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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “Annexe : Les dépenses publiques, moteur ou frein de la croissance ? Une évaluation de Keynes, 50 ans après la Théorie générale”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Gérard BOISMENU et Gilles DOSTALER, LA “THÉORIE GÉNÉRALE” ET LE KEYNÉSIANISME., Annexe, pp. 179-193. Textes présentés au colloque organisé par le GRÉTSÉ et l’A.E.P., qui a eu lieu à l’Université de Montréal le 30 janvier 1987. Montréal: ACFAS, 1987, 193 pp. Collection: politique et économie.

[179]

La “Théorie générale” et le keynésianisme

ANNEXE
Les dépenses publiques,
moteur ou frein de la croissance ?
Une évaluation de Keynes,
50 ans après la
Théorie Générale *

Louis Gill **

I. Introduction [179]
II. Prémisses et objerctifs de la politique keynésienne [181]
III. Un stimulant de la «demande effective», mais un poids pour le profit [183]
IV. La portée réelle de l’effet « multiplicateur » [184]
V. Où se trouve le moteur de la production rentable ? [186]
VI. Le secteur public : un acquis pour la société, un poids pour le capital [187]
VII. L’emprunt public, simple report des échéances [188]

1. Une dette non garantie par des actifs [188]
2. Emprunter pour payer l'épicerie ? [189]
3. Le poids croissant de la dette publique [190]
4. Dette privée, dette publique : deux « poids », deux mesures

VIII. Les impératifs de la rentabilisation : le retour au «laissez-faire.» [191]
IX. Une lutte à finir contre les acqui du travail [192]

I. INTRODUCTION

Les activités économiques de l'État peuvent être regroupées en deux grandes catégories, les activités productives où les sommes engagées sont avancées en tant que capital, c'est-à-dire en vue de fructifier, et dont le produit est destiné à la consommation privée, rentable, et les activités improductives où les sommes engagées ne sont pas avancées en tant que capital, mais tout simplement dépensées, payées à même les revenus de l'État, et dont le produit est destiné à la consommation publique, non rentable.

À la première catégorie se rattachent exclusivement les activités industrielles, commerciales et financières d'entreprises publiques qui, tout comme les entreprises privées oeuvrant dans les mêmes domaines, sont guidées par l'objectif de la rentabilité, y compris lorsqu'elles sont amenées pour des raisons diverses à soutenir temporairement des opérations déficitaires. Un capital « public » se constitue ainsi en cohabitation et en concurrence avec le capital privé, soumis aux mêmes impératifs et en proie aux mêmes difficultés d'accumulation. Voyant cette présence publique comme une intrusion déloyale dans un champ relevant de sa compétence, le capital privé en appelle à la privatisation des entreprises publiques et par voie de conséquence à la fermeture de celles d'entre elles qui ne sont pas rentables.

À la seconde catégorie se rattachent toutes les autres activités de l'État. D'abord, les services publics (éducation, santé, logement, transport en commun, etc.) l'administration publique (gestion de l'appareil administratif, législatif et judiciaire) et les fonctions redistributives (assurance-chômage, assistance sociale). Puis les travaux publics et les dépenses militaires. Si diversifiées soient-elles, toutes ces activités ont un point en commun. Les [180] dépenses effectuées par l'État pour leur financement sont des dépenses improductives. Leur produit est destiné à la consommation publique. Comme telles, ces activités ne sont pas rentables. Non seulement elles ne fructifient pas, mais elles doivent être financées à même un prélèvement sur la consommation et l'accumulation privée. En ce sens, pour le capital, elles sont un poids. Les travaux publics et surtout les dépenses militaires exercent certes un effet stimulant sur la production, l'emploi et le profit et on pourrait ajouter que les autres dépenses publiques, en créant des revenus qui seront dépensés à leur tour, auront également une influence sur le système productif en augmentant ce que les keynésiens appellent la « demande effective ».

Quels que soient ces effets directs ou indirects des diverses dépenses publiques improductives, celles-ci demeurent improductives. Leur renouvellement exige continuellement un nouvel apport de fonds venant de l'extérieur du secteur public, de nouveaux prélèvements sur le secteur privé. Elles ne s'alimentent pas d'elles-mêmes. Elles ne s'autofinancent pas. Le poids qu'elles font peser sur lui, le capital privé tentera de le réduire en appelant d'abord à une diminution des impôts sur les profits et à une hausse des impôts sur les salaires. [1] Un tel report du fardeau ayant forcément des limites, le financement par déficit budgétaire est le moyen qui reste si on veut dans l'immédiat éviter de grever davantage l'accumulation privée. Mais l'endettement public qui en découle constitue lui-même un obstacle pour le capital privé. D'abord parce qu'il doit assumer une part du financement de cet endettement par ses impôts actuels et futurs. Mais, même si tout ce financement provenait des seuls impôts sur les salaires, l'endettement public constituerait toujours un obstacle pour le capital privé ; le secteur public venant concurrencer le secteur privé pour l'obtention de fonds disponibles en quantité limitée sur le marché des capitaux, la hausse des taux d'intérêts qui s'ensuivrait imposerait un coût [181] supplémentaire à l'entreprise privée et aurait en conséquence un effet de découragement de l'investissement privé. [2]

Le caractère improductif des dépenses publiques et l'effet cumulatif du report de leur financement à plus tard se traduit dans une dette publique croissante, dans ce qui est pour le capital privé un fardeau croissant. L'allègement de ce fardeau passe par la réduction du déficit budgétaire, par la compression des dépenses publiques. Mais la seule réduction des dépenses n'apporterait pas la solution recherchée par le capital privé. Au-delà des dépenses elles-mêmes, c'est avant tout leur caractère improductif qui est pour lui la cible. Dans cette perspective, un ménage complet s'impose auquel ne survivront que les activités méritant d'exister du point de vue du capital, c'est-à-dire les activités rentables. Les termes de cette remise en ordre : suppression des activités étatiques jugées superflues voire inutiles, rentabilisation (via une tarification générale) des services maintenus publics ou privatisation pure et simple de ces services.

Si telle est l'orientation qui se dégage aujourd'hui de plus en plus et de manière généralisée dans tous les pays capitalistes industrialisés, on est en droit de se demander pourquoi on est arrive là maintenant. Pourquoi la place occupée par le secteur public s'est-elle développée à une aussi grande échelle ? Pourquoi le capital privé a-t-il toléré aussi longtemps un tel développement d'activités improductives se nourrissant de l'accumulation privée ?

Pour tenter d'apporter une réponse à ces questions, il faut partir d'un fait. Si l'intervention systématique de l'État a été instituée comme politique économique générale, c'est qu'elle était vue comme le moyen de résoudre l'impasse dans laquelle se trouvait l'accumulation privée. Le point de départ se trouve donc dans les difficultés chroniques de l'accumulation du capital, ses blocages périodiques dans les crises et plus particulièrement dans la plus violente que le monde ait connue de toute l'histoire, la crise de 1929 suivie par la longue dépression des années '30.

II. PRÉMISSES ET OBJECTIFS
DE LA POLITIQUE KEYNÉSIENNE


Élaborée dans les années 1930 au plus profond de cette dépression, la théorie de Keynes [3], qui énonce les fondements de la politique économique de l'intervention étatique, se fonde sur la prémisse suivante. L'économie [182] capitaliste arrivée à maturité ne peut réaliser d'elle-même, par la seule activité privée, le plein emploi des ressources. Sans intervention de l'État, le plein emploi ne peut être atteint, l'économie est vouée à la stagnation. L'action de l'État, envisagée de manière permanente, est donc vue par Keynes comme le levier économique nécessaire pour stimuler la marche au plein emploi par le biais de l'investissement privé qui, grâce à l'intervention étatique, peut trouver le taux de rendement nécessaire à sa mise en oeuvre. L'intervention de l'État, explique-t-il, « est le seul moyen possible d'éviter une complète destruction des institutions économiques actuelles et la condition nécessaire d'un fructueux exercice de l'initiative privée. » [4]

Conscient de la menace que fait peser sur le système même de la propriété privée des moyens de production la misère sociale créée par les conditions économiques de la crise, Keynes voit dans l'intervention de l'État le moyen d'éviter le pire, la destruction des institutions capitalistes, et de rétablir les conditions nécessaires à l'activité économique rentable. « Je ne puis demeurer insensible à ce que je crois être la justice et le bon sens », précisait-il dans un ouvrage intitulé Essays in Persuasion, « mais la lutte des classes me trouvera du côté de la bourgeoisie instruite ».

Concrètement Keynes propose de combattre la dépression par une combinaison de mesures monétaires inflationnistes dont l'effet est de réduire les salaires réels, et de travaux publics financés par un déficit budgétaire à compenser par des excédents lorsque la relance aura pris effet. Il propose également d'agir sur le taux d'intérêt comme moyen de stimuler la relance de l'investissement privé. Mais l'insuffisance de la demande globale ne pourra être résorbée que si l'État prend « une responsabilité sans cesse croissante dans l'organisation directe de l'investissement » [5], relaie la dépense privée par la dépense publique. Pour réaliser l'objectif de relance de la demande globale, dans l'esprit de Keynes, tout investissement, quel qu'il soit, est bon. Même s'il accordait une importance particulière aux grands travaux publics, Keynes soutenait néanmoins que « la construction des pyramides, des tremblements de terre et jusqu'à la guerre peuvent accroître la richesse ». [6] Par le truchement du « multiplicateur », toute dépense est ainsi vue comme une source de revenu réelle, comme ayant un effet bénéfique sur la production et l'emploi. Toute dépense publique est vue comme « productive », susceptible de suppléer à une dépense privée déficiente et d'impulser une croissance harmonieuse débarrassée des crises.

Les moyens keynésiens sont-ils aptes à réaliser les buts qu'on leur assigne ? Pour qu'ils le soient, il faudrait qu'ils puissent résoudre le problème même qui est à l'origine de leur utilisation, à savoir le blocage de l'accumulation privée. [183] Pour qu'elle soit productive, au sens capitaliste du terme, il faudrait que la dépense publique, moyen privilégié envisagé par la politique keynésienne pour relancer la croissance, soit non pas productive en général, mais productive pour le capital, productive de profit. L'objectif de la politique keynésienne est précisément d'en arriver, par ce suppléant qu'est l'intervention étatique, à relancer l'activité privée rentable. Mais quelle est du point de vue du capital et de son accumulation, l'incidence effective de dépenses publiques qui, comme cela a déjà été établi, sont non pas productives mais improductives ?

III. UN STIMULANT DE
LA « DEMANDE EFFECTIVE »,
MAIS UN POIDS POUR LE PROFIT


Les dépenses publiques stimulent indéniablement l'activité économique, et sous ce rapport, à première vue, on pourrait être incité à en conclure qu'elles ont atteint leur but. La production induite par elles, notamment par le biais des travaux publics, de la construction d'écoles, d'hôpitaux, sans parler de la production d'armes, augmente la « demande effective » au moyen d'achats à l'entreprise privée. Elle est de plus, et surtout, une production qui rapporte des profits aux entreprises qui la réalisent. Tout laisse donc croire que cette production induite par l'État a eu pour effet d'augmenter la quantité globale de profit qui échoit au capital privé, lui fournissant ainsi les ingrédients nécessaires pour surmonter ses difficultés d'accumulation. Il en est en fait tout autrement. La production induite par l'État, nous l'avons vu, une fois acquise par lui, est destinée à la consommation publique non rentable. Elle ne s'autofinance pas. Elle doit être financée par les revenus provenant des impôts ou des emprunts (impôts différés).

Supposons d'abord qu'elle n'est financée que par les impôts sur les profits. En prélevant ces impôts, l'État empoche des sommes qui ne sont plus disponibles pour l'accumulation privée. Pour l'État, ces sommes sont des revenus qu'il transforme aussitôt en dépenses. Il achète du secteur privé des biens qu'il paie en remettant à ce dernier les sommes qu'il a préalablement perçues sur lui en impôts. L'État obtient ainsi, en quelque sorte « gratuitement », des biens qu'il offre par la suite à la consommation publique, des biens qui par voie de conséquence ne seront pas accumulés. Les fournisseurs de l'État, eux, reçoivent contre livraison de leurs produits un revenu qui couvre leurs frais de production et leur assure un profit. Ils touchent un profit garanti par l'État. Mais cela n'a été possible que parce que l'État a préalablement puisé davantage dans les profits privés qu'il n'en remet par la suite en profits (si garantis soient-ils) au secteur privé ? [7] La différence entre les sommes perçues par l'État sur le secteur privé, et celles qu'il lui remet par [184] après en profits est du profit « consommé », du profit non accumulé, affecté à la consommation publique, donc perdu pour l'accumulation privée.

Supposons maintenant que la production induite par l'État n'est financée que par l'impôt sur les salaires. Les sommes ainsi prélevées par l'État sont l'équivalent d'un profit supplémentaire réalisé au dépens des revenus des salariés, et appropriées par l'État. Elles sont affectées par lui à l'achat de biens produits à sa demande par des fournisseurs privés. Pour eux, ici encore, une partie du montant perçu sera du profit. Cependant, à la différence de la situation précédente qui supposait que les impôts étaient prélevés sur les seuls profits, le profit touché ici par les fournisseurs de l'État est pour le capital privé dans son ensemble un profit net, un apport réel de nouveaux fonds accumulables, dont la provenance est l'impôt sur les salaires. Du « profit » supplémentaire approprié par l'État via l'impôt sur les salaires, une partie est donc remise au capital privé par l'intermédiaire de la production induite par l'État et constitue un gain net pour lui, améliorant par le fait même sa situation ; l'autre partie est tout simplement dépensée, transformée en consommation publique.

Une première conclusion se dégage de l'analyse de ces deux situations « pures » et par le fait même essentiellement illustratives, mais qui se combineront nécessairement dans des proportions quelconques au coeur de la réalité.

La production induite par l'État n'améliore la situation du point de vue du profit global que si son financement provient d'une ponction sur les salaires. Si celui-ci devait provenir d'une ponction sur les profits, loin de s'améliorer, la situation se détériorerait. En fait, la condition qui permet l'amélioration est essentiellement celle dont dépendent en général la production capitaliste et l'accumulation, à savoir le rapport entre travail salarié et capital, entre salaire et profit, en d'autres termes la possibilité pour le capital d'extirper de la force de travail davantage de profits. La dépense publique et la production qu'elle induit ne jouent finalement ici qu'un rôle d'intermédiaire ; leur effet, s'il doit être positif, repose sur des fondements situés en-dehors d'elles. [8] La production induite par l'État est, par elle-même inapte à remédier aux difficultés de l'accumulation. Les conditions de valorisation du capital doivent être rétablies par ailleurs.

IV. LA PORTÉE RÉELLE DE L'EFFET
« MULTIPLICATEUR »


Doit-on en conclure que les dépenses publiques n'ont aucune aptitude à dominer ou à tout le moins atténuer le cycle économique, à amorcer la relance [185] d'une activité frappée par la stagnation ? Par le seul fait d'être dépensées, n'impulsent-elles pas une activité productive, ne mettent-elles pas des gens au travail, ne suscitent-elles pas des investissements qui à leur tour créent d'autres revenus dans un enchaînement d'effets directs et indirects, comme le suggère la théorie keynésienne du « multiplicateur » ?

Les dépenses publiques exercent indiscutablement un effet d'entraînement, comme cela a d'ailleurs été souligné plus tôt. Mais reconnaître ce fait qui saute aux yeux de tous ne dispense personne de s'interroger sur les effets réels et à plus long terme déterminants, d'une intervention à première vue essentiellement salutaire. Les dépenses publiques stimulent l'activité économique. Elles ont un effet positif sur la production, l'emploi et le revenu. Elles suscitent la mise en place de nouvelles capacités de production. Elles auront éventuellement un effet d'entraînement sur l'investissement privé rentable, tant par l'amélioration de la situation économique d'ensemble à laquelle elles contribuent que par l'amélioration de la productivité industrielle à laquelle donnent lieu les opérations de recherche et de développement qu'elles subventionnent, en particulier par le biais des dépenses militaires.

Il y a donc eu accroissement de la production, de l'emploi et du revenu, création de nouvelles capacités de production. En soi, le résultat, pourrait-on dire, est des plus positifs. Mais, rappelons-le, en régime capitaliste tout cela n'a qu'une importance secondaire. Les résultats ne seront positifs du point de vue du capital que s'ils ont été simultanément générateurs de profits. Est-ce le cas ici ? Les dépenses publiques, en relançant l'activité économique, ont-elles été génératrices de profit ? Tout improductives qu'elles soient, n'ont-elles pas impulsé la création de nouvelles capacités de production, forme matérielle d'un capital nouvellement accumulé ?

Si les nouvelles capacités productives ainsi mises en place le sont exclusivement à des fins de production de biens destinés à une consommation publique élargie, il ne saurait être question alors, ni d'activité génératrice de profit, ni de formation de capital au sens strict, c'est-à-dire d'un capital dont la vocation est de fructifier. Élargie ou pas, la consommation publique demeure consommation publique, c'est-à-dire consommation non rentable. Élargie ou pas, la production induite par l'État, si profitable soit-elle pour les entreprises qui en sont les fournisseurs, n'est pas génératrice d'un profit global accru pour le capital privé dans son ensemble. Le strict effet « multiplicateur » n'a aucun pouvoir magique, encore moins celui de rendre productives des dépenses improductives. Dans le cas présent d'ailleurs, si effet multiplicateur il y a, celui-ci est plutôt dans le sens d'un accroissement du fardeau que reporte sur l'accumulation privée le financement de dépenses improductives accrues, en d'autres termes dans le sens d'un profit global amputé.

[186]

V. OÙ SE TROUVE LE MOTEUR
DE LA PRODUCTION RENTABLE ?


La seule activité génératrice d'un profit global accru est celle qui proviendrait de la relance de l'investissement privé [9], de la création de nouvelles capacités productives dont les produits seront destinés non pas à la consommation publique non rentable, mais à la consommation privée rentable. Là se trouve l'épine dorsale de l'activité en régime capitaliste et le but ultime de la politique keynésienne est précisément d'en arriver par l'intervention étatique à rétablir les conditions nécessaires à la rentabilité privée. Il faut reconnaître cependant que le rétablissement de ces conditions n'a que peu à voir avec l'impulsion donnée par les dépenses publiques. Il est à rechercher avant tout dans les conditions d'exploitation de la force de travail, dans les mesures de « rationalisation », de « flexibilisation », d'extension du travail occasionnel et à temps partiel, dans l'imposition de concessions, de gel ou de réduction des salaires, dans la destruction des spécialités et l'introduction de la polyvalence, en un mot dans la détérioration des conditions de travail en général.

Les moyens keynésiens ont longtemps créé l'illusion d'avoir réussi à dominer les fluctuations conjoncturelles indésirables, à assurer une croissance soutenue débarrassée des crises. On a attribué notamment à leur efficacité la réalisation du « boom » économique des années de l'après-guerre. Les lendemains de fête n'en ont été que plus durs lorsque dès la fin des années 1960 on dût se rendre à l'évidence que la machine économique s'était de nouveau enrayée et que les mécanismes d'intervention keynésiens étaient impuissants à la faire redémarrer. Nombreux furent alors ceux qui durent déchanter. Parmi ceux-ci, le Conseil d'administration du Fonds monétaire international (FMI), qui déclarait en 1980 :

« Les dirigeants politiques comme les économistes se sont vus obligés de remettre en cause certains postulats dont la légitimité ne faisait pas de doute dans les années 50 et 60. L'un des postulats fondamentaux concernait le recours à la politique de « réglage de précision » de l'économie, dont l'échec a été démontré durant les années 70. Pendant les deux décennies précédentes, les taux de croissance relativement stables enregistrés dans la plupart des pays industrialisés, ainsi que le comportement satisfaisant des prix, avaient laissé croire que les économies nationales pouvaient être gérées effectivement au moyen d'ajustements à court terme des politiques monétaires et budgétaire... Rétrospectivement, il apparaît clairement que ce n'est pas avant tout la gestion de l'économie, mais l'existence de conditions de croissance exceptionnellement favorables [187] qui a été à l'origine des résultats économiques généralement bons des années 50 et 60. » [10]

Les conditions de croissance exceptionnellement favorables de l'immédiat après-guerre, et non le « réglage de précision » de l'économie par les techniques d'intervention keynésiennes, ont été à l'origine de la croissance des années 1950 et 1960. Ces conditions, d'ordre économique et politique, sont issues de la dévastation matérielle occasionnée par la guerre et des modalités de la reconstruction des économies nationales fondées sur l'exploitation de la main-d'oeuvre. Des rapports particulièrement favorables au capital, et non l'extension des dépenses publiques, ont permis la relance soutenue de l'accumulation. Les dépenses publiques n'ont pas été davantage à l'origine de la croissance qu'elles n'ont réussi à empêcher le retour à la stagnation.

La dépense publique ne peut donc pas être vue comme venant « relayer » la dépense privée lorsque cette dernière fait défaut par manque d'une rentabilité suffisante. Les deux ne se « relayent » d'aucune manière, la seconde étant productive de profit, alors que la première est consommatrice de profit. Tout au plus la dépense publique peut-elle contribuer à impulser sa reprise. Mais cela n'est réalisé qu'au prix d'une ponction sur l'accumulation privée et le fardeau qui en découle devient d'autant plus lourd dès lors que l'investissement privé est de nouveau mis en échec par une nouvelle baisse de la rentabilité. La dépense publique a permis d'accroître la production, l'emploi, le revenu, mais n'a pas résolu le problème de la rentabilité du capital. En continuant à s'accroître, elle fait peser sur lui un poids toujours plus lourd.

VI. LE SECTEUR PUBLIC : UN ACQUIS
POUR LA SOCIÉTÉ, UN POIDS
POUR LE CAPITAL


Le poids dont il est question ici est évidemment un poids pour le capital et pour lui seul. Mais dans la mesure où l'économie capitaliste est fondée sur le capital, que son activité est déterminée par les seuls besoins du capital, ce poids croissant que fait peser sur lui l'extension des dépenses publiques apparaîtra comme un poids réel pour la société comme telle. « En tant que société », nous dira-t-on, « nous ne pouvons plus nous offrir un tel niveau de dépenses publiques. Nous n'en avons plus les moyens. Nous devons couper dans les services ou faire payer pour leur usage. Nous avons trop développé le secteur public. La société a vécu au-dessus de ses moyens, etc... ». C'est là pure démagogie qui vise à présenter les intérêts du capital comme étant ceux de la société tout entière. D'un point de vue purement matériel, la capacité productive de l'économie est tout aussi capable aujourd'hui qu'il y a dix ans de fournir la quantité de biens matériels qu'elle fournissait alors et d'en affecter une part au moins aussi grande à la consommation publique, à l'éducation, à la santé, etc... On pourrait même plutôt penser qu'elle est encore plus qu'avant en [188] mesure de le faire au rythme où se poursuivent les innovations technologiques susceptibles d'améliorer la productivité. Un retour en arrière pourrait bien sûr être imposé à la société si elle avait été victime d'intenses destructions pour cause de guerres ou de cataclysmes naturels. Mais une telle chose n'a pas eu lieu. Et si jamais les capacités productives étaient aujourd'hui entamées par rapport à ce qu'elles étaient il y a dix ans, cela ne serait attribuable qu'a une chose : le fait que le capital les ait laissé dépérir, qu'il n'ait pas renouvelé les capacités existantes et a fortiori qu'il n'en ait pas créé d'autres. Mais cela ne s'explique alors que par une chose : l'absence pour le capital des conditions de rentabilité nécessaires pour que de nouveaux investissements soient faits. Nous voilà ramenés à la question de fond. Guidée par les besoins de la population et avec les capacités productives matérielles dont elle dispose, la société est parfaitement en mesure de maintenir, d'améliorer et d'extensionner les services publics dont elle s'est dotée jusqu'ici. Ceux-ci sont pour elle un acquis à partir duquel progresser davantage, et non pas un fardeau dont il faudrait qu'elle se soulage.

Guidé par ses propres besoins (exigence du profit) et non par ceux de la société, le capital, à qui la société est soumise, exige la réduction de ces services qui constituent pour lui un poids. Comme condition de son propre accroissement, le capital impose à la société un recul. Pour garantir leur profit privé, les détenteurs de capitaux, soit la minorité de la population, visent les droits acquis de la population tout entière.

VII. L'EMPRUNT PUBLIC,
SIMPLE REPORT DES ÉCHÉANCES


Un fardeau croissant pour le capital peut être supporté tant que l'économie trouve encore les moyens de croître, mais ce fardeau devient insoutenable lorsque le ralentissement, voire la crise, survient. Les dépenses publiques ont donc permis de retarder la crise, mais sans en éliminer les causes et en aggravant les conséquences futures, un peu comme une bombe à retardement qui grossirait avec le temps. Elles ont joué un rôle analogue à celui que joue le crédit dans la production capitaliste en général, permettant à celle-ci de dépasser se propres limites au prix d'une aggravation ultérieure des problèmes qu'il donne l'illusion de pouvoir surmonter entre temps. Elles ont d'ailleurs largement joué ce rôle grâce au crédit lui-même.

1. Une dette non garantie par des actifs

Le recours à l'emprunt a permis leur extension sans que ne soit alourdi pour le capital privé le fardeau immédiat de leur financement. Un tel report à plus tard du paiement de la note se fonde toujours sur la présomption d'une capacité future meilleure de rencontrer les échéances. En principe donc, il ne devrait pas y avoir de problème à condition que la production et le revenu augmentent au moins aussi vite que la dette. Cela constitue la base de la théorie du budget équilibré non plus année par année, mais sur une longue période, le [189] financement par déficit budgétaire dans les années creuses devant fournir les moyens d'une relance qui permettrait de dégager les excédents budgétaires compensatoires au cours des années suivantes. Il y a là une symétrie agréable à postuler. Mais malheureusement pour la théorie, la réalité parfois brutale viendra de nouveau rappeler que les « investissements » publics auxquels donnent lieu les dépenses de l'État ne paient pas pour eux-mêmes, qu'ils sont financés par des emprunts « non garantis par des actifs ». Cela saute aux yeux notamment pour les dépenses militaires. Dans leur cas, la nature du capital fictif est évidente du fait qu'il s'agit d'un « investissement » dans les armements, c'est-à-dire dans des produits destinés à être détruits. Inexistants pour le système de production, on ne peut évidemment s'attendre à ce qu'ils fructifient et paient pour eux-mêmes. Les revenus d'intérêt payés par l'État sur les titres qu'il émet pour financer ses « investissements » militaires n'ont rien d'un revenu du capital. Ils sont les revenus provenant de nouveaux impôts ou de nouveaux emprunts. Ce qui est évident dans le cas des dépenses militaires est tout aussi vrai, en dépit de l'apparence du contraire, dans le cas des autres dépenses publiques improductives, y compris celles qui sont affectées à la construction d'hôpitaux, de routes, d'écoles, etc... Du point de vue de la société et du point de vue de la production en général, hôpitaux, routes, écoles, etc... sont, il va sans dire, des actifs matériels précieux, indispensables et on ne saurait les voir autrement que comme des actifs productifs. Du point de vue du capital, ce sont des actifs fictifs, improductifs. Ils ne rapportent pas. L'argent qui sert à les financer, à les reproduire et à les extensionner ne vient pas de leur fructification comme ce serait le cas s'il s'agissait d'un capital au sens strict du terme. Il vient du revenu perçu sur les salaires et les profits actuels et futurs. En d'autres termes les revenus d'intérêts versés par l'État sur les emprunts qu'il contracte auprès de la population pour financer ses dépenses improductives, quelles qu'elles soient, ne lui proviennent pas d'un capital qui aurait fructifié ; ils lui proviennent de nouveaux impôts prélevés sur cette population ou de nouveaux emprunts réalisés auprès d'elle.

2. Emprunter pour payer l'épicerie ?

Il est devenu coutumier pour le gouvernement de faire, en termes folkloriques, une distinction à l'intérieur de ses dépenses, entre ce qu'il appelle les dépenses d'investissement et les dépenses « d'épicerie », ces dernières étant les dépenses courantes (les salaires des employés, notamment), alors que les premières désignent les dépenses d'infrastructure. Dans le cadre de l'offensive menée contre le secteur public et au premier titre contre ses salariés, dans le but devenu prioritaire de réduire le déficit et les emprunts, les porte-parole gouvernementaux expliquent que si en « saine théorie économique » des emprunts sont justifiés pour financer la mise en place de « biens d'investissement », on ne saurait, sans courir à la faillite, emprunter indéfiniment pour « payer l'épicerie ». Or, un tel argument relève de la pure démagogie. L'ensemble des dépenses gouvernementales étant effectuées en vue de desservir la consommation publique non rentable, aucune d'elle n'est productive pour le capital, pas plus les dépenses « d'investissement » que les [190] dépenses « d'épicerie », ce qui n'enlève pas ailleurs rien à la pertinence sociale ni des premières, ni des secondes.

3. Le poids croissant de la dette publique

Si donc les déficits budgétaires des années de base conjoncture doivent être compensés par des surplus budgétaires des années ultérieures, celles-ci devront être de véritables années de reprise générant des revenus (salaires et profits) suffisants pour la compensation voulue. Étant improductives, les dépenses publiques sont impuissantes à générer d'elles-mêmes ces sommes compensatoires. Si l'économie, par contre, n'arrive pas à redémarrer et qu'on tente de résoudre ces difficultés de redémarrage par des dépenses publiques accrues, le poids n'en sera que plus lourd sur le capital privé.

En admettant même que l'équilibre budgétaire en arrive à être atteint, sur une période déterminée, les surplus réalisés en fin de période permettant de rembourser les emprunts rendus nécessaires par les déficits de début de période, rien ne serait réglé pour autant. Le remboursement de la dette ne transforme pas en capital les actifs gouvernementaux. Si tant est qu'on arrive à rembourser leur coût de production initial, encore faut-il continuer à financer les frais courants des services qu'ils fournissent (salaires des employés, coûts d'opération, d'entretien, etc...) et ces frais grossissent d'année en année, non seulement avec la seule extension du secteur public, mais aussi avec le vieillissement d'installations qui entraînent des coûts croissants de maintien en état de fonctionner, à moins qu'on veuille les laisser dépérir.

4. Dette privée, dette publique :
deux « poids », deux mesures


Voilà autant d'éléments qui concourent à accroître une dette publique dont il faut souligner par ailleurs qu'elle n'est qu'une des composantes de l'endettement global, privé et public de l'économie. Au Canada, cet endettement atteignait les 860$ milliards en 1985, soit deux fois le Produit intérieur brut courant. Le gouvernement du Canada détenait 20% de cette dette (172 milliards) alors que les sociétés privées en détenaient 26% (31% en 1981), soit un montant de 224$ milliards. Le reste de la dette était détenu par les gouvernements provinciaux, locaux et le secteur hospitalier (13%), les sociétés non financières publiques (9%) et les ménages, hypothèques incluses (29%). [11]

[191]

Le niveau énorme et sans cesse croissant de cet endettement global est l'indice du caractère largement artificiel de la croissance de l'après-guerre propulsée par le crédit, mais d'autant plus vulnérable qu'elle repose sur lui. Dans la situation de léthargie économique générale qui caractérise la phase actuelle de l'économie mondiale, une formidable quantité de fonds privés, obtenus par voie d'emprunts, sont dirigés non vers la création de nouvelles capacités productives, mais vers de gigantesques opérations de fusion, de rachat, de prise en main, en un mot vers des guerres essentiellement spéculatives du type « get-rich-quick ».

Seule la composante publique de cette dette globale est pourtant montrée du doigt comme un mal endémique qui ronge l'économie, impose un frein à la croissance. Pourquoi l'endettement privé, pourtant tout aussi significatif, échappe-t-il à une telle caractérisation ? Parce que, encore une fois, il est de la nature de l'endettement privé, fondé sur des actifs rémunérateurs, de « payer pour lui-même », de s'autofinancer à même les profits de l'activité à laquelle il donne lieu. Contrairement à l'endettement privé, l'endettement public finançant des activités qui échappent aux normes capitalistes de la rentabilité, ne s'autofinance pas. Il fait plutôt porter à l'accumulation privée un poids qui ne cesse de croître. Il se pose par ailleurs en concurrent à l'emprunt privé sur le marché des capitaux ; aux yeux du capital privé, cette concurrence pour l'obtention de fonds rend plus difficile et plus cher le crédit accessible à l'entreprise privée dont l'incitation à investir se trouve freinée (effet d'éviction).

VIII. LES IMPÉRATIFS
DE LA RENTABILISATION
LE RETOUR AU « LAISSER-FAIRE »


La réduction de la dette publique est donc une nécessité pour le capital. L'un des moyens de cette réduction est la hausse permanente des prix qui a pour effet de diminuer systématiquement d'année en année la valeur réelle de la dette à rembourser. La composante inflationniste de la politique keynésienne, en même temps qu'elle favorise le taux de profit en diminuant les salaires réels, contribue à réduire le poids des dépenses publiques sur l'accumulation privée.

Avec le changement de cap intervenu au niveau de la politique économique au début des années 80, le bilan d'échec de la politique keynésienne ouvrant la voie au monétarisme et à la « théorie de l'offre », les mêmes objectifs de rentabilisation seront poursuivis désormais dans le cadre d'une politique qui désigne la lutte contre l'inflation comme une priorité. En situation d'inflation réduite, la compression des salaires réels exige dorénavant une attaque directe contre les salaires, laquelle passe nécessairement par une attaque contre les conditions d'emploi et de travail en général (salaire minimum, santé et sécurité, fonds de pension, ancienneté, accès à la syndicalisation...), attaque s'appuyant sur une réclamation de « déréglementation » à tous les niveaux, alors que la réduction de la dette passe par la compression directe des dépenses publiques et le démantèlement ou la rentabilisation des services de l'État, moyens draconiens d'enrayer à la source sa progression.

[192]

Il y a plus dans ces mesures qu'un simple réajustement d'aiguillage. Au laminage à demi perceptible des salaires réels et de la dette publique par l'inflation, se substitue maintenant une attaque ouverte, d'une agressivité débridée, dont le double objectif est la suppression de toute entrave à l'exploitation du travail et la liquidation du secteur public, c'est-à-dire la récupération par le secteur privé de ce dont il a été en quelque sorte « exproprié » au fil des années avec la place croissante prise par l'État ; il s'agit de « recapitaliser » une économie dont une part toujours plus grande en est arrivée à fonctionner en échappant aux règles du capital ; il s'agit de redonner un caractère capitaliste à tout un ensemble d'activités dont le maintien et l'existence devront dépendre de leur rentabilité et dont le fonctionnement sera partie intégrante de l'accumulation du capital.

L'orientation de la politique économique qui véhicule ces objectifs marque un renversement de la tendance générale de tout le vingtième siècle. Il faut souligner en effet que les premiers actes de développement d'un secteur public et les premières mesures sociales conquises par le mouvement ouvrier remontent non pas aux années 30, c'est-à-dire au moment où la théorie keynésienne a donné un statut officiel de politique économique à l'intervention étatique, mais à un demi siècle plus tôt, à partir des années 1880, comme résultat de la puissance grandissante du mouvement ouvrier européen, les partis ouvriers social-démocrates en construction, qui proclameront en 1889 le IIe Internationale. Le centre de gravité de ce mouvement se trouvant alors en Allemagne, c'est dans ce pays que les premières politiques sociales ont été conquises, loi de l'assurance-maladie en 1883, loi sur les accidents de travail en 1884, loi sur l'assurance-vieillesse et l'assurance invalidité en 1889, pour s'étendre ensuite, au tournant du siècle, aux autres pays d'Europe et à l'Amérique du Nord et au Québec (loi sur les accidents du travail en 1909, sur le salaire minimum des femmes en 1919, etc...).

IX. UNE LUTTE À FINIR CONTRE
LES ACQUIS DU TRAVAIL


Tout au cours du 20e siècle, les difficultés chroniques de l'accumulation du capital privé se sont manifestées au sein de cette économie « arrivée à maturité » comme la désignait Keynes. Si le recours à l'intervention économique de l'État pendant toute cette période n'a pas permis de résoudre les problèmes de fond de l'accumulation, il serait tout aussi illusoire de croire que le retour au « laisser-faire », c'est-à-dire aux conditions mêmes qui avaient rendu nécessaire le soutien étatique à l'activité privée, soit le gage d'une reprise harmonieuse de l'activité économique. L'orientation en cours aujourd'hui ne peut donc que conduire à des conflits sociaux plus aigus.

Déréglementation, privatisation, « révision des fonctions gouvernementales », réduction du déficit budgétaire et de la dette publique, sont les mots d'ordre au nom desquels le capital a engagé sa lutte à finir contre les acquis historiques du [193] travail, contre les conquêtes sociales et démocratiques des organisations syndicales et populaires (droits démocratiques à la santé, à la sécurité sociale, à l'éducation, ...) dont bénéficie l'ensemble de la population travailleuse, c'est-à-dire l'écrasante majorité de la population. Si essentiel soient ces acquis qui répondent à des besoins sociaux profonds, ils sont un obstacle pour le capital, pour la production de profit, pour l'accumulation privée. Pris de panique au moment où s'intensifie la crise chronique mondiale de l'économie, le capital est engagé dans une offensive en règle pour les liquider.

La nécessité de la plus solide riposte pour la défense de ces acquis a déjà suscité dans le camp des organisations ouvrières un retour à l'action unitaire sans laquelle aucune victoire n'est possible. Cette action fera nécessairement face tôt ou tard à l'obligation de se prolonger sur le plan politique.



* Ce texte est un extrait de Privatisation, déréglementation, démantèlement du secteur public, pourquoi ? Cahier No 8617D, Département des sciences économiques, UQÀM, juillet 1986.

** Professeur de science économique à l'Université du Québec à Montréal.

[1] Les revenus de l'État ne se limitent évidemment pas aux seuls impôts sur les salaires et les profits quoique ces impôts comptent pour la plus large part de ces revenus. Il y a d'abord les impôts prélevés sur les autres catégories de revenus tels les honoraires professionnels, les revenus d'intérêts, les dividendes et les gains de capital. Quoique regroupés dans les statistiques officielles avec les impôts sur les salaires dans la catégorie « Impôt sur le revenu des particuliers », ces impôts se rattachent clairement à l'impôt sur les profits, les catégories de revenus dont il proviennent étant des revenus de capital au sens large et non des revenus de travail salarié. Les revenus de l'État comprennent aussi les revenus des taxes indirectes, des droits à l'importation, des autres droits, permis et taxes, des cotisations à l'assurance-chômage et/ou aux régimes d'assurance -santé, des transferts des sociétés d'État et des autres paliers gouvernementaux. Mais les sources de ces revenus divers finissent toujours par se réduire à l'équivalent de nouvelles taxes sur les salaires et les profits. Il en est de même de l'autre source de revenus gouvernementaux que constituent les emprunts nécessaires au financement des déficits. Ces emprunts sont remboursés, intérêt et principal, à même les impôts des années à venir sur les salaires et les profits.

[2] Mécanisme connu sous le nom « d'effet d'éviction » (crowding out). Il va sans dire qu'en période de stagnation, l'importance réelle d'un tel phénomène sera sensiblement réduite en raison de l'existence d'une surabondance d'épargne ne trouvant pas à s'investir de manière rentable.

[3] J.M. Keynes, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, Petite bibliothèque Payot, Paris, 1971 (traduction française de J. de Largentaye).

[4] Op. cit., p. 373.

[5] Ibidem, p. 176.

[6] Ibidem, p. 145.

[7] De la somme totale versée par l'État à l'entreprise privée pour le paiement des biens qui lui sont livrés une partie seulement est du profit, l'autre couvrant les coûts de production.

[8] Si elle devait être strictement financée de cette manière, à savoir par l'impôt sur les salaires, la dépense publique, du point de vue de ses effets sur la production de profit rejoindrait quant au fond l'autre composante de la politique keynésienne qu'est la réduction des salaires réels par le biais de l'inflation.

[9] Ou de l'investissement public rentable. Mais ce dernier ne se distingue pas quant au fond de l'investissement privé pour lequel il est d'ailleurs un concurrent direct.

[10] FMI, Rapport annuel, 1980.

[11] Chiffres tirés de : ministère des Finances du Canada. Le plan financier, op. cit., Annexe 5. La dette de 172 milliards $ du gouvernement du Canada est la « dette non échue détenue par des tiers », c'est-à-dire, la somme des obligations négociables (émises sur les marchés intérieur et extérieur), des Bons du trésor, des obligations d'épargne du Canada, somme dont on soustrait la valeur des portefeuilles d'État.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 6 mars 2023 9:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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