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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La quête de l’objet. Pour une psychologie du chercheur de trésor. (1985)
Préambule


Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Hubert Van Gijseghem, La quête de l’objet. Pour une psychologie du chercheur de trésor. Montréal: Éditions Hurtubise HMH, 1985, 121 pp. Collection: Brèches. [Le 30 janvier 2014, l'auteur, Hubert Van Gijseghem, nous accordait son autorisation formelle de diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, en accès ouvert et gratuit à tous, toutes ses publications. ]

[11]

La quête de l’objet.
Pour une psychologie du chercheur de trésor.

Préambule

Le Samedi saint, 1965, à l'aube, je fis le rêve suivant : je suis en train de travailler, assis à un pupitre, dans un champ labouré, non loin de la maison paternelle. Je fais face au chemin de sorte que la plus grande partie du champ s'étale derrière moi. Du moins c'est ainsi que j'envisage la disposition spatiale aujourd'hui, c'est-à-dire dix-huit années plus tard. Et je jurerais de son exactitude si je n'avais noté ce jour-là : « Tout près du chemin, mais le dos tourné au chemin. » Il semble donc que je me sois retourné depuis le temps.

Toujours est-il que je travaille paisiblement à ce pupitre quand, tout à coup, j'aperçois un bel hélicoptère qui me survole. Je le trouve beau en effet : il me fait penser à un insecte gracieux. Il a des skis à la place des roues. À mon grand étonnement, l'engin atterrit à une centaine de mètres plus loin... dans le champ jaune, mélange d'argile et de sable, comme on en trouve à cet endroit des Flandres. Excité et curieux, j'accours en vitesse. De loin, je vois un homme qui tient le volant et, à côté de lui, une femme. Très maigre, aux allures nerveuses, celle-ci s'empresse de descendre et, d'une seule main, elle creuse fébrilement un trou étroit et profond dans la terre. Elle en sort un objet qu'elle nettoie rapidement pour le poser ensuite sur son visage. Toujours à travers ma course, je saisis qu'il s'agit d'une paire d'anciennes lunettes. L'homme attend impatiemment dans la cabine de l'hélicoptère dont l'hélice tourne à pleine capacité. Hâtivement, comme pour se sauver de moi, la femme remonte à côté de lui et aussitôt l'engin décolle. Je n'ai même pas eu le temps de les rejoindre et, de toute évidence, c'est ce qu'ils tentaient d'éviter. Je suis très déçu. En me réveillant, je me dis : « J'aurais dû regarder dans le trou pour voir s'il n'y avait pas autre chose. »

Quelques jours plus tard, je commençais mon analyse personnelle et ce rêve sera le premier d'une longue liste que je raconterai à l'homme. Rêves de fouilles dans la terre, dans les [12] greniers et les caves, dans les cimetières et les arrière-boutiques poussiéreuses. À vrai dire, je n'y ai jamais rien compris et je crois que l'homme, derrière le divan, s'y embourba aussi, cherchant avec insistance qui avait bien pu mourir durant ma petite enfance, ou ce qui avait bien pu disparaître pendant les années de guerre. Nous ne sommes jamais parvenus à une compréhension satisfaisante de ma recherche inlassable. Car je ne cherchais pas seulement dans mes rêves, mais aussi au fil de ma vie quotidienne. À côté d'une curiosité intellectuelle et d'une avidité de savoir sans cesse accrues (et donc fatalement insatisfaites) se déroulait une recherche fébrile et excessivement excitante de l'objet-trésor. Depuis ma plus tendre enfance, je menais de front plusieurs collections : roches, vieux sous, vieilleries de tout genre, timbres, livres, vieux manuscrits, cartes mortuaires anciennes... Tout se constituait en séries : tant de cailloux, tant de livres, tant de noms de bateaux, puis tant de tableaux, etc.

Comme il en est du rêve, je mêle ici les différentes époques de ma vie et mes collections d'enfant à celles de mon temps présent. Car, de mieux en mieux, je discerne l'inéluctable continuité qui relie mon bureau de travail actuel à ma petite chambre du grenier où, jadis, secrètement, je thésaurisais.

Mais que veut-il dire, ce rêve des lunettes ? (En fait, je collectionnais aussi les lunettes anciennes.) Inévitablement, à mesure que je m'orientais vers cette autre forme d'archéologie qu'est la psychologie des profondeurs, j'allais comprendre certaines dimensions de ce sacré rêve. Je sentais bien qu'il y avait là une mère-terre dont la vulve est habitée par le trésor, ce phallus magique, objet du « voir » et du « savoir » si important à mes yeux. Je n'étais pas non plus sans reconnaître la scène primitive dont j'étais exclu et ce triangle œdipien où mon père accaparait jalousement sa femme pour lui-même. Toutes ces lumières dégagées du boisseau ne m'empêchaient pas de tourner en rond et de chercher à voir et à savoir au-delà du vu et d u su.

Je continuais de fréquenter les antiquaires et les chiffonniers, les libraires et les maisons abandonnées, les cimetières et les musées. Je ne cessais pas de dévorer Freud et Jung et de flirter avec tout ce qui s'appelle fouille dans l'inconscient. Je m'en voulais même de n'avoir pas suivi mon très vieux désir [13] d'être archéologue. Et de tout lire sur l'égyptologie, l'assyriologie, les Précolombiens, les Hittites, la paléontologie, bref, sur tout ce qui, là quelque part, restait non-découvert.

Les rêves s'accumulant, je les collectionnais aussi. Des rêves où je faisais des trouvailles extraordinaires, mais que je devais aussitôt cacher puisque, d'une certaine façon, je les subtilisais : il se trouvait toujours quelque gardien de cimetière ou de ruine à déjouer pour mettre mon trésor en sécurité.

Mon analyse prit fin mais, là aussi, je restai sur ma faim. Bien sûr, je ne chipais plus de livres dans les librairies : j'étais devenu ce qu'il convient d'appeler un citoyen relativement honnête. Mais mon inlassable recherche du trésor caché n'avait pas reculé d'un centimètre. Au contraire, je cherchais plus que jamais. Tout mon temps libre y passait. Progressivement ma maison devint une sorte de musée. Des milliers d'objets s'y entassaient tous aussi éminemment précieux les uns que les autres, indispensables à ma survie... sans pour autant soulager ma faim. Autant d'objets-écrans qui cachaient le véritable trésor, cet objet de ma hantise qui, de fait, me hante toujours.

Aussi ai-je enfin décidé de faire de cette quête elle-même un objet précieux. J'ai commencé par la décrire. J'écrivis pendant des mois, peaufinant mon obsession comme on tripote un vieux sou, avec tendresse et passion, mais aussi avec jalousie et discrétion. Combien j'en ai trouvé de choses à dire sur « mon » affaire ! À force de tripotage, la chose devint arrondie, si patinée qu'il était temps de la refiler à quelques lecteurs. Leur réaction me tomba dessus comme une douche froide : « C'est intéressant, mais tu t'amuses. Où veux-tu en venir ?... »

Alors j'ai pensé que je devais reprendre mon rêve des lunettes pour, cette fois, aller jusqu'au bout. Je ne pouvais plus me cacher derrière une belle petite étude sur le « surinvestissement de l'objet », abondamment documentée, assortie d'innombrables références qui témoigneraient de l'indéniable culture (bricolée) de son auteur. Je ne pouvais plus éviter le « je », généralement proscrit des rapports scientifiques. Non, je ne peux plus l'éviter. J'ai l'âge.

J'ai donc recommencé. Et voilà que la boucle se ferme à mesure que j'essaie de percer le secret de mon obsession. Je sais [14] fort bien que l'entreprise est complexe et ambiguë : c'est ma passion elle-même qui se trouve à la fois l'objet et le sujet de cette étude. Inévitablement, cette recherche sur le surinvestissement de l'objet deviendra elle-même objet surinvesti, ce qui risque de l'emprisonner sur ce territoire narcissique où elle ne resterait qu'un jeu, c'est-à-dire un exercice sans relation avec la connaissance à laquelle pourtant je veux opiniâtrement contribuer. Mais je me rassure : ne peut-on pas dire finalement la même chose de toute forme de création ou du premier élan qui pousse un créateur à créer ? Au fin fond de ses entreprises, chacun n'est-il pas mû par le désir de se refaire lui-même, de se mettre au monde ? Ogni dipintore dipinge se — tout peintre se peint —, rappelle une maxime de la Renaissance italienne. Pourquoi, dès lors, obéirais-je à la pudeur ?...

Mais quel chemin prendre ? J'ai choisi d'interroger les auteurs. J'essaierai de pénétrer la pensée d'autres chercheurs de trésor puisque, en cours de route, je me suis bien aperçu que je suis loin d'être le seul à me passionner...

Par la force des choses, les chapitres qui suivent revêtiront l'allure d'une étude théorique. Et la logique de la « fouille » en littérature sera la mienne et ainsi en sera-t-il de sa chronologie. J'irai du manifeste au latent, de l'évident au caché, du généralement accepté au mystérieux. Le lecteur devra donc fatalement suivre le puits sinueux créé par mes propres coups de pelle. Il s'en lassera peut-être. Mais, à l'instar de Valéry, je lui dis : « ...ceci ne tient qu'à toi ami, n'entre pas sans désir... »



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 14 août 2014 10:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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