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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Martin Geoffroy, “De l'internationalisation à l'éclatement d'une ONG. Le cas de la branche nord-américaine de l'Alliance baptiste mondiale.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Bruno Duriez, François Mobille et Kathy Rousselet, Les ONG confessionnelles. Religions et action internationale, pp. 129-138. Paris: L'Harmattan, 2007, 282 pp. Collection: Religions en questions. [L’auteur nous a accordé le 10 août 2010 son autorisation de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

[129]

Martin Geoffroy

De l'internationalisation à l'éclatement d'une ONG.
Le cas de la branche nord-américaine
de
l'Alliance baptiste mondiale”.

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Bruno Duriez, François Mobille et Kathy Rousselet, Les ONG confessionnelles. Religions et action internationale, pp. 129-138. Paris : L'Harmattan, 2007, 282 pp. Collection : Religions en questions.

Introduction
Les États-Unis, premier pays de la mission baptiste
L'Alliance baptiste mondiale : d'hier à aujourd'hui
Les ONG baptistes américaines en contexte de mondialisation
Le « schisme » de la Southern Baptist Convention

Introduction

Ce texte a pour but d'identifier et de décrire le discours justifiant les stratégies d'évangélisation et de conversion utilisées par la North American Baptist Fellowship (NABF) dans le cadre de ses projets d'aide humanitaire mis en oeuvre un peu partout à travers le monde. Membre de l'Alliance baptiste mondiale (BWA), la NABF défend la liberté de religion pour tous. Ouvertement prosélytes, la BWA et la NABF ne cachent pas leurs intentions d'évangélisation à l'échelle mondiale. Dans un premier temps, nous établirons les racines historiques du désir d'évangélisation et de mission internationale de l'Église baptiste. La BWA fera ensuite l'objet d'un bref survol historique visant à montrer son américanisation progressive jusqu'au début des années 1980, à laquelle succède une plus grande internationalisation. Nous montrerons dans un troisième temps comment se déploie la stratégie d'adaptation sociale du discours d'évangélisation des baptistes dans le contexte de l'« âge global [1] ». Enfin, nous décrirons la structure organisationnelle de la NABF et de la BWA et le schisme récent de la Southern Baptist Convention (SBC). Notre hypothèse est que les baptistes justifient leurs actions d'évangélisation à travers leurs ONG par un discours qui tente de relier les droits de l'homme et la liberté religieuse dans le but de ne pas compromettre les principes de « laïcité médiatrice »dans certains pays ; ce qui a mené à l'éclatement de la BWA dans le contexte politique actuel des États-Unis.


Les États-Unis,
premier pays de la mission baptiste


En 1609, l'Anglais John Smyth se rebaptise lui-même dans sa maison à Amsterdam, où il subissait son exil d'une Angleterre en proie à de nombreuses persécutions religieuses. Ce baptême d'un croyant adulte [130] (believer's baptism) a définitivement remis en question l'autorité de toutes les Églises instituées où l'on pratiquait le baptême à la naissance. Même si la première Église baptiste ne voit le jour que vers 1644 en Angleterre, on constate que des prêcheurs baptistes itinérants fondent des Églises dès le début de la colonisation de la côte est américaine. La dénomination baptiste est donc intrinsèquement liée à la construction sociale et religieuse des États-Unis et des provinces maritimes au Canada ; elle fait partie du tissu social et politique états-unien. Son esprit de liberté et d'entreprise va de pair avec l'ethos américain de la réussite. Dès 1810, les premiers missionnaires baptistes américains partent répandre la bonne parole hors du continent nord-américain. L'American Baptist Home Mission Society est fondée en 1823 pour évangéliser les États-Unis encore considérés comme un pays de mission à cette époque. Au Canada, la première Église baptiste est fondée en 1763 à Sackville dans l'actuelle province du Nouveau-Brunswick. Cet ancrage historique des baptistes dans la région canadienne des Maritimes fait que ces derniers sont encore très présents aujourd'hui dans la région de la ville de Moncton où se trouve une université baptiste confessionnelle, l'Atlantic Baptist University. Mais moins d'un siècle plus tard, lors de la fondation de la BWA en 1905, le pays de mission est devenu le pays d'où partent les missions baptistes, parce que c'est aussi celui où se trouve la majorité des membres de la dénomination.

Bien que par définition chaque Église baptiste soit totalement indépendante, elles ont quand même cinq grands principes communs : une interprétation littérale de la Bible en tant qu'ultime autorité, le principe d'indépendance de la congrégation locale, les sacrements ou ordonnances, le volontarisme et la défense de la liberté religieuse [2]. Ces principes communs permettent aux congrégations locales, malgré leur indépendance, de mettre en commun leurs ressources financières et humaines dans des entreprises nationales et internationales. Historiquement, ces entreprises sont généralement motivées par la volonté d'évangélisation des non baptistes, mais elles peuvent aussi servir à maintenir et stimuler les contacts entres baptistes comme nous allons le voir maintenant.


L'Alliance baptiste mondiale:
d'hier à aujourd'hui


L'Alliance baptiste mondiale est probablement l'une des plus anciennes ONG confessionnelles au monde. Fondée en 1905 par des [131] baptistes anglais et américains en réaction au protectionnisme de certaines Églises anglaises, elle se définit comme une « fraternité » humanitaire et évangélique. Au moment de sa création, il y avait 6,2 millions de baptistes dans le monde, principalement aux États-Unis et en Angleterre.

Présente aujourd'hui dans plus de deux cents pays, l'Alliance baptiste mondiale compte environ trente-deux millions de croyants baptistes à travers le monde. Elle est composée de six sous-divisions : North American Baptist Fellowship, Asian Baptist Federation, All-Africa Baptist Fellowship, Caribbean Baptist Fellowship, Union of Baptist in Latin America et European Baptist Federation. La branche la plus importante de l'Alliance baptiste mondiale reste sans aucun doute la North American Baptist Fellowship (NABF) avec ses 20 494 889 membres répartis au Canada et surtout aux États-Unis dans 68 920 Églises [3].

Même si son appartenance n'est pas exactement la même que celle de la BWA, la NABF a néanmoins pour objectif l'avancement des projets de la BWA qui concernent les Églises baptistes nord-américaines et elle fonctionne comme branche régionale de la BWA. La NABF a été fondée en 1964, au moment même où la BWA s'internationalisait de plus en plus. Le besoin de fonder une association séparée qui pourrait spécifiquement diriger et organiser les actions nord-américaines à l'étranger se faisait alors sentir. Cela permettait aussi aux baptistes américains d'avoir un plus grand contrôle sur leurs investissements dans la mesure où ils sont majoritaires dans la NABF [4].

L'actuel président de la NABF est l'Américain David Emmanuel Goatiey. Il est secondé par trois vice-présidents américains, Kenneth Bellous, Derrick Harkins et Bertha L. Williams. La BWA et la NABF ont chacune six « ministères »qu'elles soutiennent en permanence : Baptist World Aid Division, Evangelism and Education Division, Women's Department, Youth Department, Study and Research Division et le Men's Department. Ce sont les deux premiers ministères qui sont les plus présents sur le terrain international : la Baptist World Aid Division administre les programmes humanitaires dans plusieurs zones de conflits, dans des pays en développement tels que l'Iran (Bain), la Zambie, le Libéria, le Congo, l'Afrique du Sud et plusieurs autres. Ce n'est pas un hasard si la division de l'évangélisation et de l'éducation vient tout de [132] suite après celle de l'aide internationale ; l'une ne va pas sans l'autre. La stratégie consiste à montrer qu'il s'agit d'une aide ou d'un secours désintéressé, qu'on qualifie souvent d'« amour », mais derrière cette démarche, se trouve certainement aussi l'espérance que les nombreux contacts ainsi créés avec les non baptistes apporteront leur lot de conversions.

Fait important à souligner, les sièges sociaux de la BWA et de la NABF sont situés au même endroit, à Falls Church en Virginie. Cet État du sud-est des États-Unis est le berceau du fondamentalisme américain de type néo-évangélique. Les racines de la BWA y sont profondes car la Southern Baptist Convention (SBC) a largement contribué à sa fondation au début du siècle. Les baptistes canadiens sont, eux, largement minoritaires au sein de la NABF, ce qui montre combien l'empreinte des baptistes états-uniens est considérable autant sur la NABF que sur la BWA en général. La BWA est généralement beaucoup plus modérée et proche des courants baptistes, alors que, comme nous le verrons plus loin, la SBC est beaucoup plus fondamentaliste, ce qui conduira à une séparation complète des deux organisations en 2004.


Les ONG baptistes américaines
en contexte de mondialisation


Au congrès de Toronto en 1980, les baptistes ont adopté plusieurs résolutions concernant les sujets suivants : l'évangélisation, la liberté de religion et les droits de l'homme, la vie de famille et le droit des enfants, la paix mondiale et le désarmement, la question des réfugiés, l'écologie et la faim dans le monde [5]. Pour les baptistes, les droits de l'homme et la liberté de religion vont de pair. La liberté de religion inclut le droit d'évangéliser et, si possible, de convertir les non baptistes. La déclaration des droits de l'homme du congrès baptiste de Toronto est explicite sur ce point :

« L'évangélisation est l'ingrédient nécessaire à la protection des droits humains. Parce que les droits humains viennent de Dieu, tous les citoyens du monde doivent le connaître. Amener les individus à connaître Dieu à travers Jésus-Christ ouvre la possibilité pour eux de comprendre ce qu'est le bien et leur donne le pouvoir d'agir pour le bien à travers l'indomptable Esprit de Dieu [6]. »

[133] En associant ainsi les droits humains (ou droits de l'homme) à une liberté de religion incluant le droit d'évangéliser, la BWA tente de faire passer un discours militant pour un discours plus neutre calqué sur celui des Nations unies, puisqu'elle est l'une des nombreuses ONG religieuses reconnues par l'organisation et qu'elle y intervient aussi au Conseil économique et social. Cette stratégie est utilisée pour contourner certains problèmes que leur prosélytisme pourrait causer sur le terrain. Mais en même temps, cette stratégie d'affirmation religieuse en contexte de globalisation sert aussi à se démarquer des ONG séculières et des organismes gouvernementaux. Appleby remarque que certaines religions sont capables de fournir des fondations culturelles à la paix dans leurs sociétés respectives, c'est-à-dire qu'elles offrent des ouvertures pour la résolution de certains conflits que des ONG séculières ou des associations gouvernementales ne sont pas en mesure d'offrir [7]. En effet, des groupes ou des gouvernements religieux font plus confiance à des ONG confessionnelles qu'à des ONG séculières qui ne parlent pas le « langage de Dieu ». Ceci a une influence sur les stratégies œcuméniques des ONG confessionnelles en contexte de mondialisation. La stratégie de la « diversité réconciliée [8] » en est l'exemple le plus probant. Car même si les grandes Églises sont loin d'un accord théologique, elles cherchent une coexistence pacifique en participant à de multiples réseaux oecuméniques qui se présentent de plus en plus sous la forme d'organisations non gouvernementales confessionnelles dispensatrices de services à travers le monde. En ce qui concerne la BWA, celle-ci organise souvent des rencontres avec les représentants des ONG catholiques et de l'UNICEF et établit ainsi un dialogue informel avec ces organisations. On compte également de nombreuses collaborations sur le terrain. Par exemple, la BWA a travaillé en 2002 sous l'égide de l'ONU avec les ONG catholiques lors des inondations en Haïti et en République dominicaine. La BWA, à travers son programme d'aide internationale (BWAid), a alors procédé à la distribution de nourriture, de vêtements, de couvertures et a participé à des opérations de purification du système de distribution d'eau potable. Même si aucune Église baptiste n'a été touchée par le sinistre, la BWA a tenu à contribuer à l'effort humanitaire autant sur le terrain que par des [134] dons. Avec ses 87 000 membres sur l'île d'Hispaniola, la BWA est en compétition directe avec l'Église catholique, surtout en Haïti.

Le rôle de la BWA est tout de même assez ambigu. C'est grâce à un réseau d'Églises locales que les baptistes sont en mesure d'agir à travers le monde, la solidarité baptiste devenant alors plus importante que l'appartenance à une nation ou à un pays. C'est ainsi que des baptistes américains versent des fonds à travers la BWA pour que leurs coreligionnaires hongrois puissent agir sur le terrain à Bain en Iran, ou que les baptistes brésiliens puissent fonder la première Église baptiste irakienne à Bagdad. Dans le cas de l'Irak, il serait en effet beaucoup plus difficile pour des baptistes américains de fonder une Église en ce moment que pour les Brésiliens. Mais les missions visent d'abord et avant tout à défendre les baptistes opprimés dans des pays où l'on ne tolère pas les religions étrangères. Le plus souvent, les tensions naissent du désir ardent des baptistes de convertir les peuples des régions où ils distribuent de l'aide humanitaire et où ils tentent de fonder des Églises. Par exemple, l'Ouzbékistan a formellement interdit la religion baptiste sur son territoire depuis un an, car l'État reprochait aux baptistes de tenter de convertir les enfants de parents musulmans. Même constat au Sri Lanka où la majorité bouddhiste tente en ce moment de faire voter une loi contre les conversions. En Égypte, quand les autorités ont fermé en 2002 une Église baptiste, l'Église El Antara Gharb, la BWA est intervenue auprès de l'ONU pour qu'elle fasse pression sur les autorités égyptiennes pour la réouverture de l'Église.

La BWA fait la promotion d'un marché du religieux globalisé et ouvert ; c'est ce que les baptistes appellent la « liberté d'évangéliser ». Ils sont prêts à être en compétition avec les autres religions dans n'importe quel pays du monde à condition que cette liberté ne soit jamais restreinte. Le discours sur la liberté de religion sert surtout à défendre la religion baptiste, mais il est adapté au langage de l'ONU. C'est ce que Peter Beyer appelle une religion de « performance [9] », c'est-à-dire une forme de religiosité qui est appliquée à des problèmes générés par d'autres sphères que celle du religieux. À l'opposé d'une forme de religion plus « pure », c'est-à-dire qui se préoccupe exclusivement de la sphère du religieux, la religion de performance est adaptée au contexte mondialisé d'un marché du religieux. Les ONG baptistes seraient donc le produit de la longue évolution historique d'une forme de religion pure à une religion de performance. Selon Beyer, la globalisation de la société favorise [135] structurellement la privatisation de la religion « pure », mais peut aussi représenter une opportunité de renouveler l'influence de la religion dans la sphère publique à travers la « performance » des ONG par exemple. La thèse de Beyer est fondée dans le cas des ONG baptistes telles que la BWA, mais elle s'applique plus difficilement aux congrégations locales qui s'occupent presque exclusivement de religion « pure ». La structure organisationnelle relativement souple de la BWA lui permet d'opérer aux deux niveaux, la religion pure au niveau local et la religion de performance au niveau global. Sans doute pourrait-on parler, au sujet de la BWA, d'une « tradition innovante » et dire qu'elle pratique un « management par le milieu ». Selon Appleby [10], ce type de management se définit par les cinq points suivants : accumuler des ressources diverses, créer et relier des coalitions, organiser le soutien des troupes, éduquer et entraîner des médiateurs de conflit, renouveler et/ou établir des institutions locales. L'Alliance regroupe ces cinq caractéristiques dans son énoncé de la doctrine évangéliste : proclamer la parole de Dieu, établir de nouvelles congrégations, rejoindre les « non évangélisés » et renforcer les missions indigènes. Les baptistes sont particulièrement habiles à former des coalitions non seulement entre baptistes, mais aussi dans certains cas avec d'autres institutions comme l'Église catholique romaine. La BWA réussit remarquablement bien, surtout à travers son réseau nord-américain, à mobiliser les ressources financières de ses membres. Si chaque organisation membre offre une contribution annuelle, une bonne partie du financement vient aussi des dons privés de chaque Église baptiste, notamment à travers l'annuel Baptist Alliance Day. Le premier dimanche de février, les pasteurs de chaque Église baptiste invitent les croyants à verser un don au profit de la BWA.


Le « schisme »
de la Southern Baptist Convention


En 2003 et 2004, les baptistes ont vécu l'une des crises les plus importantes de l'histoire, bientôt centenaire, de la BWA. La puissante et de plus en plus fondamentaliste et républicaine [11] Southern Baptist Convention (SBC) a quitté les rangs de la BWA et de la NABF. Avec plus de 16,3 millions de membres répartis dans 42 334 Églises du sud des États-Unis, la SBC comptait plus de la moitié des membres de la NABF et presque le tiers des membres de la BWA. La SBC a quitté la BWA [136] parce que celle-ci a accepté d'intégrer dans ses rangs la Cooperative Baptist Fellowship, une organisation concurrente de baptistes modérés du Sud, qui se sont détachés en 1991 de la SBC parce qu'ils jugeaient qu'elle devenait trop conservatrice. Les responsables de la SBC ont claqué la porte de la BWA en affirmant que l'Alliance devenait trop « libérale »(politiquement à gauche), lui reprochant au passage de « tolérer l'homosexualité, de soutenir le principe d'un clergé féminin et de tenir des propos anti-américains ». Le coup est très dur pour la BWA et encore plus pour la NABF, tant au niveau du nombre de membres qu'au niveau économique. Du point de vue financier, il s'agit d'une perte nette de 425 000 dollars américains que la SBC versait à la BWA chaque année, ce qui représente 20% du budget annuel de l'Alliance. De son côté, le leadership de la BWA réfute énergiquement l'étiquette « libérale » et accuse, sur son site Internet, la SBC d'être « schismatique » et de « commettre un péché contre l'amour [12] ».

Ceci vient confirmer l'hypothèse selon laquelle l'avenir de la BWA se trouve dans son internationalisation, par exemple en Afrique où l'implantation de nouvelles Églises baptistes a augmenté de 210% au cours des dix dernières années. L'ancien président de la BWA (jusqu'en 2005), le Sud-Coréen Billy Kim, est le pasteur en Corée du Sud d'une des plus grosses Églises baptistes au monde. Récemment, un donateur sud-coréen anonyme a remis à la BWA la somme de 600 000 dollars, ce qui révèle l'actuel déplacement du capital humain et financier de l'Alliance des États-Unis vers l'international, même si la majorité des fonds viennent encore du pays de l'Oncle Sam. La SBC va dorénavant développer ses propres projets internationaux d'aide humanitaire en parallèle de ceux menés par la BWA, et selon ses propres intérêts qui sont très souvent en lien avec ceux du gouvernement républicain. D'ailleurs, au moment même où la convention de la SBC consommait le schisme, le président Bush y intervenait pour la troisième année consécutive, faisant part de son soutien à un amendement constitutionnel qui bannirait le mariage homosexuel ; il demandait aux membres de la SBC de faire pression sur le Congrès pour que sa proposition passe.

Le schisme de la SBC confirme une tendance lourde dans les recompositions internes du protestantisme aux Etats-Unis. La tendance évangélique conservatrice et fondamentaliste prend de plus en plus le dessus sur les Églises protestantes plus classiques et modérées telles que [137] les Églises mennonites, épiscopaliennes ou presbytériennes. Par exemple, la National Association of Evangelicals, qui prône le retour aux valeurs familiales et religieuses traditionnelles, représentait déjà 25% du total de la population nord-américaine en 1996. La plupart des chrétiens évangéliques de tendance fondamentaliste se trouvant dans le sud des Etats-Unis, la pression sur la SBC pour qu'elle adopte cette tendance de plus en plus dominante est très forte. Les chrétiens évangéliques sont pieux, orthodoxes et très prosélytes et la validation de la croyance passe moins par l'inscription dans une lignée traditionnelle de croyances que dans un milieu croyant. Selon Willaime, « l'orientation évangélique représente donc un christianisme de conversion à caractère militant, soucieux de la rectitude doctrinale et morale de l'individu chrétien [13] ». Mais ce n'est pas tant le christianisme de conversion à caractère militant qui distingue la SBC de la BWA que son traditionalisme et son fondamentalisme. Selon Oran Smith [14], le traditionalisme subordonne les valeurs individuelles à celles favorisant la préservation du groupe. Le groupe religieux de type traditionaliste peut engendrer certaines formes de violence parce que les valeurs collectives y symbolisent le sacre, ce qui fait que toute insulte à sa culture est considérée comme un blasphème. Il y a donc une plus grande liberté de penser à l'intérieur de la BWA que de la SBC et ce, même s'il s'agit effectivement de deux groupes relativement conservateurs et de tendances néo-évangéliques. Il convient aussi de noter que le traditionalisme et le fondamentalisme sont souvent associés de près à des revendications identitaires qui relèvent d'un nationalisme ethnique. Dans le cas de la SBC, cela passe par un nationalisme et un patriotisme américains exacerbés et parfois même un peu paranoïaques. Ce n'est donc pas un hasard si la SBC accuse la BWA « d'anti-américanisme » puisque cette dernière s'internationalise alors que les baptistes du sud se replient de plus en plus dans une crispation identitaire parfois violente. Depuis le début des années 1980, la SBC a lentement glissé politiquement à droite, vers le parti républicain, à tel point qu'elle en constitue aujourd'hui la base électorale. La SBC est très anti-ONU. Elle perçoit cette organisation comme une gigantesque conspiration franc-maçonnique internationale dont l'objectif est de faire disparaître la véritable culture américaine de souche protestante. Dans ce contexte, l'association formelle entre la BWA [138] et l'ONU ne peut que paraître suspecte aux yeux des baptistes sudistes. Depuis le schisme, la BWA ainsi que toutes les ONG religieuses américaines plus modérées sont sur la défensive et minoritaires face aux puissantes ONG fondamentalistes qui émergent, comme celles avec lesquelles la SBC collabore désormais comme Samari­tan's Purse de Franklin Graham [15].

Les baptistes ont toujours associé la liberté de religion à une liberté d'évangéliser. Au cours du XXe siècle, les ONG baptistes telles que la BWA ont modifié ce discours pour l'adapter à celui, plus consensuel et plus politiquement correct, des droits de l'homme. La principale stratégie est alors d'associer de manière étroite les droits de l'homme à la liberté de religion, ce qui est certainement une valeur historiquement enracinée dans le tissu social et culturel états-unien. L'essor de la BWA au XXe siècle a contribué à l'internationalisation du discours des baptistes et à une plus grande ouverture vers les pays de l'hémisphère sud. Mais le schisme du membre américain le plus important de la BWA, la Southern Baptist Convention, témoigne d'un alignement de cette dernière sur les politiques internationales du gouvernement républicain de George W. Bush. Dans la mesure où la BWA se tourne vers des projets plus axés vers la résolution des conflits et l'aide humanitaire, elle se prête plus à des phénomènes d'hybridation. La SBC organise, quant à elle, ses propres programmes et se referme sur un nationalisme américano-chrétien dont l'objectif d'une conversion conquérante du monde musulman est intrinsèquement relié aux objectifs du parti républicain.

Plus généralement, nous constatons une certaine mondialisation d'un type de discours fondamentaliste dont la binarisation est accentuée par le conflit entre les États-Unis et le « terrorisme international » et dont les répercussions se sont fait ressentir sur la structure même des ONG baptistes et de la BWA en particulier.



[1] Martin Albrow, The Global Age. State and Society Beyond Modernity, Stanford, Stanford University Press, 1996.

[2] William Henry Brackney, The Baptists, New York, Greenwood Press, 1988.

[3] Site web officiel de la North American Baptist Fellowship, www.habf-BWA.org, consulté le 20 janvier 2007.

[4] Voir la répartition des différentes associations membres de la NABF ainsi que leur nombre d'adhérents sur le site web officiel de la NABF.

[5] Walter B. Shurden (dir.), The Life of Baptists in the Life of the World : 80 years of Baptist World Alliance, Nashville, Broadman Press, 1985, p. 243.

[6] Idem, p. 247.

[7] R. Scott Appleby, The Ambivalence of the Sacred (Religion, Violence and Reconciliation), New York, Rowan and Littlefield, 2000.

[8] Yves Bizeul, « Les stratégies oecuméniques dans un contexte de globalisation », in Jean-Pierre Bastian, Françoise Champion et Kathy Rousselet (dir.), La globalisation du religieux, Paris, L'Harmattan, 2001.

[9] Peter Beyer, Religion and Globalization, London, Sage, 1994.

[10] R. Scott Appleby, The Ambivalence of the Sacred, op. cit., p. 122.

[11] Oran P. Smith, The Rise of Baptist Republicanism, New York, New York University Press, 1997.

[12] Site web officiel de l'Alliance baptiste mondiale, www.BWAiiet.org, consulté le 20 janvier 2007.

[13] Jean-Paul Willaime, « Les recompositions internes au monde protestant : protestantisme "établi" et protestation "évangélique" », in Jean-Pierre Bastian, Françoise Champion et Kathy Rousselet (dir.), La globalisation du religieux, op. cit., p. 171.

[14] Op. cit., p. 7-9.

[15] Voir à ce sujet l'article de Sébastien Fath dans ce livre (ndlr).



Retour au texte de l'auteur: Martin Geoffroy, sociologue, Université du Manitoba Dernière mise à jour de cette page le vendredi 5 novembre 2010 15:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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