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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le nouveau paradigme de la violence religieuse comme forme de résistance
et de contrôle social dans le contexte de la modernité avancée
(2005)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Martin Geoffroy, Le nouveau paradigme de la violence religieuse comme forme de résistance et de contrôle social dans le contexte de la modernité avancée”. Un article publié dans la revue Religiologiques, no. 31, Printemps 2005, pp. 27-36. Montréal, Département de sociologie, UQÀM. [L'auteur nous a accordé le 5 octobre 2007 son autorisation de diffuser électroniquement cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

Depuis les attentats du 11 septembre 2001 qui ont entraîné la destruction du World Trade Center, plusieurs chercheurs se sont penchés sur la question de la nature supposément violente de la religion. Cette nature intrinsèquement violente de la religion ne fait pas l'unanimité auprès des chercheurs en sciences sociales, mais elle semble faire son chemin et s'ancrer beaucoup plus solidement chez les journalistes et les politiciens occidentaux, et en conséquence dans une bonne partie du grand public. Effet de mode, amplification médiatique ou réalité empirique ? La réponse n'est pas simple puisque la religion est un phénomène de moins en moins institutionnalisé et de plus en plus personnalisé dans le monde contemporain. Chaque individu ayant une position ou une opinion très personnelle du fait religieux, sa relation avec les différentes institutions représentatives du fait religieux dans sa société sont de plus en plus ambiguës. Les grandes églises traditionnelles, plus rassembleuses et plus modérées en général, ont tendance à perdre du terrain face au culte du moi typique de l'état de modernité avancée dans lequel nous vivons. Surgissent des groupes religieux de type secte, plus petits mais avec un lien social très fort, et des groupes de type mouvement social, plus grands mais avec des liens sociaux tissés beaucoup moins serrés. L'objectif de cet article n'est pas de parler de ces groupes en tant que tels, mais de débattre des grands courants théoriques concernant la violence religieuse au sein de ces deux types de groupes. Le but est de montrer qu'il n'y a pas de consensus théorique sur la nature intrinsèquement violente de la religion, mais qu'il reste toujours possible de montrer que certains comportements religieux mènent parfois à la violence. La première partie de l'article sera consacrée à l'exposition et à la discussion de plusieurs théories récentes concernant la religion, la violence et aussi le terrorisme à base d'idéologie religieuse. Cette discussion servira à montrer que la violence religieuse est non seulement une forme de résistance, mais aussi une tentative de contrôle social. La deuxième partie du texte vise à montrer que cette résistance et ce contrôle social sont, plus souvent qu'autrement, de nature symbolique. L'hypothèse avancée dans cet article est que la résistance et le contrôle social exercés par la religion puisent une force réelle dans la puissance des symboles.

 

La résistance à la sécularisation

 

Les groupes religieux intransigeants (Geoffroy, 2004) ont pour caractéristique commune un puissant désir de résistance à la société séculière. La constellation des groupes et des tendances religieuses intransigeantes est très variée, mais les extrémistes de droite de toutes les grandes religions ont un ennemi commun, l'humanisme séculier et son corollaire : la démocratie participative. C'est pour cela que certains groupes intransigeants et des groupes conservateurs un peu plus modérés peuvent, à l'occasion, faire des alliances entre eux et se créer des réseaux d'influences politiques et sociales. Les groupes intransigeants ont un très fort potentiel pour susciter des conflits qui peuvent, parfois, mener à la violence. C'est dans le maintien d'une tension constante entre eux et la société séculière que se forme l'identité intégriste et fondamentaliste. 

Juergensmeyer (2000) pense que la violence terroriste ne relève pas d'une quelconque idéologie fondamentaliste, mais plutôt de la convergence de forces géopolitiques plutôt séculières. Il perçoit le sentiment religieux des terroristes comme une idéologie de rébellion en réaction contre des injustices sans lien avec la religion. Paradoxalement, il note que le nombre de groupes terroristes à caractère religieux est passé de 26 en 1994 à 49 un an plus tard, donc que le terrorisme à base religieuse est en très forte progression. Cependant, ce sociologue américain estime que, notamment chez les musulmans, le renouveau de l'islam se substitue à la faillite de l'idéologie marxiste. Dans le contexte de la guerre en Irak, cela expliquerait le fait que les musulmans perçoivent l'invasion américaine comme une croisade religieuse. Cette interprétation sous-estime singulièrement la montée du fondamentalisme aux États-Unis, car une bonne partie du public américain est convaincu qu'il s'agit d'une « guerre juste » au sens religieux et civilisationnel du terme. De plus, la violence religieuse peut très bien s'exercer aussi à travers divers appareils d'États répressifs au sein même des démocraties occidentales. À ce propos, les exemples de la prison de Guantanamo ou même des récentes restrictions des libertés civiles aux États-Unis sont éloquents. Malgré une explication de l'augmentation du terrorisme religieux qui se limite trop étroitement aux facteurs géopolitiques, Juergensmeyer offre une définition du terrorisme qui donne matière à réflexion : « These are public acts of destruction, committed without a clear military objective, that arouse a widespread sense of fear » (Juergensmeyer, 2000, p. 5). Ce que l'auteur ne semble pas admettre, c'est que l'objectif du terrorisme religieux est beaucoup plus symbolique que militaire. Il suffit ici d'attirer l'attention sur le fait que le terroriste veut répandre la peur et installer un climat de paranoïa. Mais il s'agit d'une peur fondée sur une menace beaucoup plus symbolique que réelle : les chercheurs (Conesa, 2005 ; Kepel, 2003 ; Jugersmeyer, 2000) ont montré que la plupart des terroristes, religieux ou non, ne disposait pas de ressources suffisantes pour mener une guerre planétaire. Ils doivent donc frapper des symboles puissants de leurs ennemis (édifices gouvernementaux, entreprises, églises, mosquées, collaborateurs ou même une foule anonyme). L'impact de la violence du pouvoir symbolique des religions sur le contrôle social de l'individu et des collectivités ne peut donc pas être sous-estimé dans le cas des actes terroristes à base religieuse. 

À mon avis, les travaux de Scott R. Appleby (2000) offrent une vision plus complète et plus nuancée de la violence religieuse. Selon ce sociologue américain, le sacré est quelque chose de neutre, mais l'interprétation du sacré ne l'est pas. La réponse de l'être humain au sacré ne peut donc être qu'ambivalente. La plupart des sociétés religieuses interprètent leurs expériences en donnant un rôle paradoxal à la religion dans les affaires humaines. Elle incarne à la fois la paix et l'épée vengeresse. L'auteur réfute l'argumentation de Juergensmeyer selon laquelle la violence et le terrorisme religieux ont avant tout des causes géopolitiques et non-religieuses. La capacité de la religion d'inspirer l'extase, de sortir le croyant du quotidien, est derrière toutes les logiques de la violence religieuse. Dans la plupart des religions, le chemin de l'ascétisme qui mène à l'extase du sacrifice de soi (pour ou contre les autres) est un trait commun de l'expérience religieuse de type charismatique. (Appleby, 2000, p. 91) Les deux principales figures de cette ambivalence du sacré sont « l'extrémiste » et « le militant radical pour la paix » : l'extrémiste utilise la violence avec l'objectif d'écraser l'ennemi alors que le militant pour la paix sublime la violence sous une forme spirituelle et métaphorique. (Appleby, 2000, p. 11-13) 

Lorsqu'une religion va jusqu'à sacraliser la quête d'autonomie politique, les leaders ethno-nationalistes y puisent une formidable justification pour s'engager dans des conflits violents avec d'autres groupes ethniques. La réponse humaine au sacré étant de nature ambivalente, l'identité religieuse peut autant servir à amplifier les haines ethniques et tribales àcertains endroits, qu'à devenir un moyen de transcender les différences dans un autre contexte. Les extrémistes religieux se servent donc de la religion pour légitimer la violence et la discrimination contre des groupes d'ethnie ou de langue distincte (Appleby, 2000, p. 60-62). Mais comment expliquer alors que des êtres aussi moraux peuvent s'adonner à la violence ? Selon Appleby, l'illettrisme religieux est une condition structurelle qui augmente la possibilité de violence collective dans les situations de tension : « When folk religious sensibilities am not deliberately refined and developed on explicitly religious terms, in other words, they can be more easily manipulated by cynical outsiders seeking political gain » (Appleby, 2000, p. 69). Un très bas niveau d'auto-réflexion morale et de connaissances théologiques de base parmi les acteurs religieux entraîne cet illettrisme religieux. C'est ce même illettrisme religieux qui a récemment amené la France à vouloir intervenir dans la formation des imams de ce pays. Appleby montre bien le rôle très important de la religion dans la formation de l'identité de l'individu et des collectivités, mais il refuse de coller l'étiquette « d'extrémistes » aux divers courants du fondamentalisme américain parce qu'il considère que la plupart de ces mouvements oeuvrent à l'intérieur des structures sociales de la société occidentale. Pourtant, les fondamentalistes peuvent souvent utiliser une violence verbale, psychologique, politique et économique contre la société séculière avec une efficacité qui, dans certains pays comme les États-Unis, peut être redoutable. Appleby ne semble pas prendre en considération le fait que si l'on définit le fondamentalisme par rapport à sa violente opposition à la société séculière, on peut alors considérer que ces mouvements sont extrémistes. Sans être directement responsables de la violence physique, les groupes fondamentalistes sont un terreau fertile pour la plupart des dérives radicales et sectaires aux États-Unis et ailleurs dans le monde. 

Faut-il pour autant adhérer à la théorie du « choc des civilisations » ? (Huntington, 2000 ; 2004) Les cultures, contrairement à ce que soutient le professeur Huntington, ne sont pas nécessairement des entités imperméables et conflictuelles. Il faudrait plutôt parler d'un entre choc des civilisations, car les civilisations (et leurs religions) existent toujours, même si elles ne sont plus à l'abri du métissage et de l'échange culturel dans un monde global. Seuls des groupes et des mouvements religieux intransigeants peuvent encore être à la recherche d'une « pureté originelle » plus ou moins utopique. En contexte de mondialisation, il est difficile pour une civilisation entière non seulement de rester homogène, mais de ne pas entrer en contact avec les autres. Mais ce choc n'est pas permanent ni aussi facile à cerner que le prétend le politologue de Harvard. Les possibilités d'intégration du multiculturalisme sont toujours présentes même dans les pays qui n'en font pas explicitement la promotion comme le Canada. Même dans le contexte du « melting-pot » américain où l'immigrant doit en principe renoncer à son identité première pour se « fondre »dans la masse culturelle américaine [1], plusieurs groupes ethniques résistent vigoureusement aux pressions de conformité exercées par la majorité bien pensante. C'est le cas des immigrants mexicains (qui ennuient souverainement Huntington), qui gardent leur religion catholique et leur langue d'origine hispanophone.


[1] Selon Huntington (2004), cela équivaudrait à une adhésion complète au « credo américain » : la langue anglaise, le christianisme (engagement religieux, principes de l'État de droit), les valeurs issues du protestantisme dissident (individualisme, morale au travail, création du paradis sur terre).



Retour au texte de l'auteur: Martin Geoffroy, sociologue, Université du Manitoba Dernière mise à jour de cette page le jeudi 28 février 2008 6:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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