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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, avec la participation de Louis Simard, Paul Drouin et Robert Trudel, Groupe socialiste des travailleurs du Québec, “Contribution à l'élaboration d'une position sur le nucléaire.” Montréal, le 16 août 1979. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 28 avril 2021.]

Louis Gill

Contribution à l’élaboration
d’une position sur le nucléaire
.”

proposée par Louis Gill, avec la participation de Louis Simard, Paul Drouin et Robert Trudel, le 16 août 1979 [1].

Introduction
Notre méthode
Les risques nucléaires
Un bilan négatif
L’opposition au nucléaire, pour le droit de vivre

INTRODUCTION

Les incidents survenus le printemps dernier à la centrale nucléaire de Three Mile Island, à Harrisburgh en Pennsylvanie, ont stimulé l'intérêt que portent plusieurs d’entre nous à la question de l'énergie nucléaire et aiguisé nos interrogations quant à une position à adopter face à cette technologie

Nous sommes nombreux à avoir regretté qu'un évènement de portée mondiale comme celui de Three Mile Island ait été passé sous silence dans notre presse. Faute d'une position d'organisation [2], nous nous sommes abstenus d'intervenir. Cette position, aujourd'hui, reste à définir et c'est en vue de favoriser son élaboration que nous présentons cette contribution.

Notre méthode

La méthode marxiste d’analyse du développement historique des sociétés envisage les rapports réciproques entre les forces productives de la société et les rapports sociaux dans lesquels elles s’inscrivent. Dans toute société, les rapports sociaux existants favorisent, dans une première phase, le développement des forces productives, et dans une deuxième phase, constituent une entrave, un frein, à ce développement, le bloquent pour ainsi dire, rendant nécessaire leur remplacement par de nouveaux rapports.

Dans l’Idéologie allemande, rédigée en 1845-1846, où Marx et Engels exposent pour la première fois les bases du matérialisme historique, on lit (Éditions sociales, p 67-68) :

La conception de l’histoire que nous venons de développer nous donne finalement les résultats suivants : dans le développement des forces productives, il arrive un stade où naissent des forces productives et des moyens de circulation qui ne peuvent être que néfastes dans le cadre des rapports existants et ne sont plus des forces productives, mais des forces destructives

Ces points de repère fournissent un cadre à partir duquel on peut tenter de poser un verdict sur le « progrès » scientifique et les techniques qui en découlent, dont la technique du nucléaire.

La transformation des forces productives en forces destructives est particulièrement évidente dans le cas du militarisme où les découvertes scientifiques sont tout entières dirigées vers l’accumulation de moyens de destruction. Cette transformation est également évidente dans le cadre d’un grand nombre d’activités économiques qui entraînent un gaspillage des ressources, la destruction du milieu ambiant, la pollution de l’environnement. Elle est tout aussi réelle dans le cas de la déqualification de la force de travail, par la mise au rancart de millions d’hommes et de femmes, destruction en règle de la principale force productive qu’est la force de travail.

Elle est également réelle, même si elle est moins évidente, dans le cas d’une foule de techniques mises au compte du « progrès » scientifique, dont le fonctionnement normal de la société capitaliste nous a amenés à négliger l’analyse des effets négatifs pour n’en retenir que les effets dits positifs. Pourtant, contrairement à ce qu’en disent les apologistes du rôle essentiellement progressiste des découvertes scientifiques, toute technique comporte des effets négatifs.

Diverses techniques, parmi lesquelles l’utilisation tant pacifique que militaire de l’énergie nucléaire, les produits synthétiques, les matières plastiques, détergents, pesticides, produits chimiques, introduisent dans la biosphère des éléments qui en sont naturellement absents, agisssent nocivement sur les organismes vivants, perturbent les cycles naturels.

Dans une série de quatre articles intitulés « Marxisme et écologie », publiés dans l’hebdomadaire français Informations ouvrières, publié par l’organisation sœur du GSTQ au début de 1978, la question est soulevée dans les termes suivants :

La nature « progressiste » ou non d’une technique ne se mesure pas seulement au nombre de kilowatts ou de tonnes de céréales produits, mais ne peut être estimée qu’à la suite d’un bilan de l’ensemble des conséquences pour l’humanité, de l’application de cette technique. Du point de vue global des intérêts de l’humanité, la destruction des ressources et des équipements de la biosphère est, à long terme, entièrement négative, et ne peut être justifiée par les « avantages » momentanés apportés par cette technique, non pas d’ailleurs à l’ensemble de l’humanité, mais à une minorité.

Ne pas faire ce bilan de l’ensemble des conséquences (positives et négatives, à court et à long terme) pour l’humanité (et non seulement pour la minorité de profiteurs) de l’introduction d’une technique, et s’en tenir à un simple calcul comptable de la capacité productive de cette technique, en tonnes, mégawatts, etc., serait sombrer dans une conception unilatérale technologiste ou quantitativiste des forces productives.

La caractérisation de la technique comme « force productive directe » est dénuée de fondement. La conception marxiste des forces productives, répétons-le, envisage celles-ci par rapport à un mode de production, à des rapports sociaux, à leur finalité dans l’évolution de l’humanité. Elles ne se laissent pas réduire à un ensemble technologique mesurable. Ce ne sont pas des forces productives en soi.

Les opinions sont loin d’être unanimes sur la question du nucléaire. D’un côté, se construit une opposition grandissante à l’utilisation tant pacifique que militaire de cette forme d’énergie. De l’autre, cette opposition est réprouvée, qualifiée d’attitude anti-progrès. Plusieurs tendent à sous-estimer l’importance de cette question, réduisant l’opposition anti-nucléaire grandissante à travers le monde à une opposition quasi-naturelle ou traditionnelle à l’introduction du progrès, considérant les risques associés à l’énergie nucléaire comme étant de même nature que les risques associés à toute autre forme d’énergie.

Les risques nucléaires

Chacun sait que la technique nucléaire est une source considérable d’énergie. Selon le principe de la fission nucléaire (le seul présentement utilisé à l’échelle industrielle dans quelque 200 centrales à travers le monde), lorsque cassé en deux, le noyau de certains atomes provoque la libération d’une énorme quantité d’énergie; une fois amorcé, le processus se poursuit selon une réaction en chaîne : de gigantesques quantités de chaleur sont dégagées. Pour ne citer qu’un exemple, la fission d’un gramme d’uranium 235 (235 représente le poids atomique de ce matériau) produit autant d’énergie que la combustion de 2 1/2 tonnes de charbon ou 2 tonnes de pétrole. Il n’y a pas lieu d’insister longtemps sur les aspects positifs (en mégawatts d’électricité produisible) qui poussent à l’utilisation de cette technique. Même si les investissements nécessaires à la construction d’une centrale nucléaire sont considérablement plus élevés que pour d’autres centrales, l’économie sur le plan du « combustible » utilisé saute aux yeux.

Quels sont maintenant les aspects négatifs, de manière à constituer « le bilan de l’ensemble des conséquences pour l’humanité », de l’application de cette technique ?

Les dangers que l’énergie nucléaire fait peser sur l’humanité sont extrêmes. Une étude récente de l’Agence de protection de l’environnement du gouvernement américain, intitulée Considerations of Environmental Protection Criteria for Radioactive Waste, publiée en février 1978, établit ces risques sans équivoque. Selon cette étude, il n’existe aucun autre moyen d’assurer une protection complète contre les radiations des matériaux radioactifs que d’en interdire l’usage. Contrairement à de nombreuses substances nocives, il n’existe pas pour les matériaux radioactifs de seuil en-deçà duquel la quantité de radiation libérée serait inoffensive pour l’organisme. N’importe quelle quantité, si faible soit-elle, comporte un risque — qui augmente, bien entendu, avec l’intensité et la durée de l’exposition — de provoquer une altération génétique ou une affection somatique comme un cancer.

De plus, la durée de vie de ces radiations dans le cas de certains matériaux est de plusieurs centaines de milliers d’années : leur accumulation, année après année comme déchets nucléaires, entraîne donc un effet cumulatif sans cesse croissant qui, de plus, reporte sur les générations futures des conséquences inestimables. Pour certains de ces matériaux comme le carbone-14, dont la durée d’émission de radiation (la demi-vie) est de 5 600 ans, son relâchement dans la biosphère signifierait que la population entière de la terre finirait par y être exposée en raison du mouvement rapide du cycle du carbone. On comprendra que, loin d’être localisé, le problème est d’envergure mondiale.

Mais précisons encore davantage ces risques. Le plus spectaculaire est celui, toujours présent, de voir la centrale nucléaire se dérégler, échapper littéralement au contrôle humain et provoquer une véritable explosion atomique. Cela est loin d’être une hypothèse d’école comme l’a démontré l’indicent de Three Mile Island. Pourtant, une étude longtemps gardée secrète de la Commission de l’énergie atomique américaine, rédigée en 1964-65, a établi qu’un tel accident entraînerait 45 000 morts, 100 000 blessés (potentiellement atteints de cancer ou de leucémie, dont l’arrêt de mort serait signé à moyen terme), et la contamination à long terme d’une région aussi grande que l’État de la Pennsylvanie, sans compter des dommages matériels de 280 milliards de dollars (en chiffres de 1964-65). Un tel accident pourrait être le résultat d’un dérèglement incontrôlé, d’une erreur humaine, d’un cataclysme naturel (tremblement de terre) ou d’un bombardement.

Mais ne soyons pas catastrophistes et supposons idéalement qu’une telle chose ne puisse jamais se produire. Sommes-nous alors exempts de tout autre risque ?

1. Prenons le processus à son début, à l’extraction minière des matériaux radioactifs qui servent de « combustibles » aux centrales nucléaires. L’extraction de l’uranium dégage un gaz radioactif très dangereux, le radon, auquel sont exposés les mineurs ainsi rendus fortement susceptibles d’un cancer du poumon par inhalation de ce gaz.

2. Les résidus du raffinement de l’uranium sont radioactifs. Leur principale composante, le radium, est émettrice de rayons gamma susceptibles de générer un cancer. Vingt-six millions de tonnes de ces résidus sont entreposés dans 22 sites répartis à travers les seuls États-Unis et les quantités s’accumulent (The Militant, 13 avril 1979, page 18). Dans de nombreux cas, ces résidus ont été utilisés comme matériaux de construction. À Grand Junction au Colorado seulement, 300 000 tonnes de ces résidus ont été utilisés dans la construction de 700 maisons. Les statistiques du département de la santé du Colorado démontrent que les résidents de cette ville ont un taux de leucémie deux fois supérieur à la moyenne de l’État.

3. Le fonctionnement normal d’une centrale émet ce qui est désigné comme des radiations de « bas niveau ». Pourtant, des études récentes ont démontré que le taux de radiation auquel sont exposés tant les travailleurs de la centrale que la population environnante, se traduit par des taux de cancer considérablement accrus. Par exemple, à Waterford dans le Connecticut, site d’une centrale nucléaire, les taux de cancer ont augmenté de 58 % de 1970 à 1975. Deux villes voisines de Waterford, en amont du vent par rapport à cette dernière, ont vu leur taux de cancers augmenter, de 44 % pour New-London, située à 5 milles, et de 27 % à New Haven, située à 30 milles. Pendant la même période, la moyenne nationale n’augmentait que de 6 %. Dans une ville de Pennsylvanie dont la source d’eau potable est contaminée par une centrale située à un mille de distance, le taux de cancers a augmenté de 180 % en dix ans (The Militant, 22 juin 1979, page 11).
Des produits excessivement toxiques peuvent être relâchés accidentellement dans le fonctionnement des centrales nucléaires ou encore provenir des déchets nucléaires. Dispersés dans l’atmosphère, rejetés au sol par les précipitations, ils pénètrent ensuite dans les sols et les eaux. Des quantités radioactives très faibles, une fois absorbées par les organismes vivants comme les poissons ou les animaux, peuvent atteindre des concentrations énormes qui sont ensuite communiquées à l’homme par ingestion. L’un de ces matériaux radioactifs, l’iode 131, émetteur de particules bêta et cause de cancer et de malformations congénitales, se fixe dans la thyroïde comme l’iode normal. Des taux anormalement élevés d’iode 131 ont été trouvés dans le lait dans la région de Harrisburg, après l’accident survenu à la centrale nucléaire.
Le plus toxique de ces produits, qui n’existe pas à l’état naturel, et qui ne peut être produit que de manière artificielle par le biais de la fission nucléaire, est le plutonium. Un microgramme de plutonium suffit à provoquer un cancer du poumon. Il est à peu près impossible de l’éliminer et sa « demi-vie » est de 24 400 années. Les modèles dernier cri des centrales nucléaires utilisant des « surrégénérateurs » en contiennent de 4 à 5 tonnes, et ce type de centrale est beaucoup plus susceptible que les autres de faire explosion à la manière d’une bombe atomique (Face au nucléaire, Québec-Science, 1979, page 77).

4. Cela donne déjà toute son ampleur au problème suivant, celui de l’élimination des déchets nucléaires, ce qui reste comme résultat de la fission et qui contient toute une gamme de matériaux empoisonnés, tous aussi dangereux les uns que les autres.
Le problème sans doute le plus crucial est celui auquel, de l’avis de tous les experts, il semble le plus difficile d’imaginer une solution. Déjà des masses considérables de déchets radioactifs sont entreposés à travers le monde, comme résultat de seulement 35 années d’utilisation militaire et de 20 années d’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, et continueront à être radioactifs pour des milliers ou des centaines de milliers d’années. Aucune technique connue n’est efficace pour résoudre ce problème, que les déchets soient vitrifiés, enfouis sous la terre, plongés dans la mer ou expédiés dans l’espace. Les matériaux dans lesquels ils sont entreposés, béton, plomb, acier, etc., sont tous sujets à quelque action de la nature, qui compromet à plus ou moins court terme leur capacité d’entreposage (corrosion, rupture par tremblement de terre, etc.).
La solution qui comporte à première vue les risques les plus élevés est probablement celle à laquelle ont eu abondamment recours les États-Unis jusqu’ici, celle qui consiste à plonger ces déchets dans des profondeurs marines, après les avoir entreposés dans des barils d’acier susceptibles, il va de soi, d’être corrodés par l’eau salée. Une inspection récente d’un de ces dépotoirs marins de matériaux radioactifs où 47 500 barils de 55 gallons ont été plongés de 1950 à 1962, a permis de constater qu’un baril sur quatre était éventré et que le taux de radiation de plutonium y était de 25 fois supérieur à la normale. On a également constaté la présence, autour de ces barils, d’une espèce encore inconnue d’éponges géantes (The Militant, 8 décembre 1978). « Science-fiction », diront certains. Il semble au contraire que cela soit bel et bien réel.

5. On pourra toujours se consoler en voyant apparaître ces nouvelles espèces, en se disant qu’elles compenseront peut-être la disparition éventuelle de certaines espèces de faune marine provoquée par la pollution thermique résultant du déversement dans les rivières, les fleuves et la mer des eaux nécessaires au refroidissement des centrales nucléaires. À titre d’exemple, on prévoyait en effet que la seule mise en opération de Gentilly I entraînerait un réchauffement de l’eau de 10o C et tuerait ainsi la totalité des mollusques occupant le fond du fleuve à cent endroit (Québec-Science, page 93). Il faut reconnaître cependant que ce problème est susceptible d’être résolu plus facilement, l’eau chaude pouvant être évacuée autrement et utilisée à des fins positives, agricoles et industrielles (ce qui pourtant ne semble pas devoir être fait avant plusieurs années).


En terminant cette section, il est important de répondre aux arguments de ceux qui prétendent réduire les risques du nucléaire en expliquant que la population est de toute façon continuellement exposée à toutes sortes de radiations naturelles provenant des rayons cosmiques ou d’éléments radioactifs présent dans la nature ou encore exposée régulièrement aux rayons-X, chez le dentiste, etc. De tels arguments sont tout à fait grotesques, d’une part sur le plan des comparaisons des quantités de radiations impliquées et d’autre part sur le plan de la justification ainsi apportée à une mise en danger considérablement accrue de la vie de millions de personnes. Il est vrai que ces radiations naturelles et incontrôlables nous affectent; mais on ne réglerait rien, au contraire, en ouvrant toute grande la porte à des radiations considérablement plus intenses et plus mortelles, qu’on peut éviter. [3]

Un bilan négatif

Quel est donc le bilan de l’ensemble des conséquences, pour l’humanité, de l’utilisation de l’énergie nucléaire ? Nous constatons facilement qu’aujourd’hui, dans l’état actuel de nos connaissances, ce bilan est incontestablement négatif. Les risques pour l’ensemble de l’humanité, des générations futures et actuelles, sont sans commune mesure avec les avantages de cette technique. Il n’y a rien de progressiste dans une technique qui constitue une telle menace au milieu de vie, qui met en péril pour des siècles, voire des millénaires à venir, le droit de vivre, et qui entretemps détruit lentement mais systématiquement la principale force productive, les travailleurs et les travailleuses, en les exposant à un niveau toujours plus élevé de radiations qui minent l’organisme vivant. Dans l’état actuel des connaissances humaines qui n’arrivent pas à surmonter ces risques, l’utilisation de cette technique constitue une expression éclatante de destruction des forces productives. L’humain se trouve, comme le disait Marx en parlant des crises du capitalisme, comme ce magicien qui n’arrive pas à contrôler les puissances infernales qu’il a évoquées.

Qualitativement, les effets négatifs liés à la technique nucléaire ne peuvent aucunement être réduits et mis en rapport avec les effets négatifs liés à d’autres formes de production d’énergie ou à d’autres manifestations du progrès scientifique. Les effets négatifs d’un accident nucléaire, par exemple, ne se limitent pas, ni qualitativement, ni quantitativement, aux effets destructeurs immédiats comme ceux occasionnés par la destruction accidentelle d’un barrage hydro-électrique. Les effets ne sont pas localisés, ni dans le temps (leur durée de vie englobe plus que des périodes historiques) ni dans l’espace (les effets des radiations se propagent à l’échelle mondiale, sur les continents, dans les mers, etc.).

Aujourd’hui, répétons-le, et dans l’état actuel des connaissances humaines, les effets globaux de l’utilisation de l’énergie nucléaire sont absolument négatifs pour l’humanité et nous devons nous opposer à cette utilisation : nous devons, en tant que militants conscients, mener la bataille contre l’utilisation de l’énergie nucléaire, tant pacifique que militaire.

Nous disons bien aujourd’hui et dans l’état actuel des connaissances humaines, parce qu’en tant que matérialistes, nous ne disons pas qu’il n’y aura jamais de solution à ce problème. À ce titre, nous considérons que le monde et ses lois sont connaissables et que cette connaissance est la clé de la maîtrise de l’humain sur la nature. Nous ne faisons aucun acte de foi et nous ne croyons pas qu’il y ait au monde des choses inexplicables, des choses en soi qui seraient à jamais hors de portée de la connaissance et du contrôle humain. Nous considérons que ce qui n’est pas encore connu de nous scientifiquement, reste à découvrir. En tant que marxistes et en opposition aux idéalistes, nous opposons la science et la connaissance à la croyance en des choses qui seraient à jamais inexplicables et dont l’existence et l’évolution seraient le fait de puissances occultes comme les dieux grecs ou Dieu tout court.

En ce sens, nous ne pouvons dire aujourd’hui, avec certitude bien entendu, s’il sera un jour possible de contrôler et d’éliminer totalement les risques nucléaires, si les connaissances de la physique nous permettront, par exemple, d’arriver à neutraliser les radiations nocives. Mais nous pouvons et nous devons dire que même avec la présomption matérialiste de la possibilité pour l’humanité de résoudre un jour cette question, la seule voie possible présentement pour l’humanité est d’interdire dès maintenant l’utilisation de cette technique qui, toujours dans l’état actuel de nos connaissances, est absolument négative pour l’humanité. Il va sans dire qu’une telle attitude est le contraire d’une attitude anti-progrès.

Cette position correcte aujourd’hui sous le capitalisme ne saurait par ailleurs devenir incorrecte demain sous le socialisme. Si le remplacement du capitalisme, fondé sur la concurrence et le profit, par un socialisme voué à la construction d’une société équitable, doit fournir les conditions de la poursuite d’un développement axé sur les intérêts de l’humanité et favoriser l’évolution des connaissances dans tous les domaines, y compris le domaine de la physique nucléaire, ce remplacement ne suffirait pas, cela va de soi, à résoudre immédiatement et automatiquement ce problème scientifique d’envergure. L’arrêt de l’utilisation de l’énergie nucléaire tient à ses effets négatifs pour l’humanité, quel que soit le régime sous lequel cela se produira.

Si l’insuffisance de nos connaissances ne nous permet pas d’en surmonter les dangers extrêmes, demain comme aujourd’hui, sous le socialisme comme sous le capitalisme, nous serons contraints d’en réclamer et d’en imposer l’interdiction.

L’opposition au nucléaire,
pour le droit de vivre


Cinquante mille personnes manifestaient dans l’Isère, en France, en juillet 1977, contre la construction d’une super centrale nucléaire. Plus de 125 000 personnes ont manifesté à Washington le 6 mai 1979 à la suite de l’incident de Three Mile Island. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à travers le monde les 2 et 3 juin, journée internationale anti-nucléaire (10 000 en Hollande, 8 000 en République fédérale allemande, 2 000 en Espagne malgré la répression violente de la police espagnole, etc.). Une opposition grandissante à l’utilisation de l’énergie nucléaire commence à se développer à l’intérieur du mouvement ouvrier. Des centaines d’autres manifestations ont eu lieu au cours des dernières années dans la plupart des pays industrialisés et ont conduit dans certains cas à la fermeture de centrales nucléaires, dans d’autres au report de projets d’installation de nouvelles centrales.

Aux États-Unis, un nombre croissant de syndicats, de districts et de locaux de syndicats ont déjà pris position contre l’énergie nucléaire, demandant la fermeture des centrales nucléaires et participant aux manifestations anti-nucléaires avec leurs bannières syndicales. Le premier gros syndicat à prendre position a été le Syndicat des mineurs de charbon (United Mines Workers of America), fort de 270 000 membres, bien connu pour sa grève de quatre mois de décembre 1977 à mars 1978 contre la loi Taft-Hartley. S’ajoutent de nombreux locaux des Travailleurs unis de l’automobile, des Métallurgistes unis d’Amérique, des Travailleurs du pétrole, de la chimie et de l’industrie atomique, des employés d’État, des comtés et des municipalités, etc.

L’opposition grandissante à l’énergie nucléaire à l’échelle du monde entier ne peut en rien être réduite à un refus global du changement. Elle est le résultat d’une sensibilisation croissante aux dangers extrêmes que fait peser la technique nucléaire sur le sort de l’humanité. Elle est la manifestation de la revendication élémentaire du droit de vivre.

Sur cette question comme sur toutes les autres, nous ne pourrions nous limiter à dire ou à penser qu’un changement du système économique et politique arrangera les choses. Nous devons traduire les aspirations de la population en mots d’ordre mobilisateurs. Le premier de ces mots d’ordre devrait être : Fermeture immédiate de toutes les centrales nucléaires et réorientation des travailleurs impliqués sans diminution de salaires.

Pour le Québec, nous devons nous réjouir du fait que la centrale de Gentilly 1 est maintenant fermée et que l’ouverture éventuelle de Gentilly 2 et 3 n’est pas envisagée, du moins pour l’immédiat. Pour l’instant, le gouvernement du Québec se pique d’avoir un préjugé défavorable à l’énergie nucléaire, préjugé d’autant plus facile à soutenir que la position privilégiée du Québec en hydro-électricité est unique au monde. Les temps changent vite, cependant, pourrions-nous dire. Souvenons-nous en effet des années où le Parti libéral au pouvoir a lancé le projet de la Baie James, le « projet du siècle ». Jacques Parizeau du PQ, alors dans l’opposition, s’était fait l’ardent opposant de ce projet, regrettant amèrement que le Québec ne s’engage pas dès ce moment dans l’énergie nucléaire et qu’il « manque ainsi le bateau dans le développement d’une technologie de pointe ».

Quoi qu’il en soit, la question de l’énergie nucléaire a une dimension mondiale et intertemporelle et le fonctionnement d’une centrale nucléaire nous concerne tout autant, qu’elle soit au Japon, en Europe ou au Québec.



[1] Au sein d’une organisation identifiée comme le Groupe socialiste des travailleurs du Québec (GSTQ) dont j’étais membre.

[2] Au moment de l'incident de Harrisburgh, plusieurs membres de notre organisation, avides de se rattacher à une position qui serait la nôtre, se sont référés à la section de mon livre L'économie capitaliste: une analyse marxiste, 2e partie (p.387-391) publiée en 1979, qui traite de l'énergie nucléaire. Il importe de mentionner que l’analyse qui y est développée, même si elle est exprimée par un membre de l’organisation, ne peut être considérée comme tenant lieu de position de cette organisation.

[3] La présentation des dangers de l’énergie nucléaire qui est donnée ici ne donne bien sûr qu’un tableau très partiel. Les personnes intéressées sont encouragées à consulter le document Face au nucléaire, publié par Québec-Science, surtout les pages 67 à 126). La deuxième édition du document, publiée en 1980, est disponible sur Internet.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 12 mai 2021 6:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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