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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Martin Geoffroy, “Le Mouvement Laïque Québécois et la laïcité au Canada.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Singaravelou, Laïcité : enjeux et pratiques, pp. 95-108. Premier colloque Montaigne à l'Université de Bordeaux 3, octobre 2005. Les Presses universitaires de Bordeaux, 2007, 386 pp. [L’auteur nous a accordé le 10 août 2010 son autorisation de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

[95]

Martin Geoffroy

Le Mouvement Laïque Québécois
 et la laïcité au Canada
”.

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Singaravelou, Laïcité : enjeux et pratiques, pp. 95-108. Premier colloque Montaigne à l'Université de Bordeaux 3, octobre 2005. Les Presses universitaires de Bordeaux, 2007, 386 pp.

Introduction
Deux nations, deux histoires
Naissance du Mouvement Laïque Québécois (MLQ)
Liberté de religion et accommodement raisonnable au Canada
La laïcïté comme concept « universel »
Références bibliographiques
Annexe. Pour une république laïque. Projet de manifeste

Introduction

Le Mouvement Laïque Québécois (MLQ) est une organisation dont l'objectif principal à long terme est la disparition du fait religieux dans la sphère publique québécoise. Cet organisme sans but lucratif a exercé une influence grandissante sur l'opinion publique québécoise et sur les politiciens au cours des dix dernières années. Dans le dossier de la laïcisation des écoles publiques au Québec, le MLQ a été de toutes les luttes et a finalement gagné sa cause après presque vingt ans de combats acharnés puisque le Gouvernement du Québec a accepté de procéder à la laïcisation complète des écoles publiques québécoises en juillet 2000. Plus récemment, le MLQ a réussi à faire reculer le gouvernement Charest sur la question du financement des écoles juives. Malgré ces succès, le MLQ demeure un groupe marginal avec seulement 500 membres qui sont principalement concentrés dans la région de Montréal.

L'objectif de ce texte est de montrer, à travers l'étude du cas du MLQ, que le modèle français de laïcité da pas de racine historique dans le contexte québécois et encore moins dans le contexte canadien. Il reste que dans le contexte actuel, le Québec se distingue tout de même du Canada à bien des égards, notamment par une tendance de plus en plus marquée àvouloir se rapprocher du modèle français de gestion du religieux dans la sphère publique que du modèle canadien traditionnel de « l'accommodement raisonnable ». Il s'agit aussi de montrer qu'en matière de gestion du religieux, le Québec est une société « distincte » du Canada, mais aussi de la France et ce, malgré certaines affinités avec le modèle français.

Le texte sera divisé en trois parties : une première partie fera très brièvement les distinctions historiques qui s'imposent entre le système français de laïcité et celui de « l'accommodement raisonnable » canadien et [96] québécois. La deuxième partie discutera du contexte historique de l'émergence du MLQ et de son influence grandissante au Québec. La dernière partie du texte relativisera l'importance du MLQ et de la laïcité en contexte canadien.


Deux nations, deux histoires

Lorsque la France abandonne le territoire de la Vallée du Saint-Laurent aux Anglais en 1760, la destinée politique de la mère patrie est désormais séparée à jamais de celle de sa colonie d'Amérique [1]. Quelques années plus tard, pendant que la Révolution française « décapite » le pouvoir de l'Église catholique, ce dernier est plutôt consolide dans la nouvelle colonie britannique d'Amérique du Nord. En 1867, l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique va sceller le « pacte entre la Couronne britannique et l'Église catholique du Bas-Canada » (Guindon, 1990). Les élites laïques françaises ayant pour la plupart quitté le territoire, l'Église reste alors le seul représentant valable du peuple « canadien »  [2]. En échange de sa collaboration avec l'occupant anglais, l'Église catholique se voit accorder certains privilèges comme la gestion des services de santé et des écoles francophones, et elle gardera cette mainmise jusqu'au début des années 1960 lorsque ces deux institutions fondamentales deviendront la responsabilité du Gouvernement du Québec. Au même moment, l'Église catholique de France perd une bonne partie de ses privilèges sous les coups de la Révolution française. En gros, entre 1760 et 1960, l'influence de l'Église catholique va aller en diminuant en France, alors qu'elle augmentera de plus en plus au Canada francophone. Sans pouvoir parler d'une linearité historique complète, on peut dire que ces deux tendances lourdes de l'historiographie des deux pays ont eu une influence certaine sur la manière dont on gère aujourd'hui la relation entre l'État et la religion. Le Canada, contrairement à la France et aux États-Unis, est un pays né d'un compromis entre les trois nations fondatrices (francophone, anglophone et autochtone), il n'y a pas eu de rupture dramatique ou de très grande guerre civile dans son histoire. Cette histoire relativement pacifique se reflète dans le développement historique du [97] modèle actuel de gestion du religieux au Canada, celui de l'accommodement raisonnable. Selon Baril (1993), il y a eu deux systèmes d'éducation dès les débuts de la colonie anglaise : l'un était anglophone, multiconfessionnel et laïque et l'autre était franco-catholique et confessionnel. Après les rébellions de 1837 et 1839, l'élite laïque canadienne sera définitivement écartée et il y aura une prise de contrôle de l'éducation au Québec par les catholiques ultramontains lors de la fondation du Canada en 1867. L'emprise de l'Église catholique romaine, et bien que cette emprise soit inégale selon les secteurs de la société, sera très forte sur le Québec jusqu'au début des années 1960 pour ensuite décliner de façon dramatique et spectaculaire jusqu'à aujourd'hui. C'est dans le contexte de la Révolution tranquille que vont émerger les premières revendications laïcistes et le premier « Mouvement laïque de langue française » qui va être en activité de 1961 à 1968. D'abord plutôt modéré en demandant des cours de morale laïque à l'école publique, le mouvement va ensuite se radicaliser vers 1966 en exigeant la laïcisation complète des commissions scolaires. Il se saborde soudainement en 1968 lorsque le Gouvernement du Québec refuse de laïciser complètement le système scolaire québécois. Il faudra ensuite attendre plus de dix ans pour voir réapparaître un mouvement laïque au Québec. En matière de gestion des rapports entre l'État et la religion, les historiographies canadienne et française se distinguent singulièrement et ce n'est que depuis quelques années que certains auteurs et idéologues tentent, sans grand succès, de trouver des similitudes entre les deux histoires. Ces tentatives infructueuses d'inventer une histoire de la laïcité au Québec et au Canada montrent à quel point il n'y a aucune tradition laïciste au Canada d'un point de vue historique, mais aussi que le Québec se distingue en la matière depuis une dizaine d'années en se rapprochant de plus en plus de la position française à cet égard. Alors que le reste du Canada évolue plutôt dans une autre direction plus proche d'une gestion « à l'américaine » du fait religieux.


Naissance du Mouvement Laïque Québécois
(MLQ)

En 1976, des parents québécois fondent l'Association Québécoise pour le droit à l'exemption de l'enseignement religieux. Ces parents laïques militent pour que leurs enfants puissent être exemptes de l'enseignement religieux à l'École publique. Le Gouvernement du Québec va répondre à cette demande en permettant aux parents de choisir entre des cours d'enseignement religieux et des cours de « morale ». Mais ces nouveaux cours ne sont pas [98] nécessairement des cours de morale laïque puisque le Ministère de l'Éducation laissait beaucoup de latitude par rapport au contenu de ces cours à chaque enseignant, ce qui pouvait mener parfois jusqu'à certaines expérimentations loufoques. L'Association devient encore plus revendicatrice et exige le retrait complet de la religion à l'École publique tout en décidant de militer pour une laïcisation plus générale de la société québécoise. C'est dans ce contexte, en 1981, que naît le premier mouvement québécois ouvertement laïciste, le Mouvement Laïque Québécois (MLQ). Dès sa première année d'existence, le MLQ organise un congrès national portant sur le thème « Une école véritablement laïque ». Son premier objectif est fixé : la laïcisation complète du système scolaire québécois et le combat pour la « liberté de conscience ». En 1995, le MLQ se joint à la Coalition pour la déconfessionnalisation des structures scolaires, un regroupement assez vaste de groupes de pression et de syndicats de professeurs qui prônent la déconfessionnalisation du système scolaire québécois et fait passablement consensus dans la société québécoise. De l'aveu même du vice-président du MLQ, Daniel Baril, l'organisation a été contrainte de devenir un peu plus modérée dans ses discours pour pouvoir se joindre à la Coalition (Geoffroy, 2005). C'est quand même cette vaste coalition qui a fait plier le gouvernement et qui a donné une nouvelle crédibilité au MLQ auprès de la population québécoise. L'objectif de la Coalition sera atteint en 2000 avec l'engagement du Gouvernement québécois de déconfessionnaliser progressivement les écoles publiques du Québec d'ici 2008. Pour le MLQ, cela n'est pas suffisant, le gouvernement doit faire disparaître tous les « signes ostensibles » de la religion dans l'espace publique québécois. Daniel Baril affirme que le modèle français de laïcité a toujours été celui que le MLQ a mis de l'avant pour le Québec. Un Québec qui se voudrait un pays « républicain », vaste programme dans un pays comme le Canada qui da pratiquement aucune tradition républicaine !

À l'aube de son 25e anniversaire en 2004, le MLQ lance la revue Cité Laïque dans laquelle il publie sa raison d'être :

Le Mouvement laïque québécois (MLQ) est un organisme sans but lucratif dont la raison d'être est la défense de la liberté de conscience, la séparation des Églises et de l'État et la laïcisation des institutions publiques. La laïcité mise de l'avant par le Mouvement laïque [99] québécois est respectueuse de la liberté de religion qui toutefois doit s'exercer dans les limites et le respect des lois civiles. Cohérent avec le fait que la laïcité est le principe fondamental à la base de la charte des droits et libertés de la personne, le MLQ est solidaire des autres luttes qui visent à défendre et promouvoir ces droits fondamentaux. La lutte pour la déconfessionnalisation du système scolaire et l'instauration d'écoles laïques sur l'ensemble du territoire québécois constitue l'un des principaux objectifs du MLQ. Il est également actif dans d'autres dossiers où la liberté de conscience est concernée. Ainsi, le MLQ est intervenu dans le débat sur l'avortement, sur la question de la monarchie constitutionnelle et de la souveraineté d'un Québec républicain. Il a dénoncé les pratiques administratives discriminatoires dans l'administration de la justice et de l'administration gouvernementale à tous les niveaux. Il réclame que les services publics, comme la célébration civile des mariages et les soins de santé dans les hôpitaux financés par des fonds publics, soient dispensés de façon égale et sans discrimination à tous les citoyens indépendamment de leurs croyances. [...] (MLQ, 2005, p. 2)

Le fait qu'il n'existe pas de tradition laïciste ou même d'histoire de la laïcité au Canada est prouvé par la relative marginalité du MLQ, mais les succès récents de ce dernier dans l'opinion publique montrent que les choses sont peut-être en train de changer au Québec. Ce qui n'est pas nécessairement le cas dans le reste du Canada où la religion est beaucoup moins pointée du doigt comme elle peut encore l'être parfois au Québec. Il faut dire que toute la trame narrative de l'histoire de la Révolution tranquille au Québec possède des repères historiographiques bien particuliers dans lesquels la religion catholique, et par le fait même la religion en général, est associée de près à « l'ancien régime ». La province de Québec est le seul territoire nord-américain qui a vécu une coupure historique relativement radicale impliquant une religion dominante associée de près à un régime politique. Il ne faut donc pas s'étonner qu'après la coupure, il y ait eu un important ressac de la religion auprès d'une population ayant subi un régime politico-religieux rigide pendant près de deux siècles. Mais les similitudes avec la France s'arrêtent bien là puisque cette histoire « laïque » n'est vieille que d'une quarantaine d'années au Québec, alors que la laïcité républicaine française date de déjà plus de deux cents ans.

[100]


Liberté de religion et accommodement
raisonnable au Canada

Il y a une autre distinction importante à faire entre les situations québécoises et françaises : le Québec n'est pas un pays, il est soumis jusqu'à nouvel ordre aux lois et à la constitution canadienne. Selon Bosset (2005), le droit canadien se montre plus ouvert que le droit français à l'expression ouverte des appartenances religieuses dans la sphère publique. Cette tradition de tolérance envers la diversité religieuse a favorisé le développement du principe juridique de l'accommodement raisonnable dans le contexte canadien. Pour Bosset (2005), l'accommodement raisonnable c'est l'obligation de prendre des mesures raisonnables pour protéger le droit a l'égalité. La religion peut ainsi « négocier » en quelque sorte sa place dans l'espace public canadien en ayant recours aux tribunaux pour faire valoir son droit d'exercer sa religion en public, à condition que la demande soit « raisonnable ». En France, c'est plutôt le contraire, l'État a lui-même recours aux tribunaux pour exclure de force toutes formes de signes religieux « ostensibles » de l'espace public. Au Canada, la « liberté de religion » est un des énoncés fondamentaux de la Charte Canadienne des droits et libertés qui date de 1982 et fait office de loi suprême du Canada depuis cette époque. Dans l'esprit multiculturaliste canadien, la Charte vise à protéger toutes les minorités contre la « tyrannie de la majorité ». Depuis l'avènement de la Charte, plusieurs arrêts de la Cour Suprême du Canada, qui ont fait office de jurisprudence, ont défini juridiquement les différentes dispositions de la Charte concernant la religion. En 1985, l'arrêt R. contre Big M. Drug Mart a amené la Cour à définir « la liberté de religion » au Canada : « Le concept de liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation »(Cour Suprême du Canada. Cité par Clarke, 2003, p. 5). Mais l'exercice de la liberté de religion n'est pas absolu. Par exemple, si l'exercice de la liberté de religion contrevient àcelui d'une autre religion ou même à celui d'un non-croyant, la loi canadienne pourra alors imposer des « limites raisonnables »à cet exercice. L'exercice de la liberté de religion au Canada entraîne donc des « accommodements raisonnables » qui évitent habituellement le recours aux tribunaux.

À ce propos, le cas de la controverse du port du kirpan est un exemple concret de la thèse avancée par ce texte. Le 2 mars 2006, la Cour Suprême du Canada, en rendant un jugement favorable au jeune Gurbaj Sikh Singh [101] Multani dans la cause qui l'opposait à la Commission Scolaire MargueriteBourgeois, a ouvert le débat sur la place de la religion dans la société québécoise. Le jugement de 82 pages applique les règles habituelles de l'accommodement raisonnable en permettant le port du kirpan à l'école publique, à condition que l'objet soit dissimulé sous le vêtement de l'élève dans un étui de tissu cousu. Le Gouvernement du Québec, qui avait porté en appel un arrêt de la Cour Supérieure du Québec rendu en 2002 en faveur du jeune Multani, s'est ainsi fait rappeler qu'il était toujours soumis à la Constitution canadienne qui défend la liberté de religion. Fait à souligner, le port du kirpan était déjà toléré depuis un certain temps dans les écoles des provinces à majorité anglophone de l'Ontario, de la Colombie-Britannique et de l'Alberta. Ce qui montre qu'il y a bel et bien une politisation du débat sur la place de la religion dans l'espace publique québécois qui da pas son équivalent au Canada anglais. À cet égard, la position du MLQ est sans équivoque, le port du kirpan est une pratique d'un groupe sikh « intégriste » qui refuse de s'adapter à la « société moderne » :

Si l'intégrisme est un discours politique, il faut lui opposer un discours politique. Pour faire évoluer les mentalités, il n'y a rien à attendre des tribunaux ni des avis complaisants de la Commission des droits et libertés de la personne qui a adopté le discours du « relativisme à tout prix ». Les signes religieux étant des signes idéologiques, ils doivent être considérés, dans l'espace public, de la même façon que les signes politiques. Le port de tout signe religieux visible devrait donc être interdit pour les fonctionnaires et autres représentants d'organismes publics qui sont en contact avec le public, de la même façon et pour les mêmes raisons qu'on leur interdit le port de signes politiques. Cela va des policiers jusqu'aux juges, en passant par les chauffeurs d'autobus, les infirmières et les enseignants. C'est le minimum que l'on puisse faire pour signifier nos valeurs et pour tracer la limite de la tolérance. (Baril, 2004 : http://www.mlq.qc.ca/)

L'association entre la « société moderne » et la laïcité est l'argument le plus souvent avancé par le MLQ pour justifier ses demandes de faire disparaître la religion de l'espace public. Pour le MLQ, la pensée moderne devrait être représentée par un « humanisme naturaliste et laïque », la religion relève donc de ce passé mythifié du Québec « d'avant la Révolution tranquille ». Le MLQ proclame ne pas être « anti-religieux », mais il fournit tout de même un formulaire d'apostasie de l'Église catholique sur son site internet et [102] cherche à restreindre toute forme d'expression religieuse dans l'espace public canadien. Son vice-président, Daniel Baril, est l'architecte du « naturalisme » dans le MLQ Il a construit au cours des dernières années sa théorie, fort controversée, de la religion « comme produit dérivé » de la nature humaine (Baril, 2006). Cette thèse explique la religion dans une perspective évolutionniste, elle ne serait donc pas une construction culturelle, mais plutôt le résultat de la biologie du cerveau humain. Baril présente donc la religion comme un besoin du cerveau de l'être humain, une forme « d'altruisme réciproque »qui ne devrait plus être nécessaire lorsque nous aurons compris scientifiquement l'évolution biologique du cerveau et que nous serons en mesure en tant qu'espèce de « dépasser » ce stade. Sa thèse sous-entend que la croyance religieuse ne serait pas un choix personnel, mais plutôt un déterminisme biologique. Il situe donc le naturalisme comme une forme de pensée plus évoluée que la pensée religieuse, donc plus valide dans une société dite « moderne ». On saisit vite les implications de cette théorie dans les prises de positions du MLQ à l'égard de la place du discours religieux dans l'espace public : il n'y a pas sa place parce qu'il n'est pas « moderne ». Cette idéologie scientiste n'est pas nouvelle en soit, on la retrouve tout au long de l'histoire de la laïcité en France, elle sert essentiellement à justifier que la laïcité est un principe qui a des fondements scientifiques universels.


La laïcité comme concept « universel »

Le fait que le concept de laïcité n'ait pas de racine historique au Canada semble faire consensus. Pourtant, plusieurs chercheurs (surtout français) continuent de prétendre à l'universalité de la laïcité. Au Canada, les tribunaux ont commencé depuis une vingtaine d'années à faire référence au « principe de laïcité » et ce, malgré le fait que ce que l'on appelle « laïcité » dans le système juridique canadien n'a pas beaucoup de chose en commun avec la définition française que partage le MLQ Ce qui montre bien que l'application d'un modèle de laïcité républicaine à la française au Québec prôné par le MLQ fait quand même de plus en plus d'adeptes. En effet, malgré la marginalité du MLQ en terme de membership, l'idéologie de la laïcité comme concept universel qu'il défend depuis plus de 25 ans fait de plus en plus école au Québec.

La sociologue québécoise Micheline Milot (2002) revendique aussi un universalisme du concept de laïcité qui permettrait d'appliquer cette notion [103] à la gestion du religieux au Québec. Elle propose de mettre l'accent de son analyse sur les aspects « socio-structurels » de ta gestion du religieux plutôt que sur la conception que peuvent en avoir les acteurs sociaux. « je ne pense pas, pour ma part, qu'il faille limiter l'usage analytique des notions selon la charge historique qu'y ont accolée les acteurs (Milot, 2002, p. 26) » dit-elle. Cette analyse structuro-fonctionnaliste amène la sociologue à Présenter la laïcité comme « un aménagement (progressif) du politique en vertu duquel la liberté de religion et la liberté de conscience se trouvent, conformément à une volonté d'égale justice pour tous, garanties par un État neutre a l'égard des différentes conceptions de la vie bonne qui coexistent dans la société » (Milot, 2002, p. 33). Malheureusement, cette définition me semble beaucoup plus idéaliste qu'idéal-typique puisque même si un État se déclare neutre par rapport au fait religieux, il l'est rarement. Les choix politiques ne peuvent, par définition, jamais être totalement neutres, tout comme les réactions d'une société par rapport au fait religieux. L'idée de Milot d'extirper la laïcité de son contexte national et historique pour en faire une pure construction idéal-typique neutre et universelle n'est pas nouvelle en soit, de nombreux chercheurs français ayant déjà tenté par de nombreuses circonvolutions théoriques et des comparaisons plutôt mal informées d'avancer que l'on pouvait étudier tous les pays du monde sous la loupe de la laïcité. Même pour Milot (2002, p. 33), le concept de laïcité doit être « extrait de son contexte français d'émergence historique et dégagé de son usage idéologique » pour pouvoir avoir la moindre portée universalisante. Les expériences infructueuses des nombreuses recherches comparatives françaises sur le sujet ont montré qu'il était très difficile, voire impossible, d'extraire la laïcité de son histoire singulièrement française. J'estime justement que tenter d'extraire la laïcité de son contexte français et refuser de prendre en considération le point de vue des acteurs sociaux est déjà un usage idéologique en soit du concept de laïcité. Sinon, pourquoi ne pas considérer le système canadien « d'accommodement raisonnable » en tant que concept « universel » pouvant s'appliquer à l'analyse du système français ? Il me semble que peu de recherches, voire aucune, ont tenté jusqu'à maintenant d'appliquer le modèle canadien d'accommodement raisonnable à la situation française en le présentant comme un instrument de mesure universel. De toute façon, cela ne pourrait être possible sans prendre en compte le point de vue des acteurs. La seule similitude entre les régimes canadien et français de gestion du religieux, c'est la séparation de l'Église et de l'État, une analyse [104] comparative sérieuse doit commencer par ce pont comparatif pour permettre l'élaboration de nouveaux modèles d'analyses.

Ce court texte visait à montrer que la lâché, en tant que principe juridique et concept historique, n'existe pas au Canada, tout au plus peut-on parler d'un lent processus de laïcisation des institutions publiques canadiennes et québécoises depuis le début des années 1960. Par exemple, la déconfessionnalisation des écoles publiques au Québec ne date que de juillet 2000, ce qui est relativement récent. Le système canadien de gestion du religieux est base sur la notion juridique et idéologique du multiculturalisme et de la diversité canadienne. Dans ce contexte, la religion fait partie intégrante de la « mosaïque »des sous-cultures canadiennes. Même si les Québécois sont généralement devenus plutôt indifférents aux religions, les succès récents d'un groupe comme le MLQ montrent que le Québec, beaucoup plus que le Canada anglais, est influencé par l'idéologie laïciste française. D'ailleurs, il n'y a pas d'organisation équivalente au MLQ au Canada anglais ni chez les minorités francophones hors Québec. Malgré cela, l'influence et la crédibilité du MLQ augmentent petit à petit auprès de l'élite québécoise et du Gouvernement de cette province. Mais le mouvement reste divisé entre une laïcité ferme et une laïcité plus tolérante. Une chose reste certaine, c'est que les divisions entre le Canada et le Québec sur la question de la gestion du fait religieux dans l'espace public semblent de plus en plus s'accentuer.

Martin GEOFFROY

Université de Moncton
Nouveau-Brunswick Canada

[105]


Références bibliographiques

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BARIL, Daniel, « Querelle linguistique et querelle confessionnelle », dans Amyot, Michel, Le statut culturel du français au Québec, Actes du Congrès Langue et société, 1993, p. 143-149.

_____, La grande illusion (Comment la sélection naturelle a crée l'idée de Dieu), Montréal, MultiMondes, 2006, 132 p.

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BOSSET, Pierre, « Le droit et la régulation de la diversité religieuse en France et au Québec : une même problématique, deux approches », dans Bulletin d'Histoire Politique, vol. 13, no 3, 2005, p. 79-95.

CLARKE, Paul, « La liberté de religion dans les écoles canadiennes : un examen de la jurisprudence sous l'al. 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés », Cahiers Franco-Canadiens de l'Ouest, vol. 15, no 1, 2003, p. 3-38.

GUINDON, Hubert, Tradition, modernité et aspiration nationale de la société québécoise, Montréal, St-Martin, 1990, 233 p.

_____, « La Révolution tranquille et ses effets pervers », dans Société, no 20-21, été 1999, p. 1-38.

MILOT, Micheline, « Les principe de laïcité politique au Québec et au Canada », dans Bulletin d'Histoire Politique, vol. 13, no 3, 2005, p. 13-27.

_____, « Laïcisation au Canada et au Québec : un processus tranquille », dans Studies in Religion/Sciences Religieuses, vol. 33, no 1, 2005, p. 27-49.

_____, Laïcité dans le nouveau monde (Le cas du Québec), Turnout, Brepols, Bibliothèque de l'École des Hautes Études Section des Sciences Religieuses (115), 2002, 181 p.

MOUVEMENT LAÏQUE QUÉBÉCOIS, Cité laïque, no 3, hiver 2005, p. 2.

WEINSTOCK, Daniel, « Compromis, religion et démocratie », dans Bulletin d'Histoire Politique, vol. 13, no 3, 2005, p. 41-53.

[106]

Annexe

Pour une république laïque.
Projet de manifeste

Henri Laberge

Nous soumettons ce projet de manifeste aux membres du MLQ et à tous nos lecteurs.

Ce texte est paru dans le numéro 6 de Cité laïque, revue humaniste du Mouvement Laïque Québécois.


Nous avons soif de démocratie, car un régime démocratique est le seul qui convient à des hommes libres conscients de leur égale dignité en tant que membres de notre espèce. C'est le régime qui répond à nos valeurs humanistes et laïques.

On nous raconte depuis notre enfance que le Canada est, à la face du monde, un bel exemple de démocratie. Ce n'est pas le cas.

Drôle de démocratie, en effet, que ce régime où le chef d'État est désigné par transmission héréditaire plutôt qu'élu par le peuple ou par ses représentants.

Drôle de démocratie que ce régime où le chef d'État doit obligatoirement être de religion protestante et assume simultanément la fonction de chef suprême de l'Église d'Angleterre.

Drôle de démocratie qui accepte comme chef d'État une personne résidant en permanence dans un pays étranger.

Drôle de démocratie que ce régime qui concentre tant de pouvoirs (législatif, exécutif et de nomination) entre les mains du premier ministre, lequel est parvenu à ce poste parce qu'il est chef d'un parti qui n'est pourtant appuyé que par 36% des électeurs à travers le pays.

Drôle de démocratie que ce régime où une chambre haute non élue dispose théoriquement des mêmes pouvoirs et prérogatives que la chambre élue.

Drôle de démocratie que ce régime qui refuse le principe de la souveraineté populaire mais proclame, dans sa Constitution, la suprématie de Dieu, violant ainsi la liberté de croyance des citoyens et de leurs représentants.

Drôle de démocratie qui, par l'article 29 de la Loi constitutionnelle de 1982, donne priorité aux privilèges accordés à des groupes confessionnels sur les droits les plus fondamentaux de la personne humaine proclamés dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Drôle de démocratie que ce régime prévoyant, dans son code criminel, la répression du délit de blasphème, lequel n'est pas défini de façon précise, ce qui ouvre la porte à d'éventuelles « chasses aux sorcières » et impose des limites inacceptables à la liberté de pensée.

[107] Nous dénonçons le caractère non démocratique du régime constitutionnel canadien et invitons les organisations de la société civile ainsi que les partis politiques à faire de même.

Nous ne nous contentons pas cependant de dénoncer. Nous tenons à formuler un certain nombre de propositions pour réformer notre régime constitutionnel. Nous savons que certaines d'entre elles seront difficiles à mettre en application. Ce n'est pas une raison pour ne pas les mettre en débat. Si la constitution actuelle fait obstacle à des propositions raisonnables de réforme démocratique, c'est le cadre constitutionnel lui-même qu'il faudra envisager de mettre au rancart.

En premier lieu nous proposons l'abolition de la royauté, l'abrogation de toutes les dispositions constitutionnelles qui la concernent et l'élimination de toute la symbolique royale.

Aucun régime politique ne peut se prétendre fondamentalement et essentiellement démocratique s'il repose sur un principe monarchique. Un régime démocratique doit s'appuyer sur une symbolique démocratique et non sur des symboles qui contredisent les valeurs démocratiques les plus fondamentales.

Le recours à l'hérédité biologique pour la transmission d'une charge publique ou d'une dignité officielle n'est rien de moins qu'un privilège discriminatoire fondé sur la race, l'origine ethnique et la provenance sociale.

L'exigence que l'héritier du trône soit protestant viole le droit àl'égalité sans égard à la religion. Qu'il devienne, au moment de son accession au trône, le chef suprême de l'Église d'Angleterre contredit le caractère laïc qu'on prétend vouloir donner à l'État canadien.

Ne serait-ce qu'en raison du message malsain transmis par le symbolisme de la royauté, celle-ci mérite d'être abolie. Or, le symbolisme royal est omniprésent : sur les timbres-poste ; sur la monnaie ; dans la formule rituelle attribuant à la Reine l'adoption des lois après consultation des chambres législatives ; dans le titre des procureurs de la Couronne ; dans le fait que les accusés sont poursuivis au nom de la Reine, etc. Cette hyperdiffusion du symbole royal a pour fonction de rappeler constamment, sous un mode subliminal, aux peuples du Canada qu'ils ne sont pas souverains, que toute autorité vient d'en haut, que les bribes de démocratie dont nous jouissons nous sont quotidiennement consenties par la Reine, fontaine de tous les pouvoirs, celle qui assure l'harmonie entre les peuples regroupés sous sa tutelle, celle qui nous protège aussi bien contre les malfaiteurs poursuivis en son nom que contre les éventuels abus de la démocratie.

Le symbolisme royal imprègne spécialement les textes constitutionnels au point de les rendre incompréhensibles aux citoyens ordinaires ou à quiconque ne connaît pas assez bien les mécanismes des conventions constitutionnelles. À relire l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique de 1867 (toujours en vigueur), on ne peut éviter d'être frappé par l'étendue des prérogatives, des pouvoirs discrétionnaires et de l'autorité qui sont reconnus et attribués formellement à la Reine. En vertu de l'article 9, elle disposerait de la plénitude du pouvoir exécutif ; en vertu de l'article 15, elle assumerait le commandement suprême des forces terrestres et navales ; l'article 16 lui reconnaît le pouvoir discrétionnaire de choisir la capitale fédérale et d'en changer ; l'article 17 en fait une des trois composantes du Parlement canadien ;

[108] Bien sûr, des conventions constitutionnelles ont transféré au premier ministre fédéral l'essentiel des prérogatives et pouvoirs de la Reine à l'égard des institutions fédérales. Il n'est quand même pas innocent que la constitution écrite attribue toujours ces pouvoirs et prérogatives à la Reine elle-même. La fonction subliminale d'une telle attribution, c'est de maintenir la conviction qu'aucune souveraineté n'appartient au peuple (ou aux peuples) ; que c'est toujours la Reine qui garantit le bon fonctionnement de nos institutions, par le simple fait qu'elle existe. Selon l'idéologie royaliste qu'on nous inculque, un pouvoir légitime a besoin de s'appuyer sur le roc solide de la royauté. C'est toute cette idéologie qu'il nous faut renverser pour établir enfin une vraie démocratie, laquelle ne peut être que de forme républicaine.

En même temps que l'abolition de la royauté, nous proposons que soient remis respectivement au Parlement canadien le pouvoir de légiférer sur le titre, la charge, les attributions, les prérogatives et le mode de désignation du gouverneur général et aux législatures provinciales le plein pouvoir de légiférer pour tout ce qui concerne le lieutenant-gouverneur.

En ce qui concerne le Sénat, nous proposons qu'il soit aboli ou qu'il soit rendu électif. Nous suggérons que les sénateurs pourraient être élus par scrutin de liste à la proportionnelle pour chacune des quatre grandes régions du Canada.

Parce que nous croyons spécialement à l'égalité des citoyens sans égard à la religion, nous proposons que soient abolis l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, l'article 29 de la Loi constitutionnelle de 1982 ainsi que la référence à la suprématie de Dieu dans le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés.

Nous proposons que le délit de blasphème soit éliminé du Code criminel.

Nous proposons que les références confessionnelles ou déistes soient extirpées des versions française et anglaise de l'hymne national canadien.

Nous voulons vivre la démocratie dans une république laïque, respectueuse des croyances de tous ses citoyens et respectueuse aussi de leur droit à l'égalité sans égard à ce qu'ils croient ou àce qu'ils refusent de croire.


L'auteur est président du Mouvement laïque québécois.



[1] La France ne gardera jusqu'à ce jour que deux petites îles au large des côtes de TerreNeuve : St-Pierre et Miquelon.

[2] Il ne faut pas oublier qu'à cette époque on désigne « les Canadiens » comme étant des francophones nés en terre d'Amérique.



Retour au texte de l'auteur: Martin Geoffroy, sociologue, Université du Manitoba Dernière mise à jour de cette page le vendredi 5 novembre 2010 15:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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