique mondial, ce sont ces conflits de moyenne intensité qui sont vus par les stratèges du Pentagone, à partir de la fin des années 80, comme ceux en prévision desquels il faudra désormais se préparer. La Commission du Pentagone sur la stratégie à long terme demandait en conséquence le renforcement des moyens américains de mener des guerres de haute technicité dans des zones du Tiers-monde situées hors du champ couvert par l'OTAN. Aux yeux du président George Bush, l'émergence d'adversaires bien équipés du Tiers-monde devient, au début de 1990, la menace majeure pour la sécurité des États-Unis. Au même moment, le secrétaire d'État à la défense, Dick Chenney, approuvait un plan de défense pour les années 1992-97 mettant l'accent sur d'éventuels conflits avec des puissances régionales comme la Syrie et l'Irak.

Les vrais enjeux

Mais quel est le véritable contenu de cette prétendue menace à la sécurité des États-Unis venant de « puissances régionales bien équipées » ? Craint-on vraiment de voir ces pays bien armés mais faiblement industrialisés, se transformer en agresseurs des États-Unis, première puissance industrielle Ida monde ? Cela n'a évidemment aucun sens. Le général A.M. Gray du corps des Marines, dans une déclaration de mai 1990 citée par Michael Klare, résumait clairement les véritables enjeux en disant que si les États-Unis veulent demeurer une superpuissance, ils doivent conserver le libre accès aux marchés extérieurs et aux ressources nécessaires aux besoins de leurs industries. Pour cette raison ; expliquait-il, il leur faut déployer une capacité d'intervention militaire capable de répondre à tous les types de conflit, partout dans le monde.

En d'autres termes, ils doivent se donner les moyens voulus pour continuer à imposer leur suprématie à tous les niveaux, économique, politique et militaire. Cette suprématie doit être imposée aux pays du Tiers-monde, mais réaffirmée également face" aux autres pays industrialisés. En dépit d'un déclin relatif sur les terrains industriels et financiers face au Japon, à l'Allemagne, à la CEE, les États-Unis ont clairement démontré qu'ils entendaient continuer à donner le ton. Les dernières négociations au sein du GATT, pour ne donner qu'un exemple, en sont une expression saisissante. Mais, c'est au niveau militaire qu'il importe avant tout, de le démontrer. Sur ce terrain les Etats-Unis ne peuvent d'aucune manière se permettre un déclin relatif de leur puissance. Si l'URSS est de moins en moins dans la course, écrasée par le marasme économique, le Japon émerge déjà comme un concurrent menaçant par lequel les États-Unis ne peuvent se laisser rattraper. L'Allemagne réunifiée constitue une menace analogue.

À la lumière de ces données, on peut comprendre que les enjeux du conflit dans le golfe Arabo-Persique allaient bien au-delà de ce qui avait été initialement invoqué pour justifier l'attaque contre l'Irak, à savoir la « libération » du Koweït. Pour les pays industrialisés et au premier chef les États-Unis, il y a l'accès au pétrole et le contrôle de son prix. Pour les États-Unis, il y a la nécessité d'affirmer et de consolider leur position de leader du monde. La guerre leur a fourni par ailleurs le laboratoire où ils ont pu justifier, par l'efficacité des résultats sur le champ de bataille, les énormes dépenses réalisées jusqu'ici pour développer les armes vedettes que sont notamment le missile de croisière Tomahawk, le bombardier furtif (stealth) et le missile anti-missile Patriot, armes dont le développement a suscité de grande controverses dans la population américaine. Elle leur a également fourni l'occasion de convaincre la population de la nécessité de s'engager encore davantage dans le développement d'armes plus précises, plus dévastatrices, améliorées en vue de corriger les erreurs ou insuffisances des armes actuelles révélées par ce laboratoire.

Une hypothèse a été formulée, selon laquelle les États-Unis auraient tout mis en œuvre pour pousser l'Irak à envahir le Koweït, afin de justifier leur propre intervention militaire. Cette hypothèse est-elle invraisemblable ?


Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 25 juin 2015 18:38
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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