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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Martin Geoffroy, “La crise des accommodements raisonnables au Québec: de la jurisprudence à l'ingérence.” Un article publié dans la revue Études canadiennes/Canadian Studies, Revue interdisciplinaire des études canadiennes en France, no 65, 2008, pp. 57-65. [L’auteur nous a accordé le 10 août 2010 son autorisation de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

[57]

Martin Geoffroy

La crise des accommodements raisonnables au Québec:
de la jurisprudence à l'ingérence
”.

Un article publié dans la revue Études canadiennes/Canadian Studies, Revue interdisciplinaire des études canadiennes en France, no 65, 2008, pp. 57-65.


Introduction
L'obligation d'accommodement raisonnable
Multiculturalisme et interculturalisme
Une laïcité ouverte ?
Conclusion
Bibliographie

Introduction

Cet article montrera dans un premier temps que l'obligation d'accommodement raisonnable est le résultat d'un long processus jurisprudentiel qui découle de la politique multiculturaliste canadienne et que, tant que le Québec fera partie du Canada, il ne pourra se soustraire aux lois canadiennes concernant la protection des minorités religieuses. La deuxième partie du texte traitera des difficultés de définir une laïcité « à la québécoise » puisque cette dernière n'a pas de fondement historique, juridique et politique. La dernière partie du texte traitera des difficultés de développer l'interculturalisme québécois dans le contexte du multiculturalisme canadien. La conclusion offrira quelques pistes de solutions alternatives qui permettraient de dénouer l'impasse dans laquelle les recommandations de Bouchard-Taylor risquent de mener la société québécoise à long terme.

This article will show how the reasonable accommodation is the result of a long judicial process that came out of the Canadian multicultural policy and that as long as Quebec is part of Canada, it will not be able to get rid of Canadian laws protecting religious minorities. The second part of the article will describe the difficulties involved in the construction of a Quebec laity policy because Quebec society has no judicial, historic or political foundation for laity. The last part of the article will situate Quebec's intercultural policy in the context of Canadian multiculturalism.

La Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements reliées aux différences culturelles instituée en 2007 par le gouvernement du Québec a déposé son rapport final en mai 2008. Les commissaires, le sociologue Gérard Bouchard et le philosophe Charles Taylor, ont conclu « qu'il n'y a pas de crise dans les pratiques d'accommodements, mais il y a eu une crise dans la perception de cette réalité » (Le Devoir, 23 mai 2008). Le rapport, qui contient plus de 300 pages d'analyse des pratiques d'accommodements au Québec, propose 37 recommandations pour implanter « l'interculturalisme » et une « laïcité ouverte » dans la Belle Province. Les commissaires appellent le gouvernement à définir plus explicitement ces deux termes à travers une loi, un énoncé de principe ou une déclaration publique. Mais il y a très peu de chances que cela puisse se faire sans provoquer une véritable crise des accommodements raisonnables qui aura des conséquences àlong terme sur les relations entre la majorité de souche et les minorités. Le rapport passe complètement à côté du problème lorsqu'il affirme qu'il n'y a pas de crise réelle et que les médias sont principalement responsables de la perception du public. Il y a bel et bien une crise des accommodements raisonnables au Québec et c'est une crise juridique et politique que ni l'interculturalisme, ni une laïcité ouverte ne pourront stopper. Cet article montrera dans un premier temps que l'obligation d'accommodement raisonnable est le résultat d'un long [58] processus jurisprudentiel qui découle de la politique multiculturaliste canadienne et que tant que le Québec fera partie du Canada, il ne pourra se soustraire aux lois canadiennes concernant la protection des minorités religieuses. La deuxième partie du texte traitera des difficultés de définir une laïcité « à la québécoise » puisque cette dernière n'a pas de fondement historique, juridique et politique. La dernière partie du texte traitera des difficultés de développer l'interculturalisme québécois dans le contexte du multiculturalisme canadien. La conclusion offrira quelques pistes de solutions alternatives qui permettraient de dénouer l'impasse dans laquelle les recommandations de Bouchard et Taylor risquent de mener la société québécoise à long terme.


L'obligation d'accommodement raisonnable :
le développement juridique d'un mécanisme de protection des droits fondamentaux des minorités au Canada

La genèse des accommodements raisonnables se trouve dans la Charte canadienne des droits et libertés de 1982. Document emblématique de la politique multiculturaliste du gouvernement de Pierre-Elliot Trudeau, la charte proclamait la liberté de religion et ouvrait ainsi la porte à l'élaboration de mécanismes de protection des minorités religieuses. Cette charte instituait formellement la protection de toutes les minorités comme étant le coeur du projet de société canadien. L'article 10 de la Charte canadienne des droits et libertés spécifie à cet égard que :

Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap. Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. (Article 10, Charte canadienne des droits et libertés)

Trois ans plus tard, en 1985, les deux premiers arrêts jurisprudentiels, l'affaire O'Malley c. Simpson-Sears Ltd. et l'affaire R.c. Big Drug Mart, ont initié un processus d'évolution juridique qui dure toujours, en jetant les bases d'une définition plus approfondie de la liberté de religion et ont confirmé la [59] portée de l'article 10 de la Charte concernant la discrimination. Cette liberté est un « droit fondamental non absolu »(JÉZÉQUEL, 2007) qui protège l'individu contre toute forme de discrimination qui pourrait entraver la pratique de sa religion personnelle. Ces deux cas sont fondateurs puisqu'ils ont clairement indiqué que les cours canadiennes favorisent habituellement la défense des droits individuels au détriment des droits collectifs en matière d'accommodement religieux.

Dans l'affaire O'Malley c. Simpson-Sears Ltd., la décision favorise la demande religieuse parce qu'il s'agit d'une demande individuelle. Mme O'Malley était une vendeuse chez Simpsons-Sears et elle venait de se convertir à l'Église universelle de Dieu ; or les principes de sa nouvelle religion lui interdisaient de travailler le samedi. Devant son refus systématique de travailler cette journée-là, l'employeur pénalisa l'employé en la rétrogradant dans un emploi temporaire. Elle contesta ce changement de statut en argumentant à la Cour qu'il était basé sur de la discrimination à l'égard de ses pratiques religieuses. L'employeur fut contraint de prendre des mesures d'accommodements en modifiant son horaire de travail pour qu'elle puisse éviter de travailler le samedi. La Cour a donné raison à la plaignante parce qu'elle avait démontré clairement qu'une norme ou une pratique dans les relations de travail l'avait empêchée d'observer sa religion et lui avait imposé des inconvénients significatifs. Il s'agit d'une discrimination indirecte qui cause un effet préjudiciable. Selon Jézéquel,

La discrimination par suite d'un effet préjudiciable se produit lorsqu'un employeur adopte [...] une règle ou une norme [...] qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés. (JÉZÉQUEL 2007 : 138)

Dans ce cas, ce n'est pas la liberté de religion sur un plan collectif qui s'impose, mais bien l'interdiction de discriminer contre un individu à cause de sa religion. Les droits individuels l'emportent donc sur les droits collectifs, ce qui est l'essence même du multiculturalisme et du libéralisme classique canadiens. Dans le cas de l'affaire R. contre Big M Drug Mart, c'est le contraire, la demande est faite au nom du droit collectif de l'exercice de la religion de la majorité dans la province de la Nouvelle-Écosse. Dans ce cas-ci, [60] une pharmacie, Big M Drug Mart, veut ouvrir ses portes le dimanche, mais certaines lois fédérales et provinciales interdisent l'ouverture des commerces le dimanche pour des motifs religieux ; c'est-à-dire que ce jour est un jour de repos pour la majorité chrétienne. La Cour suprême invalide ces lois interdisant l'ouverture des commerces le dimanche parce qu'elle juge que ces dernières produisent des inégalités entre les religions. Les pratiques religieuses de la majorité ne peuvent pas exercer « une pression à la conformité » en s'imposant àtous. Cette décision montre bien que le droit collectif - dans ce cas-ci celui de la majorité chrétienne - est subordonné aux droits individuels quand il est question de la protection des minorités contre la discrimination. Cette prédominance du droit individuel sur le droit collectif est le résultat direct de la politique canadienne du multiculturalisme, alors que le Québec aurait plutôt une politique interculturaliste ; c'est du moins ce qu'avancent le rapport Bouchard-Taylor et le gouvernement du Québec. Il y a une distinction à faire entre les deux philosophies politiques, multiculturalisme et interculturalisme, pour mieux comprendre les enjeux du débat québécois sur les accommodements raisonnables, et c'est ce que nous allons faire dans la prochaine partie du texte.


Multiculturalisme et interculturalisme

Au Canada, la politique multiculturaliste est la pierre angulaire du projet de société canadien depuis plus de 40 ans. Cette politique a été élaborée à la suite de la célèbre Commission d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, aussi appelée Laurendeau-Dunton. Le rapport final de la Commission, déposé en 1968, constatait la pluralisation et la fragmentation culturelle de la société canadienne de l'époque et recommandait une meilleure protection des minorités au Canada. Dès 1971, le gouvernement de Pierre-Elliot Trudeau élabore sa politique multiculturaliste qui sera enchâssée dans l'article 27 de la Charte canadienne des droits et liberté de 1982 et connaîtra son point culminant par l'adoption par la Chambre des communes de la loi sur le multiculturalisme canadien en 1988. Il est donc clair que le multiculturalisme fait partie intégrante de la loi fondamentale au Canada. Aucune province canadienne ne peut juridiquement s'y soustraire et c'est pourtant ce que le Québec, la « société distincte », tente de faire en élaborant depuis une dizaine d'années une politique dite interculturelle. Selon Maclure (2007), le multiculturalisme, c'est plus qu'une loi, c'est un principe de justice qui découle d'une éthique de la reconnaissance. Cette éthique postule que l'exigence d'assimilation à la majorité est illégitime et que les nonnes publiques ne sont jamais complètement neutres. Ardent défenseur du multiculturalisme canadien, [61] Maclure explique l'importance d'une éthique de la reconnaissance pour les démocraties modernes :

La norme de respect et de reconnaissance de la différence viserait à réguler les rapports entre les majorités et les minorités d'une façon telle que les membres de groupes culturels minoritaires n'aient pas à se fondre complètement dans le moule de l'identité majoritaire ou dominante pour que leur égalité morale soit reconnue et respectée. (MACLURE 2007 : 82)

Dans ce contexte, l'accommodement raisonnable constitue un outil qui vise à favoriser l'intégration des minorités grâce une reconnaissance mutuelle des traits distinctifs de ces dernières. Au Québec, le multiculturalisme canadien est généralement perçu comme un outil d'assimilation de la majorité francophone dans une mosaïque culturelle canadienne ayant pour langue commune l'anglais. Dans cette perspective, on peut mieux comprendre le désir des Québécois de vouloir alors développer une politique interculturaliste. Cette politique affirme la prédominance de langue française et de la culture québécoise dans la Belle Province. Elle vise essentiellement, dans sa version « ouverte », à favoriser le dialogue entre les minorités ethniques et la majorité franco-catholique en affirmant que cette dernière doit être le point de référence culturel commun pour tous les citoyens du Québec. Paradoxe inhérent de la majorité minoritaire franco-catholique du Québec au Canada, cette politique reste encore à définir clairement et il est à se demander si, dans le contexte canadien, cela est même possible. L'une des principales recommandations du rapport Bouchard-Taylor affirme que le Québec est déjà interculturaliste, mais qu'il faudrait l'affirmer formellement et le définir plus explicitement. La joute sémantique qui s'annonce sera ardue et complexe puisqu'il n'existe pas de consensus autour de la notion d'interculturalisme. Malgré cela, il semble clair que le Québec serait plus « communautarien » que les autres provinces canadiennes en matière d'immigration, c'est-à-dire qu'il insisterait plus sur la notion de « contrat social » entre les nouveaux arrivants et la majorité. Les Québécois aurait besoin de ce contrat parce qu'ils seraient plus « insécures » face à leur avenir. Comme l'affirme EID :

[...] la politique québécoise [en matière d'immigration] précise explicitement que le maintien des différences culturelles ne doit pas se traduire par une fragmentation communautaire au sein d'îlots culturels se développant en vase clos [...] (EID 2007 : 118)

[62]

Donc, au nom de son droit collectif d'exister et de se reproduire, la « nation » québécoise désirerait élaborer son propre modèle d'intégration et ainsi se soustraire au modèle canadien du multiculturalisme. C'est pour cela que l'obligation d'accommodement raisonnable dérange tant les Québécois, car elle est en contradiction avec la politique interculturaliste du Québec. Dans le cas de l'arrêt Multani (2006), la Cour supérieure du Québec tranche en faveur du droit collectif représenté par la règle scolaire qui interdit le port d'armes blanches dans les écoles, mais la décision est ensuite renversée par la Cour suprême du Canada qui tranche en faveur du droit individuel du jeune Multani de pratiquer librement sa religion en portant un couteau dans un lieu public. Ce jugement déclenche l'indignation généralisée au Québec, mais laisse le reste du Canada de marbre parce que cela correspond à la politique du multiculturalisme qui est largement acceptée dans le reste du pays, d'autant plus que cette même politique est très importante dans la défense des minorités francophones et anglophones du Canada.

Donc, la logique derrière l'obligation d'accommodement raisonnable sous-entend que certaines règles sociales proviennent de nonnes implicites qui seraient largement définies par la majorité. L'objectif serait donc d'atténuer les effets négatifs de ces normes sur les minorités en créant des « exceptions » à la règle. Cependant, l'accommodement demandé ne doit pas entraîner de « contrainte excessive » pour l'institution impliquée ou la société en général et, jusqu'à maintenant, ce sont presque exclusivement les cours qui ont défini la notion de contrainte excessive. La crise des accommodements raisonnables a pour effet de politiser un débat qui, jusqu'à maintenant, relevait presque exclusivement du domaine juridique. Qui peut définir désormais la notion de contrainte excessive ? Les politiciens ou les juges ? Cette question préoccupe vivement les Québécois et certains proposent comme solution une « laïcité ouverte ».


Une laïcité ouverte ?

Le rapport Bouchard-Taylor recommande l'adoption d'une « laïcité ouverte » par le gouvernement du Québec. Il suggère àcet effet la publication d'un livre blanc sur la laïcité qui ferait le point et définirait plus à fond les options choisies par le Québec dans le cadre de sa nouvelle politique interculturaliste. Le problème, c'est qu'il n'y a pas d'histoire de la laïcité au Canada, ni même de textes juridiques qui font référence à cette notion. Pourquoi ? Parce que le Canada est un pays né d'un accommodement, entre les Français et les Anglais, les catholiques et les protestants et, par la suite, avec les [63] diverses vagues successives d'immigrants qui ont peuplé l'Ouest canadien au cours des 19e et 20e siècles. C'est pour cela que certaines sectes telles que les huttérites et les mennonites bénéficient toujours de droits collectifs et historiques qui remontent à l'époque de la colonisation. Même la province du Québec est également le fruit d'un « pacte entre l'Église catholique et la Couronne britannique » (GUINDON 1990). La séparation de l'Église et de l'État s'y est donc faite graduellement, par accommodement ; c'est pour cela que l'on n'a jamais ressenti le besoin de définir ou même de nommer cette séparation laïcité. L'obligation d'accommodement est donc non seulement une évolution jurisprudentielle, mais aussi le fruit d'une évolution historique des relations entre la religion et l'État canadien. Mais voilà qu'aujourd'hui, une certaine élite québécoise manifeste sa distinction en voulant s'éloigner du multiculturalisme canadien au profit d'une « laïcité ouverte »qui resterait « à définir ». Beau débat sémantique en perspective qui sidère les Canadiens anglais dans la langue desquels le mot « laïcité » n'existe même pas ! Il faut voir les chercheurs français se débattre pour tenter de traduire et d'expliquer la notion de laïcité dans les congrès internationaux ànos collègues anglophones pour saisir le gouffre sémantique et idéologique qui sépare les deux cultures sur ce sujet. D'un point de vue théorique, on assiste à la multiplication de types de laïcité [1] dans le but de circonscrire une notion floue qui est, la plupart du temps, associée à de l'anticléralicalisme [2] au Canada et au Québec. De plus, cette invitation à définir une « laïcité ouverte » est impraticable dans le contexte juridique canadien où « la Cour suprême du Canada a clairement signifié qu'il n'appartenait pas à l'État et aux tribunaux de se poser en interprète, et encore moins en arbitre, des normes et des pratiques religieuses » (EID 2007 : 122). La laïcité, lorsqu'elle est élaborée par des États dans des périodes précises de leur histoire, n'est jamais neutre. Au Québec, ce sont les penseurs français et une certaine élite intellectuelle québécoise qui ont importé une laïcité très influencée par l'histoire et la culture françaises ; cette influence n'a pas son équivalent au Canada anglais. Se séparer solennellement de la religion par une déclaration de laïcité (qu'elle soit ouverte ou non), c'est poser un jugement à l'égard de la religion qui ne peut être permis dans le contexte juridique canadien d'accommodement et de respect de la différence culturelle. Le Canada possède déjà son propre modèle de gestion du religieux et ce n'est pas la laïcité, mais le multiculturalisme. « L'accommodement raisonnable constitue en effet [64] une pièce maîtresse du modèle de citoyenneté plurielle que les États québécois et canadien entendent promouvoir auprès des minorités issues de l'immigration » (EID 2007 : 109). Si l'accommodement constitue la « pièce maîtresse » du multiculturalisme, sa remise en question constitue une attaque directe au fondement d'un projet de société canadien.


Conclusion

Ce texte voulait montrer que l'obligation d'accommodement raisonnable est une évolution non seulement jurisprudentielle, mais aussi historique et sociale de la société canadienne qui, jusqu'à nouvel ordre, inclut le Québec. La crise des accommodements raisonnables est le résultat du malaise identitaire d'une partie des Québécois qui refusent d'accepter les deux défaites référendaires et qui rêvent toujours de former un jour un pays indépendant. Ils refusent d'adopter les valeurs et les normes du multiculturalisme canadien dont découlent les accommodements raisonnables. Les Québécois sont ainsi confrontés à leurs propres contradictions ; ils ont dit non deux fois plutôt qu'une à la création d'un pays, mais ils ne veulent pas accepter les règles de droit, les mœurs et les politiques du pays dans lequel ils ont choisi de vivre, le Canada. De plus, on a vraiment l'impression que ce débat est strictement québécois puisqu'on fait rarement référence au reste du pays, qui « s'accommode » très bien des accommodements raisonnables. En ce sens, le rapport Bouchard-Taylor appelle le gouvernement du Québec à faire de l'ingérence dans des pratiques juridiques déjà bien établies pour, littéralement, inventer un modèle qui ne peut pas exister au Canada.

[65]


Bibliographie

BAUER, Julien (2007), « De l'esprit des lois », in Myriam Jezéquel (dir.), La justice à l'épreuve de la diversité culturelle, Cowansville, Éditions Yvon Mais, pp. 91-101.

BOSSET, Pierre (2007), « Les fondements juridiques et l'évolution de l'obligation d'accommodement raisonnable », in M. Jezéquel (dir.), Les accommodements raisonnables : quoi, comment, jusqu'où ?, Cowansville, Éd. Yvon Blais, pp. 3-28.

EID, Paul (2007), « Accommoder la différence religieuse dans les limites du raisonnable : regards croisés du droit et des sciences sociales », in M. Jezéquel (dir.), La justice àl'épreuve de la diversité culturelle, Cowansville, Éd. Yvon Blais, pp. 129-146.

FALL, Khadiyatoulah et VIGNEAUX, Georges (2008), Images de l'autre et de soi (Les accommodements raisonnables entre préjugés et réalité), Québec, Presses de l'Université Laval.

GEOFFROY, Martin (2008), "Religion as Identity Factor Among French-Canadian Minority", Australian Religion Studies Review. 21/1, pp. 6-16.

GEOFFROY, Martin (2007), « Le mouvement laïque québécois et la laïcité au Canada », in Singaravelou (dir.), Laïcité : enjeux et pratiques, Presses universitaires de Bordeaux, pp. 95-108.

GUINDON, Hubert (1990), Tradition, modernité et aspiration nationale de la société québécoise, Montréal, Saint-Martin. [Ouvrage en préparation dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

JÉZÉQUEL, Myriam (2007), « L'accommodement à l'épreuve des stratégies identitaires », in M. Jezéquel (dir.), La justice àl'épreuve de la diversité culturelle, Cowansville, Éditions Yvon Mais, pp. 129-146.

MACLURE, Jocelyn (2007), « Une défense du multiculturalisme comme morale publique », in M. Jezéquel (dir.), La justice à l'épreuve de la diversité culturelle, Cowansville, Éditions Yvon Mais, pp. 63-90.

MILOT, Micheline (2008), La laïcité, Ottawa, Novalis.

WOEHRLING, José (2007), « La protection de la diversité culturelle, religieuse et linguistique par l'entremise des libertés et des droits fondamentaux », in M. Jezéquel (dir.), La justice à l'épreuve de la diversité culturelle, Cowansville, Éditions Yvon Mais, pp. 149-170.



[1] La sociologue Micheline Milot (2008) en identifie cinq principaux types : 1) la laïcité séparatiste ; 2) la laïcité anticléricale ; 3) la laïcité autoritaire ; 4) la laïcité de foi civique et 5) la laïcité de reconnaissance.

[2] « Nous suggérons qu'au Canada en général et au Québec en particulier la laïcité est d'abord et avant tout de l'anticléricalisme ». (BAUER 2007 : 100)



Retour au texte de l'auteur: Martin Geoffroy, sociologue, Université du Manitoba Dernière mise à jour de cette page le vendredi 5 novembre 2010 14:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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